Clinic n° 07 du 01/07/2021

 

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Interview

Michel Metz  

CLINIC : Hadi Antoun, quel est votre parcours ?

Hadi ANTOUN : Après mes études à Lyon, j’ai intégré le cabinet de Jacques Bori, à Paris, qui m’a rapidement orienté vers un postgraduate en parodontologie à Boston. J’ai rapidement été séduit par l’implantologie auprès de Carl Misch. Entre temps, j’ai obtenu un CES en parodontologie puis le DU d’implantologie chirurgicale et prothétique de Paris 7 et intégré le service de Patrick Missika en...


CLINIC : Hadi Antoun, quel est votre parcours ?

Hadi ANTOUN : Après mes études à Lyon, j’ai intégré le cabinet de Jacques Bori, à Paris, qui m’a rapidement orienté vers un postgraduate en parodontologie à Boston. J’ai rapidement été séduit par l’implantologie auprès de Carl Misch. Entre temps, j’ai obtenu un CES en parodontologie puis le DU d’implantologie chirurgicale et prothétique de Paris 7 et intégré le service de Patrick Missika en tant qu’attaché. Ensuite, je me suis installé en exercice exclusif en parodontologie et implantologie. Néanmoins, en quittant la faculté, quelque chose me manquait et ma soif d’apprendre, d’évoluer et de partager m’a poussé à fonder l’Institut de formation en chirurgie implantaire avancée (IFCIA).

Vous êtes auteur d’un certain nombre d’articles et d’ouvrages, pouvez-vous nous en parler ?

Je ne peux pas oublier mon premier article sur les maladies parodontales quelques années seulement après avoir été diplômé. Par la suite, le fait d’avoir étudié et enseigné, de côtoyer des étudiants, des consœurs et des confrères qui partageaient la même passion m’a motivé à écrire.

Mon attirance pour les reconstructions osseuses est arrivée assez vite ; j’ai réalisé rapidement les premiers prélèvements osseux symphysaires ainsi que des greffes de sinus. Ceci m’a amené naturellement à co-signer un premier livre sur les greffes osseuses. Ce livre couvrait l’ensemble des augmentations osseuses, d’où l’idée d’écrire mon deuxième livre exclusivement sur les greffes de sinus qui, pour moi, font partie des techniques que l’on pourrait rendre accessibles facilement. La seconde édition du livre, qui vient de sortir aux Éditions CdP, était une évidence et, en même temps, c’était comme écrire un « autre » livre tant l’évolution des techniques et des matériaux est importante (figure 1) [1]. Le Study Group de l’IFCIA m’a incité et énormément aidé à publier (figure 2). Animé par Ons Zouiten et constitué d’une trentaine de jeunes praticiens très impliqués, c’est un lieu d’échange, de partage et un vrai moteur de publications et un moyen de faire évoluer les jeunes dans cette discipline et de les former à devenir les conférenciers de demain !

Quel regard portez-vous sur l’implantologie aujourd’hui ? Quelles sont vos certitudes ou vos doutes ?

Il est certain que l’implantologie d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui qui ne sera pas celle de demain. Cette discipline rend un service certain et important aux patients ; leurs retours souvent très positifs sont une énorme satisfaction tant personnelle que pour nos équipes et notre profession.

L’évolution permanente du matériel, des matériaux et des techniques nous oblige à nous remettre en question de façon permanente. Ce qui est certain, c’est que les implants ne sont pas éternels et que cette équation est importante à connaître, pour nous et pour nos patients que nous devons informer. Ce qui veut dire, pour répondre à votre question, que j’ai peu de certitudes, voire aucune, et plutôt des doutes, même si je n’ai pas non plus d’explications rationnelles à cela.

Pour être un peu plus précis, j’ai par exemple abandonné totalement les prélèvements osseux en bloc. Les techniques que j’ai gardées sont la régénération osseuse guidée (ROG) et l’expansion contrôlée. Les principes biologiques ainsi que le recul et le support scientifique, en particulier de la ROG, font que je l’applique dans pratiquement toutes les situations où il faut réaliser une augmentation osseuse tant horizontale que verticale.

Une autre évolution technique évidente concerne les augmentations muqueuses qui sont pratiquées dans un nombre de cas bien plus important qu’auparavant. Leur indication dans les zones esthétiques est quasi systématique de même qu’au niveau des secteurs postérieurs mandibulaires, en particulier quand il y a eu une augmentation osseuse et que la gencive est souvent très fine.

D’un point de vue matériel, la forme, la géométrie, la taille des implants, leur état de surface, leur propreté, l’introduction du platform-switching, la présence ou non de spires lisses, les types de connexion, le design de la partie trans-gingivale, l’introduction de la zircone, les empreintes optiques, les planifications implantaires et prothétiques, la chirurgie guidée, l’usinage des pièces au laboratoire de prothèse, les corrections d’axe… sont autant d’éléments qui ont bouleversé notre quotidien.

Comment voyez-vous l’implantologie de demain ?

Cette discipline restera demain encore au cœur du parcours de soins. En revanche, je pense que l’implantologie sera plus du domaine de l’omnipraticien qui l’intègrera dans son plan de traitement comme les autres soins plus traditionnels. Certes, certains cas nécessiteront l’intervention d’un spécialiste, notamment en présence de perte osseuse importante ou pour la gestion de cas esthétiques délicats ou dans les situations de mise en charge immédiate.

D’un point de vue plus technique, le digital et la chirurgie guidée plus ou moins robotisée permettront sans doute de faciliter les chirurgies implantaires. Je suis convaincu que, dans un avenir proche, l’intelligence artificielle jouera un rôle important dans le diagnostic des situations cliniques et dans la sélection des patients, permettant de mieux orienter nos plans de traitement. L’évolution des biomatériaux simplifiera les procédures de préservation alvéolaire et d’augmentation osseuse, rendant ces techniques plus accessibles. Est-ce que l’introduction des cellules souches au fauteuil permettra demain de remplacer l’implantologie ? Je ne saurais répondre à cette question même si elle me semble encore lointaine pour l’instant.

Si c’était à refaire, auriez-vous traité différemment certains cas avec vos connaissances actuelles ?

Aujourd’hui, je suis plus vigilant avec les patients fumeurs et atteints d’une maladie parodontale. Pour ces patients, j’aurai sans doute utilisé des implants avec un état de surface plus adapté et notamment des implants avec les premières spires lisses. J’aurais aussi travaillé plus sur la partie « relationnelle », notamment pour aider ces patients à arrêter ou à réduire leur consommation tabagique ou pour les orienter vers des spécialistes qui les auraient aidés dans cette démarche.

J’aurais pratiqué plus souvent des préservations alvéolaires, ce qui aurait réduit le nombre de patients qui ont eu besoin d’augmentations osseuses.

Il est certain aussi que les patients traités pour des augmentations osseuses par greffes autogènes, avec des prélèvements en bloc, ne seraient pas traités à mon cabinet de la même façon aujourd’hui. Je suis persuadé que la ROG nous permet aujourd’hui de traiter la grande majorité des défauts osseux, qu’ils soient horizontaux, verticaux, sur un seul site ou sur une arcade complète.

Je suis un adepte de la prothèse vissée ; cependant, j’ai traité un certain nombre de cas par de la prothèse scellée, notamment pour simplifier le travail pour mes correspondants. Je pense que c’était une erreur. Aujourd’hui, l’indication d’une prothèse scellée est pratiquement inexistante dans mon exercice.

Quel est le design idéal d’un implant pour éviter le risque infectieux ?

Vous avez compris qu’un implant avec les premières spires non rugueuses est pour moi un élément important pour réduire le risque de péri-implantite mais aussi pour réduire le risque de perte osseuse quand le remodelage osseux ou un autre facteur vient exposer la partie cervicale de l’implant au milieu buccal. Une évolution certaine de nos implants actuels vient des connexions prothétiques qui sont plus étanches et plus stables. Pourquoi pas imaginer un implant sans connexion ? Quand bien même nos connexions actuelles ont beaucoup évolué, un micro-gap existe toujours entre le pilier et la couronne, laissant la place à une infiltration bactérienne et donc à une inflammation qui, fort heureusement, reste stable le plus souvent mais qui peut toujours évoluer défavorablement. Un implant d’une seule pièce pourrait-il remplacer nos implants actuels ? La question reste ouverte. Le remodelage osseux au cours des premières semaines semble jouer un rôle important quels que soient la forme et/ou le concept de l’implant. J’aime beaucoup l’idée du concept zero bone loss et je recommande fortement la lecture du livre dédié à ce sujet par Thomas Linkevicius [2].

Décrivez-nous une journée type de votre activité professionnelle.

Ma journée commence tôt, ce qui me permet de traiter mon courrier, de travailler sur mes publications et présentations ou encore d’accorder du temps à la lecture.

J’arrive au cabinet vers 8 h 30 et la journée commence par un briefing avec l’équipe (figure 3). Je reçois le premier patient à 9 h. J’alterne entre consultations et interventions chirurgicales 4 jours par semaine avec un rythme bien huilé et soutenu que j’aime bien. Il y a de l’adrénaline souvent positive car j’ai la chance d’avoir une équipe aussi passionnée que moi et qui se donne sans compter !

Mon exercice aujourd’hui est exclusif en implantologie. J’ai délégué la parodontologie à Sylvie Pereira. La gestion des cas complexes, notamment les cas esthétiques nécessitant des augmentations osseuses et muqueuses, est au cœur de mon quotidien. Plus récemment, le numérique a pris une place prépondérante pour la mise en place des implants à travers des guides statiques ou par chirurgie naviguée.

Les formations organisées au cabinet dans le cadre de IFCIA occupent une place importante dans le planning, pour l’équipe du cabinet, pour l’équipe dédiée à l’institut et pour moi-même.

Mes interventions extérieures prenaient aussi une place importante mais, depuis l’apparition de la Covid-19, notre mode de vie a changé. La plupart de mes interventions se sont transformées en webinaires, ce qui ne me déplaît pas finalement, le gain de temps et d’énergie étant évident, mais avec moins de contact direct, ce qui est moins agréable. On ne peut pas gagner sur tous les tableaux !

Et votre temps libre, comment en profitez-vous ?

J’ai peu de temps libre, mais c’est un choix. Je dédie ce temps à mes travaux, réunions et contacts que je ne peux pas réaliser pendant les journées cliniques. Je consacre 3 heures par semaine à une activité sportive comme la course à pied. C’est vital pour mon équilibre physique et mental.

Enfin, je consacre un peu de temps à une association humanitaire qui m’apporte beaucoup de satisfaction et m’enrichit d’un point de vue humain et intellectuel.

Ma journée ne peut se terminer sans une lecture non professionnelle qui me permet de m’évader et surtout de bien m’endormir !

Un dernier point ?

Je voudrais vous remercier pour cet interview qui m’a permis de partager ce qui m’anime et cette passion qui nous lie, nous qui pratiquons l’implantologie. Le mot partage est un mot qui m’est cher car c’est le seul moyen pour nous tous d’évoluer aussi bien pour celui qui donne que pour celui qui reçoit. Je terminerai sur une citation de Olivier Lockert : « La connaissance, c’est partager le savoir qui nous fait grandir ».

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Antoun H. Les greffes de sinus en implantologie. Coll. JPIO. Paris : Éditions CdP, 2020.
  • 2. Linkevicius T. Zero bone loss concept. Paris : Quintessence Pub, 2019 ; 304 p.