Hygiène
Bucco-dentaire
Frédéric DUFFAU* Laura LOSTAL**
*Ancien AHU en Médecine dentaire préventive, Genève.
**Président de l’Association ParoSphère.
***Co-fondateur de ParoSphère Formation.
****Parodontie et Implantologie orale exclusives, Paris et Orgeval.
*****Assistante dentaire, Paris et Orgeval.
À propos de l’hygiène orale, un malentendu persiste et fait des dégâts : bien se brosser les dents n’est pas simple. Certes, comprendre comment se brosser les dents est aisé, mais la mise en pratique ne l’est pas. Si elle l’était, cela ferait bien longtemps que nous ne verrions plus de caries et de maladies parodontales.
Un deuxième malentendu empoisonne notre exercice : bien se brosser les dents ne s’apprend pas avec ses parents, à moins que ces derniers soient non seulement des experts en brossage, mais également des experts en pédagogie, ces deux conditions étant rarement réunies à l’état naturel. Et bien entendu, si un bon brossage des dents ne s’apprend pas avec ses parents, il ne s’apprend pas non plus avec un prospectus ou une vidéo sur internet. Définitivement, un bon brossage s’apprend avec un membre de l’équipe de soin au cabinet dentaire.
L’importance de l’hygiène orale dans la pratique bucco-dentaire n’est plus à démontrer, tant pour le rôle qu’elle joue dans le contrôle du risque carieux [1] que dans celui qu’elle a dans la prévention et le traitement des maladies parodontales [2]. Il a ainsi été mis en évidence qu’un contrôle de plaque maîtrisé fait chuter les risques carieux et parodontaux sur le long terme [3]. Et, plus récemment, une étude a réussi à montrer qu’un contrôle de plaque maîtrisé durant 9 mois, sans autre traitement parodontal, permet de réduire considérablement le nombre de poches parodontales et le nombre de sites qui saignent au sondage chez des patients présentant des parodontites sévères [4].
Nous vous proposons dans cet article un temps par temps de l’apprentissage de l’hygiène orale tel que nous le réalisons avec succès pour nos patients depuis de nombreuses années, en nous appuyant sur la littérature scientifique lorsqu’elle est disponible et sur l’expérience clinique lorsque les études font défaut.
Cette approche repose sur plusieurs principes.
• Réduire la panoplie des moyens d’hygiène orale du patient à son strict minimum : une brosse à dents, des moyens de brossage interdentaires et un dentifrice. Malgré sa faible durée, le temps alloué au brossage est souvent difficilement modifiable : allons donc à l’essentiel.
• Enseigner de façon progressive, car il est peu probable qu’un patient réussisse du jour au lendemain à appliquer une nouvelle méthode de brossage, à passer 4 diamètres différents de brossettes interdentaires et le fil dentaire. Autrement dit : « qui peut peu, pourra plus ».
• Adapter le matériel et la technique à chaque patient plutôt que d’imposer à tous la même brosse et la même technique de brossage. L’acceptation du patient pour le matériel et la technique est tout aussi importante que la recherche d’efficacité et de non-traumaticité.
Peu d’études de qualité proposent de comparer les différentes techniques de brossage. Concernant leur efficacité, aucune ne semble prendre le dessus sur les autres [5].
Par ailleurs, aucune étude ne permet de déterminer si une technique est plus traumatisante qu’une autre.
• Nous avons donc fait le choix de nous limiter à l’enseignement de trois techniques de brossage considérées comme efficaces et peu traumatisantes : la technique du rouleau, la technique de Bass et une technique de Bass modifiée (figure 1).
• Nous adapterons dès lors la technique enseignée à la technique « naturelle » employée par le patient. Ainsi, nous amènerons un patient qui brosse verticalement vers la technique du rouleau, celui qui brosse horizontalement vers la technique de Bass, celui qui brosse avec un mouvement elliptique vers la technique de Bass modifiée (figure 2).
• Nous pourrons alors définir le modèle de brosse à dents qui sera le plus adapté à la technique de brossage choisie pour le patient et lui donner la référence pour qu’il puisse se la procurer dans un point de vente. Par exemple : la brosse à dents Inava Parodontie (Pierre Fabre Oral Care), du fait de sa forme biseautée, est une brosse idéale pour appliquer la technique du rouleau (figure 3a) ; la brosse à dents Curasept Maxi Soft (BI Pharma), avec des brins particulièrement souples (10/100), est bien adaptée pour la technique sulculaire de Bass (figure 3b) ; enfin, la brosse à dents Curaprox Smart (Curaden), grâce à ses brins extrêmement souples (8/100), est idéale pour la technique sulculaire de Bass modifiée (figure 3c). Si le patient le souhaite ou si sa dextérité le nécessite [6], l’apprentissage du contrôle de plaque pourra être réalisé avec une brosse à dents électrique oscillo-rotative ou sonique. Pour que le patient soit le plus à l’aise possible avec sa brosse électrique, il est recommandé d’avoir des modèles de démonstration au cabinet pour qu’il puisse tester les différents modèles et technologies (figure 3d).
Avant de proposer un rendez-vous portant sur l’amélioration du contrôle de plaque, il est important que le patient en comprenne les enjeux. Le pourquoi doit précéder le comment. La motivation à l’hygiène orale précède l’enseignement à l’hygiène orale.
Dans le cas présent, le patient présente une parodontite de stade III, généralisée, grade C (figures 4 et 5). Les parodontites, à partir du stade II, offrent un contexte clinique qui permet aisément de convaincre le patient qu’une séance consacrée à l’amélioration du contrôle de plaque est nécessaire.
Nous allons donc, avec son accord, montrer au patient dans un miroir de courtoisie les différentes causes et conséquences de sa maladie parodontale (figure 6). En premier, nous guidons son regard vers l’inflammation de sa gencive et la plaque dentaire à proximité en lui expliquant, avec des mots simples, que la plaque dentaire est composée de bactéries qui sont à l’origine de l’inflammation gingivale et que cette inflammation gingivale rend la gencive plus rouge parce que les vaisseaux sanguins gonflent pour pouvoir apporter plus de cellules de défense sur le site infecté (figure 7). Lorsque c’est possible, montrer un saignement gingival pour rendre évidente la souffrance gingivale et mettre en rapport l’éventuel saignement au brossage avec la clinique (figure 8). Enfin, pour conclure la démonstration in situ, il est décisif de montrer le sondage sur gencive saine et le sondage d’une poche parodontale, en sondant en douceur, sans provoquer de douleur (figure 9). L’occasion se présente alors d’expliquer brièvement que ces poches parodontales, protégeant les bactéries, sont à l’origine de la perte d’ancrage autour des dents.
En quelques minutes, le décor est ainsi posé : les signes de la maladie sont montrés dans la cavité buccale et la composante bactérienne est mise en avant. Avant même que l’on en ait fait l’exposé, le patient a déjà compris qu’il lui faudra améliorer son brossage et qu’il nous faudra débrider les poches parodontales.
Le fauteuil relevé en position assise ou autour d’un bureau, il est alors temps d’expliquer les rapports entre plaque dentaire, inflammation et parodontite, ainsi que les facteurs de risque qui influencent la progression de la maladie, puis d’en déduire la chronologie de traitement. Expliquer en suivant un fil directeur, en dessinant ou en montrant sur un modèle anatomique permet de s’adapter au profil d’apprentissage du patient : auditif, visuel et kinesthésique (figure 10). Dans les explications données, il sera question de parler du contrôle de plaque, ce sera alors le bon moment pour identifier la technique de brossage actuelle du patient, ou tout du moins les mouvements qui lui paraissent naturels. Nous lui prescrirons alors la référence de brosse à dents que nous utiliserons lors de la séance consacrée à l’hygiène orale. Dans le cas présent, le patient mimait spontanément un brossage avec des mouvements elliptiques. En conséquence, nous avons choisi de lui enseigner lors du prochain rendez-vous une technique de Bass modifiée et lui avons donc demandé de se procurer la brosse à dents idoine.
Une séance de 45 à 60 minutes exclusivement consacrée à l’hygiène orale a une portée psychologique très forte. Elle permet de mettre en exergue l’importance que vous consacrez dans votre pratique à l’implication du patient dans la prise en charge de sa santé orale et elle va montrer au patient les bienfaits immédiats d’une bonne hygiène dentaire et interdentaire sur son confort oral dès les jours et semaines qui suivent cette séance, et ce sans adjonction de produit chimique particulier : le patient conserve son dentifrice habituel et aucun bain de bouche n’est prescrit.
S’assurer que le patient a bien compris l’objet de la séance et, avant de commencer, lui rappeler ce qu’il va s’y passer : photographies, coloration de la plaque dentaire, prise de l’indice de plaque, apprentissage de la technique de brossage et apprentissage de l’usage d’une brossette interdentaire.
Le plateau comprend un miroir de bouche, une sonde parodontale, un pinceau applicateur jetable, un godet, un révélateur de plaque, des écarteurs photo, des compresses, un miroir de courtoisie et, éventuellement, une sonde de Nabers (figure 11).
Concernant le révélateur de plaque, nous privilégions ceux dont la couleur varie selon la maturité de la plaque dentaire tels que les produits suivants : Biofilm Discloser (EMS), GC Tri Plaque ID Gel (GC) et Plak-Test (Papilli) (figure 12). Les modes d’application des solutions révélatrices diffèrent selon les produits.
Après avoir réalisé les photographies nécessaires à la constitution du dossier, nous appliquons le révélateur de plaque sur toutes les faces dentaires (figures 13 et 14). Il est alors demandé au patient de rincer plusieurs fois à l’eau claire, et ce tant que l’eau crachée demeure colorée (figure 15). Il est également possible de rincer à la pipette.
Nous montrons alors les colorations au patient dans le miroir de courtoisie et lui expliquons les différents niveaux de couleur : clair pour la plaque récente, plus foncé pour la plaque mature présente depuis plusieurs jours. Cette distinction est importante car elle fait prendre conscience au patient des sites qui sont systématiquement oubliés lors de son brossage habituel (figure 16). À ce stade, nous avons pris l’habitude de prendre encore quelques clichés photographiques et enregistrons ensuite l’indice de plaque selon O’Leary sur les 2 scores suivants : absence de plaque dentaire = 0, présence de plaque dentaire = 1 [7] (figures 17 et 18).
Nous enjoignons le patient à se placer debout face au miroir mural ou à s’asseoir avec un miroir de courtoisie à la main et nous commençons par lui expliquer pourquoi la brosse choisie est particulièrement adaptée à sa situation. Dans la situation présente, nous lui faisons sentir au doigt la souplesse des brins de sa nouvelle brosse, en lui expliquant que cette douceur est nécessaire pour ne pas blesser la jonction gencive/dent, nouvelle cible de son nouveau brossage. La technique de Bass modifiée étant une technique sulculaire, la souplesse des brins est primordiale [8]. Il faut cependant admettre que plus la brosse est souple, moins elle est efficace [9], et c’est pourquoi nous allons lui montrer une technique de brossage qui permettra de rendre cette brosse efficace (figure 19a).
Pour commencer, sur un modèle anatomique ou sur nos incisives mandibulaires (celles du soignant), nous montrons les éléments suivants (figures 19b et 19c) :
- tenue de la brosse en stylo afin d’exercer une pression plus faible sur les brins lors du brossage [10] ;
- angle des brins orienté vers le sulcus ;
- position des brins au niveau du sulcus ;
- mouvement de rotation de faible amplitude.
Nous demandons ensuite au patient d’essayer sur ses dents et nous corrigeons rapidement l’angle, la position au sulcus et la force appliquée en prenant la brosse à dents, en montrant et en faisant sentir ces éléments sur les dents et la gencive du patient (figure 20). Le patient peut alors reproduire la technique sur ses incisives. Nous lui demandons ensuite de réaliser un contrôle de l’efficacité, très subjectif, en lui faisant passer la langue sur les faces brossées et en comparant cette sensation à celle ressentie sur les faces adjacentes non brossées. Ce point est important car il permet d’ancrer le patient dans cette nouvelle certitude que ce brossage va être efficace.
Nous lui proposons alors que son brossage suive un parcours qui sera toujours le même, afin d’être certain de n’oublier aucune dent. Pour ce faire, nous préférons une séquence adaptée de celle d’Irving Glickman en commençant sur la face vestibulaire de la dent maxillaire la plus distale du côté opposé à la main dominante du patient, puis de poursuivre aux dents adjacentes jusqu’à la dent la plus distale controlatérale, puis la face distale de cette dent, puis les faces palatines de proche en proche jusqu’à revenir au point de départ [11]. Le même chemin est emprunté à la mandibule. Le brossage des faces occlusales complète alors la séquence (figure 21).
Durant toute cette mise en pratique, nous sommes particulièrement vigilants sur les sites stratégiques suivants : angle mort (secteur canin du côté de la main dominante), en distal des dents les plus distales, en palatin des prémolaires et molaires maxillaires, en lingual des prémolaires et molaires mandibulaires et en lingual des incisives mandibulaires (figure 22).
Il est alors proposé au patient de contrôler l’efficacité de la technique de brossage en regardant son effet sur le révélateur de plaque (figure 23).
Pour terminer la séance, nous sélectionnons une brossette interdentaire qui couvrira plus de 70 % des espaces interdentaires, pas forcément à la recherche d’une efficacité optimale, mais plutôt pour que le patient apprenne à la passer tous les jours (figure 24). Cet apprentissage du bon mouvement permettra ensuite d’augmenter les diamètres et, en conséquence, le nombre de brossettes interdentaires. Si des saignements se manifestent durant le passage de ces brossettes, il est utile d’en expliquer les raisons au patient (stimulation d’un site enflammé) et de le rassurer en indiquant que, en présence d’un passage quotidien de la brossette, le saignement cessera sous 4 à 5 jours (figure 25). La réalisation de votre « prédiction » finira de convaincre le patient sur la nécessité quotidienne de cet apprentissage.
• Appliquer consciencieusement la nouvelle méthode de brossage au moins une fois par jour.
• Ranger la brossette interdentaire pour qu’elle soit aussi facile d’accès que la brosse à dents.
• Passer la brossette entre les dents au moins une fois par jour.
• Utiliser un dentifrice fluoré, ou fluoré pour dents sensibles selon les besoins.
• Ne pas hésiter à prescrire un dentifrice intégrant un révélateur de plaque pour aider au contrôle de plaque à domicile (ex. : Elgydium Révélateur de Plaque, Pierre Fabre Oral Care).
Nous demandons à nos patients d’apporter leur matériel d’hygiène orale à chaque rendez-vous. Ainsi, lors de ces consultations, nous contrôlons l’efficacité du brossage, montrons les sites où une amélioration est encore possible et corrigeons le mouvement du patient.
Le plus souvent, nous ajoutons une deuxième brossette interdentaire de diamètre plus important durant l’une des séances d’assainissement parodontal non chirurgical (figure 26).
Nous recalibrerons les brossettes sur l’ensemble des espaces interdentaires à partir de la séance consacrée à la réévaluation parodontale en appliquant la règle des 3F : « la brossette doit Frotter sans Flotter et sans Forcer » (figure 27).
Ce type de séance a tôt fait de laisser penser au patient qu’on l’infantilise. Les explications données dans la séance préalable sont donc indispensables. Par ailleurs, l’importance de cet apprentissage doit se lire dans le comportement que nous adoptons et, pour cela, il est tout aussi indispensable de montrer au patient combien nous nous impliquons pour qu’il progresse (figures 28 et 29).
Dans un souci de simplification des messages, et de mémorisation, nous avons fait le choix de nous passer des moyens suivants qui nous paraissent secondaires :
- la démonstration au microscope à contraste de phase de la présence de bactéries dans la plaque dentaire a été supprimée de notre consultation en raison du faible intérêt démontré [12] ;
- les bains de bouche et dentifrices antiseptiques ainsi que les pâtes de Keyes ou de Torrens ont également été exclus de nos thérapeutiques en raison de leur faible ou de leur absence d’intérêt clinique [13, 14].
Le contrôle de plaque est difficile. Efforçons-nous donc d’en enseigner l’essentiel sans perdre nos patients dans des habitudes chronophages et inutiles. Dans ce sens, concentrons notre attention sur les moyens mécaniques d’hygiène orale qui suffisent le plus souvent à obtenir les résultats souhaités. Pour cela, passons le temps qu’il faut avec nos patients pour leur enseigner les bons mouvements. À ce propos, un sage disait : 10 fois pour comprendre, 100 fois pour apprendre, 1 000 fois pour maîtriser. Soyons donc indulgent avec nos patients.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Mes remerciements vont au Pr Pierre Baehni pour la voie qu’il m’a fait découvrir dans la prévention des maladies parodontales.
Je voudrais également rendre hommage au Dr Jiri Sedelmayer dont la rencontre m’a confirmé que l’enseignement au contrôle de plaque constituait un engagement véritable et essentiel.