Prothèse
Amovible
Fréderic SILVESTRI* Laura PASCHEL** Chloé MENSE*** Gérald MAILLE**** Fréderic SILVESTRI***** Chloé MENSE****** Gérald MAILLE*******
*Faculté des Sciences médicales et paramédicales, École de Médecine dentaire, Service de Réhabilitations orales, Pôle d’Odontologie, Hôpital de la Timone, Marseille.
**UMR 7268 ADES, EFS, CNRS, Faculté de Médecine nord, Aix-Marseille Université.
Les prothèses amovibles partielles sont encore un élément important de l’arsenal thérapeutique du chirurgien-dentiste et leurs infrastructures sont traditionnellement réalisées à partir d’alliages métalliques. L’apport des technologies numériques d’acquisition, la chaîne de production améliorée ainsi que l’apparition de nouveaux matériaux permettent d’élargir le champ d’utilisation des prothèses amovibles partielles. L’utilisation de la chaîne numérique d’acquisition et de production d’une infrastructure en poly-éther-éther-cétone pour une prothèse amovible partielle est décrite ainsi que leurs avantages et inconvénients afin d’affiner leurs indications et leurs limites pour des propositions thérapeutiques toujours plus pertinentes.
L’avènement de l’implantologie a limité la prescription de prothèses amovibles dans le cadre du traitement de l’édenté partiel. Cependant, le vieillissement de la population accroît le nombre d’édentés partiels [1] et ces prothèses restent une solution de choix dans l’arsenal thérapeutique du chirurgien-dentiste pour la réhabilitation fonctionnelle et esthétique des patients non éligibles, pour des raisons médicales ou d’ordre financier, à une réhabilitation implanto-prothétique.
Traditionnellement, les infrastructures des prothèses amovibles partielles à infrastructure métallique (PAPIM) sont réalisées à partir d’alliages métalliques à base prédominante cobalt-chrome (Co-Cr) dont les propriétés correspondent au cahier des charges pour ce type de dispositif médical (module de Young, biocompatibilité…). Cependant, le recours aux PAPIM de ce type n’est pas envisageable pour les patients qui disent présenter des « allergies » à certains éléments contenus dans les alliages utilisés ; d’autres patients sont réfractaires au goût métallique ou à l’aspect inesthétique des crochets et de l’infrastructure métallique et n’acceptent pas ce type de réhabilitation [2, 3].
Certains polymères pourraient permettre de proposer une alternative aux infrastructures à base d’alliages métalliques. Parmi eux, les poly-aryl-éther-cétones (PAEK, poly-aryl-ether-ketone) sont des polymères thermoplastiques semi-cristallins à haute performance, apparus au début des années 1980 dans l’aéronautique avant d’investir le champ médical, d’abord orthopédique puis dans le domaine de l’odontologie au travers de l’implantologie en 1995 [4]. Le plus connu d’entre eux est le poly-éther-éther-cétone (PEEK, poly-ether-ether-ketone). Le développement des technologies de conception et fabrication assistées par ordinateur au sein des laboratoires et des cabinets dentaires peut permettre d’étendre leur utilisation et éventuellement leurs champs d’applications.
Au travers d’un cas clinique, cet article a pour objectif de détailler l’utilisation de la chaîne numérique d’acquisition et de production d’une infrastructure en PEEK pour une PAP. Les apports et écueils de cette approche et de ce matériau récent y sont présentés et discutés afin d’affiner les indications d’utilisation ainsi que leurs limites pour des propositions thérapeutiques toujours plus pertinentes.
Une patiente se présente en consultation, au sein du service de Réhabilitations orales de l’Hôpital de la Timone, pour renouveler ses prothèses amovibles partielles maxillaire et mandibulaire. Elle ne présente pas d’antécédent médical notable.
L’examen clinique montre un édentement maxillaire de classe IV de grande étendue de la classification de Kennedy-Applegate [5] où ne persistent sur l’arcade que 16, 17 et 27. La mandibule présente un édentement de classe I avec absence des 35, 36, 37, 45, 46 et 47. Nous notons la présence d’une coiffe céramo-métallique sur la 45 ainsi que des restaurations sur les 16,17 et 27.
La patiente faisant part de son désir de renouveler ses prothèses amovibles avec la doléance qu’elles soient dépourvues d’éléments métalliques. La décision est prise, avec son accord, de réaliser des PAP à infrastructure en PEEK.
L’étape suivante est la réalisation de modèles d’étude afin d’analyser les lignes guides et de déterminer si des améloplasties correctives ou la réalisation de nouvelles coiffes sont à prévoir. Après étude, il s’avère qu’aucune modification n’est nécessaire et que la prise d’empreinte pour la réalisation des modèles de travail peut être réalisée.
L’enregistrement de la situation clinique peut se faire par une méthode conventionnelle, par prise d’empreinte « physique » ou par l’enregistrement à l’aide d’une caméra optique. Les données seront alors transmises au laboratoire qui pourra couler le modèle de travail puis le scanner, ou recevoir directement les informations sous la forme d’un fichier STL (Standard Tesselation Language) par courrier électronique. Le choix est fait d’utiliser un flux numérique complet pour la réalisation de l’infrastructure du fait de la plus grande précision par rapport à la méthode semi-directe (scannage du modèle obtenu par le laboratoire) [6, 7].
La prise d’empreinte est réalisée à l’aide d’une caméra optique Trios 3 (3Shape®) et du logiciel 3Shape® dédié dont le service de Réhabilitations orales est équipé depuis 2 ans (figure 1).
La capture des images doit permettre à la caméra de conserver des repères tout au long de l’acquisition. Elle débute par les faces occlusales des dents les plus postérieures d’un secteur, pour se rapprocher du plan sagittal médian puis continuer vers les dents postérieures du secteur controlatéral. L’acquisition se poursuit par l’enregistrement optique de toutes les faces vestibulaires puis de toutes les faces linguales des dents. Dans le cas clinique présenté, la difficulté de l’acquisition réside dans l’enregistrement des muqueuses et des éléments anatomiques mobiles ou dépressibles (freins lingual et labiaux, zones de Schroeder).
Chacune des arcades est numérisée selon ce protocole. Lorsque l’acquisition est jugée satisfaisante par le praticien, l’enregistrement de la relation maxillo-mandibulaire est effectué bouche fermée. Le logiciel va identifier individuellement les arcades enregistrées au préalable et en déduire leur relation tridimensionnelle. Dans le cas présenté, des hémi-maquettes d’occlusion permettent un enregistrement de l’occlusion sans interférer avec les données numérisées (figure 2).
Lorsque ces étapes sont validées par le logiciel et contrôlées par le praticien, l’ensemble des fichiers STL est transmis au laboratoire pour la réalisation des châssis en PEEK (figure 3). Cette transmission s’effectue au moyen d’une messagerie sécurisée afin de répondre aux impératifs de protection des données de santé.
Le technicien de laboratoire dessine le châssis prescrit par le praticien sur la fiche de laboratoire, grâce au logiciel 3Shape®, sur les modèles numériques (figure 4). Selon certains auteurs, l’usinage ou l’impression directe présente de meilleurs résultats d’adaptation de l’infrastructure qu’en méthode indirecte, c’est-à-dire en fabricant une infrastructure en cire ou en résine, transformée en PEEK ou alliage métallique après une technique de cire ou résine-perdue [6, 8]. Ces données doivent être modérées par le faible recul clinique. Le choix du PEEK comme matériau d’infrastructure est légitimé par ses propriétés physico-chimiques et mécaniques et sa biocompatibilité [9].
Le PEEK est un polymère linéaire semi-cristallin constitué de plusieurs cycles aromatiques stables (figure 5). Ses performances thermiques lui confèrent une résistance à des températures supérieures à 150 °C : la température de transition vitreuse du PEEK est de 143 °C et sa température de fusion de 343 °C [10, 11]. Ces propriétés permettent une bonne résistance à l’échauffement et autorisent donc son utilisation dans les usineuses.
Sa densité est faible, de l’ordre de 1,3 g.cm-3. En comparaison, le titane et l’alliage métallique à base prédominante cobalt-chrome (Co-Cr) sont respectivement 3,5 et 6 fois plus lourds que le PEEK. Il en découle un confort accru rapporté par les patients, lié à la sensation de légèreté [12].
En outre, c’est un matériau insoluble dans l’eau, résistant à l’hydrolyse [13, 14] et dont les propriétés ne semblent pas affectées par l’immersion prolongée dans une salive artificielle [15].
Le module d’élasticité du PEEK se situe entre 3 et 4 GPa, bien en deçà de celui du titane (110 GPa) ou de l’alliage Co-Cr (200 GPa). Sa résistance à la traction est d’environ 100 MPa, assez proche de celle de l’os cortical (120 MPa) alors que celles du titane et de l’alliage Co-Cr sont supérieures à 900 MPa. Sa résistance à la flexion est de 180 MPa, bien inférieure à celle du titane ou de l’alliage Co-Cr, mais s’approchant de celle de l’os cortical (180 MPa) [4, 11, 13]. Ces propriétés répondent donc au cahier des charges des PAPIM mais ne permettent pas d’offrir une rigidité suffisante.
Ceci permet de confirmer la possibilité qu’offre le PEEK en tant qu’alternative aux alliages métalliques à base prédominante Co-Cr traditionnels dans la conception des infrastructures de PAP. Mais ce manque de rigidité soulève des questions quant à la nécessité d’augmenter le volume et les épaisseurs de ces infrastructures afin de compenser leur manque de rigidité.
La notion de biocompatibilité désigne la capacité d’un matériau à ne pas interférer et à ne pas dégrader le milieu biologique dans lequel il est utilisé. Le PEEK est un matériau chimiquement stable et présente une bonne biocompatibilité in vitro et in vivo, ne provoquant ni effets toxiques ou mutagènes ni inflammations cliniquement objectivables [9].
Une fois usiné (figure 6), le châssis est essayé en bouche. Les critères de contrôle de l’adaptation sont identiques à ceux d’un châssis en alliage métallique. Les crochets ainsi que les connexions principales et secondaires ont des dimensions en rapport avec le matériau utilisé.
• Les crochets : les dimensions des crochets sont respectivement de 1 mm, 1,6 mm et 2 mm pour la pointe du bras rétentif, le bras rétentif et la connexion (figure 7). Les crochets en PEEK sont, à contre-dépouille égale, moins rétentifs que ceux en alliage Co-Cr. Cependant, ils présentent des valeurs suffisantes pour une utilisation clinique [16]. Cette diminution de la force de rétention ne se traduit pas toujours par une insatisfaction des patients [3].
• La barre linguale (figure 8) : pour les mêmes raisons de manque de rigidité, la barre linguale ne peut avoir une hauteur inférieure à 8 mm et une épaisseur de moins de 2 mm pour assurer son rôle de connexion principale.
Le technicien de laboratoire fournit des bourrelets en cire pré-indentés en fonction de l’occlusion qui lui a été transmise à la suite de la séance d’acquisition. De ce point de vue, l’essayage ne consiste qu’en une simple validation de cette occlusion (figure 9).
À la fin de la séance de validation de l’infrastructure, le travail est renvoyé au laboratoire afin de réaliser le montage des dents sur cire. Dans le cas présenté, le choix de la couleur (1A, Vivodent® S PE) a été décidé après une demande insistante de la patiente qui souhaite réaliser un éclaircissement des dents mandibulaire restantes.
La séance suivante permet au praticien de valider avec la patiente le rendu esthétique du montage. Par ailleurs, elle doit consister en un simple contrôle des contacts occlusaux avant les étapes de finition au laboratoire (figure 10).
La séance suivante consiste en la mise en place des prothèses d’usage, avec contrôle et validation de l’occlusion (figure 11).
Le PEEK présente d’indéniables qualités mécaniques et de résistances thermiques et chimiques. Cependant, outre le manque de recul clinique inhérent à son statut de matériau « émergent », son manque de rigidité est à prendre en compte. Par conséquent, il impose un dimensionnement accru des éléments du châssis et limite la capacité rétentive des crochets. Cela présente l’avantage de limiter le stress sur les dents supports de crochets et pourrait encourager à utiliser ce type d’armature chez les patients au terrain parodontal fragile. A contrario, le manque de rigidité occasionne des pressions muqueuses et des sollicitations mécaniques des dents terminales excessives, dans le cas d’édentements terminaux (classes I et II de Kennedy-Applegate). Le PEEK n’est donc pas le matériau idéal dans ce type d’édentement. En tenant compte de ses caractéristiques physico-chimiques, la prescription de châssis en PEEK paraît mieux indiquée dans le cas d’édentements au maxillaire. Parallèlement, afin d’obtenir une rétention suffisante au niveau des crochets en PEEK, certains auteurs préconisent d’augmenter la profondeur de la contre-dépouille [17].
L’ensemble de ces constats amène vers une reconsidération des standards communément admis dans le dessin des armatures et du dimensionnement de leurs éléments en PAP, afin de les adapter à ces matériaux lorsque les praticiens y ont recours. Cela implique aussi d’adapter la conception des éléments supports dans les situations cliniques mêlant prothèse fixée et amovible, afin de réaliser des éléments avec des contre-dépouilles en rapport avec les attentes du praticien.
Ce cas clinique illustre les nouvelles possibilités que peuvent offrir conjointement l’utilisation raisonnée de la CFAO et des matériaux récents en PAP. Alors que le PEEK semble constituer une alternative crédible aux alliages métalliques non précieux traditionnellement indiqués dans les infrastructures de PAPIM, il apparaît comme nécessaire d’approfondir les investigations in vivo sur ce matériau. Lorsque la situation clinique l’exige (allergie rapportée, doléances esthétiques…), le PEEK peut être utilisé pour les infrastructures des PAP. Les dessins d’infrastructure et les règles qui régissent la prescription des PAPIM devront être adaptés aux propriétés de ces matériaux émergents. Bien que le recul clinique soit limité, il est nécessaire, en fonction de la situation clinique, d’envisager un autre type de matériau pour la réalisation des crochets afin de conserver une rétention correcte. L’amélioration constante et rapide de la technologie de CFAO ainsi que l’évolution des matériaux devraient permettre d’optimiser leurs propriétés et d’étendre leur usage dans le domaine de l’odontologie prothétique.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Remerciements au laboratoire Dental Esthetic pour la réalisationde ce travail (Daniel Abitbol, Marseille).