Dossier
Thibaut MASSINET* Alexia FANGET** Magali HERNANDEZ***
*Exercice libéral, Commercy.
**Ancien AHU, Odontologie pédiatrique, Faculté d’Odontologie, Université de Lorraine. Pôle Neuro Tête et Cou, CHRU Nancy. Exercice libéral exclusif en Odontologie pédiatrique.
***MCU-PH, Odontologie pédiatrique, Faculté d’Odontologie, Université de Lorraine.Pôle Neuro Tête et Cou, CHRU Nancy.Laboratoire Stress Immunité Pathogènes, Faculté de Médecine, Nancy.
La prise en charge des formes légères et modérées de MIH repose sur plusieurs stratégies. En mesures préventives, la reminéralisation des lésions peut s’obtenir par application topique de fluor et l’application d’un adhésif améliore la rétention du matériau de scellement. En termes de restauration, l’émail jaune-brun doit faire l’objet d’une éviction totale alors que l’émail blanc peut être conservé. Les restaurations en résine composite sont globalement pérennes. L’application de NaClO après mordançage semble augmenter l’adhérence à l’émail MIH. Les CVIMAR doivent être réservés à la temporisation. Dans ces cas, le protocole SMART peut être envisagé.
À 9 ans, les premières molaires diagnostiquées MIH sont en moyenne 10 fois plus restaurées que leurs homologues non atteintes [1]. Ce constat s’explique par les particularités histochimiques de l’émail MIH :
– un émail aux propriétés mécaniques réduites responsables d’un clivage post éruptif précoce ;
– un émail poreux qui favorise l’évolution rapide des lésions carieuses ;
– des phénomènes d’hypersensibilité qui limitent l’efficacité du brossage ;
– un collage moins performant à l’émail qui favorise le développement de lésions carieuses secondaires.
Il est donc important de prévenir ou de restaurer précocement les molaires atteintes de MIH légère ou modérée (figure 1).
Toutefois, certaines différences microstructurales entre l’émail sain et l’émail MIH sont observées :
– les zones hypominéralisées présentent une structure moins organisée ;
– le volume de la fraction organique est significativement augmenté proportionnellement à la sévérité de la MIH [2-4] ;
– la fraction minérale volumique est similaire [2] ou diminuée [3] par rapport à l’émail sain.
Ces caractéristiques se traduisent cliniquement par une diminution significative des propriétés d’adhésion des matériaux à l’émail [5-8].
L’objectif de cet article est d’exposer la prise en charge des formes légères à modérées des MIH (tableau 1), sous forme de différentes stratégies à mettre en œuvre.
L’application topique de vernis fluoré ou de pâte de phosphopeptides de caséine et de phosphates de calcium amorphes (CPP-ACP) associés ou non aux ions fluorures a été proposée pour reminéraliser l’émail MIH, notamment chez les patients avec des hypersensibilités (MIH-TNI 3). Ces options sont envisagées lorsque l’éruption de la dent sur l’arcade est incomplète, que son atteinte est modérée et qu’aucun clivage post-éruptif n’est observé (MIH-TNI 1 et 3). Les études in vitro et in vivo montrent que la reminéralisation de l’émail MIH semble être possible sans que la résolution des symptômes soit effective [3, 9, 10]. L’application de vernis fluoré (figure 2) permettrait une augmentation significative de la fraction minérale de l’émail hypominéralisé, comparativement aux CPP-ACP combinés ou non aux ions fluorures [11, 12].
Pratiquer ou non une éviction de l’émail hypominéralisé avant collage est un acte qui doit être guidé par la sévérité de l’hypominéralisation. En effet, l’émail MIH blanc opaque (formes légères) présente une fraction minérale similaire à celle de l’émail sain. Il est donc essentiel de conserver cet émail, d’autant plus que l’adhérence sur ce dernier est peu diminuée par rapport à l’émail sain [7]. En revanche, sur les lésions modérées (jaunes crémeuses) à sévères (brun-orangé), l’éviction totale de l’émail hypominéralisé est quasi unanimement recommandée (MIH-TNI 2 et 4) bien que cette attitude soit à l’encontre des principes d’économie tissulaire [6, 13]. L’éviction totale de l’émail hypominéralisé jaune ou brun-orangé permet de limiter les sensibilités post-opératoires et d’améliorer la pérennité de la restauration [5].
L’acide orthophosphorique provoquerait une dissolution uniforme et agressive de l’émail MIH [14]. Certains auteurs ont comparé les systèmes mordançage-rinçage (MR) et auto-mordançants (SAM), en termes d’adhérence [13] et de taux de survie de la restauration, à la résine composite [15] : aucune différence significative n’a été constatée. A contrario, Krämer, et al. (2018) ont montré que les valeurs d’adhérence étaient significativement supérieures pour un MR3 par rapport à un MR2 ou un SAM2 [6]. Cependant, il est difficile d’établir des conclusions quant à la supériorité d’un système de collage, les auteurs n’utilisant pas les mêmes systèmes adhésifs et conduisant leurs essais sur des MIH de sévérités différentes. Par ailleurs, la dentine sous-jacente à l’émail MIH offrirait une adhérence similaire à celle de la dentine saine [4].
La fraction organique anormalement élevée de l’émail MIH semble rendre les prismes d’émail inaccessibles au collage : certains auteurs ont proposé d’instaurer une déprotéinisation par application d’hypochlorite de sodium (NaClO) afin d’améliorer l’adhérence. Plusieurs études ont montré que son application à 5,25 % après mordançage permet d’augmenter l’adhérence à l’émail MIH, quelle que soit la sévérité de la MIH [7, 8], même si elle semblerait plus efficace sur les formes légères (blanches opaques) que sur les formes plus sévères (jaune/brun) [8]. Ainsi, l’éviction partielle de l’émail hypominéralisé associée à un pré-traitement par NaClO après mordançage de la surface amélaire pourrait représenter un bon compromis entre économie tissulaire et pérennité des restaurations [5].
Les restaurations au CVI ou CVIMAR sont une option intéressante de temporisation (figure 3), en période post-éruptive notamment, ou de compromis lorsque la coopération du patient est limitée [16]. Elles sont également indiquées comme substrat dentinaire, en fond de cavité sous une restauration à la résine composite [17].
Comparativement aux CVI, les restaurations en résine composite (figure 4) présentent de meilleurs taux de succès [18, 19] et permettent de restaurer des volumes plus importants de manière plus pérenne [16]. Elles constituent donc l’option thérapeutique de choix pour les lésions MIH légères à modérées [20].
Il apparaît essentiel de recourir à une prévention renforcée dès l’éruption d’une molaire MIH sur l’arcade (TNI 1 à 4). Le scellement des puits et fissures (figure 5) est une thérapeutique efficace, autant chez les patients atteints de MIH que chez les patients indemnes [21]. La déprotéinisation dans les protocoles de scellement des puits et fissures n’a, à ce jour, pas été montrée comme efficace [5].
Ce scellement doit être réalisé avant qu’un clivage post-éruptif de l’émail MIH ne survienne. Si la pose du champ opératoire est possible, il est recommandé de sceller à l’aide d’une résine composite ultra-fluide après mordançage de l’émail et application d’un adhésif. Ce dernier améliorerait la rétention du matériau de scellement [21-23].
En revanche, si la molaire en cours d’éruption ne permet pas la pose du champ opératoire, ou que le patient rapporte une hypersensibilité et/ou que la molaire présente un clivage post-éruptif, le scellement est préférentiellement réalisé de manière transitoire au CVI jusqu’à l’éruption complète de la dent sur l’arcade [16].
L’hypersensibilité, la coopération limitée, les échecs d’anesthésie, l’ouverture buccale limitée et/ou l’éruption incomplète de la dent peuvent complexifier l’approche restauratrice. Certains auteurs ont alors recours au fluorure diamine d’argent (silver diamine fluoride, SDF) [24]. Ce dernier ne peut pas être employé en cas d’implication pulpaire. De plus, les précipités de phosphate d’argent ont l’inconvénient majeur de noircir fortement la dentine. Le protocole SMART (Silver Modified Atraumatic Restorative Treatment) propose de pallier cet aspect inesthétique par la réalisation dans une même séance d’une application de SDF suivie d’une restauration au CVI. Il a pour avantage de rétablir l’occlusion et d’améliorer sensiblement l’esthétique de la dent, mais il n’inclut qu’une application de SDF, souvent insuffisante [25], et ne permet pas de contrôler visuellement l’arrêt de la lésion carieuse.
L’application des différentes stratégies repose sur l’évaluation clinique du degré de sévérité de l’atteinte, reposant sur 5 critères principaux : la couleur de l’émail MIH, la présence de clivage post-éruptif, les hypersensibilités, le stade d’éruption sur l’arcade et la coopération du patient.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.