Dossier
Elsa GAROT* Léa MASSÉ** Camille LACAULE*** Julia ESTIVALS****
*MCU-PH Odontologie pédiatrique, UFR des Sciences odontologiques de Bordeaux, CHU de Bordeaux.
**AHU Prothèse, UFR des Sciences odontologiques de Bordeaux, CHU de Bordeaux.
***AHU Orthopédie dento-faciale, UFR des Sciences odontologiques de Bordeaux, CHU de Bordeaux.
****AHU Odontologie pédiatrique, UFR des Sciences odontologiques de Bordeaux, CHU de Bordeaux.
Les hypominéralisations molaires incisives peuvent être à l’origine de délabrements importants des premières molaires permanentes. Ces dents peuvent alors être source de douleurs et entraîner une perte de fonction. Selon la sévérité et la localisation de l’hypominéralisation, plusieurs options thérapeutiques s’offrent au praticien. Le manque de coopération de l’enfant pourra être également un facteur intervenant dans le choix de la réhabilitation.
La MIH touche plus de 1 patient sur 10 [1]. Que ce soit au niveau national ou mondial, les études à ce sujet ne font que croître [2]. Aucun praticien ne peut désormais passer à côté de cette anomalie de structure pourtant encore mal diagnostiquée et prise en charge. Dans les cas les plus sévères, l’émail affecté des premières molaires permanentes peut se cliver sous les forces masticatoires, donnant lieu à une perte de substance où peut rapidement se développer une lésion carieuse. Sans prise en charge précoce, le délabrement peut aller jusqu’à l’extraction [3].
L’objectif de cet article est de présenter, à travers 3 cas cliniques, les différentes options de prise en charge des premières molaires permanentes au délabrement trop important pour être restauré en technique directe et, dans le 4e, d’indiquer l’extraction raisonnée ou irrémédiable d’une première molaire permanente très délabrée.
Ezio (8 ans) consulte pour cause de sensibilité au froid importante au niveau de sa 46 (figure 1). Le diagnostic de MIH est posé. Sa 46 présente des fractures d’émail post-éruptives partiellement protégées par un verre ionomère. Le tiers cervical semble sain sur tout son pourtour et permet de proposer une restauration indirecte partielle collée. Nos séquences thérapeutiques se divisent en 2 séances cliniques.
Lors de cette séance, le choix de la teinte est la première étape. Après anesthésie locale et pose du champ opératoire, la préparation de la dent est menée de sorte que tout l’émail coloré soit éliminé afin que la restauration puisse être collée sur un émail sain pour une adhésion optimale. Un scellement dentinaire immédiat (IDS) est effectué et finalise l’étape de préparation [4] (figure 2). Après dépose de la digue, l’empreinte de l’arcade et celle de l’antagoniste sont réalisées, ainsi qu’un mordu à l’aide d’un silicone d’occlusion. Ce dernier permet également de vérifier que l’épaisseur laissée pour le matériau de restauration est suffisante (figure 3). Une restauration temporaire est ensuite mise en place (figure 4).
La seconde séance clinique débute par l’éviction du matériau de temporisation (figure 5). La pièce est essayée, avec réglage des points de contact, de l’occlusion et validation esthétique, puis le champ opératoire est de nouveau positionné. L’efficacité de l’étanchéité conditionnera la pérennité du collage. La pièce est réessayée afin de s’assurer que la digue ne perturbe pas son insertion. Après un nettoyage minutieux des surfaces dentaires, le collage de l’onlay se divise en 2 étapes : la préparation des tissus dentaires et la préparation de la pièce prothétique. Notre choix s’est porté sur un adhésif universel, en mode SAM, associé à un mordançage sélectif de l’émail pendant 30 secondes afin de potentialiser l’adhésion (figure 6). Après un rinçage abondant et un séchage doux, l’adhésif est appliqué vigoureusement (figure 7), les solvants sont évaporés à l’air doux puis l’adhésif est photopolymérisé pendant 20 secondes. La dent est prête.
Nous avons opté pour un onlay en composite. Notre choix a tenu compte du jeune âge du patient et de l’aménagement occlusal facilité en cas de traitement orthodontique futur. La préparation de la pièce a consisté en un sablage (particules d’alumine, 50 µm), suivi de l’application d’un silane agissant comme promoteur d’adhésion (figure 8). Un composite d’assemblage sans potentiel adhésif est appliqué sur la pièce qui est ensuite positionnée sur la dent prête à réceptionner sa restauration (figure 9). Les excès sont éliminés à l’aide d’une micro-brossette puis une photopolymérisation est enclenchée pendant 20 secondes et sera répétée 3 fois sur chaque face. Un polissage soigneux du joint de collage est effectué. Le champ opératoire est retiré et l’occlusion vérifiée. Une radiographie rétro-alvéolaire peut permettre de s’assurer de l’absence de résidu de composite d’assemblage ayant échappé à notre vigilance. Un contrôle est fait à 2 semaines (figure 10). L’hygiène n’étant pas encore parfaitement acquise, un nettoyage des surfaces dentaires ainsi qu’une motivation à l’hygiène sont effectués.
L’empreinte optique à l’aide d’une caméra intra-buccale permet de numériser une image en réalité augmentée d’une situation clinique (figure 11). Par traitement de l’image et simulation virtuelle (CAO), une restauration prothétique est numériquement préfigurée (figure 12). Elle est ensuite fabriquée par une machine-outil à commande informatique (FAO). La chaîne peut être semi-directe, si l’empreinte est faite au cabinet et transmise au laboratoire, ou directe, si la CFAO est exclusivement réalisée au cabinet. Cette dernière méthode va permettre de réaliser en une seule séance la préparation et la pose d’une restauration.
La diminution du nombre d’anesthésies et de poses de digue n’est pas négligeable.
Ces actes peuvent engendrer un réel inconfort et être une source d’anxiété majeure pour un enfant, notamment l’anesthésie du fait des difficultés à obtenir un silence opératoire de ces dents MIH, en état de sub-pulpite chronique.
Par ailleurs, l’empreinte numérique serait plus appréciée que l’empreinte physico-chimique par nos jeunes patients, malgré les dimensions importantes des scanners intra-oraux [5] (figure 13).
Cette technique, utilisée par un praticien expérimenté, est plus rapide, ergonomique et ludique. L’aspect écologique est plus qu’intéressant. Le flux numérique permet également une facilité de transmission et de communication praticien-prothésiste.
Harry (9 ans) est atteint d’une MIH. La dent 26 a bénéficié de plusieurs restaurations de type verres ionomères. Ces restaurations ne sont pas suffisamment étanches, des douleurs sont toujours présentes et la morphologie occlusale n’est pas satisfaisante. L’étendue de l’atteinte et l’absence de bandeau d’émail sain (obligatoire dans le cadre de restaurations collées) nous contraignent à proposer la réalisation d’une CPP [5] (figure 14). Les CPP sont issues d’un alliage de nickel et de chrome leur procurant à la fois résistance et élasticité. Cette élasticité permet un délabrement moindre de la dent en autorisant le passage de contre-dépouilles. Ainsi, seule la face occlusale doit être réduite lorsque celle-ci n’est pas déjà délabrée par l’anomalie de structure. L’inconvénient majeur de ces coiffes est leur inesthétisme. Toutefois, leur utilisation au maxillaire est un peu moins gênante.
Les objectifs thérapeutiques sont clairs : protéger la pulpe des attaques extérieures et restaurer la fonction de la première molaire permanente. Deux séances sont prévues. Lors de la première, un séparateur orthodontique est inséré en interproximal de 26 et 65 sous le point de contact. À l’aide d’une sonde parodontale, le diamètre mésio-distal de la 26 est mesuré. La CPP est choisie, en veillant à reporter ce diamètre au niveau de sa ligne de plus grand contour, puis elle est mise de côté. La seconde séance est prévue la semaine suivante. Une anesthésie locale de la 26 est effectuée. La hauteur cervicale de la CPP est réduite de moitié à l’aide d’une fraise trans-métal. Le séparateur est retiré, la CPP est essayée puis ajustée par redécoupage cervical jusqu’à son intégration dans le plan occlusal. La CPP est ensuite scellée avec un verre ionomère (figures 15 et 16).
L’avulsion d’une première molaire permanente sévèrement atteinte doit être envisagée chez l’enfant, d’autant plus si elle se justifie orthodontiquement [6]. L’extraction planifiée des premières molaires permanentes, en présence des germes des troisièmes molaires en bonne position, peut aboutir à une denture permanente saine sans l’héritage des molaires affectées par la MIH [7]. En revanche, le moment de l’extraction de la première molaire permanente influence la position éruptive ultérieure de la deuxième molaire, en particulier à la mandibule [8]. Le moment idéal se situe lors de la formation de la furcation de la deuxième molaire permanente. Cependant, dans un contexte douloureux et/ou infectieux et lors d’un délabrement trop important de la dent pour une reconstitution, une extraction précoce s’impose alors que le développement de la troisième molaire ne peut pas être confirmé (figure 17). Si le contexte le permet, il pourra être préférable de temporiser et d’attendre l’âge qui semblera le plus opportun pour l’avulsion [9, 10]. La communication omnipraticien-orthodontiste reste primordiale dans la gestion de ces cas [11].
Les patients atteints de MIH peuvent présenter des premières molaires permanentes très délabrées qu’il conviendra de prendre en charge le plus rapidement possible. Des solutions adhésives (restaurations collées en composite ou céramique) ou scellées (coiffes pédiatriques préformées) font partie de notre arsenal thérapeutique et permettent de soulager les douleurs, de rétablir la fonction et de guider au mieux la croissance des arcades.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Remerciement : Nous remercions Remy Illareau (laboratoire dentaire @rt.Dental).