Dossier
Jean-Pierre ATTAL* Gil TIRLET** Sophia HOUARI***
*MCU-PH, directeur de l’Unité de Recherche en Biomatériaux innovants et Interfaces (URB2i, UR 4462), Université de Paris.
**Ancien MCU-PH, Université de Paris. Exercice libéral, Paris.
***MCU-PH, Laboratoire de Physiopathologie orale moléculaire, Inserm UMRS1138, Université de Paris.
Étant donné la nature profonde de la lésion hypominéralisée des MIH, le masquage des taches des dents antérieures fait forcément appel à une infiltration en profondeur. Cependant, contrairement aux taches blanches, le masquage des taches colorées fait obligatoirement appel à, au moins, l’une des trois procédures suivantes : l’éclaircissement externe, l’utilisation de l’hypochlorite de sodium (NaOCl), l’application de composites opacifiants. Pour optimiser le résultat, une astuce qui concerne le composite de recouvrement esthétique permet de compléter le masquage permis par les étapes précédentes.
Dans le secteur antérieur, les hypominéralisations sont à l’origine de taches localisées dans la moitié incisale de la dent, bien délimitées, asymétriques, de couleur blanche ou colorée. La technique d’érosion/infiltration peut fonctionner dans le cas des MIH uniquement si nous utilisons l’« érosion/infiltration en profondeur » [1-3]. Le mécanisme de l’érosion/infiltration s’appuie sur la modification des propriétés optiques des taches blanches. Cependant, un protocole spécifique est nécessaire pour le traitement des taches colorées et c’est l’objet de cet article. Trois procédures, séparément ou en association, permettent d’atteindre nos objectifs : l’éclaircissement externe, l’utilisation de l’hypochlorite de sodium (NaOCl), l’application de composites opacifiants. Des informations nouvelles sur la nature des colorants des lésions nous permettront d’affiner notre stratégie, fondée sur une méthodologie rationalisée. Le choix de la séquence opératoire sera influencé par l’importance de l’atteinte avec, comme règle, le respect optimal de l’intégrité tissulaire de la ou des dents affectées.
L’infiltration, dans les porosités de la lésion hypo-minéralisée, d’une résine (Icon-DMG) dont l’indice de réfraction (1,52) est proche de celui des cristaux d’hydroxyapatite amélaire (1,62) permet de rendre translucide la lésion blanche, qui se retrouve donc masquée [4]. En aucune façon ce principe optique ne peut masquer une tache colorée ! Au contraire, la coloration se verra un peu plus par effet loupe ! Il faut donc associer d’autres procédures.
L’aspect coloré (jaune/marron, parfois orangé) de la lésion (figure 1) s’explique en partie par les lois élémentaires de l’optique ondulatoire. Il s’agit d’un phénomène d’absorption par des molécules organiques ou inorganiques. La couleur perçue par l’œil humain de la dent pathologique est une association de la couleur extrinsèque et intrinsèque. Toute altération ou modification du tissu dentaire, qu’il s’agisse d’une transformation mécanique, chimique ou biologique, entraînera un changement de sa couleur d’origine.
On doit distinguer :
– la composition de surface de la lésion MIH pouvant induire des colorations dites extrinsèques liées à des substances organiques ou métalliques provenant des fluides oraux (salive, fluide créviculaire, sang) ;
– la composition du corps de la lésion de MIH responsable des colorations intrinsèques liées à des défauts de minéralisation et/ou de maturation de l’organe de l’émail en cours de formation (ie pré-éruptif).
Les couleurs de la plupart des colorants et pigments sont produites par des molécules qui contiennent des chromophores, avec des doubles liaisons absorbant la lumière visible. Dans le cas de l’émail MIH, la combinaison entre un taux important de matière organique (avec les atomes C, N, O, S) et la présence d’éléments traces comme le fer et le cuivre expliquerait très probablement les taches superficielles [5].
Le corps jaune-brun de la lésion MIH présente une structure prismatique désorganisée et moins dense, avec des zones de pertes partielles de prismes, des espaces interprismatiques plus marqués et des gaines de prismes épaissies. Ces perturbations induisent davantage de contenu organique dans les prismes et les gaines de prismes. Une surabondance de la protéine albumine qui interfère avec le processus de minéralisation [6, 7] et une quantité plus élevée de phospholipides (C5H15PNO4+) indiquent que l’émail MIH pourrait ne pas avoir achevé la maturation [8]. De plus, des éléments traces tels que le fluor, le fer, le titane, le zinc, le cuivre et le strontium sont capables d’induire des substitutions atomiques avec des degrés d’oxydation différents et, donc, des lacunes dans la structure originelle de l’hydroxyapatite de l’émail responsables de changements de coloration localisés [9].
L’éclaircissement dentaire a très tôt été proposé en préalable aux traitements des lésions colorées de l’émail [10]. L’objectif est d’obtenir, si possible, une lésion blanche qui, elle, est traitable par érosion/infiltration : dans ce cas, les résultats sont très bons [11, 12]. Cette première étape d’éclaircissement permet parfois de ne pas réaliser d’érosion/infiltration (figure 2). Rappelons toutefois qu’aujourd’hui il est toujours interdit de réaliser un éclaircissement chez les moins de 18 ans [13].
Pour certains patients, l’éclaircissement reste insuffisant et il faudra procéder au traitement de la tache, mais il sera plus facile, la coloration marron-orangée étant parfois grandement diminuée (figure 3).
Lorsque l’éclaircissement n’a pas suffisamment bien fonctionné ou lorsqu’on n’a pas pu en faire, nous avons proposé en 2014 [3] d’utiliser de l’hypochlorite de sodium à 5 %, agent déprotéinisant bien connu. Une solution de NaOCl à 5 % est appliquée après un cycle de déminéralisation (HCl à 15 %) permettant de mettre à nu les protéines colorées. Mais il faut retenir que, là encore, cela ne fonctionne pas sur les colorations métalliques, ce qui reste donc une des limites.
Lorsque l’éclaircissement ou l’utilisation de l’hypochlorite de sodium n’a pas suffi à éliminer les colorations, l’infiltration se fera en profondeur, après fraisage de la surface et donc nécessairement avec un volume à combler avec un composite. Une association composite fluide opaque en profondeur, pour masquer la lésion colorée, et composite esthétique sera toujours de mise. Il convient de choisir le composite fluide opaque, qui peut être de différentes teintes, en fonction de la couleur de la dent. Si les dents sont très lumineuses, on utilisera un composite opaque très lumineux (figure 4). Cependant, avec ces composites opaques trop blancs, il est souvent difficile de masquer la surface blanche : ils sont donc à réserver aux dents très lumineuses. Par ailleurs, une lampe polychromatique est impérative avec ces composites opaques, la plupart contenant d’autres photo-initiateurs que la camphorquinone. Une photographie avec un polariseur permet de confirmer ou de donner des indications pour le masquage de la lésion. Parfois, nous affinons à la fraise le composite fluide et, d’autres fois, nous changeons la coloration des composites fluides.
Si les dents sont moins lumineuses, des composites opaques colorés seront préférés. Toutes les marques de fabricants proposent un gradient d’intensité de colorants. À titre d’exemple, citons :
– l’Essentia Masking Liner (GC) bien plus coloré que l’Essentia White Modifier ;
– la gamme complète Estelite (Tokuyama) : Low Chroma Opaque (LCO), Medium Chroma Opaque (MCO), High Chroma Opaque (HCO). Ce kit répond à l’essentiel des situations cliniques rencontrées.
La figure 5 donne une idée de ce gradient d’opacité et de coloration des composites opaques.
Notons que, dans le cas de lésion colorée (figures 6), l’alcool (la résine aura d’ailleurs le même effet) peut avoir un effet loupe (figures 6d, 6e) : la surface semble peu colorée lorsqu’elle est sèche et devient très colorée lorsque l’alcool ou la résine est infiltrée. Ce qui est peu inquiétant car la coloration sera masquée par un composite opaque après infiltration.
Comme on le voit sur le cas précédent (figure 6g), sur-caractériser la surface du composite augmente la diffusion superficielle de la lumière et diminue sa transmission et, donc, la visibilité de la coloration. Un polissage soigné à la pâte diamantée permet de polir la macro-géographie superficielle et d’optimiser cette stratégie optique (figure 7).
La technique d’érosion/infiltration, par son principe de masquage des taches blanches par effet optique, ne peut pas être utilisée toute seule pour les taches colorées antérieures des MIH. Elle doit obligatoirement faire appel à une infiltration en profondeur et être associée à au moins une des trois procédures suivantes : éclaircissement, hypochlorite de sodium, composite opaque. On peut y associer une quatrième procédure : la sur-caractérisation du composite superficiel. Sur le plan fondamental, une bonne connaissance de la composition chimique des lésions permet, actuellement, d’anticiper les limites de l’éclaircissement et de l’hypochlorite de sodium et permettra, demain, de proposer de nouvelles procédures d’éclaircissement en profondeur.
Jean-Pierre Attal et Gil Tirlet déclarent des liens d’intérêts avec DMG et déclarent que le contenu de cet article ne présente aucun lien d’intérêts. Sophia Houari déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
En tant qu’inventeurs de la technique d’infiltration pour les traumas, les MIH et les fluoroses, Jean-Pierre Attal et Gil Tirlet remercient la compagnie DMG pour son soutien depuis 12 ans.
Jean-Pierre Attal remercie les compagnies GC et Tokuyama pour lui avoir fourni une gamme complète de composites fluides opaques.