Dentisterie
Esthétique
Jean-François LASSERRE* Stefen KOUBI**
*MCU-PH Université de Bordeaux, Pr associé à l’Université médicale de Cluj-Napoca (Roumanie)
**Pr associé à l’Université UMP d’Hô Chi Minh-Ville (Viêt Nam)
***Pr Honoris Causa de l’Université médicale de Hanoï (Viêt Nam), Exercice libéral, Bordeaux.
****MCU en Odontologie conservatrice, Faculté d’Odontologie de Marseille. Participe au programme du DU esthétique de Marseille et de Strasbourg. Fondateur et formateur, Institut de la Facette à Marseille. Exercice libéral à Marseille. Consultation du sourire à Paris.
Les restaurations adhésives de céramique constituent des restaurations de choix pour les amélogénèses imparfaites (AI). Ces anomalies de l’émail héréditaires, généralisées et sévères sont difficiles à prendre en charge sur les plans esthétique et fonctionnel. L’omnipraticien doit savoir diagnostiquer les différentes formes cliniques des AI car elles conditionnent la qualité de l’adhésion, le choix des types de préparation ainsi que la situation des lignes de finition.
Lorsque les tissus dentaires sont détériorés ou insuffisants, il est maintenant clairement établi que les restaurations adhésives de céramique (RAC) constituent un modèle de substitution idéal, rivalisant avec le modèle de référence naturel de la dent intacte [1-3] (figure 1). Les protocoles de collage des céramiques vitreuses sont codifiés depuis de nombreuses années. Les prétraitements surfaciques adhésifs amélo-dentinaires et de silanisation de la céramique, combinés avec un assemblage par interposition d’un composite fluide sans potentiel adhésif intrinsèque [4, 5], s’avèrent pérennes dans le temps. On assiste cependant à une évolution vers des protocoles simplifiés comme, par exemple, la suppression du passage d’adhésif dans l’intrados des facettes ou l’utilisation des polyfluorures d’ammonium en remplacement de l’acide fluorhydrique [6]. Les anomalies de l’amélogénèse constituent des indications fréquentes de RAC, qu’elles soient de cause exogène comme les hyperfluoroses, de cause génétique comme les amélogénèses imparfaites (AI) [7] ou encore d’origine mal connue comme les Molar Incisor Hypomineralisation (MIH) dont la prévalence est en augmentation.
L’amélogénèse imparfaite (AI) est l’une des anomalies de l’émail les plus sévères et les plus difficiles à prendre en charge sur les plans esthétique et fonctionnel. Sa prévalence faible la classe parmi les maladies rares. Aux États-Unis, elle est de 1/12 000 à 1/14 000 [7, 8]. La transmission peut se faire de manière dominante ou récessive, soit par le chromosome sexuel X, soit de manière autosomique. Dans de nombreux cas, l’AI s’accompagne de pathologies associées (osseuses vertébrales, ophtalmiques ou neurologiques, des phanères) s’inscrivant dans un tableau clinique complexe de syndrome de maladie rare [9, 10]. Le principal problème dans le traitement des patients atteints d’AI est la médiocre qualité du collage sur un émail altéré à la fois morphologiquement, quantitativement et qualitativement, ce qui peut favoriser des fissurations et les décollements du composite d’assemblage [11]. Il existe plusieurs formes cliniques d’AI (tableau 1).
Les choix thérapeutiques diffèrent selon le type d’AI. Dans les formes hypoplasiques (type 1), plusieurs auteurs rapportent un collage efficace à l’émail résiduel [12, 13] (figure 2a). Dans les formes hypo-calcifiées (type 3), où l’émail d’épaisseur subnormale apparaît opaque, crayeux et mou au sondage, de grandes difficultés de collage sont signalées (figure 2b). Le mordançage de cet émail semblerait même altérer encore davantage les possibilités de collage [14, 15]. Dans ces cas, il est recommandé d’enlever l’intégralité de l’émail hypominéralisé afin de privilégier un collage dentinaire. Cette solution a été proposée dans la mesure où les AI affectent peu la qualité de la dentine sous-jacente [15]. Il existe aussi des formes intermédiaires moins défavorables que le type précédent, les AI hypo-mature (type 2), où l’émail est d’épaisseur normale mais présente des colorations jaunes/brunes ou rouges/brunes, avec une dureté inférieure à celle de l’émail sain. Aucun traitement esthétique ne peut être envisagé dans une AI sans au départ déterminer précisément son type et les caractéristiques de l’émail altéré et/ou résiduel [6, 12]. Les traitements adhésifs amélo-dentinaires ne diffèrent pas de ceux destinés aux tissus sains (application d’adhésif universel photopolymérisé sans mordançage préalable ou après un mordançage sélectif de l’émail résiduel). L’utilisation de l’hypochlorite de sodium parfois évoquée doit être évitée [6].
Dans les AI hypocalcifiées (type 3), les difficultés d’éruption des dents et les hyperplasies gingivales sont systématiques. L’orthodontie préparatoire mettant en œuvre des techniques de désinclusion est indispensable pour établir un schéma occlusal prothétique correct (figure 3a). Des gingivoplasties sont nécessaires avant la préparation des dents pour accéder à une situation des lignes de finition à la jonction amélo-cémentaire et améliorer l’esthétique rose (figure 3b).
La réhabilitation céramique globale est en général réalisée aux alentours de 18 ans car ces jeunes patients sont le plus souvent extrêmement complexés de leur apparence. Les préparations périphériques totales affleurent la jonction amélo-dentinaire (JAD) (figure 4). Les principes de préparation sont ceux des couronnes minimalement invasives décrits dans le concept MIPP de Fradeani, et al. [16]. Très rapidement après le collage des RAC, la gencive redevient parfaitement saine du fait de l’excellente biocompatibilité des céramiques au disilicate de lithium (figure 5).
Dans les AI hypoplasiques (type 1), le tableau clinique est moins sévère. Même si l’émail est de faible épaisseur et présente de nombreuses anomalies (stries, puits, perles) (figure 6), celui-ci est bien minéralisé et peut supporter un mordançage et un collage de céramique. Les dents sont le plus souvent hypersensibles et le taurodontisme pulpaire est fréquent. Même si les perturbations d’éruption sont faibles, en comparaison avec les AI hypocalcifiées, la diminution des largeurs mésio-distales de dents postérieures entraîne un resserrement des zones proximales favorisant des dysharmonies dento-maxillaires et des dysfonctions occlusales. L’orthodontie préparatoire est le plus souvent nécessaire pour réhabiliter des fonctions équilibrées. L’état initial de la gencive marginale est beaucoup plus correct que dans les AI hypocalcifiées.
La réhabilitation globale est en général réalisée chez le jeune après l’orthodontie. Parfois, lorsque les altérations esthétiques et fonctionnelles liées à l’anomalie sont négligeables, le traitement peut survenir tardivement pour compenser le vieillissement et l’usure prématurée de l’émail. Les préparations peuvent être juxta-gingivales, voire partielles dans les secteurs antérieurs pour conserver un émail lingual subnormal (figure 7).
Dans la mesure où les préparations sont peu invasives et où les espacements proximaux se sont réduits, la place interproximale disponible pour les doubles coques de céramique est très faible. Il s’ensuit des difficultés de sculpture et de pressée pour le céramiste, favorisant la création de points de contacts proximaux trop bas situés dans l’embrasure (figure 8). Cette conformation peut favoriser des bourrages alimentaires occlusaux. Si une orthodontie préparatoire est envisagée, il est impératif de demander une augmentation de l’espacement proximal par rapport à la situation initiale.
Les AI entraînent toujours des traitements étendus. Il s’agit le plus souvent de réhabilitations totales des deux arcades avec une phase préparatoire orthodontique (figure 9). Une fois l’alignement obtenu, une étude pré-prothétique sur articulateur physiologique est établie pour planifier la chronologie des étapes reconstructrices et la stratégie thérapeutique. L’objectif est de restaurer l’ensemble des dents par des RAC avec un minimum de préparation des tissus dentaires, déjà très affectés par la pathologie. Le plus souvent, on réalise des couronnes minimalement invasives pour les secteurs postérieurs et, selon la nature de l’AI, des facettes ou des couronnes minimalement invasives dans les secteurs antérieurs. La chronologie du traitement comporte cinq grandes étapes qui garantissent la qualité de la construction occlusale avec le moins de retouches esthétiques possibles sur les secteurs antérieurs lors des finitions dynamiques de l’occlusion selon la méthodologie CLC5 [6] :
– étape préparatoire orthodontique ;
– analyse pré-prothétique sur articulateur avec wax up et quantification d’une augmentation de DVO. Réalisation de clefs de silicone pour réaliser les masques (mock up) et les restaurations transitoires ;
– préparation et collage des RAC postérieures bi-maxillaires ;
– préparation et collage des RAC antérieures mandibulaires ;
– préparation et collage des RAC antérieures maxillaires.
Sous réserve qu’aucun résidu de composite d’assemblage ne soit oublié dans le sulcus ou les embrasures proximales, l’intégration biologique est toujours excellente au contact du disilicate de lithium.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.