DIMINUER L’IMPACT DE SON CABINET DENTAIRE
Réflexions
Auteur du Guide du cabinet dentaire éco-responsable, Éditions CdP, 2020. Exercice libéral, Bordeaux.
Selon le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), pour maintenir le réchauffement climatique à 2 °C jusqu’en 2100, chaque humain ne devrait pas produire plus de 2,1 tonnes équivalent CO2 par an.
Or, en France, nous émettons actuellement 11,9 tonnes par habitant, soit 5 voire 6 fois plus.
Dans les prévisions ONUsiennes les plus alarmistes, certains experts tablent sur une augmentation de 7 °C à la fin du...
La première partie du nouveau rapport du GIEC est tombée, il est encore plus alarmiste qu’en 2015.
Dans notre domaine, il faut être lucide : le cabinet entièrement écologique n’existe pas comme il n’y a pas d’activité humaine à impact positif sur l’environnement. Mais nous pouvons et devons réduire l’impact de nos structures. Et c’est toute la chaîne industrielle qui doit être repensée. Vaste chantier.
Alors à quoi s’apparentera le cabinet dentaire du futur ? Ressemblera-t-il à un vaisseau spatial bourré de technologie, mais en inadéquation avec les enjeux climatiques ? Ou à un cabinet plus résilient, plus sobre ? Question épineuse mais il paraît paradoxal, d’un côté, de soigner et, de l’autre, d’avoir un mode de vie condamnant potentiellement les générations futures.
Et cette dématérialisation, vantée par les médias et les politiques, nous sauvera-t-elle de la crise climatique ? Quelques gourous mégalomanes de la secte des nouvelles technologie (qui investissent des milliards dans le transhumanisme ou lorgnent sur Mars) le pensent. En réalité, les chiffres montrent que cette dématérialisation (finalement très coûteuse en matériaux et en énergie) contribue à cette crise environnementale.
Alors, à notre époque, nous devons nous adapter et être imaginatif pour réduire l’impact de nos cabinets. Cet article a vocation d’apporter notre témoignage. Il s’agit non pas de dépeindre le cabinet idéal mais d’apporter quelques pistes de réflexion.
Selon le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), pour maintenir le réchauffement climatique à 2 °C jusqu’en 2100, chaque humain ne devrait pas produire plus de 2,1 tonnes équivalent CO2 par an.
Or, en France, nous émettons actuellement 11,9 tonnes par habitant, soit 5 voire 6 fois plus.
Dans les prévisions ONUsiennes les plus alarmistes, certains experts tablent sur une augmentation de 7 °C à la fin du siècle. Ce n’est donc pas le climat d’Alger que nous aurons à Marseille, mais celui de Tamanrasset, située à 1900 km au sud de la capitale algérienne [1].
Concrètement, que s’est-il passé depuis la COP21 en 2015 et les accords de Paris sur le climat ? On assiste non à un infléchissement drastique des émissions de CO2 mais seulement à un ralentissement de leur augmentation. Les émissions de gaz à effet de serre continuent donc de croître. En effet, seuls 10 % des pays signataires respectent les objectifs qu’ils se sont assignés [2]. Les voyants sont au rouge et plus nous reculons devant les mesures à prendre, plus elles seront draconiennes et nous devrons subir une crise climatique à défaut de l’anticiper. Les rapports de la Banque mondiale concluent dans ces scénarios du XXIe siècle à l’effondrement de l’économie mondiale si les changements climatiques nous échappent [3].
En opposition aux exhortations de la COP21, grande est la tentation de se réfugier derrière un sursaut du progrès technologique qui résoudrait tous les problèmes environnementaux. Mais ce fantasme d’un numérique salvateur ressemble à une fuite en avant, évitant toute remise en question de nos comportements.
La science par la preuve, qui fait également le cœur de notre métier, montre que nous précipitons le destin de nombreuses espèces dont la nôtre si un changement radical n’est pas opéré [2].
En tant que chirurgien-dentiste, nous avons le devoir de soigner nos patients selon les dernières données acquises de la science. Mais, face aux progrès des technologies (avec le coût écologique qu’elles représentent) et l’avènement du « tout jetable » en matière de soins, nous ne pouvons plus ignorer l’impact de notre activité.
Au travers de notre cabinet ouvert il y a trois ans, nous présentons dans cet article quelques initiatives prises lors de notre installation et depuis. Loin de constituer un dogme organisationnel, elles sont destinées à ouvrir des pistes de réflexion pour réduire notre empreinte environnementale. Loin d’être irréprochables, certaines choses pourraient être améliorées, d’autres faites différemment.
Il est à ce jour difficile de situer la jauge de notre démarche entre un vrai bond en avant écologique et une politique « des petits pas » tant il existe de composantes et de paramètres à prendre en compte.
Le travail du Dr Justin Oosthoek, orthodontiste, en relation avec un ingénieur, devrait nous éclairer bientôt sur certains points car il va mesurer le bilan carbone de différents postes d’un cabinet orthodontique et apportera ainsi des réponses quantifiables.
Mais certaines études sur les systèmes de santé sont connues depuis longtemps, comme celle du National Health Service (NHS) anglais qui a déjà identifié ce qui pèse lourd dans le bilan environnemental d’un système de santé. Ce sont le bâtiment, le transport et les achats. Nous pouvons donc cibler ces postes gourmands en énergie et agir en conséquence.
Notre modèle économique actuel correspond à un mode de croissance infini sur une planète aux ressources limitées. Cette croissance est corrélée à une consommation matérielle toujours plus grande et à une augmentation d’émissions des gaz à effet de serre. Elle a un « coût dévastateur pour la nature », selon un rapport britannique dirigé par le professeur d’économie de l’université de Cambridge, Partha Dasgupta.
Il est donc urgent de ralentir et c’est le premier biais cognitif à franchir car nous sommes des enfants de la révolution industrielle et de l’économie de marché. Modèle capitaliste qui fait la promesse que chacun puisse accéder à des biens illimités. Notre espèce sociale fonde son apprentissage sur le mimétisme et il est parfois difficile de réfréner nos instincts face aux manœuvres de l’industrie et de la publicité qui harcèlent nos émotions, transformant nos lubies en besoins.
Tout l’enjeu est de réduire notre consommation électrique, le consommable, le volume des déchets, nos achats compulsifs… Remplacer nos achats par des produits plus « verts » ne suffit malheureusement pas.
La réalité du terrain est épineuse car un cabinet dentaire est intégré dans un écosystème commercial et financier complexe. De plus, nous avons une obligation de moyen pour soigner. C’est un exercice d’équilibriste entre les réels besoins et le superflu qui devrait susciter une réflexion globale de la part du monde du « dentaire ».
Il est impossible de calculer l’analyse du cycle de vie (ACV) (mesure de l’impact environnemental d’un produit sur les 6 phases de sa durée de vie) de tous les matériaux et produits d’un cabinet dentaire. Mais, dans une optique de moindre impact, les articles choisis sont dans la mesure du possible :
- manufacturés localement ;
- issus de sources renouvelables ;
- labellisés ;
- recyclés ;
- réutilisables.
Les marques citées dans l’article le sont à titre d’exemple. Elles accompagnent au mieux notre démarche mais ne revêtent pas de caractère exhaustif.
Nos premières mesures concernant les achats ont touché le consommable. C’est en effet le plus gratifiant car cela concerne la partie la plus volumineuse en termes de déchets (figure 1).
• La première disposition a été la suppression du crachoir depuis plusieurs années. En conséquence de quoi nous utilisons beaucoup moins de gobelets (même en papier).
• Les plateaux jetables ont été remplacés par des sets de table en papier recyclé. Il faut savoir que le papier recyclé consomme 2 à 3 fois moins d’énergie que le papier neuf [4].
• Les champs patients et les serviettes sont également en papier recyclé.
• Nous disposons de canules d’aspiration et d’embouts air/eau stérilisables.
• Nos gants sont labellisés FSC (label de gestion forestière durable) ; malheureusement, depuis la pandémie, ils ne sont plus disponibles.
Il s’est posé la question de remplacer le papier par des serviettes lavables et les gobelets par de l’acier inoxydable mais la logistique était trop contraignante.
Un poste dispendieux en jetable est bien sûr la chirurgie. Entre les surblouses, les calots, les champs patients, les champs pour la table pont… Chaque chirurgie devient une gabegie de polypropylène. Pour parer à cela, nous intégrons un protocole « circuit fermé » en nous fournissant chez Pluritex qui possède une gamme réutilisable. Le contingent de plastique jetable se réduit aux protections d’aspiration et aux emballages de matériaux (figures 2 et 3). C’est en revanche toute une organisation en amont à programmer car cela implique plus de lavages et de cycles de stérilisation. Une analyse du cycle de vie serait ici des plus pertinentes en comparant le « tout jetable » et le « tout lavable ». De plus, une mesure des besoins réels en chirurgie, médicalement incontournable, serait indispensable.
Pour les matériaux purement dentaires, nous utilisons dans la mesure du possible les marques françaises ou européennes, à l’exception de GC, qui fait figure de bon élève dans le dentaire en termes d’impact environnemental.
C’est un poste ou le plastique est omniprésent. Ce matériau est aussi pratique que son impact est désastreux pour l’environnement. Son point fort est sa durée de vie à long terme. Cependant, il est utilisé le plus souvent en flaconnage ou à usage unique. Du fait de sa chimie, il n’est pas recyclable à l’infini contrairement à certains aciers.
Ce sont aux industriels d’innover dans ce domaine. Un changement de paradigme sur la consigne est également à opérer.
Concernant les équipements, nous avons conservé une partie du matériel au cours du déménagement et avons fait la part belle à l’occasion (fauteuil, cart, RVG…) via notre installateur. À noter que certains sites se sont spécialisés dans le matériel d’occasion (dentalspace.com, occasiondentaire.com ou cycladent.com).
Les fauteuils sont relativement simples avec le moins d’électronique possible et ne disposent pas d’écran ni de fonctions inutiles. Il s’agit de fauteuils restaurés, simples, dans l’esprit low tech (vs high tech) (figure 4).
Travailler en groupe nous permet également de mutualiser et de partager le matériel (cone beam, caméra numérique, trousse d’implantologie, matériel de chirurgie).
La mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde, derrière le pétrole. Il est bien sûr délicat d’avoir recours à du matériel d’occasion dans notre métier mais différents labels environnementaux existent comme Gots ou Oeko-Tex. Nous nous sommes équipés chez SoYin avec une gamme labellisée Oeko-Tex.
Pour les chaussures, nous les achetons chez Veja qui intègrent du caoutchouc naturel et du coton biologique dans leur fabrication.
Nous nous fournissons chez Eco Buro pour la bureautique (papier, stylo, classeur, chemise, etc.). La plupart des produits sont recyclés et manufacturés en Europe (figure 5).
Pour l’impression de documents, nous employons du papier recyclé labellisé Ange bleu.
Le nettoyage s’effectue par le biais de produits fabriqués en Gironde ; les contenants sont ramenés puis rechargés sur place.
Concernant les sols, une astuce pour supprimer les produits ménagers est de les nettoyer à la vapeur.
Toujours dans l’esprit « zéro déchet », les consommables de la cuisine sont achetés en vrac ; exit les cafetières à capsules jetables (figure 6).
C’est le chapitre le plus délicat car il s’agit d’un saut vers l’inconnu tant les perspectives et l’évolution sont rapides. Nous faisons face à un dilemme alors que nous avons de plus en plus d’outils numériques à disposition : comment faire le tri entre l’indispensable et le futile ? La fascination provoquée par le potentiel des outils ne doit pas faire passer au second plan les enjeux environnementaux.
Paradoxalement, notre métier est de soigner. Or, ces supports technologiques utilisent une main d’œuvre dans des pays où les conditions et le droit du travail ont tendance à être en deçà des standards européens (40 000 enfants sont employés dans les mines d’extraction du cobalt au Congo qui détient la moitié de la production mondiale) [3].
De plus, l’extraction des terres rares entrant dans la composition des outils numériques est problématique : mines à ciel ouvert, pollution de régions-usines, dispense d’énergie fossile, épuisement de minerais, etc.
Certains de ces produits en bout de course ne seront jamais recyclés. Un écran acheté a une chance sur trois d’alimenter le feu d’une décharge africaine en fin de vie.
Nous sommes tiraillés entre travailler avec les « meilleurs » moyens à disposition et ne pas le faire à n’importe quel prix pour la planète ; cela revient à faire un grand écart philosophique qui en devient presque déontologique.
Une application du digital en plein essor est la prise d’empreinte. Instinctivement, si on oppose l’empreinte physique à l’empreinte numérique, on pense au silicone qui finit à la poubelle alors que, avec la caméra, il s’agit de dématérialisation. La dématérialisation a cela de séduisant qu’elle occulte la pollution qu’elle engendre alors que les data centers, les milliers de kilomètres de câbles ou les dizaines de milliers de tonnes d’antenne sont tout ce qu’il y a de plus matériel. Internet utilise 10 à 15 % de la consommation électrique mondiale (en augmentation de 5 à 7 % par an) et produit une fois et demie plus de CO2 que le trafic aérien mondial [3]. Difficile donc de savoir ce qui est le moins polluant entre les deux systèmes sans une étude comparative. Cette étude est d’autant plus complexe que le numérique offre au laboratoire une multitude d’extensions comme l’impression des modèles en résine qui, elle, est bien physique. Cette impression qui touche différentes spécialités (prothèse, ODF, chirurgie) doit être pondérée.
Face à cet apparent casse-tête, nous n’avons pas de recette miracle mais il s’agit de jouer la sobriété et ne pas céder à la gadgétisation, de bien différencier le réel progrès d’une nouveauté commerciale. L’autre levier serait évidemment de développer en amont un marché de la réparation et de lutter contre l’obsolescence programmée et/ou contrôlée.
Au cabinet, nous avons limité le nombre d’écrans au strict nécessaire : aucun écran dans la salle d’attente ni au plafond du cabinet. Pour les nouvelles acquisitions, nous avons le réflexe de l’occasion ou du reconditionné. Et nous utilisons l’empreinte physique ou numérique selon les cas.
S’agissant de la navigation web, nous réfléchissons à une utilisation plus sobre de l’informatique en limitant l’archivage des mails, en créant des favoris et en ayant recours au moteur de recherche Ecosia®. Nous nous sommes aidés des référentiels de l’ADEME permettant un maniement plus « vert » de cet outil (figure 7).
Concernant les achats en ligne, contourner les grosses centrales peut faire perdre deux jours ou quelques euros sur la commande mais il paraît peu probable aujourd’hui de ne pas avoir conscience du monopole et du désastre environnemental engendré par Amazon et son avatar chinois Alibaba… sans évoquer leur politique salariale digne d’un cauchemar orwellien [5]. Nous ne nous fournissons pas chez eux mais, dissonance cognitive oblige, nous avons tous des adresses chez Google, lui aussi géant du net et pas non plus un modèle de vertu.
La chaîne de stérilisation est composée de différentes étapes :
- pré-désinfection ;
- nettoyage ;
- rinçage ;
- séchage ;
- conditionnement ;
- stérilisation.
Nous avons automatisé les étapes pour plus de reproductibilité (cuve à ultrasons multifonction Gamasonic® et DAC de Sirona® pour les porte-instruments dynamiques) et nous réfléchissons à acheter un thermo-laveur moins dispendieux en produit que la cuve.
Concernant la consommation d’eau déminéralisée, nous la produisons via notre autoclave, ce qui évite l’achat de bidons en plastique.
Les normes sont incompressibles en termes d’asepsie et de sécurité mais nous avons cherché une gamme la plus respectueuse de l’environnement et, de fait, nous travaillons avec Biosanitizer® de Saniswiss.
Nous n’utilisons pas de lingettes biodégradables (constituées entre autres de viscose, polyester, cellulose) mais du papier Tork® imprégné de produit. Pour les perspectives, la marque Euronda travaille sur un système de nettoyage vapeur au fauteuil à l’instar de ce qui existe pour le sol. Ce système permettrait de s’affranchir des produits et du papier.
Pour le conditionnement des instruments, différents systèmes existent (tableau 1).
Nous avons fait le pari de fonctionner en circuit fermé. Le matériel stérilisable est privilégié au jetable afin de réduire le volume des déchets et leur transport. Même si, à ce jour, aucune étude sérieuse ne détermine ce qui, entre le tout jetable et le tout stérilisable, est le plus « vert ».
Nous travaillons la plupart du temps en cassette et, pour le conditionnement, plusieurs possibilités s’offrent à nous : l’emballage thermosoudé, le papier crêpé ou le container.
L’emballage thermosoudé comporte une partie plastique alors que le papier crêpé peut s’utiliser en champ pour poser les instruments. Les deux sont pourvoyeurs de déchets alors que le container, fermé intégralement, n’est pas emballé.
Nous travaillons avec des champs papier mais intégrons des containers pour la chirurgie. En revanche, le travail en cassette (avec du papier crêpé) présente une consommation de papier importante et prend plus de place dans l’autoclave, ce qui entraîne plus de cycles de stérilisation. De plus, leur emballage requiert un poste dédié dans la salle de stérilisation. Toutefois, ce travail en cassette ne nous empêche pas d’avoir des instruments en vrac spécifiques ou quelques sets pour les premières consultations.
À l’avenir, pour les instruments d’examen, il serait intéressant de créer un système de fixation moins volumineux qu’une cassette, couplé à un emballage thermosoudé uniquement en papier qui permettrait de concilier gain de place ergonomie et écologie.
Attention au greenwashing des catalogues qui proposent des emballages biodégradables en… polypropylène.
Nous avons mis en place une chasse au gaspillage ainsi qu’un tri des déchets drastique.
Dans la salle de soins, nous disposons de trois contenants : le bac DASRI, le sac poubelle et le bac recyclage.
Les sacs-poubelle noirs ont été remplacés par des sacs labellisés « Ok compost » faits à partir d’amidon de maïs.
La salle de repos, elle, est équipée d’un compost (figure 8).
Le défi est de créer moins de déchets…
Les flux de personnes influencent également l’empreinte énergétique d’un système de soins.
Le transport représente 25 % de l’empreinte carbone française. Comment diminuer ce pourcentage ?
Au sein de l’équipe, nous avons la chance de tous nous rendre au cabinet à pied, à vélo ou en transport en commun. C’est le luxe d’être en ville, bien évidemment plus compliqué en campagne.
Nous travaillons avec des prothésistes pratiquant en centre-ville ou en périphérie de Bordeaux. Un de nos laboratoires effectue même ses livraisons à vélo. Avec le reste à charge zéro en vigueur, nous mettons un point d’honneur de ne sous-traiter aucune prothèse à l’étranger.
Même si nous devons faire des ajustements ponctuels, nous privilégions les grosses commandes, ce qui réduit les courses du livreur et permet aux assistantes d’être plus présentes au fauteuil.
Le point le plus important est que nous regroupons les rendez-vous en séances plus longues et voyons ainsi moins de patients par jour. Au-delà de l’aspect écologique (moins de transport, moins de consommables, moins de stérilisation), c’est également financièrement plus intéressant, avec un bémol organisationnel : s’assurer que les patients honorent leur rendez-vous.
Le bâtiment représente en France 40 % de l’empreinte carbone française. Le bâtiment consomme de l’énergie de deux façons : lors de sa conception/rénovation et lors de son fonctionnement. Selon l’ADEME, une construction peut être jusqu’à 40 fois plus polluante qu’une rénovation car l’enveloppe du bâtiment (fondation, toiture, mur) est gourmande en matériaux et énergie. Se pose aussi le problème de l’étalement urbain. En France, tous les 7 à 10 ans, c’est l’équivalent d’un département de la taille des Yvelines qui disparaît sous le joug de l’artificialisation des terres [3]. Nous avons commencé les travaux du cabinet en janvier 2018. Il s’agissait de la transformation d’une pharmacie répartie entre le rez-de-chaussée et le premier étage en centre-ville de Bordeaux.
L’isolation, primordiale, permet de diminuer les émissions de GES pour chauffer et soulage la facture en fin de mois. Pour remplacer les isolants dits classiques en laine de verre ou laine de roche, nous avons choisi de la fibre de bois de la marque Steico® Flex (figure 9).
Quant au chauffage, pas de fioul ni de gaz, grandes émettrices de gaz à effet de serre, nous utilisons une pompe à chaleur réversible. Ces pompes à chaleur ont fait des progrès dans l’utilisation de gaz polluants entrant dans leur composition et consomment peu d’énergie.
Mais, du fait de leur praticité et leur mode réversible, nous sommes toujours tentés de nous en servir. L’hiver, le chauffage est peu usité mais, l’été, la proximité des autoclaves nous fait utiliser la fonction climatisation, ce qui a pour conséquence de faire monter en température via le ventilateur un air urbain déjà surchauffé.
Nous avons fait le choix de contribuer au développement de la filière renouvelable (éolien, hydroélectrique, biomasse, solaire) par le biais de notre fournisseur d’électricité Enercoop®. Selon leurs données, cela correspond à un approvisionnement 100 % renouvelable et une distribution en circuit court.
Mais le réel enjeu est de diminuer la consommation électrique. Cela passe par une chasse au gaspillage de tous les instants. Par exemple, nous avons installé des variateurs sur les interrupteurs et des détecteurs de présence. Le soir, nous coupons sur le disjoncteur les postes susceptibles d’avoir des veilles cachées (ordinateurs, imprimantes, prises de bureau…). En France, l’équivalent de deux centrales nucléaires alimentent les appareils en veille.
Un changement de paradigme est également indispensable : dans les salles communes, il est tout à fait normal de porter un pull en hiver et d’avoir plus chaud en été.
Pour l’eau, nous avons installé des mousseurs à la sortie des robinets qui réduisent le volume d’eau de 20 à 40 %.
Nous voulions éviter le polychlorure de vinyle (PVC) composé de 57 % de sel et 43 % de pétrochimie (dérivé d’éthylène). Le PVC est le sol le plus répandu dans le domaine de la santé en raison de son coût attractif. En alternative, il existe le linoléum (de la marque Marmoleum® ici) qui est un sol souple à 97 % naturel (composé entre autres d’huile de lin et de liège) (figure 10).
Au rez-de chaussée, nous avons opté pour un sol dur avec du grès cérame. Afin de limiter les joints, nous avons pris des carreaux de 120 x 120 cm. Le matériau est plus onéreux à l’achat que le PVC, mais ne sera jamais à changer.
Le matériau est assez énergivore à la conception mais les fabricants font des efforts constants dans le processus de fabrication. La gamme utilisée est Marazzi® labellisée par l’Ecolabel européen.
Si nous avions réalisé les travaux aujourd’hui, nous aurions mis plus de bois dans les salles non cliniques, pour diminuer le coût énergétique du grès cérame, ou aurions utilisé des carreaux recyclés, matériaux en vogue depuis quelques années, dans les salles de soins.
Pour les murs et plafonds, nous avons souhaité trouver une alternative au placoplâtre et nous avons utilisé du Fermacell®, plus résistant phoniquement et plus performant (figure 11).
Avec le recul, nous aurions pu faire des cloisons en argile (de la marque Argilus® par exemple) dans les zones non humides. Dans l’idée de stocker du carbone, certaines cloisons auraient pu être en bois.
Une des erreurs des travaux a été la pose d’huisseries en aluminium neuf. L’aluminium possède certes une bonne durabilité mais sa fabrication est une calamité environnementale (extraction du bauxite, coût énergétique de production, résidus industriels hautement toxiques). Ce matériau a été posé suite à l’indisponibilité de dernière minute d’un artisan et à l’échéance qui approchait.
Pour l’étage, qui a été réalisé dans un second temps, nous avons utilisé du pin certifié PEFC.
Un marché de l’huisserie d’occasion existe mais il faut sortir des circuits de vente habituels et adapter les ouvertures en conséquence. Son intérêt écologique est important car la fabrication du verre est dispendieuse en énergie et surtout en sable, matière première non renouvelable.
Le plus écologique est évidemment la récupération de mobilier mais, dans notre cas, les meubles de l’ancien cabinet étaient trop détériorés. Nous avons fait réaliser les nouveaux en mélaminé certifié PEFC par un menuisier. Dans l’optique de plus de durabilité et de moindre impact, nous aurions pu concevoir ces meubles avec une partie en contre-plaqué et en massif mais les impératifs du chantier nous ont poussé vers la facilité.
Dans le choix d’une essence locale, notre choix s’est arrêté sur du pin maritime massif pour la banque d’accueil, les banquettes de la salle d’attente ainsi que les bureaux dans les cabinets (figure 12). La véritable difficulté, si l’on veut faire de l’éco-construction, est de bien s’entourer. Les artisans et architectes ont l’habitude de travailler avec certains fournisseurs. Vouloir les faire changer peut devenir un véritable parcours du combattant. Il faut donc faire appel à des spécialistes de la construction/rénovation écologique si l’on veut éviter des déconvenues…
Les deux pathologies que sont la maladie carieuse et la maladie parodontale sont en grande partie dépendantes de l’hygiène et du mode de vie de nos patients. L’enjeu principal pour en diminuer l’incidence est la prévention. Mais qu’entendent les patients dans les médias conventionnels (télévision et radio) au moment de la publicité ? Une incitation constante à la consommation et, dans notre domaine, l’apologie de la nourriture transformée, sucrée, à moindre prix, « discount »… phénomène tellement omniprésent que cela nous semble naturel et fait partie de notre culture globalisée. Il est de ce fait difficile d’avoir un discours réellement percutant avec nos patients. Et certains jours où nous sommes désabusés, nous pouvons avoir le sentiment de jouer les pompiers de la société de surconsommation. Les parodontopathies, quant à elles, sont quasiment ignorées par l’assurance maladie tandis que les bilans bucco-dentaires sont valorisés par une politique des petits pas. La prévention a donc de beaux jours devant elle.
L’impact de nos cabinets est une chose mais notre mode de vie au quotidien en est une autre. L’ADEME a mis à disposition un outil pratique pour évaluer sa consommation en équivalent CO2 annuelle [6]. Ce calcul permet de cibler les postes gourmands en énergie au quotidien et de transposer ces résultats avec les objectifs de la COP21. Contrairement à nos aînés, nous avons à disposition une littérature scientifique foisonnante nous indiquant que nos modes de vie ont un effet direct sur le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la raréfaction des ressources, la déforestation, la pollution atmosphérique de l’eau et des sols. « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas », disait Jacques Chirac au sommet de Johannesburg en 2002.
Il ne s’agit pas de culpabiliser à titre individuel. L’inaction de nos dirigeants en la matière (une politique coercitive est peu vendeuse électoralement) ou les attitudes climato-sceptiques de grandes compagnies (100 entreprises seraient responsables de 71 % des GES) sont criminelles [3]. Mais ne rien faire ou accepter en silence n’en est pas moins dangereux.
Comment expliquer cette inaction collective ? D’après Sébastien Bohler spécialiste en neuroscience : « le cerveau humain que l’on présente comme l’organe le plus complexe de l’univers est en réalité un organe au comportement largement défectueux, porté à la destruction et à la domination, ne poursuivant que son intérêt propre et incapable de voir au-delà de quelques décennies » [3]. Notre ADN est identique à celui de nos ancêtres chasseurs cueilleurs. Notre cerveau se croit encore dans la savane et répond à des impératifs de survie immédiate : manger, se reproduire, accumuler de l’information, acquérir du pouvoir. Nos ancêtres obtenaient tout cela au prix d’une dépense en énergie considérable. Cette énergie était le fruit de leur force physique. Elle est devenue illimitée dans notre société thermo-industrielle [3].
Acquiescer au constat d’urgence écologique est certes une bonne chose mais faisons-nous réellement les efforts pour changer nos modes de vie ? Peut-être la fin du cliché du chirurgien-dentiste roulant en SUV et pratiquant du golf à Maurice ? Pas si sûr… Mais c’est une question de philosophie que chacun applique désormais en conscience. La crise du Covid est un rappel à l’ordre et montre la vulnérabilité de nos sociétés coupées du vivant. En conclusion, diminuer l’impact de son cabinet dentaire n’est plus une affaire de bobo écolo. C’est une question d’impératif au regard des enjeux du monde d’aujourd’hui et de demain. Conserver la santé bucco-dentaire de nos contemporains c’est bien, le faire en préservant l’environnement des générations futures, c’est mieux.
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.