LA DENTISTERIE ADHÉSIVE AU SECOURS DE LA DENT TRÈS AFFAIBLIE
Dentisterie
Restauratrice
Ancien AHU Biomatériaux et Prothèse, Université de Paris.Formateur et co-dirigeant de la société de formation DentalClub.Exercice libéral à Genève.
Plus la dent est délabrée, plus la restauration jouera un rôle important dans son renforcement. À cet effet, il a été montré que les techniques adhésives permettaient ce renforcement tout en préservant les structures restantes, à condition de pouvoir être mises en œuvre de manière rigoureuse [1]. L’intérêt semble ainsi évident pour le renforcement des dents très délabrées. Cependant,...
Les restaurations adhésives s’illustrent de plus en plus dans les pratiques modernes, du fait notamment de leur intérêt biomimétique et de la préservation tissulaire qu’elles permettent. Cependant, ces techniques exigeantes peuvent sembler inadaptées lorsque la dent est trop délabrée ou affaiblie. Nous serions alors tentés de réorienter la thérapeutique vers des techniques scellées, au détriment de la préservation tissulaire, voire de la vitalité pulpaire. Est-ce à tort ou à raison ?
En rappelant les enjeux de nos traitements, nous allons tenter de montrer comment étendre les techniques adhésives aux situations très délabrées, et également comment évaluer où pourrait se situer la limite…
Plus la dent est délabrée, plus la restauration jouera un rôle important dans son renforcement. À cet effet, il a été montré que les techniques adhésives permettaient ce renforcement tout en préservant les structures restantes, à condition de pouvoir être mises en œuvre de manière rigoureuse [1]. L’intérêt semble ainsi évident pour le renforcement des dents très délabrées. Cependant, de par leur délabrement, ces mêmes dents exposent le praticien à des difficultés pouvant compromettre la qualité du protocole d’adhésion. Les doutes et les difficultés pourraient ainsi mener à un délabrement inutile (préparation périphérique, traitement canalaire…), conduisant à un paradoxe : soigner une dent affaiblie en l’affaiblissant davantage !
Les facteurs participant à l’affaiblissement de la dent sont :
- l’importance de la perte de substance ;
- la localisation des atteintes et leurs possibles répercussions parodontales ;
- l’atteinte pulpaire ;
- les fêlures.
Face à ces atteintes, quelle que soit la thérapeutique mise en œuvre, les enjeux pour la longévité de nos restaurations seront :
- la rétention/l’adhésion ;
- la gestion des plaies pulpo-dentinaires et parodontales ;
- l’étanchéité ;
- le renforcement mécanique des structures résiduelles.
En analysant ces enjeux, nous allons voir comment peuvent s’exprimer les thérapeutiques conservatrices, tout en maintenant un haut niveau de longévité et de prédictibilité.
C’est probablement l’aspect le plus déroutant de la prothèse collée, lorsqu’on est habitué aux designs de prothèse scellée.
Les très fortes pertes de substances peuvent parfois laisser la dent cariée « à plat », presque sans couronne clinique résiduelle. Il peut alors sembler impossible de coller durablement dessus. Le réflexe logique, mais souvent inutile, serait alors de dévitaliser la dent pour aller chercher de la rétention dans une racine (voire plusieurs…). Pourtant, les performances des systèmes adhésifs actuels permettent d’aborder ces pertes de substance de manière plus conservatrice [1, 2].
En effet, l’approche adhésive autorise des formes de préparation s’affranchissant totalement des notions de friction mécanique. Ainsi, si les protocoles adhésifs sont rigoureusement respectés, on peut envisager de coller sur une dent totalement « à plat ».
Plusieurs paramètres clés interviennent dans la qualité de l’adhésion.
• L’isolation du site opératoire, vis-à-vis des contaminations (sang, salive, bactéries) mais également de l’humidité en suspension dans la cavité buccale. La digue en caoutchouc n’est peut-être pas la seule alternative… mais, lorsque l’on traite une dent très délabrée, on doit gérer de nombreux paramètres « difficiles » : le changement de cotons salivaires, la gestion de la langue, de la joue, de la salive… sont autant d’éléments qui peuvent interférer négativement avec le protocole clinique. Ainsi, dans les cas de dents très affaiblies ou délabrées, on ne pourra pas envisager de résultat pérenne et reproductible sans l’utilisation de la digue en caoutchouc.
• le respect des protocoles adhésifs. Les systèmes adhésifs permettent aujourd’hui d’adhérer fortement aux structures dentaires. Selon les habitudes du clinicien, les systèmes avec mordançage préalable ou sans mordançage offrent de bonnes valeurs d’adhérence à la dentine, à condition de suivre scrupuleusement le protocole recommandé par le fabricant. Bien que ce point puisse sembler évident, et même si l’on utilise un système depuis des années, il peut être utile de recontrôler que l’on respecte bien ces instructions.
• le recours à l’hybridation immédiate de la dentine (Immediate dentin sealing, IDS). Il s’agit d’effectuer un traitement adhésif de la dentine le jour de la préparation pour onlay [3, 4]. L’intérêt biologique est évident puisque l’organe dentino-pulpaire est ainsi totalement protégé dès la préparation de la dent. De plus, il a été montré que les valeurs d’adhérence lorsqu’on traite une dentine fraîchement taillée étaient nettement meilleures que celles obtenues après 1 semaine de temporisation [5]. Ainsi, il est nettement préférable de respecter ce protocole dans les cas fortement délabrés où l’encastrement mécanique est nul ou quasi nul, en appliquant le système adhésif (et éventuellement une fine couche de composite fluide) [6] avant d’effectuer l’empreinte. L’article de marin pomperski (cf. Page 910) permet de refaire le point sur ce protocole de scellement adhésif immédiat de la dentine.
Les trois plaies tissulaires à gérer pour toute intervention sont : dentinaire, pulpaire, parodontale.
• La plaie dentinaire. Elle est par définition large pour des dents très délabrées. Sachant que cette plaie est en lien très proche avec la pulpe, il semble essentiel de ne pas apporter d’irritation supplémentaire en laissant cette plaie béante en inter-séance, d’autant que les pansements provisoires ne sont généralement pas étanches du tout lorsque les préparations sont non rétentives, voire planes. L’IDS permet de gérer cette plaie dès la première séance et constitue donc un élément clé dans le traitement des dents très délabrées.
• la plaie pulpaire. De nombreux cliniciens considèrent encore que l’atteinte d’une corne pulpaire justifie, voire nécessite la dévitalisation. Pourtant, les thérapeutiques de coiffage direct bénéficient d’un excellent recul clinique et des progrès ont été faits sur les biomatériaux de coiffage disponibles [7]. Actuellement, les biocéramiques (comme par exemple Totalfill® Putty, FKG, ou Biodentine®, Septodont) semblent montrer les meilleures propriétés de bio-intégration et leur manipulation est simple et rapide. Ainsi, les deux critères principaux à respecter sont :
- le diagnostic : la préservation de la vitalité pulpaire n’est envisageable que si la pulpite est dite « réversible ». Le statut pulpaire n’est en réalité objectivable que par analyse histologique au microscope optique… cependant, l’absence de douleur rémanente ou spontanée ainsi que la possibilité d’obtenir « facilement » une hémostase avant le coiffage sont deux paramètres qui orientent de manière assez fiable vers la pulpite réversible et, donc, vers une situation favorable au coiffage pulpaire direct ;
- l’étanchéité : c’est un paramètre essentiel à la cicatrisation, peut-être même plus encore que le coiffage lui-même. Ainsi, le meilleur coiffage pulpaire sera toujours voué à l’échec s’il n’est pas immédiatement protégé des contaminations bactériennes qui provoqueraient une inflammation chronique conduisant rapidement à la nécrose. Ceci illustre une nouvelle fois le caractère primordial de l’hybridation dentinaire immédiate (IDS) juste après la préparation et le coiffage pulpaire [8].
• La plaie parodontale. Le parodonte ne pourra cicatriser qu’au contact de surfaces polies et exemptes de bactéries, d’où l’importance évidente de l’éviction rigoureuse du tissus carieux et de la réalisation d’une restauration adaptée et étanche. Mais se pose aussi la problématique de la non-violation de l’espace biologique. La technique de relocalisation des marges profondes permet de gérer des limites sous-gingivales et difficiles (voire impossibles) à isoler avec la digue. Elle consiste à utiliser une matrice métallique pour cercler les marges profondes et ainsi monter une couche de 1 à 2 mm de composite en même temps que le protocole d’ids. Elle permet ainsi de gérer dès la première séance l’interface avec la limite dentino-cémentaire, ce qui participe à son intégration parodontale. Cette technique ne dispense cependant pas d’un aménagement parodontal lorsque la limite est trop juxta-osseuse [9, 10].
On peut considérer que le champ d’indication de la dentisterie adhésive se limite obligatoirement aux situations où l’on peut isoler correctement le site opératoire. En effet, le joint collé n’a aucune vertu bactériostatique. Ainsi, les défauts marginaux de la couche hybride risquent d’être infiltrés, puis secondairement cariés…
Cependant, les techniques adhésives ne se limiteront pas aux seules cavités supragingivales car plusieurs techniques existent pour isoler des cavités/préparations même très sous-gingivales :
- l’utilisation de ligatures, cordons déflecteurs (packing) et/ou de téflon pour refouler la digue et isoler des limites modérément sous-gingivales ;
- la surélévation des marges profondes, le jour de la préparation. L’étanchéité du champ est alors procurée par la matrice et permet un excellent contrôle du protocole adhésif, juste après la préparation et avant l’empreinte [9]. Si l’on regarde cette technique sous l’angle de l’étanchéité, elle permet donc un joint « composite-cément » idéal dans la partie la plus proche de l’os et évite une gestion incertaine des limites profondes le jour du collage (étanchéité du champs opératoire, élimination des excès…) ;
- l’élongation coronaire. Elle s’impose dès lors que le matriçage ne permet pas un bon contrôle de la limite ou du profil d’émergence ou en cas de proximité osseuse exagérée.
Ces trois techniques ne pourront cependant s’appliquer que si :
- le substrat est parfaitement sain et nettoyé. Un sablage à l’alumine 25 microns semble indispensable après mise en place de la matrice ;
- la majorité de la marge se trouve dans l’émail. Il a été montré que l’essentiel des stress subis par l’interface collée se concentre à la périphérie de la restauration [11]. Sachant que le collage à l’émail est très favorable tandis que celui à la dentine est moins fort, plus sensible à l’opérateur et au vieillissement, un joint périphérique collé exclusivement à la dentine risque une sollicitation excessive et une dégradation accélérée. Ceci peut constituer une limite au collage d’une pièce prothétique… ;
- le site de collage est parfaitement sec et contrôlé, sans aucune remontée de sang ou de salive. À l’issue du sablage et d’un rinçage abondant, la meilleure manière de tester cette étanchéité est de sécher parfaitement le site, puis d’attendre au moins 30 secondes et sécher de nouveau. Si l’on voit une toute petite goutte d’eau ou de salive ou de sang perler, inutile de passer à l’étape suivante. Il faut alors retravailler sur le matriçage ou la digue pour parfaire l’étanchéité ou bien envisager le recours à une solution alternative.
Si l’un de ces paramètres n’est pas parfaitement respecté, il sera nettement préférable de s’orienter vers une technique de prothèse conventionnelle scellée. Certes plus invasive que l’approche adhésive, elle est cependant bien plus tolérante et supporte l’humidité.
L’affaiblissement mécanique de la dent n’est pas toujours en corrélation avec le délabrement. Bien que ce soit rare, il est possible d’observer des fêlures ou des fractures sur des dents parfaitement saines… Selon le type et la localisation des fêlures, le pronostic de la dent s’en trouve plus ou moins engagé. Ainsi, face à une paroi fine ou à une fêlure, les performances adhésives peuvent s’avérer insuffisantes pour contrer le risque de fracture ; un sacrifice tissulaire peut alors être nécessaire…
Le recouvrement cuspidien permet de réduire drastiquement les tensions qui s’exercent entre les cuspides linguales (ou palatines) et vestibulaires ; il permet ainsi de protéger les parois « à risque ». Mais, si la dent est déjà fissurée, il faudra également veiller à orienter les forces en direction du centre de la dent, en préparant les parois « en dôme ». D’ailleurs, plus la fêlure est menaçante, plus la restauration devra ceinturer la dent afin de maintenir mécaniquement les parois… En effet, l’enjeu est alors non plus la conservation tissulaire mais la préservation de la dent (figure 36).
La dentisterie adhésive et les traitements pulpaires conservateurs permettent aujourd’hui de gérer de manière peu invasive les situations de dents très affaiblies et/ou délabrées. Ces thérapeutiques modernes et enthousiasmantes exigent cependant une grande rigueur opératoire et présentent des limites. Il faut, préalablement à toute intervention, anticiper les aménagements nécessaires à leur mise en œuvre.
Ainsi, alors que notre choix clinique doit systématiquement privilégier ces techniques conservatrices, la connaissance des limites, cliniques ou mécaniques, pourra dans certains (rares) cas nous réorienter vers la prothèse scellée.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.