GESTION DES ATROPHIES EXTRÊMES ET COMPLÈTES DU MAXILLAIRE - Clinic n° 07 du 01/07/2021
 

Clinic n° 07 du 01/07/2021

 

Dossier

Mickaël SAMAMA  

Chirurgien oral, Stomatologue, PH attaché, Service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris. Dr du DIU de Réhabilitation orale implantaire, Dr du DU de Chirurgie reconstructrice pré et péri-implantaire orale, Sorbonne Université. Exercice libéral, Paris.

La prise en charge des atrophies maxillaires complètes du sujet jeune nécessite une prise en charge pluri-disciplinaire.

Les atrophies peuvent être consécutives à la perte de l’organe dentaire, à un traumatisme, à une infection ou à une origine tumorale.

Cette perte dentaire s’accompagne d’une résorption osseuse plus ou moins sévère selon Cawood, et al. [1] (figure 1a). Cawood a décrit plusieurs schémas de résorption en distinguant la mandibule du maxillaire, mais également le secteur antérieur du secteur postérieur [2].

Les atrophies osseuses maxillaires, lorsqu’elles sont terminales, entraînent l’apparition d’une classe III squelettique acquise par résorption totale de la crête alvéolaire [3]. Cette atrophie osseuse s’accompagne donc le plus souvent d’un vieillissement facial important par l’absence de soutien des tissus mous. La prothèse amovible, par ces dépouilles vestibulaires, masque les effets de cette résorption. Ce n’est que lorsque les patients retirent leur appareil que cette ptose des tissus mous est mise en évidence. Elle entraîne également un préjudice esthétique difficile à surmonter pour ces patients. Nous traiterons dans cet article des atrophies maxillaires par édentement complet de classes V et VI de Cawood et présenterons un cas clinique détaillé pour appuyer la réflexion.

RAPPEL

L’intérêt de l’utilisation de l’os autologue en chirurgie pré-implantaire n’est désormais plus à démontrer. Misch est l’un des premiers à publier à propos des greffons osseux autologues en chirurgie pré-implantaire. Tulasne utilise cette technique en ayant recours de façon systématique à l’utilisation de greffons extra-oraux en réponse à la problématique pré-implantaire, afin de restaurer des conditions favorables à un ancrage implantaire de qualité, tant par le volume que par la densité osseuse apportés [4]. Dans le cadre de reconstructions osseuses de faible à moyenne étendue (1 à 4 dents), la greffe osseuse autologue avec prélèvement rétro-molaire ou ramique reste le gold standard par sa position anatomique, son origine endo-membraneuse [5, 6] et ses propriétés biologiques d’ostéo-induction, d’ostéo-conduction et d’ostéogenèse permettant une ostéo-intégration optimale [7].

Cependant, lors d’une reconstruction de grande étendue, l’utilisation de greffons membraneux extra-oraux (hanche et crâne) semble plus adaptée. En effet, le crâne est un réservoir osseux important. La zone idéale de prélèvement se situe en pariétal à distance des sutures médianes et longitudinales afin d’éviter toutes les structures nobles telles que le sinus longitudinal. Dans les atrophies maxillaires totales il n’est pas rare de retrouver une rétro-maxillie sévère. La planification chirurgicale permet de faciliter la correction de cette rétro-maxillie en utilisant des guides de coupes et des plaques d’ostéosynthèse sur mesure [8, 9].

CAS CLINIQUE

Nous traitons une patiente de 42 ans présentant une classe III squelettique acquise par résorption des crêtes alvéolaires au maxillaire (figure 1). Elle décrit une dysmorphophobie à la vue de son visage vieilli par l’absence de dents.

Le bilan radiologique et clinique met en évidence une classe III squelettique avec une résorption maxillaire de type Cawood VI. Le scanner du massif facial et notamment du crâne révèle une très faible épaisseur de diploé contre-indiquant l’utilisation d’un greffon crânien.

Devant cette atrophie maxillaire majeure, il est décidé de réaliser une ostéotomie de Le Fort 1 guidée associée à la mise en place de greffons sinusiens d’origine iliaque et des greffons ramiques en apposition vestibulaire (figure 2).

L’ostéotomie de Le Fort 1 permettra d’avancer de 8 mm et d’abaisser de 8 mm le maxillaire, corrigeant ainsi le décalage sagittal et limitant, voire évitant totalement la fausse gencive. Cette ostéotomie permettra également de rétablir un couloir osseux favorable à la réhabilitation implanto-prothétique. Ce choix est guidé par le projet prothétique et l’analyse céphalométrique.

L’ostéotomie est facilitée par l’utilisation de guides de coupe fabriqués par le laboratoire Materialise® à partir de l’exploitation des DICOM issus d’un scanner du massif facial du vertex à l’os hyoïde. Puis, à partir du guide, le pré-forage assurera la position exacte de la plaque d’ostéosynthèse sur mesure et donc du maxillaire.

L’intervention se déroule sous anesthésie générale en double équipe. Le prélèvement à la hanche droite est réalisé par l’une des équipes (remerciement au Dr Julien Davrou, chirurgien maxillo-facial) pendant que l’autre réalise l’ostéotomie et les prélèvements ramiques.

Après une incision crestale s’étendant d’une tubérosité à l’autre, un décollement muco-périosté est réalisé permettant d’exposer le maxillaire et les fosses nasales.

Le guide de coupe est positionné et fixé par des vis de diamètre 2 mm et de longueur 5 mm (figure 3).

Ce guide permet de forer au niveau des œillets et ainsi de fixer la plaque d’ostéosynthèse sur mesure. Il guide également l’ostéotomie réalisée au piezotome sous irrigation continue. Une fois les pré-forages effectués et les pré-ostéotomies réalisées, le guide est déposé et l’ostéotomie de Le Fort 1 est complétée (figure 4).

L’abaissement du maxillaire se fait de manière douce et prudente en raison de la fragilité que représente ce maxillaire résorbé et édenté. Une fois clivé, le maxillaire est mobilisé au davier de Rowe et Killey. Les muqueuses des sinus maxillaires et des fosses nasales sont réclinées.

Les greffons ramiques bilatéraux sont prélevés à la fraise fissure.

Une incision en muqueuse libre le long de la branche montante et de la ligne oblique externe est réalisée à la lame froide 15. Un décollement sous-périosté permet d’exposer la ligne oblique externe et le ramus.

Un greffon de 3 à 4 cm de longueur et 1 cm de largeur est prélevé au niveau de cette région. On s’assure de l’intégrité des pédicules du nerf alvéolaire inférieur.

Les sites de prélèvement sont suturés au fil résorbable 3/0 (figure 5).

Le greffon iliaque est prélevé à 2 cm de l’épine iliaque antérieure. Le greffon est endopelvien et unicortical. Le spongieux iliaque est récupéré à la curette. Un surjet cutané est réalisé et un drain de Redon non aspiratif est mis en place ainsi qu’un pansement compressif. Le greffon iliaque est mis en place dans les bas-fonds sinusien et ligaturé au fil d’acier en trans-sinusien pour éviter toute migration (figure 6). Une fois les greffons prélevés, la plaque d’ostéosynthèse maxillaire sur mesure est fixée à l’aide de 16 vis. Deux œillets ont été demandés au niveau du gap laissé par le foyer d’abaissement de l’ostéotomie. Ces œillets permettent la mise en place de 2 greffons osseux pour éviter toute pseudarthrose du maxillaire (figure 7).

Les greffons ramiques sont régularisés puis adaptés au site receveur (figure 8). Du broyat osseux est mis en interposition et les greffons sont « ostéosynthésés » en vestibulaire par 3 vis de diamètre 1,5 mm et de longueur 12 mm.

Des incisions périostées sont faites afin de libérer la muqueuse de tensions trop importantes qui pourraient entraîner une exposition précoce. La patiente est hospitalisée jusqu’à J2 et un panoramique de contrôle est demandé (figure 9).

Le port de prothèse est proscrit durant toute la phase de cicatrisation des greffes.

À 6 mois, le CBCT de contrôle met en évidence une parfaite cicatrisation des greffons et de l’ostéotomie. Le projet prothétique est validé par la patiente et nous modélisons une chirurgie implantaire guidée par appui muqueux. L’ablation des plaques et vis d’ostéosynthèse faisant obstacles à la pose des implants est réalisée 2 mois avant. Cette intervention permet également d’objectiver la parfaite cicatrisation des greffes (figure 10).

La pose des implants s’effectue sous anesthésie locale avec guide sur mesure (laboratoire Géceram, Dov Chaouat) (figure 11).

La pose de 6 implants Biotech Kontact en chirurgie guidée est réalisée (Dr David Touboul) (figure 12).

La pose du bridge provisoire puis définitif suit les abaques de la prothèse complète (base d’occlusion, clef en plâtre…) On notera l’absence de fausse gencive vestibulaire dédiée au soutien des tissus mous (figure 13).

Une injection d’acide hyaluronique non réticulé (1 ml) est réalisée au niveau des lèvres pour repulper ces dernières et magnifier le résultat esthétique de la réhabilitation. On remarquera le rajeunissement facial qu’a permis cette réhabilitation globale. En effet, l’avancée de la mâchoire supérieure a permis non seulement d’éviter une fausse gencive importante au niveau du bridge, mais également de corriger le décalage sagittal et de rajeunir l’étage moyen de la patiente. De facto, l’avancée du maxillaire retend les tissus mous, les sillons nasogéniens, la lèvre supérieure et la pyramide nasale.

L’apport d’acide hyaluronique, quant à lui, redonne plus de volume à la lèvre supérieure qui était légèrement affinée (figure 14).

DISCUSSION

La prise en charge des atrophies maxillaires complètes avec classe III acquise par résorption des crêtes alvéolaires est au carrefour de plusieurs spécialités. L’utilisation des prothèses complètes comme guide radiologique ainsi qu’un examen attentif des patients sans leur prothèse permettent de poser le diagnostic. Une importance particulière doit être apportée lors de l’examen clinique sur l’absence de soutien des tissus mous et la quantité de fausses gencives de la prothèse complète maxillaire. En effet, plus celle-ci est importante, plus cela signifie que la résorption est également importante.

Il existe cependant des alternatives à ce type de reconstruction telles que les implants zygomatiques, le all-on-four ou la reconstruction osseuse sans ostéotomie d’avancée.

La pose d’implants zygomatiques n’a pas retenu notre attention du fait de l’âge de la patiente, trop jeune pour ce type de solution. Bien que les taux de survie soient excellents, on ne peut garantir un résultat à long terme pour ce type de réhabilitation et la reconstruction peut s’avérer difficile après la dépose des implants zygomatiques.

Il en est de même pour la technique de all-on-four. En effet, une résection osseuse permettrait de retrouver un os basal pour un ancrage de 4 implants. Cependant, cela aggraverait l’atrophie, majorerait la quantité de fausse gencive au niveau du bridge et rendrait plus difficile la reconstruction en cas d’échec de cette technique.

Enfin, pour ce qui est d’une reconstruction simple par techniques additives sans ostéotomie du maxillaire (greffe en onlay, régénération osseuse guidée, sausage technique), elle ne permettrait pas de corriger le décalage sagittal ni de garantir à la patiente l’absence de fausse gencive en fin de réhabilitation.

CONCLUSION

La prise en charge des atrophies extrêmes du maxillaire du sujet jeune est au carrefour de plusieurs spécialités. Elle nécessite une analyse fine de la prothèse et des tissus mous mais également l’aspect social, psychologique et médical afin de proposer la solution la plus adaptée.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 9. Schouman T, Bertolus C, Chaine C, et al. Chirurgie assistée par dispositifs sur-mesure : reconstruction par lambeau libre de fibula. Rev Stomatol Chir Maxillofac Chir Orale 2014;115:28-36.
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Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

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