BIOCOMPATIBILITÉ ET MATÉRIAUX D’ASSEMBLAGE EN PROTHÈSE SUPRA-IMPLANTAIRE
Biomatériaux
Geoffroy BOISSIÈRE* Jean-François N’GUYEN** Olivier FROMENTIN***
*DUCICP, Université de Paris, Hôpital Rothschild (AP-HP)
**Exercice libéral à Saint-Didier-au-Mont-d’Or.
***MCU-PH, Université de Paris, Hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP), Laboratoire IRCP CNRS Chimie Paris Tech-PSL.
****PU-PH
*****Responsable du DUCICP, Labo URB2i, Université de Paris, Hôpital Rothschild (AP-HP).
Le terme de péri-implantite est apparu en 1987 dans une publication de Mombelli et al. [1]. Depuis, de nombreux travaux se sont attachés à définir et caractériser cette pathologie inflammatoire qui représente la complication la plus fréquente concernant l’environnement tissulaire péri-implantaire [2, 3].
La récente...
En prothèse supra-implantaire, le ciment a été souvent désigné comme un facteur de risque de la péri-implantite en raison de la possibilité de persistance d’excès de matériau dans la région transgingivale lors de l’assemblage.
Après avoir précisé la nature chimique de différents agents d’assemblage, le but de cet article est de synthétiser les données scientifiques et cliniques concernant la biocompatibilité de ces matériaux.
Le terme de péri-implantite est apparu en 1987 dans une publication de Mombelli et al. [1]. Depuis, de nombreux travaux se sont attachés à définir et caractériser cette pathologie inflammatoire qui représente la complication la plus fréquente concernant l’environnement tissulaire péri-implantaire [2, 3].
La récente classification des maladies parodontales définit la santé péri-implantaire par l’absence de signes d’inflammation, de saignement, de suppuration, d’évolution de la profondeur de sondage et de perte osseuse après le remodelage physiologique initial [4].
Pour certains auteurs [5], la péri-implantite serait essentiellement la conséquence d’une réponse immunitaire de l’hôte à une agression bactérienne assez similaire à celle des parodontopathies. Néanmoins, l’étiologie serait multifactorielle [6, 7] et les facteurs de risque associés multiples. Ainsi, il est possible de citer le diabète, le tabagisme, des prédispositions génétiques et l’hygiène bucco-dentaire insuffisante [8]. D’autres facteurs seraient impliqués à des degrés divers et, pour ceux-ci, la littérature suggère le terme plus modéré d’indicateur de risque. À ce titre, les matériaux d’assemblage utilisés en prothèse supra-implantaire contribueraient au déclenchement de ces phénomènes inflammatoires [9, 10]. Les excès d’agent d’assemblage laissés au sein des tissus péri-prothétiques seraient le facteur essentiel des péri-implantites (figure 1), leurs retraits entraînant une disparition des signes cliniques de l’inflammation [11].
Pour Korsch et al. [12], l’utilisation de ciments résineux ou de matériaux d’assemblage riches en polymères méthacryliques serait à l’origine d’inflammations sévères et de destruction du tissu osseux péri-implantaire.
Ce constat est partagé par Marvin et al. [13] et Nehmatoli et al. [14] qui soulignent que la nature chimique de l’agent d’assemblage serait un facteur important dans la problématique du maintien d’excès de matériau de scellement ou de collage dans les tissus gingivaux péri-implantaires après assemblage de la restauration prothétique (figure 2).
D’après Gallegos et al. [15] ou Diemer et al. [16], la faible biocompatibilité des matériaux utilisés serait un inconvénient majeur qui pourrait contribuer au développement de pathologies des tissus péri-implantaires.
Dans une enquête réalisée au sein de facultés dentaires américaines publiée en 2010 [17], les agents d’assemblage les plus fréquemment utilisés en prothèse supra-implantaire étaient les ciments verres ionomères modifiés par adjonction de résine (CVI-MAR). D’autres matériaux comme les ciments oxyde de zinc-eugénol, les verres ionomères, les résines de collage ou les ciments phosphate de zinc ou polycarboxylate de zinc étaient également rapportés dans une moindre mesure.
Plus récemment, une étude similaire [18] effectuée dans des écoles dentaires ou des hôpitaux publics montre une prépondérance d’utilisation de CVI-MAR ou de résines de collage et moins fréquemment de verres ionomères et de phosphate de zinc.
Pour Tarica et al. [17], il apparaît que l’efficacité dans la résistance au désassemblage et/ou, plus rarement, la possibilité de démontage représentent les facteurs essentiels qui orientent le choix d’un matériau de scellement ou de collage.
Outre les propriétés mécaniques intrinsèques ou le comportement adhésif, la résistance à la dissolution et à la dégradation chimique, ces matériaux doivent néanmoins répondre à un cahier des charges plus complet qui doit prendre en compte la biocompatibilité vis-à-vis des tissus biologiques avoisinants.
Le but de cet article est de présenter les données scientifiques récentes qui peuvent contribuer à éclairer le choix raisonné d’un matériau d’assemblage biocompatible en prothèse supra-implantaire.
D’après la conférence de consensus de Chester en 1986 [19], la définition du terme « biomatériaux » retenue par la Société européenne des Biomatériaux correspond à « des matériaux non vivants, utilisés dans un dispositif médical, à des fins thérapeutiques ou non, destinés à interagir avec les systèmes biologiques ».
La biocompatibilité serait la capacité d’un biomatériau à remplir une fonction spécifique avec une réponse appropriée de l’hôte. Cette propriété ne peut donc être limitée à une simple inertie biologique, c’est-à-dire entraînant une absence de réponse de l’hôte, limitant notamment la dégradation de ce biomatériau.
Les biomatériaux sont classés en classes I, IIa, IIb et III, en fonction de la durée et de la nature du contact ainsi que de l’origine chimique du biomatériau. Les tests de biocompatibilité nécessaires à autoriser leur utilisation clinique varient en fonction de cette catégorisation. Ainsi, les biomatériaux dentaires, classés IIa, doivent être évalués quant à leur génotoxicité, leur cytotoxicité, leur sensibilisation et leurs effets après implantation.
Ces différents tests doivent être effectués en respectant l’ordre suivant :
– les essais primaires réalisés in vitro pour étudier la génotoxicité et la cytotoxicité ;
– les essais secondaires effectués in vivo pour tester la sensibilisation lors de l’implantation sous-cutanée ;
– les essais d’utilisation sur modèle animal.
En matière d’essais primaires, les tests de génotoxicité évaluent les effets des dispositifs médicaux et de leurs produits de dégradation sur les mutations géniques, les changements de structure chromosomique ou toute autre modification des gènes et de l’ADN. Lors des tests de cytotoxicité, les matériaux testés sont mis en contact avec des cellules cibles dont on évalue la viabilité au cours du temps ainsi que le niveau de mortalité cellulaire (apoptose). Ces tests peuvent être réalisés sur des cellules cibles issues de lignées cellulaires établies, faciles à cultiver, par exemple des fibroblastes cancéreux de poumon de souris, mais qui sont différentes des cellules potentiellement rencontrées lors de l’usage clinique du biomatériau testé.
Ces matériaux peuvent également être mis en contact avec des cellules de cultures primaires, plus proches des cellules cibles (fibroblastes pulpaires, gingivaux ou desmodontaux), mais ces cellules présentent l’inconvénient d’avoir une durée de vie limitée du fait de leur différenciation rapide après quelques multiplications.
La viabilité cellulaire s’évalue soit globalement en termes de toxicité de base (la cellule est-elle vivante ou non et ses fonctions cellulaires sont-elles altérées ?), soit plus spécifiquement sur les capacités fonctionnelles des cultures primaires (la cellule remplit-elle encore la fonction pour laquelle elle existe ?). D’après la norme ISO10993-12, un matériau provoquant une réduction de plus de 30 % de viabilité cellulaire est considéré comme cytotoxique [20].
Concernant l’essai de sensibilisation, le test de référence est le Guinea Pig Maximization Test (GPMT) réalisé sur des cochons d’inde. Le biomatériau est placé en sous-cutané lors d’un premier contact renouvelé à 15 jours d’intervalle. Le site étudié est observé à 24, 48 et 72 heures et la réaction cutanée évaluée selon une classification en 5 grades de sévérité. L’animal n’est pas sacrifié et aucune évaluation histologique n’est réalisée.
Enfin, il est réalisé un essai d’implantation intra-osseuse du matériau dans la mandibule ou le fémur de lapin. Les animaux sont sacrifiés entre 1 mois et 3 mois afin d’examiner et de catégoriser, selon les critères de la norme ISO 10-993, les modifications histologiques éventuelles au contact du biomatériau implanté.
Ce n’est qu’après validation de ces différents tests de biocompatibilité que les biomatériaux testés sont mis sur le marché accompagnés d’une fiche de données de sécurité standardisée construite autour de règles européennes (CE 1907/2006, Authorisation and Restriction of Chemicals) (figure 3). Ce règlement entré en vigueur en 2007 a pour objectif de sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne.
Au 31 mai 2018, déjà plus de 20 substances chimiques étaient connues et leurs risques potentiels établis, y compris en termes de biocompatibilité.
Succinctement il est possible de diviser les matériaux d’assemblages utilisés dans les traitements prothétiques supra-implantaires en deux grandes catégories (figure 4) :
– les ciments minéraux (figures 56 à 7) ou organo-minéraux ;
– les résines de collage ou « ciment résineux » et autres composés organiques dérivés des résines méthacryliques (figures 8 et 9).
Les matériaux minéraux et organo-minéraux correspondent aux ciments les plus anciennement utilisés en dentisterie. Ils reposent sur une réaction de prise acido-basique. Parmi eux, les ciments oxyde de zinc-eugénol, les ciments oxyde de zinc amélioré type EBA, les phosphates de zinc, les polycarboxylates et les verres ionomères classiques (CVI) ou modifiés par adjonction de résines (CVI-MAR).
• Concernant les ciments minéraux, l’oxyde de zinc, le phosphate de zinc ou un fluoro-alumino-silicate sont retrouvés dans leur composition chimique, associés respectivement à l’eugénol, l’acide ortho-éthoxybenzoïque, l’acide phosphorique, l’acide polyacrylique et carboxylique sous différentes formes.
• Dans les ciments organo-minéraux comme les CVI-MAR, la poudre fluoro-alumino-silicique est complémentée avec des monomères méthacryliques HEMA, UDMA et Bis-GMA.
Les colles ou résines composites de collage sont constituées d’une matrice d’esters méthacryliques a? laquelle sont incorporées ou non des charges minérales. La réaction de prise des colles se fait par polyme?risation dont l’amorçage peut être chimique, photonique ou photochimique.
Les résines composites de collage comportent une matrice organique résineuse et un renfort constitué de charges en quantité limitée. La cohésion de ces deux éléments se fait par un agent de couplage, le silane.
La phase organique représente jusqu’à environ 60 % du volume de ces résines. Elles sont principalement composées de résines di-méthacryliques issues de la réticulation de monomères majeurs – bisphénol A glycidyl méthacrylate (Bis-GMA) et uréthane diméthacrylate (UDMA) – présentant une masse moléculaire importante et de monomères mineurs. Cette réaction en chaîne d’addition amène à la formation d’une macro-molécule ou polymère.
La masse moléculaire élevée des monomères majeurs permet un faible retrait lors de la polymérisation mais se traduit également par une viscosité importante. C’est pour cela que d’autres dérivés du Bis-GMA ont été mis au point de type Bis-EMA, Bis-PMA ou Bis-MA. Contrairement au Bis-GMA, la viscosité de l’UDMA est un peu plus faible mais sa contraction de prise est très légèrement supérieure.
Un monomère mineur, le di-méthacrylate de tri-éthylène glycol (TEGDMA) est également fréquemment utilisé dans les résines de collage, afin de diminuer la viscosité du matériau et faciliter ainsi son utilisation clinique.
De même, le 2-hydroxyéthyl méthacrylate (HEMA) est un monomère mineur retrouvé dans les résines de collage ou dans les adhésifs afin, d’une part, de fluidifier le matériau et, d’autre part, du fait de ces propriétés hydrophiles, de faciliter les liaisons chimiques sur des substrats humides. De faible poids moléculaire, il présente également une plus forte susceptibilité au relargage après polymérisation.
Le degré de conversion est le pourcentage de doubles liaisons [C = C] qui se convertit en simple liaison [C - C] lors de la réaction de polymérisation. Il n’est jamais de 100 % et ce degré de conversion est fonction du mode de polymérisation [21, 22]. Un degré de conversion élevé se traduit par une présence plus limitée de monomères résiduels susceptibles d’être relargués après polymérisation.
Au niveau de la matrice organique, l’association de Bis-GMA, UDMA et TEGDMA dans une proportion respective de 30 %-35 %-35 % donne un taux de conversion et des propriétés mécaniques optimales par rapport aux autres mélanges de monomères.
Enfin, il faut souligner que le bisphénol A (BPA), très largement utilisé dans l’industrie plastique [22] et particulièrement dans la synthèse du Bis-GMA et de ses dérivés, ne rentre pas de manière directe dans la composition des résines composites utilisées en odontologie. Il n’est retrouvé que sous forme de dérivés comme le Bis-GMA, le Bis-EDMA et le Bis-DMA [23].
Cependant, le BPA peut également provenir de résidus de la fabrication du Bis-GMA. Kingman et al. [24] signalent que la plupart du BPA résiduel après polymérisation n’est pas dispersé dans le milieu mais qu’il se trouve bloqué entre les chaînes du polymère. Seule une faible partie du BPA superficiel est relarguée initialement. La concentration la plus élevée se situe lors des 24 premières heures après la polymérisation.
Dans la cavité buccale, l’activité des estérases salivaires favoriserait l’hydrolyse de résidus de certains monomères, ce qui faciliterait la libération de BPA plus ou moins associé avec d’autres groupements [21, 25].
Les matériaux d’assemblage en prothèse supra-implantaire ne doivent pas causer d’effets pathogènes sur les tissus péri-implantaires. Ces dommages peuvent apparaître en raison de la présence macroscopique d’excès de matériau d’assemblage colonisés par la plaque bactérienne mais également par le relargage de produits toxiques durant ou après la prise du matériau.
D’après Linkevicius et al. [26], les excès de ciment autour des prothèses supra-implantaires interagissent avec le parodonte comme un agent irritant de manière similaire à la présence de tartre autour des dents. Néanmoins, concernant les ciments minéraux, une littérature ancienne et abondante souligne que les ciments à base d’oxyde de zinc [27], tout comme les produits à base d’eugénol [28], auraient une activité antimicrobienne.
Inversement, Costa et al. [29] et Rodriguez et al. [30] rapportent les effets cytotoxiques des CVI ainsi que des CVI-MAR sur les odontoblastes et les fibroblastes gingivaux humains. Ils soulignent que les CVI conventionnels sont significativement moins cytotoxiques que les CVI-MAR. Le HEMA relargué après la prise du matériau serait responsable de la mauvaise biocompatibilité de ces ciments organo-minéraux [31, 32].
De même, les agents d’assemblage à base de résine méthacrylique auraient un comportement plus cytotoxique en raison des monomères résiduels libérés [21, 33, 34] à la suite d’un processus de polymérisation incomplet.
De nombreux travaux [35, 36] ont montré que les monomères comme le TEGDMA, les monomères dérivés du BPA ou le HEMA ont des effets toxiques autant d’un point de vue systémique que local.
Ainsi pour Kraus et al. [37], après 24 et 72 heures de contact entre des cellules pré-ostéoblastiques humaines et différents monomères, la cytotoxicité constatée est majeure pour le Bis-GMA et s’avère respectivement moins importante pour le UDMA, le TEGDMA et le HEMA. Pour ces auteurs, cette toxicité pourrait entraîner la perte osseuse retrouvée dans la péri-implantite.
Dans une récente revue de la littérature consacrée aux effets biologiques indésirables des monomères, Pagano et al. [38], soulignent que les publications retenues entre 2009 et 2018 rapportent que le HEMA, le TEGDMA et le Bis-GMA présentent un effet cytotoxique entraînant des modifications du fonctionnement cellulaire amenant à l’apoptose des différentes lignées étudiées. Ces monomères sont également rapportés comme génotoxiques.
En complément de ces travaux concernant le potentiel cytotoxique des monomères étudiés sous une forme chimique isolée sur diverses lignées cellulaires, d’autres publications rapportent les résultats de tests de cytotoxicité réalisés avec différents agents d’assemblage, ciments ou résines de collage, disponibles sur le marché.
Ainsi, sur des fibroblastes gingivaux, Marvin et al. [13] montrent que le ciment minéral phosphate de zinc testé présente une cytotoxicité limitée avec une viabilité cellulaire supérieure à 70 % après 24 heures, comparativement à une résine de collage, un CVI-MAR ou un ciment EBA.
De même, d’après l’étude de Rodriguez et al. [39], la comparaison en termes de cytotoxicité in vitro de différents matériaux d’assemblage montre que le ciment oxyde de zinc sans eugénol aurait l’effet le plus limité sur des fibroblastes gingivaux humains et les ostéoblastes étudiés. Le matériau résineux testé, riche en HEMA, présente la cytotoxicité la plus élevée comparativement aux autres produits évalués. Par ailleurs, les auteurs montrent une plus grande sensibilité en termes de cytotoxicité des cellules fibroblastiques par rapport aux cellules osseuses.
Inversement, pour Diemer et al. [40], les cellules ostéoblastiques seraient plus sensibles vis-à-vis du comportement cytotoxique des matériaux d’assemblage testés. Ainsi, sur 12 agents d’assemblage dont 11 à base de dérivés acryliques et 1 ciment phosphate de zinc, seul ce dernier a présenté un comportement biocompatible sur les différentes cellules épithéliales, endothéliales et osseuses utilisées.
Les auteurs concluent sur le fait que tous les matériaux résineux amènent une réduction de la viabilité cellulaire en raison du relargage de monomères toxiques. Pour eux, ceci entraîne une perturbation de l’homéostasie ostéoblastique qui risque de favoriser une destruction osseuse péri-implantaire.
Toujours dans le but d’explorer la biocompatibilité des agents d’assemblage, différentes publications ont rapporté les relations entre leur propriété antibactérienne vis-à-vis de la flore buccale et leur comportement vis-à-vis des cellules gingivales et osseuses.
Ainsi, Winkler et al. [41] montrent que, concernant l’adhésion de Streptococcus sanguinis et epidermidis, les ciments minéraux oxyde de zinc, avec ou sans eugénol présentent une adhésion du biofilm et une prolifération bactérienne limitées. Néanmoins, ces matériaux se sont révélés comme étant plus toxiques que les autres matériaux testés en présence de cellules folliculaires dentaires humaines. Pour ces auteurs, ces ciments relarguent des ions zinc qui ont un effet antibactérien limitant la croissance du biofilm. Inversement, l’effet antibactérien du zinc ou de l’eugénol se traduit par une cytotoxicité élevée pour les cellules hôtes utilisées. Ces auteurs concluent que les effets cytotoxiques et les propriétés antibactériennes sont souvent corrélés et donc que, dans le cadre de cette étude in vitro, aucun agent d’assemblage testé ne bénéficie d’une cytotoxicité faible associée à un potentiel d’adhésion limité du biofilm, limitant d’autant leur indication comme matériau d’assemblage biocompatible en prothèse supra-implantaire.
Dans une étude in vitro comparant le comportement de 3 agents d’assemblage vis-à-vis de la flore microbienne contenue dans la salive humaine, Korsch et al. [42] ont montré que le matériau résineux testé favorisait une colonisation bactérienne rapide et durable comparativement aux ciments minéraux.
En 2015, Raval et al. [43] étudient la croissance de bactéries planctoniques pathogènes retrouvées dans la péri-implantite (Aggregatibacter actinomycetemcomitans, Fusobacterium nucleatum et Porphyromonas gingivalis) sur 2 ciments oxyde de zinc avec ou sans eugénol, un phosphate de zinc et 2 matériaux d’assemblage à base méthacrylique. Les résultats obtenus montrent que les ciments minéraux, en particulier l’oxyde de zinc-eugénol, réduisent significativement la concentration en bactéries planctoniques et limitent la formation du biofilm. Un des deux matériaux résineux ne montre aucune réduction significative de la croissance des différentes souches de bactéries utilisées.
Ces résultats sont à rapprocher des travaux récents de Gallegos et al. [44] qui comparent 4 types d’agents d’assemblage différents (aluminate de calcium, phosphate de zinc, CVI-MAR et résine de collage) en termes de potentiel antibactérien vis-à-vis de bactéries planctoniques (Streptococcus mutans, salivarius, sanguinis et Aggregatibacter actinomycetemcomitans) et de toxicité sur des cellules de mammifères (fibroblastes gingivaux et macrophages humains, pré-ostéoblastes de rongeurs). Les auteurs rapportent que tous les matériaux testés sont dégradés en surface par l’activité bactérienne après adhésion et formation d’un biofilm, sans effet antibactérien significatif. Par ailleurs, le matériau présentant le niveau de cytotoxicité le plus élevé vis-à-vis des différentes cellules hôtes utilisées s’avère être le matériau à base de monomères méthacryliques.
La brève synthèse des données scientifiques récentes concernant la toxicité des agents d’assemblage étudiés in vitro montre qu’il n’existe pas aujourd’hui d’agent d’assemblage permettant une réponse biologique optimale, même si les ciments minéraux semblent avoir moins d’effets toxiques sur les cellules gingivales et osseuses que les matériaux résineux comportant des monomères susceptibles d’être relargués. Cependant, la transposition à la clinique de ces conclusions issues de travaux in vitro s’avère toujours délicate du fait des nombreuses limites imposées par la modélisation expérimentale en termes de concentration et de temps d’exposition des matériaux testés ou de lignées cellulaires utilisées.
Dans le cadre des traitements par prothèses fixées supra-implantaires, il est fréquent de souligner l’avantage représenté par une moindre incidence de problèmes biologiques rencontrés avec les prothèses transvissées par rapport aux restaurations prothétiques scellées.
Il a été abondamment décrit l’importance de la situation de la limite cervicale par rapport à la morphologie gingivale, de la forme des embrasures prothétiques ainsi que de l’architecture prothétique qui doivent faciliter le retrait des éventuels excès de matériaux d’assemblage et permettre l’hygiène quotidienne.
Au-delà de ces critères de conception qui ne sont pas spécifiques d’un type de réhabilitation prothétique, l’objectif de cette publication est non pas de discuter la supériorité relative d’un mode d’assemblage, par vissage ou par scellement, mais de souligner l’incidence de la biocompatibilité des différents matériaux d’assemblage utilisés sur ces complications biologiques.
À la lecture des revues systématiques et des méta-analyses récentes [45-47], il apparaît que, malgré le risque entraîné par les potentiels excès d’agent d’assemblage, les prothèses supra-implantaires scellées ne présentent pas un niveau moyen de perte osseuse péri-implantaire supérieur à celui des prothèses agrégées par transvissage.
Néanmoins, la liaison entre la présence d’excès d’agent d’assemblage et les pathologies des tissus péri-implantaire est fréquemment rapportée dans les publications cliniques.
Ainsi, la revue systématique de la littérature publiée en 2017 par Quaranta et al. [48] et qui a pour thème les complications biologiques liées au maintien de résidus de ciment retient 6 publications cliniques dont 4 rétrospectives, 1 prospective et 1 étude de cohorte [11, 12, 26, 49, 50, 51]. Les conclusions des auteurs soulignent l’implication des excès de ciment dans l’inflammation gingivale péri-implantaire. Ils recommandent également l’utilisation de ciments eugénol-oxyde de zinc de préférence à ceux contenant des dérivés méthacryliques afin de réduire le risque de mucosite.
Les revues systématiques de Pesce et al. [52] en 2015 et Staubli et al. [53] en 2016 consacrées aux facteurs de risque en rapport avec la péri-implantite ne retiennent qu’un faible nombre de publications (respectivement 2 et 6) autres que des rapports de cas anecdotiques ou des études présentant des durées de suivi inférieures à 1 année.
Les conclusions de ces revues de la littérature confirment, d’après les auteurs, le rôle des excès de ciment dans l’inflammation gingivale péri-implantaire, particulièrement dans les situations d’antécédents de pathologies parodontales ou lorsque le scellement intervient dans un délai ne permettant pas une cicatrisation complète des tissus péri-implantaires.
Les principales conclusions de cette revue ainsi que les travaux ultérieurs de Korsch et al. [54-56] permettent de préciser quelques données essentielles issues de ces publications cliniques.
• La présence d’excès d’agent d’assemblage est détectée très fréquemment dans des situations où l’inflammation et la suppuration sont retrouvées autour des prothèses scellées. Néanmoins, il existe des situations cliniques où des excès de matériau n’entraînent pas d’inflammation [56] et d’autres où, sans excès de matériau d’assemblage, une suppuration est présente [50].
• Le déclenchement d’une phase inflammatoire aiguë avec suppuration peut intervenir dans un délai variable après scellement iatrogène de la prothèse supra-implantaire. Ce délai peut varier de quelques mois à plusieurs années, le risque de péri-implantite augmentant avec la durée de persistance de ces excès de matériau dans les tissus gingivaux péri-implantaires [11, 12].
• En cas de persistance d’excès d’agent d’assemblage dans l’espace transgingival, les antécédents de pathologies parodontales et une maturation tissulaire incomplète semblent favoriser les conditions du développement d’une péri-implantite sur les implants concernés [26, 48, 52, 53].
• Une flore microbienne pathogène est mise en évidence dans ces situations de péri-implantites se développant sur des matériaux d’assemblage résineux [56], ce qui n’est pas le cas sur des prothèses scellées avec des ciments minéraux de type oxyde de zinc-eugénol [54].
• La plupart des prothèses scellées avec un ciment oxyde de zinc-eugénol ne présentent pas d’excès de matériau d’assemblage. Certains auteurs rapportent la solubilité de ce type d’agent d’assemblage comme hypothèse de cette absence [12].
• L’élimination des excès d’agents d’assemblage, sans démontage de la prothèse, amène une rémission de la symptomatologie clinique à type de saignement au sondage, de profondeur de sondage ou de suppuration [11].
• Le désassemblage des prothèses permet une élimination complète des excès d’agent d’assemblage. Ainsi, le nettoyage minutieux de l’espace transgingival, l’irrigation à l’aide de chlorhexidine à 0,12 % et le rescellement avec un ciment oxyde de zinc-eugénol montrent une réduction drastique des signes d’inflammation dans environ 80 % des sites atteints avec une disparition de la suppuration [49, 55, 56].
• La flore microbienne prélevée après démontage et rescellement avec un agent d’assemblage type oxyde de zinc-eugénol s’avère quantitativement réduite en termes de bactéries pathogènes par rapport à la situation antérieure [56].
56La nature de l’agent d’assemblage serait un facteur essentiel du comportement peu biocompatible de certains matériaux constaté vis-à-vis des tissus péri-implantaires en présence ou, dans une moindre mesure, en l’absence d’excès de ces matériaux contenant des monomères méthacryliques [56].
En conséquence, à chaque fois qu’une prothèse supra-implantaire scellée sera indiquée, particulièrement dans les situations d’antécédents de pathologies parodontales ou lorsque les tissus péri-implantaires et prothétiques sont en phase de maturation, il apparaît prudent de ne pas utiliser un matériau comportant dans sa composition un ou plusieurs monomères méthacryliques, HEMA, TEGDMA ou Bis-GMA.
En cela, les agents d’assemblage minéraux, et particulièrement les ciments oxyde de zinc-eugénol, apparaissent plus indiqués (figure 10).
Dans les situations où la rétention des pièces assemblées doit être majorée ou si l’assemblage des pièces prothétiques est réalisé au laboratoire, une résine composite de collage peut être utilisée mais en privilégiant un matériau sans HEMA, TEGDMA ou Bis-GMA (figure 11).
Pour cela, il est possible de choisir un matériau d’assemblage exempt de ces monomères toxiques potentiellement relargables dans l’environnement tissulaire péri-implantaire (Innocem, Seal Temp, Laboratoire Elsodent ; ciment ELS-CEM, Saremco Dental).
Enfin, un protocole minutieux d’assemblage clinique sera effectué en contrôlant l’apport de matériau d’assemblage dans l’intrados prothétique et en éliminant les excès au niveau de la limite cervicale. Cette étape sera d’autant plus efficace que cette limite sera juxta ou très légèrement sous-gingivale, facilitant l’accès visuel.
Choisir une restauration implanto-prothétique scellée ou transvissée répond à une indication de traitement en fonction de différents critères liées à la situation et à l’orientation implantaire, au choix d’un démontage aisé ou d’une architecture prothétique spécifique.
Réaliser une prothèse scellée, au-delà d’une conception prothétique répondant à des objectifs de prophylaxie implique de choisir un matériau d’assemblage biocompatible, sans effet pathogène sur les tissus péri-implantaires.
À l’issue de cette synthèse des données bibliographiques scientifiques et cliniques, il apparaît que, même si aucun biomatériau d’assemblage ne permet une réponse biologique favorable sur l’environnement bactérien et tissulaire péri-implantaire, il s’avère prudent de limiter l’usage de matériaux dont les composés organiques présentent un comportement toxique abondamment rapporté, tant in vitro que in vivo.
Dans cette optique et en l’absence actuelle de matériau idéalement biocompatible, l’utilisation de ciments minéraux, dont la toxicité vis-à-vis des cellules de l’environnement implantaire et le potentiel d’adhésion bactérienne sont plus faibles que ceux des polymères méthacryliques, représente un choix pertinent.
Si l’assemblage à l’aide d’une résine de collage s’avère indispensable, il est possible de privilégier un matériau dont la composition évite les monomères toxiques les plus susceptibles de relargage après polymérisation.
Enfin, après un contrôle minutieux de l’élimination des excès éventuels de matériau d’assemblage, des séances de maintenance régulière doivent être prévues pour suivre l’évolution au cours du temps de la santé des tissus périimplantaires et péri-prothétiques.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.