Dossier
Franck AFOTA* Charles SAVOLDELLI** Romain CASTRO*** Justine ROHART**** Emmanuel MASSON REGNAULT*****
*Spécialiste qualifié en Chirurgie orale, Nice
**Co-directeur du DU de greffes osseuses pré-implantaires, Institut Universitaire de la Face et du Cou, CHU Nice.
***MCU-PH, Chirurgien Maxillo-facial, Nice
****Co-directeur du DU de greffes osseuses pré-implantaires, Institut Universitaire de la Face et du Cou, CHU Nice.
*****Spécialiste qualifié en Chirurgie orale, Aix-en-Provence
******Intervenant du DU de greffes osseuses pré-implantaires, Institut Universitaire de la Face et du Cou, CHU Nice.
*******Spécialiste qualifiée en Chirurgie orale, Rouen
********Intervenante du DU de greffes osseuses pré-implantaires, CHU Nice.
*********Spécialiste qualifié en Chirurgie orale, Angoulême
**********Intervenant du DU de greffes osseuses pré-implantaires, CHU Nice.
Il existe aujourd’hui un vaste choix de techniques de reconstructions osseuses pré-implantaires reproductibles. Le choix d’un procédé par rapport à un autre dépend du type de défaut osseux, des habitudes chirurgicales du praticien, du plateau technique et enfin du « contexte patient ». La régénération osseuse guidée 2.0 dite sausage telle que décrite par Urban est une technique simple à mettre en œuvre et semble offrir des résultats satisfaisants à moindre morbidité pour le patient. Quelles sont les indications de mise en œuvre de la sausage technique ? Quelles sont les étapes du protocole chirurgical ?
La pérennité d’un implant dentaire sur le long terme nécessite un volume osseux initial adéquat. L’implant doit être entouré de 2 mm d’os en vestibulaire au minimum et de 1 mm en palatin/lingual [1]. Le respect de ces facteurs dimensionnels permettrait de prévenir les pertes osseuses péri-implantaires, offrant la garantie d’un résultat fonctionnel et esthétique dans le temps. Plusieurs critères de maintien de la santé implantaire s’ajoutent à ce volume osseux implantable : l’hygiène buccale, le tabagisme et la santé générale (diabète, vitamine D).
Lorsque la crête alvéolaire ne respecte pas ces dimensions initiales, une augmentation osseuse est alors nécessaire. L’architecture de ces défauts a été décrit par Cawood et Howell en 1988 avec une classification radiologique simple, aujourd’hui devenue une référence en chirurgie pré-implantaire [2] (figure 1).
Afin de corriger cette résorption osseuse, plusieurs techniques sont disponibles dans l’arsenal du chirurgien-dentiste en fonction du type de volume à reconstruire.
• Les greffes dites « autogènes » par prélèvements osseux intra-oraux sur la zone ramique ou mentonnière.
• La régénération osseuse guidée (ROG) faisant intervenir des substituts osseux et des membranes protectrices.
• Les greffes utilisant des systèmes de piquet de tente ou de mainteneur d’espace type plaques ou vis.
• L’expansion osseuse et leur déclinaison : les ostéotomies de translation aussi appelées ostéotomies segmentaires pré-implantaires.
• La distraction osseuse.
Initialement, la ROG reprend les principes de la régénération tissulaire guidée mise au point par Nyman en 1982, c’est-à-dire l’utilisation d’une membrane qui joue un rôle de barrière physique permettant ainsi une colonisation sélective du caillot par les cellules du desmodonte. Le but est de favoriser la colonisation du substitut osseux par les éléments ostéogéniques du site receveur. La ROG « classique » avec membrane résorbable a souvent été réservée à la préservation alvéolaire post-extractionnelle ou aux petits défauts avec un gain osseux mineur ou modéré. Les défauts moyens ou avancés étaient alors plutôt corrigés par greffes autogènes ou ROG avec membrane non résorbable [3]. Néanmoins, la greffe autogène impose un site donneur et donc une morbidité accrue pour le patient, tandis que les membranes non résorbables auraient un risque supérieur d’exposition.
Le choix de la technique de greffe fait largement débat dans la communauté scientifique, chacun défendant sa technique en fonction des situations anatomiques et de ses habitudes. Cependant, elle doit répondre à des critères objectifs présents dans la littérature afin de maximiser les chances de réussite, tout en minimisant les risques et les suites opératoires pour le patient.
Les études de Park en 2009 et Garaicoa en 2015 ont permis une avancée majeure dans le choix d’une technique (ROG) par rapport à une autre. Garaicoa, et al. ont réalisé des mesures radiographiques sur les maxillaires de 26 patients ayant bénéficié d’une ROG dans le sens horizontal. Et ils concluent ceci : lorsque le degré d’angulation de la concavité maxillaire est petit (angle α), la ROG offre d’excellents résultats. En d’autres termes, plus la crête osseuse du site receveur présente une forme de « cupule », plus la ROG est efficiente [5] (figure 2). On en déduit logiquement qu’une concavité osseuse plus marquée offre une immobilisation naturelle du biomatériau et que la membrane subit moins de pression venant des particules osseuses. Park, et al. décrivaient la même tendance avec une forte influence du degré de concavité mandibulaire [6].
Ces conclusions permettent d’orienter le choix de la technique de ROG en fonction de l’anatomie du site à greffer. La ROG serait donc plus efficace face à une perte horizontale en cupule (classe IV de Cawood) lorsque le greffon est parfaitement stabilisé sur le site.
C’est cette volonté d’immobilisation excessive du biomatériau qui a amené la ROG 2.0 décrite par Itsvan Urban : la sausage technique [7] (figure 3). Cette ROG « maximisée » élargit les indications de la ROG, qui devient une alternative crédible pour corriger les défauts horizontaux en obtenant un volume post-opératoire intéressant. D’après la littérature, le gain osseux horizontal oscillerait entre 4 et 7 mm à 4 mois post-opératoires [8].
Afin d’obtenir des résultats satisfaisants, la sausage technique repose bien évidemment sur les principes communs à toutes les augmentations osseuses pré-implantaires :
– apport vasculaire du site receveur ;
– stabilisation et protection du biomatériau ;
– sutures sans tension [9] ;
– absence de mouvement sur la muqueuse crestale [8].
Par opposition à la ROG « simple », ce procédé impose des décollements muqueux plus larges et la mise en évidence d’éléments anatomiques nobles comme l’émergence du nerf dentaire inférieur au niveau du trou mentonnier. La membrane collagénique est d’abord conformée puis parfaitement appliquée en tension sur le site par des micro-clous ou pin’s. Le biomatériau est fermement maintenu au contact du site receveur. Tout mouvement du greffon compromet la réussite de la technique. En effet, une membrane sollicitée par des micro-mouvements perturbe la protection du caillot sous-jacent, pouvant provoquer la formation de tissu fibreux au lieu de tissu osseux. Urban décrit dans sa technique originelle un mélange égal d’os autogène et d’os xénogénique bovin (DBBM : Deproteinized Bovine Bone Mineral, Bio-oss, Geisltich Pharma). Néanmoins, les travaux de Aludden, et al. ont montré que le ratio de biomatériaux avait peu d’importance sur la réussite de la greffe [10].
L’utilisation du PRF (Platelet Rich Fibrin) est un atout dans cette technique pour deux raisons : d’une part, il accroît la présence de facteurs de la coagulation et donc de de l’ostéogenèse et, d’autre part, il permet la densification du biomatériau dense et compact grâce au procédé du sticky bone [11]. C’est pourquoi nous systématisons ce protocole qui permet un gain de temps considérable lors de la mise en place du substitut osseux.
Afin d’illustrer nos propos, voici deux cas d’augmentation osseuse par sausage technique.
Il s’agit d’une patiente de 65 ans désirant une réhabilitation dentaire fixe secteur 46-47. Elle est non fumeuse, en bonne santé et supplémentée en vitamine D (figures 4a et 4b).
Le scanner préopératoire montre une classe IV de Cawood avec une perte horizontale type « lame de couteau » (largeur de crête comprise entre 2,8 et 3,2 mm). Le défaut est à la fois lingual et vestibulaire avec une concavité de chaque côté (figure 4c).
Une incision mucco-périostée est réalisée avec une décharge distale suivie d’un décollement pleine épaisseur vestibulaire et lingual. L’émergence du nerf dentaire inférieur au niveau du trou mentonnier est mise en évidence lors de la dissection afin de le protéger. Des ostéoplasties perforantes avec un foret sont exécutées dans le but de stimuler l’afflux sanguin du site receveur (figure 4d).
Les tissus sont relaxés afin de libérer les tensions musculaires, en insistant sur le muscle mylo-hyoïdien et autour de la gaine du nerf dentaire inférieur. L’os autogène est prélevé sur le ramus droit à l’aide d’une râpe à os (bone scraper). Le mélange os autogène et os xénogenique (Bio-Oss, Geistlich Pharma) est placé au contact de la membrane côté lingual. La technique du sticky bone est utilisée afin d’obtenir un matériau dense et immobile.
La membrane collagénique (Bioguide, Geistlich Pharma) est conformée avant d’être positionnée du côté lingual. Elle est d’abord fixée par un clou mésio-lingual (figure 4e). Urban insiste particulièrement sur ce pin’s mésial qui permet de cercler la dent qui borde l’édentement.
Une fois le matériau compacté en lingual et sur la crête, la membrane est tendue puis rabattue en vestibulaire pour immobiliser le greffon de manière excessive par 3 clous placés en vestibulaire (figure 4f).
Cette étape est capitale dans la sausage technique, assurant une compaction du matériau sur le site receveur.
Trois sutures en U apical mattress sont réalisées côté vestibulaire et un surjet assure l’étanchéité du lambeau muqueux. Le scanner de contrôle, 4 mois plus tard, montre un gain osseux moyen de 4,5 mm sur toute la longueur de crête mesurant alors entre 6 et 7,5 mm (figure 4g). La greffe a permis de reconstruire l’anatomie de la zone en lingual et vestibulaire.
Les 2 implants (Anyridge, Megagen) sont positionnés en sous-crestal, en sur-forant sur les 2 premiers millimètres afin de préserver au maximum l’os greffé. Le scanner post-implantaire objective le volume osseux satisfaisant autour de l’implant (figure 4h).
Il s’agit d’une patiente de 38 ans qui a présenté un kyste volumineux d’origine endodontique dont l’étiologie a été la dent 21 fracturée (figure 5a).
Après extraction, énucléation et temporisation par un bridge collé à ailette, on note un défaut osseux majeur dans le sens horizontal (figures 5b et 5c). Au vu du défaut concave en « en cupule », la ROG sausage est indiquée. Une dissection large jusqu’au niveau des fosses nasales est réalisée afin de relaxer suffisamment les tissus mous. La membrane est d’abord « pinsée » côté palatin et le biomatériau est compacté sur la crête (figure 5d). La membrane est alors tendue côté vestibulaire et fixée par 2 pins (figure 5e). Les sutures sont réalisées sans tension. Le scanner à 4 mois objective une bonne intégration du greffon qui reconstruit la crête osseuse ad integrum (figure 5f). La réouverture du site montre un volume osseux convexe satisfaisant (figure 5g). On peut noter que la sausage technique de Urban est simple à réaliser et permet une reconstruction harmonieuse de la crête édentée, sans rebords osseux abrupts. Le risque d’exposition est minime. D’après la littérature, on sait que les défauts de cicatrisation sur les membranes résorbables sont résolus assez facilement par des nettoyages avec de la chlorhexidine [9]. La sausage technique peut également être combinée à d’autres actes chirurgicaux :
– en extraction-comblement (figure 6) ;
– simultanément à une greffe sinusienne (figure 7).
La sausage technique de Urban est une alternative moderne en chirurgie osseuse pré-implantaire. Elle fait ses preuves dans une indication précise : les défauts horizontaux concaves ou en forme de cupules. Les décollements muqueux larges nécessitent une connaissance de l’anatomie orale. Cependant, le procédé est simple et offre des résultats satisfaisants, tout en minimisant les risques et les suites opératoires pour le patient. Pour les défauts plus complexes (verticaux ou 3D), Urban développe les mêmes principes avec des membranes non résorbables.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.