« ULTRACRÉPIDARIANISME » OU RETOUR SUR UNE PÉRIODE OÙ LE BRUIT MÉDIATIQUE DEVAIT RÉPONDRE À LA PEUR
Éditorial
Responsable du Diplôme Universitaire Clinique d’Implantologie Chirurgicale et Prothétique (DUCICP) de l’Université de Paris.
À l’heure où j’écris ces lignes, nous arrivons laborieusement au crépuscule de cette apnée collective qui n’en finit pas.
Beaucoup tireront un bilan sociologique ou économique de cette aventure SarsCov2/Covid19 avec beaucoup de sagacité. Qu’il me soit permis ici d’évoquer très brièvement quelques images fugaces de cette période qui dure depuis bientôt 2 années. Ce ne sont que quelques bribes d’une histoire commune déjà ancienne mais qui méritent d’être...
À l’heure où j’écris ces lignes, nous arrivons laborieusement au crépuscule de cette apnée collective qui n’en finit pas.
Beaucoup tireront un bilan sociologique ou économique de cette aventure SarsCov2/Covid19 avec beaucoup de sagacité. Qu’il me soit permis ici d’évoquer très brièvement quelques images fugaces de cette période qui dure depuis bientôt 2 années. Ce ne sont que quelques bribes d’une histoire commune déjà ancienne mais qui méritent d’être évoquées comme le témoignage d’un soignant traversant une époque où la peur le dispute avec une inquiétante déraison.
La peur d’abord. Cette paralysie mentale insidieuse qui accompagne cette infection jusqu’alors inconnue sous cette forme et qui expose chacun à des choix, à titre individuel, en tant que citoyen et en tant que soignant. Il faut se souvenir de l’état des connaissances scientifiques sur le sujet au début de l’année 2020. Clairement, dans les modélisations de propagation de ce virus qui a décimé la population confinée de quelques villes chinoises et s’est répandu à grande vitesse à travers le monde, les dentistes ont été placés au sommet des courbes du risque de contamination. Rapidement, ce coronavirus hautement pathogène a été décrit comme présent dans des micro-gouttelettes aéroportées, actif durablement sur les surfaces exposées et transmissible facilement par simple contact. Par ailleurs, à cette époque et malgré quelques faux espoirs fortement médiatisés, aucun traitement antiviral n’a fait la preuve d’une efficacité sur les stades avancés de l’infection. L’évolution de la détresse respiratoire aiguë sévère, conséquence de la contamination virale, entraînait une issue fatale fréquente ou une lente guérison accompagnée de suites invalidantes.
Le silence ensuite. Celui des cabinets dentaires à l’arrêt, des rues désertées, des écoles, des universités et des commerces fermés, toute une vie active qui s’est arrêtée à un instant donné comme lorsque l’on éteint la lumière. De même, la sidération et le silence désabusé des soignants devant la quantité et la qualité du matériel de protection à leur disposition quand le discours officiel était chroniquement optimiste sur les livraisons du lendemain.
Le bruit surtout. Celui des spécialistes, des experts, professionnels de la santé ou de la politique, quels que soient leurs spécialités, leurs titres ou leurs diplômes, le lieu de leur exercice ou leur obédience politique, qui parlent à n’en plus finir pour se contredire ou être démentis le lendemain. Le bruit de tous ceux qui se sont exprimés en tant que « sachants », attirés par les micros et les caméras, sans se rendre compte que, en pensant rassurer, ils ont détruit le peu de confiance de leur auditoire et ont renforcé la crédulité dans les faciles diatribes des tribuns opportunistes. Pour le philosophe et physicien Étienne Klein*, le néologisme « ultracrépidarianisme » désigne la tendance à « parler avec assurance au-delà de ses compétences et de ses connaissances ». Pour lui, cette période a été propice à la relégation de la science derrière l’opinion, les journalistes posant fréquemment des questions où la seule réponse scientifique possible aurait dû être « Je ne sais pas… ». Malheureusement, la logorrhée quotidienne dispensée dans les médias comme catharsis à la peur collective a conduit nombre de personnes à prendre position avec conviction sur des sujets dont ils n’avaient pas la maîtrise.
Mais également le souvenir de quelques moments de respiration, à écouter un médecin expliquer que la connaissance scientifique se construit progressivement dans la confrontation des idées et des études scientifiques mais pas sur une place publique ou sur un plateau de télévision.
Et d’autres instants d’admiration sincère, dans quelques services hospitaliers publiques, pour des jeunes internes en odontologie et des praticiens plus âgés qui ont pris en charge les patients, de jour comme de nuit, avec courage, dans des conditions compliquées où, notamment, la durée recommandée du port du masque (FFP2 ?) s’allongeait au gré de la pénurie de matériel.
Et, enfin, une année universitaire où l’activité clinique et les cours ont été également arrêtés. Différentes initiatives ont été mises en place pour se retrouver sur des plateformes numériques afin de reprendre enfin un programme d’enseignement malgré les périodes de confinement ou les jauges drastiques souvent asynchrones avec l’évolution de l’épidémie.
Plus récemment encore, la saga des vaccins, les livraisons erratiques, le nombre de doses, les délais fluctuants entre les injections, la vaccination obligatoire des soignants, le pass sanitaire… Beaucoup de questions, d’opinions tranchées, de débats passionnés… et plus l’accès au précieux vaccin s’améliorait, unique protection contre l’infection à défaut de traitement, plus les échanges s’intensifiaient autour de l’opportunité collective, le potentiel risque individuel ou même la dimension liberticide de cette vaccination.
Alors, comment conclure après ce patchwork évidemment subjectif de ces quelques images concernant cette période troublée ?
Tout d’abord, l’impression confuse d’une amnésie progressive de ces événements, liée à la perte des repères chronologiques qui rythmaient la vie « normale » d’avant la pandémie.
Ensuite, au-delà des opinions et des débats stériles, la volonté de beaucoup de surmonter les difficultés ainsi que les risques liés aux nombreuses inconnues de cette épidémie, afin d’agir, d’aider, de soigner et d’avancer, parfois modestement, mais toujours avec une volonté forte de « faire ce qu’il fallait faire ».
Dans une période où la nécessaire résilience s’apparente parfois à l’oubli de circonstance, il n’est pas inutile de faire oeuvre de mémoire, même récente, pour rappeler et comprendre ce qu’il s’est passé afin envisager demain avec plus de sérénité.
Durant ces deux années, l’équipe du DUCICP a poursuivi ses activités avec beaucoup d’enthousiasme et de volonté, par zoom derrière les écrans d’ordinateurs ainsi qu’en clinique au gré des évolutions de cette pandémie. Elle vous propose ce numéro de CLINIC, riche de 12 articles concernant les connaissances actuelles de différents domaines de l’implantologie chirurgicale et prothétique.
Félicitations à toute l’équipe du DUCICP Université de Paris Hôpital Rothschild (AP-HP) pour cette belle réalisation collective et je me joins à eux pour vous en souhaiter une bonne lecture !
* « Sutor, ne supra crepidam ». Pline l’Ancien cité par É. Klein dans Le goût du vrai. Édition Gallimard, 2020.