GESTION TISSULAIRE RAISONNÉE D’UN ÉDENTEMENT POSTÉRIEUR MAXILLAIRE À PROPOS D’UN CAS CLINIQUE
Chirurgie
Implantaire
Maryline TROUILLON* Thibault DROUHET**
*DUCICP, Université de Paris.
**Exercice libéral, Suresnes.
***AHU Pitié Salpêtrière Charles-Foix, DUCICP, Université de Paris, Hôpital Rothschild (AP-HP).
****Exercice libéral, Paris.
La réhabilitation implanto-prothétique des secteurs maxillaires postérieurs nécessite une gestion tissulaire propre à cette région. En effet, la pneumatisation par le sinus maxillaire et la résorption post-extractionnelle entraînent une réduction du volume de la crête osseuse sous-sinusienne. Il existe aujourd’hui de nombreuses techniques d’augmentation osseuse (élévation du plancher sinusien par voie crestale ou latérale, régénération osseuse guidée, greffe...
À partir d’un cas clinique d’édentement postérieur maxillaire de classe II de Kennedy, cet article propose une synthèse des critères de choix concernant les techniques de reconstruction osseuse et d’aménagement muqueux péri-implantaire assurant le succès ainsi que la pérennité du traitement implanto-prothétique.
La réhabilitation implanto-prothétique des secteurs maxillaires postérieurs nécessite une gestion tissulaire propre à cette région. En effet, la pneumatisation par le sinus maxillaire et la résorption post-extractionnelle entraînent une réduction du volume de la crête osseuse sous-sinusienne. Il existe aujourd’hui de nombreuses techniques d’augmentation osseuse (élévation du plancher sinusien par voie crestale ou latérale, régénération osseuse guidée, greffe d’apposition…) afin d’obtenir un volume osseux compatible avec l’insertion d’implants permettant de mettre en œuvre le projet prothétique souhaité.
Comme dans toutes les régions concernées par une implantation, la gestion des tissus mous s’avère essentielle car la présence de tissu kératinisé conditionnera l’efficacité de la prophylaxie quotidienne, nécessaire au contrôle bactérien une fois les prothèses réalisées.
Cet article propose une synthèse de différents critères décisionnels en rapport avec les modalités du traitement implanto-prothétique d’un édentement postérieur maxillaire. Un cas clinique illustre chronologiquement les différents choix effectués.
Monsieur G., âgé de 66 ans, avec antécédent d’infarctus en 2009, s’est présenté à la consultation pour le remplacement de ses molaires maxillaires gauches. Il est suivi par un cardiologue et traité par un antiagrégant plaquettaire (Résitune, 75 mg, 2 fois/jour depuis 12 ans).
L’examen clinique montre un édentement de classe II de Kennedy dans le secteur 2 avec absence de 26, 27 et 28. Des prothèses fixées unitaires sont présentes sur 17 et 47. Une prothèse scellée plurale remplace la 36. Le parodonte est épais et quelques récessions gingivales sont notées. Le sondage parodontal révèle uniquement l’existence d’une poche de plus de 6 mm sur la 25. Cette dent présente par ailleurs une mobilité III.
Les examens radiographiques montrent une lésion inflammatoire péri-radiculaire d’origine endodontique sur la 25 ne permettant pas de la conserver. Cette dent est extraite et le patient est examiné de nouveau 4 mois plus tard.
À ce stade, le patient présente une bonne santé parodontale en rapport avec un contrôle de plaque satisfaisant. Il ne présente pas de lésion carieuse ni de foyer infectieux.
L’espace prothétique présent au niveau du secteur édenté est important, en rapport avec une forte résorption verticale (figure 1). L’examen de l’orthopantomogramme laisse deviner une faible hauteur osseuse sous-sinusienne (figure 2). Une faible quantité de tissu kératinisé est présente sur le versant vestibulaire de la crête édentée.
Par ailleurs, l’étude de l’occlusion montre un guidage canin lors des diductions gauche et droite. Dans un premier temps, un projet prothétique est élaboré à l’aide d’un montage directeur par cire ajoutée de diagnostic obtenu après montage en articulateur des modèles d’étude (figure 3). Les axes des dents prothétiques guideront le positionnement des implants. Ces modèles sont numérisés afin d’obtenir un fichier STL.
Un guide radiologique est également issu de ce montage et permet de réaliser un examen tomodensitométrique dans le but d’évaluer la compatibilité du volume osseux avec le projet prothétique. Son analyse met en évidence une faible hauteur osseuse sous-sinusienne, nécessitant un aménagement à ce niveau préalable à l’implantation, et un défaut osseux horizontal au niveau du site d’extraction de la 25.
Compte tenu de la nécessité d’une reconstruction osseuse sous-sinusienne, un bilan pré-opératoire spécifique est réalisé.
L’interrogatoire spécifique et l’analyse radiographique ont pour objectif d’éliminer une contre-indication à l’élévation sinusienne et d’évaluer le risque de complications per ainsi que post-opératoires. En effet, les complications infectieuses post-opératoires sont principalement dues à une infection du biomatériau de comblement suite à une perforation per-opératoire de la muqueuse sinusienne ou à une exacerbation d’une pathologie inflammatoire sinusienne sous-jacente [1].
De fait, l’analyse spécifique de l’état de santé des sinus maxillaires est incontournable avant d’envisager une intervention pré-implantaire pour évaluer le risque de complications post-opératoires [2, 3].
La SFORL recommande de rechercher systématiquement par l’interrogatoire une pathologie sinusienne [4]. L’évaluation de conditions pathologiques du sinus maxillaire passe par un interrogatoire orienté ORL [5] qui permet de préciser la présence d’un ou de plusieurs symptômes associés à une possible pathologie naso-sinusienne.
Puis, l’analyse de la radio-anatomie des sinus permet de mettre en exergue des facteurs de risque locaux de complications per et post-opératoires.
Il est recommandé par la SFORL de réaliser une imagerie tridimensionnelle (CBCT ou TDM) pour le dépistage d’une pathologie du sinus maxillaire lors du bilan pré-implantaire [4].
L’analyse radiographique doit rechercher de nombreux éléments dont la perméabilité de la région infundibulo-méatique, l’hypertrophie de la muqueuse sinusienne, les variantes anatomiques de confinement (déviation du septum nasal, concha bullosa, cellules de Haller, pneumatisation de processus unciforme), l’épaisseur de la paroi antéro-latérale, la largeur du sinus, le trajet de l’artère alvéolo-antrale et, enfin, la présence de septa.
Celle-ci ne révèle pas pour notre patient de facteurs de risque locaux de complication et le patient ne présente pas de pathologie naso-sinusienne.
En résumé, la demande du patient concerne le traitement d’un édentement unilatéral postérieur maxillaire (classe II de Kennedy). Ses attentes sont essentiellement fonctionnelles et il souhaite bénéficier d’une prothèse fixée.
Après l’analyse clinique et radiologique, un comblement sinusien, un aménagement muqueux et une prothèse transvissée implanto-portée sont proposés au patient.
Le plan de traitement accepté par le patient se compose :
- d’un comblement osseux sinusien par voie latérale ;
- de la pose différée de 3 implants enfouis 6 mois après comblement ;
- d’un aménagement muqueux lors de la mise en fonction des implants ;
- de la réalisation de 3 couronnes transvissées solidarisées.
Le patient est informé du plan de traitement implanto-prothétique, des risques, avantages et contraintes qu’il comporte et un consentement éclairé est signé.
De nombreuses classifications ont été proposées afin de distinguer les anatomies sinusiennes en fonction des niveaux de résorption osseuse et de pneumatisation. Ces classifications, de l’historique de Misch en 1987 [6] aux plus récentes comme celle de Antoun et al. [7], suivent l’évolution des techniques chirurgicales. Celle de Misch [6], fréquemment citée, est fondée sur le degré de résorption du maxillaire postérieur. En 1999, le même auteur y associe la largeur osseuse sous-sinusienne, précisant ainsi les délais de cicatrisation, et propose différentes options thérapeutiques en fonction de l’anatomie sinusienne [8].
D’autres classifications morphologiques ont été proposées et sont souvent associées à des solutions thérapeutiques en fonction du niveau évalué de résorption osseuse [9-12].
En 2008, Wang et Katranji proposent une classification ABC [13] (tableau 1). Elle considère le degré de résorption par rapport à la jonction émail/cément des dents adjacentes à l’édentement ainsi que la hauteur et la largeur osseuses sous-sinusiennes :
- la classe A se caractérise par un os en quantité abondante, soit au moins 10 mm de hauteur osseuse sous-sinusienne et au moins 5 mm de largeur osseuse, permettant une implantation simple ;
- la classe B correspond à un os en quantité a`peine suffisante, soit 6 à 9 mm de hauteur osseuse sous-sinusienne. Trois sous-catégories sont distinguées dans cette classe en fonction de la présence de défauts verticaux et/ou horizontaux ;
- la classe C correspond a`une faible quantité d’os, soit une hauteur osseuse inférieure ou égale à 5 mm. Comme la classe B, elle peut être divisée en 3 sous-catégories.
Pour chaque classe, les auteurs proposent des indications de thérapeutiques chirurgicales.
Les édentements de classe B sont traités par des comblements sinusiens par abord crestal, associés ou non à des régénérations osseuses guidées ou à des greffes d’apposition suivant la présence ou non de défauts osseux horizontaux. Ceci est à rapprocher de la description de la technique d’élévation du bas fond sinusien par voie crestale proposée par Summers en 1994 [14, 15]. Pour ce dernier, quand la hauteur osseuse initiale sous-sinusienne est supérieure ou égale à 5 mm, le protocole décrit permet de condenser l’os, de l’impacter, de soulever la membrane sinusienne et d’insérer immédiatement des implants. Cette technique rend le contrôle et la gestion d’une perforation très difficiles. Dans les conclusions de leur revue de la littérature, Starch-Jensen et al. situent a`plus de 5 mm la limite de l’indication de l’élévation par voie trans-crestale [16].
Les sites anatomiques de classe C sont traités par des élévations sinusiennes par voie latérale, associés ou non à une régénération osseuse guidée ou à une greffe d’apposition, en fonction toujours de la présence ou non de défaut osseux horizontal.
D’autres modalités thérapeutiques en termes d’amélioration du volume osseux sont possibles. La distraction alvéolaire, introduite en chirurgie orale et maxillo-faciale par Mc Carthy et al. en 1992 [17], permet un accroissement vertical des tissus durs et mous [18, 19]. De même, les greffes d’apposition (os autogène ou allogénique) permettent un gain osseux horizontal d’environ 4 à 6 mm [20].
Pour Khouly et Veitz-Keenan [21] comme pour Esposito et al. [22], il n’y a pas de preuve scientifique quant à la supériorité de l’élévation sinusienne sur l’utilisation des implants courts lorsque la hauteur d’os résiduelle est comprise entre 4 et 9 mm. Ils soulignent que le risque de complications est plus élevé dans le cas des élévations du plancher sinusien.
Dans la situation clinique présente, l’analyse des coupes CBCT montre une hauteur osseuse sous-sinusienne de 2 mm au niveau des sites implantaires de 26 et 27. Les ostiums sont perméables.
Le volume osseux correspond à une option 4 selon Misch et à une classe C suivant la classification de Wang et Katranji. Il est donc indiqué de réaliser une reconstruction osseuse préalablement à la pose des implants en réalisant la technique de comblement sinusien par abord latéral.
Suivant les recommandations de bonnes pratiques de la SFCO [23], le patient, bien que traité par antiagrégant plaquettaire, ne présente pas de contre-indications absolues aux chirurgies implantaires et pré-implantaires (risque A d’endocardite infectieuse, irradiation, radiothérapie oro-faciale en fonction des champs d’irradiation et de la dose reçue, traitements anti-résorptifs osseux dans le cadre de pathologies malignes, hémopathies, immunodépression sévère, troubles comportementaux sévères) [4]. En accord avec son cardiologue et selon les recommandations, son traitement devra être maintenu au cours des différentes étapes chirurgicales, le risque thrombotique étant supérieur au risque hémorragique [24]. Une anesthésie locale par injection rétro-tubérositaire, para-apicale et palatine (Septanest, articaïne adrénaline 1/100 000) a été effectuée. Un lambeau de pleine épaisseur est réalisé grâce à une incision crestale et intra-sulculaire suivie de deux incisions de décharge mésiale et distale à l’aide d’une lame 15. L’incision de décharge mésiale est effectuée à distance du foramen infra-orbitaire et offre un accès au site nécessitant une régénération osseuse guidée.
Ensuite, un décollement muco-périosté à l’aide d’un décolleur de Molt permet d’offrir un accès à la paroi latérale du sinus. Ce lambeau d’accès de forme trapézoïdale permet une bonne visibilité du site et une laxité suffisante pour le repositionner en fin d’intervention.
Une fenêtre osseuse est réalisée à l’aide d’un piézotome (Satelec), la taille de cette fenêtre étant dictée par le nombre de dents à remplacer (figure 4). L’ostéotomie s’effectue délicatement jusqu’à l’apparition par transparence du sinus, grâce à un insert à bout émoussé et surface diamantée (Insert SL1, Actéon).
L’utilisation de la piézochirurgie présente plusieurs avantages par rapport à l’instrumentation rotative conventionnelle. Jordi et al. ont montré que le risque de perforation de la membrane de Schneider était significativement réduit par cette approche [25]. Par ailleurs, la précision de coupe permet la réalisation de tranchées fines, offrant ainsi une économie tissulaire et une atténuation de la phase inflam matoire post-opérationnelle. Ainsi Delilbasi et Gurler rapportent une réduction significative de l’oedème et de la douleur post-opératoire chez les patients opérés par piézochirurgie [26].
Après mobilisation, la fenêtre osseuse est détachée et supprimée suivant les recommandations de Jordi et al. La membrane sinusienne est soulevée délicatement, afin d’éviter une perforation, à l’aide d’une série de curettes, d’abord fines à bout tranchant puis larges et enfin larges légèrement courbées pour éloigner complètement la membrane en douceur. Elles doivent rester en permanence avec le contact osseux, la partie convexe de la curette étant dirigée vers la muqueuse sinusienne (figure 5).
Une fois la membrane décollée, son intégrité est contrôlée visuellement.
Le comblement est effectué en associant l’os autogène du volet osseux broyé à des particules d’hydroxyapatite d’origine bovine (Bio-Oss 1 g, Geistlich) préalablement réhydratées avec du sang local. À noter que, en cas de perforation moyenne de la membrane sinusienne (< 10 mm), une membrane de PRF peut être utilisée pour la combler [27].
La méta analyse de Starch-Jensen et al. [16], publiée en 2018, rapporte des taux de survie implantaire équivalents après des comblements sinusiens par de l’hydroxyapatite bovine ou de l’os autogène. Par ailleurs, Caneva et al. [28] ont montré le potentiel ostéo-conducteur des particules d’hydroxyapatite et leur capacité à maintenir l’espace sous-sinusien.
La cavité est comblée sans surpression dans les différentes directions (figure 6). Une membrane de collagène résorbable (Bio-Gide, Geistlich) est ensuite positionnée sur le site de la fenêtre pour éviter la migration du biomatériau et permettre la néoformation osseuse [29] (figure 7).
D’autres auteurs, comme Barone et al. [30] en 2013 et Suarez-Lopez et al. [31] en 2015, ont montré que l’utilisation de la membrane n’augmentait pas substantiellement la quantité d’os vital sur une période de 6 mois. En revanche, l’utilisation de membrane semble réduire la prolifération du tissu conjonctif et le taux de résorption du greffon.
Le lambeau est repositionné afin d’obtenir une fermeture des berges sans tension, puis des sutures discontinues avec du fil 5.0 sont effectuées dans le but d’obtenir une cicatrisation de première intention. L’hémostase est contrôlée et le patient reçoit une prescription post-opératoire accompagnée des recommandations classiques en termes de contrôle du saignement, d’hygiène post-opératoire et d’alimentation : amoxicilline/ acide clavulanique 2 g/jour pendant 7 jours ; pendant 6/8 semaines, mouchage sans pincer les narines ; éternuement bouche ouverte ; pas de manœuvre de Valsalva (notamment en avion) ; pas de plongée sous-marine.
Un contrôle de la cicatrisation est effectué 2 semaines après l’intervention. Les tissus ont cicatrisé sans complication et les fils sont déposés. Le patient signale un hématome cutané diffus du côté gauche, suite potentielle dont il avait été averti (figure 8).
Un examen tomographique par cone beam réalisé à 6 mois post-opératoires montre un comblement dense et bien délimité ainsi qu’une cicatrisation complète du site. Pour optimiser la chirurgie implantaire, une planification et un guide chirurgical sont réalisés. Les fichiers issus de la numérisation du modèle d’étude maxillaire associé aux cires ajoutées de diagnostic ayant déterminé le projet prothétique (fichiers au format STL) sont superposés aux données du CBCT (fichier au format DICOM) via le logiciel Simplant (Dentsply). Les implants sont virtuellement placés suivant leur positionnement tridimensionnel optimal en fonction de ce projet prothétique (figure 9). Un guide d’insertion implantaire de premier forage est alors conçu en fonction de la situation implantaire projetée. La simplicité du cas permet d’utiliser ce type de guidage.
Des implants Astra EV (Dentsply) (dimensions 4,2/12 et 4,8/10) ont été retenus.
Après une anesthésie locale para-apicale et un rappel palatin (Septanest, articaïne adrénaline 1/100 000), un lambeau est levé après une incision crestale légèrement déportée en palatin et une incision intra-sulculaire étendue jusqu’en mésial de la 24 pour permettre la laxité tissulaire (figure 10).
Le guide chirurgical permet de positionner les implants conformément à la planification, en adéquation avec le projet prothétique validé initialement. Une séquence classique de forage est suivie, le parallélisme des 3 implants étant contrôlé à chaque forage grâce aux indicateurs de direction (figures 11 et 12).
Les implants sont mis en place (figure 13) et enfouis avec leurs vis de couverture [32] (figure 14). Le site est suturé et une prescription post-opératoire comportant des antalgiques et un bain de bouche antiseptique est remise au patient.
Dans le but de favoriser les conditions de la pérennité implantaire à long terme [33], il s’avère également primordial d’évaluer la nécessité d’un aménagement muqueux péri-implantaire. En effet les maladies péri-implantaires sont de plus en plus fréquentes. Longtemps objet de controverses et de discussions dans la littérature, de nombreuses études montrent aujourd’hui que la présence de tissu kératinisé contribue à la protection de l’os sous-jacent et donc à la pérennité implantaire [33, 34]. La conférence de consensus de Chicago en 2017 [35] a établi une nouvelle classification des maladies parodontales à laquelle est associée une classification des pathologies péri-implantaires : la mucosite [36] et la péri-implantite [37].
La muqueuse péri-implantaire se différencie anatomiquement du tissu parodontal, ne lui permettant pas une défense équivalente face à l’agression bactérienne. En effet, l’absence de cément entraîne une orientation des fibres de collagène parallèle à implant et non perpendiculaire comme c’est le cas autour d’une dent. Le tissu conjonctif autour de l’implant est très peu vascularisé [38] et semblable histologiquement à un tissu cicatriciel riche en fibre de collagène et pauvre en fibroblastes [39]. Ces éléments permettent de comprendre que l’environnement péri-implantaire sera moins résistant aux agressions mécaniques et bactériennes, les tissus étant davantage perméables au passage des bactéries et à la diffusion de l’inflammation. Les publications de Brito et al. [40], Souza et al. [41] et Roccuzzo et al. [42] ont évalué l’intérêt de la présence de tissu kératinisé sur la santé péri-implantaire. En termes de hauteur du tissu kératinisé, Berdlungh et al. [39] rapportent qu’un minimum de 2 mm permet une diminution significative des indices cliniques de l’inflammation tissulaire. Ceci favorise le confort au brossage permettant un contrôle de plaque efficace, indispensable à la santé des tissus péri-implantaires [41-43].
Concernant l’épaisseur des tissus gingivaux, le consensus de Chicago considère la limite entre un biotype fin et épais à 2 mm. Il souligne qu’un biotype fin est plus à risque d’entraîner une perte osseuse marginale [35]. L’évaluation de l’épaisseur fine ou épaisse peut être également effectuée en objectivant ou non la visibilité de l’extrémité de la sonde au travers des tissus péri-implantaires sondés.
Dans une situation où le tissu kératinisé est en faible quantité ou absent, il est possible d’intervenir soit dans une phase pré-implantaire du traitement, soit au deuxième temps de la thérapeutique chirurgicale implantaire. Dans cette dernière situation, différentes options sont possibles :
- dans une situation caractérisée par un manque de hauteur et d’épaisseur de tissu kératinisé, un prélèvement épithélio-conjonctif est indiqué [32] ;
- si la hauteur de tissu kératinisé est supérieure à 2 mm mais si son épaisseur est trop faible, il est classique de réaliser une greffe de conjonctif enfoui. Du tissu conjonctif est prélevé sur un site donneur, ajusté puis suturé sur un site receveur. Différentes méthodes ont été décrites [44] en fonction des modalités de prélèvement du greffon, soit conjonctif, soit épithélio-conjonctif desépithélialisé secondairement. Cette dernière solution ne permet pas une cicatrisation de première intention au niveau du site donneur et occasionne une morbidité plus importante [45].
Selon Bassetti et al. [46], dans une situation où le tissu kératinisé est présent sur une hauteur supérieure à 2 mm au niveau de la crête mais s’avère en quantité insuffisante en vestibulaire des implants, une intervention par lambeau en épaisseur partielle déplacé apicalement serait indiquée [46, 47].
Dans le cas clinique présenté ici, le sondage et l’évaluation de la quantité de tissu kératinisé ont conduit à privilégier une greffe par conjonctif enfoui.
À 4 mois post-opératoire, le deuxième temps chirurgical est réalisé avec pour objectifs d’augmenter la quantité de tissu kératinisé autour de 24, 26 et 27, présentant une épaisseur et une hauteur de tissu kératinisé supérieures à 2 mm, et de mettre en place simultanément les piliers de cicatrisation.
Après anesthésie para-apicale et rappel palatin (Septonest, articaïne adrénaline 1/100 000), une première incision est effectuée en lingual du secteur 2 à l’aide d’une lame de micro-chirurgie (BB363R, Aesculap) perpendicu lairement au grand axe des dents et jusqu’au contact osseux.
La deuxième incision est pratiquée parallèlement à la couche épithéliale afin de la séparer de la couche conjonctive et la troisième parallèlement à la précédente pour isoler le greffon du plan profond.
Le greffon est ainsi prélevé et placé sur une compresse imbibée de sérum physiologique. Le site de prélèvement est suturé, permettant ainsi une cicatrisation de première intention et des suites opératoires minorées en comparaison d’un prélèvement épithélio-conjonctif.
Sur le site implantaire, une incision crestale déportée en palatin est réalisée pour déplacer un maximum de tissu kératinisé en vestibulaire. Les vis de couverture sont ainsi exposées et remplacées par les piliers de cicatrisation adaptés (figure 15). Le greffon de tissu conjonctif, redimensionné grâce à un patron en papier préalablement réalisé (figure 16), est positionné en vestibulaire de l’implant de 24, plaqué puis suturé à l’aide de fil 6.0 (Ethicon, monocryl) (figure 17) en complément de la fermeture du lambeau (figure 18).
Des antalgiques et des bains de bouches antiseptiques sont prescrits au patient et les fils sont déposés 2 semaines plus tard après un contrôle de cicatrisation satisfaisant.
À 4 mois post-insertion des implants, soit 6 semaines après la phase d’aménagement muqueux, l’empreinte de situation implantaire est effectuée et les différentes étapes prothétiques sont classiquement réalisées.
Les couronnes solidarisées et transvissées, réalisées par CFAO (figure 19), sont mises en place et serrées au torque recommandé (25 N.cm) [48]. Un ruban de PTFE (Téflon) est compacté au fond du puits de vissage et une résine composite photopolymérisable permet d’obturer la partie supérieure de celui-ci (figure 20). Les contacts occlusaux et interproximaux au niveau de 15 sont vérifiés (figure 21). Les conseils d’usage des instruments d’hygiène (brossettes interdentaires) sont dispensés et l’efficacité de la prophylaxie effectuée par le patient vérifiée (figure 22).
Le succès des reconstructions osseuses et tissulaires maxillaires nécessite de connaître les caractéristiques biologiques de la cicatrisation osseuse et du comportement des tissus péri-implantaires ainsi que les indications des différentes techniques chirurgicales d’aménagement des tissus de soutien. Un examen clinique attentif et une étude pré-implantaire précise du cas traité permettent de proposer des modalités chirurgicales adaptées, assurant l’intégration des implants dans un environnement tissulaire favorable à la pérennité du traitement implanto-prothétique.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.