Dossier
Gauthier CAZALS* Bernard FLEITER**
*DU Troubles fonctionnels Orofaciaux, Hôpital Charles Foix, Ivry sur Seine. Membre du CNO Aquitaine. Exercice libéral à Agen.
**MCU-PH Faculté de Chirurgie dentaire, Université de Paris. Responsable du DU Troubles fonctionnels oro-faciaux. Hôpital Charles Foix, Ivry-sur-Seine.
Comment organiser une consultation pour un patient souffrant d’un dysfonctionnement temporo-mandibulaire ? Quels sont les facteurs de risque associés ? Cet article s’appuie sur les critères diagnostiques les plus utilisés pour les DTM, les DC/TMD, et propose une approche structurée de ce type de consultation. Une fiche clinique permet une utilisation quotidienne de cette approche.
Selon le National Institute and Craniofacial Research, 5 à 12 % de la population américaine seraient atteints de dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM). Ces derniers sont généralement de caractère bénin et de pronostic favorable, ce qui expliquerait que seule une faible partie de ces personnes décide de consulter.
Le terme de DTM regroupe de nombreuses entités différentes. La classification étendue Diagnostic Criteria for Temporo Mandibular Disorders (DC/TMD), sur laquelle nous nous appuyons pour cet article, en décrit trente-six. Sept sont plus fréquents : les douleurs musculaires, les douleurs articulaires, les déplacements discaux, l’ostéoarthrose et l’ostéoarthrite, avec ou sans limitation d’ouverture buccale. Pour des raisons de place, nous ne décrivons pas ici chaque critère diagnostique. Ils sont cependant un prérequis nécessaire à l’établissement d’un bon diagnostic et à une prise en charge adaptée. Ces critères diagnostiques reposent toujours sur au moins 2 temps : l’entretien (au bureau) en début de consultation suivi de l’examen clinique (au fauteuil) qui permet généralement de confirmer les hypothèses diagnostiques émises lors de l’entretien [1-3].
Les DTM sont pluri-étiologiques, ce qui nécessite également de rechercher les facteurs de risque qui y sont associés. Pour rassembler tous ces éléments, nous proposons une fiche clinique adaptée à une consultation spécifique au patient consultant pour un DTM (encadré 1). C’est au sein du service des Troubles fonctionnels oro-faciaux de l’hôpital Charles Foix (Ivry-sur-Seine) que nous utilisons cette fiche clinique. Composée d’une vingtaine d’items, elle se remplit en deux temps. D’abord au bureau pendant l’entretien puis au fauteuil lors de l’examen clinique [4].
L’entretien est un moment parfois négligé lors de ce type de consultation car souvent considéré comme trop chronophage dans un emploi du temps minuté. Or, un entretien bien dirigé doit aboutir à des hypothèses diagnostiques qui permettront de gagner du temps lors de l’examen clinique. Cela renforce également la confiance du patient envers le praticien (figure 1). Il est donc nécessaire de s’obliger à prendre du temps pour ce type de consultation [5].
Après un bilan de l’état de santé du patient, l’entretien doit commencer par le recueil du motif de consultation du patient. Généralement, un patient consulte pour des douleurs, des bruits et/ou une gêne fonctionnelle. Ces consultations sont souvent riches en données à recueillir. Il est intéressant de revenir aux motifs de la consultation à la fin du rendez-vous pour se rappeler ce pourquoi le patient est venu.
Lorsqu’elle est présente, la douleur est difficile à aborder. Il faut l’évaluer le plus précisément possible pour l’utiliser dans le diagnostic, le pronostic et suivre son évolution. Une douleur se caractérise par son intensité (Échelle visuelle analogique, EVA), la présence d’un fond et/ou de pics douloureux, sa qualité, sa durée, sa fréquence, la date et les circonstances d’apparition ou, encore, les traitements ou attitudes mis en place pour la soulager.
Plusieurs douleurs peuvent être présentes (figure 2). Il faut les évaluer individuellement pour établir des diagnostics différentiels.
Le caractère chronique de la douleur est un autre paramètre important. En effet, la douleur aiguë est souvent simple à prendre en charge pour le praticien alors que la chronicisation rend la prise en charge plus complexe, multidisciplinaire. Le caractère chronique de la douleur est difficile à définir. Il ne correspond pas simplement à une notion de durée de la douleur mais se caractérise par la présence de facteurs psycho-sociaux associés. Pour des douleurs neuropathiques, des questionnaires annexes de diagnostic comme le DN4 sont recommandés [6].
Enfin, la recherche de douleur ne doit pas se limiter à la face mais bien au corps entier. La littérature montre nombre d’associations de DTM douloureux avec d’autres douleurs (douleurs cervicales ou lombaires, migraines, céphalées, fibromyalgie, syndrome de l’intestin irritable…). La présence d’autres douleurs minore le pronostic [7].
Enfin, le praticien doit rechercher les facteurs de risque qui peuvent déclencher, entretenir ou aggraver les DTM [8].
Comprendre le patient dans son environnement familial, social et professionnel est indispensable à une bonne prise en charge. La douleur est liée avec cet environnement. L’anxiété, la dépression, le stress ou encore le catastrophisme sont souvent retrouvés chez les patients atteints de DTM douloureux. Les Échelles de dépression, d’anxiété et de stress (EDAS-21) représentent un outil intéressant pour leur dépistage et leur suivi. Le chirurgien-dentiste ne doit avoir ici qu’un rôle de dépistage. Une prise en charge spécialisée est nécessaire. L’utilisation de questionnaires permet de renforcer le discours sur la prise en charge pluridisciplinaire [9].
Des troubles douloureux de la posture cervicale et/ou rachidienne sont fréquemment associés aux DTM douloureux. Ce sont des paramètres utiles dans l’établissement du pronostic.
Le sommeil est certainement l’un des facteurs de risque les plus importants à évaluer pour les DTM douloureux. Alors que le bruxisme du sommeil est en train de connaître des modifications sur sa définition et son diagnostic, d’autres pathologies comme l’insomnie ou les apnées du sommeil doivent être recherchées chez ce type de patient [10, 11].
En quelques questions simples, le praticien ouvre la discussion sur le sommeil du patient. Des questionnaires spécifiques comme l’Index de la qualité du sommeil de Pittsburgh, l’Index de sévérité de l’insomnie ou encore l’Échelle de somnolence d’Epworth peuvent aider à faire prendre conscience au patient de la nécessité de consulter un spécialiste [12].
Plusieurs études épidémiologiques associent certains symptômes otologiques (acouphènes, otites aiguës, vertiges, sensations d’oreille bouchée, baisse de l’audition) aux DTM. Ces associations sont accompagnées de diverses hypothèses étiologiques liées à la proximité des structures anatomiques :
– l’hyperactivité des muscles masticateurs pourrait induire une contraction réflexe du muscle tenseur du voile du palais, causant une ouverture inefficace de la trompe d’Eustache ;
– des médiateurs de l’inflammation pourraient diffuser entre articulation temporo-mandibulaire (ATM) et oreille moyenne ou interne, produisant des symptômes otologiques ;
– les symptômes otologiques pourraient être des douleurs référées de douleurs myofaciales.
Ces associations sont renforcées par d’autres études cliniques chez des patients atteints de DTM et de symptômes otologiques. Elles rapportent une amélioration de ces derniers par la mise en place d’un traitement des DTM [13].
Concernant les troubles oculaires, ils peuvent être liés à certaines céphalées de tension.
Cet item regroupe tous les comportements susceptibles d’entretenir ou d’aggraver certains DTM comme le bruxisme de l’éveil, les tics de morsure ou de grincement, le mordillement d’objet, le mâchonnement de chewing-gum, l’onychophagie ou encore le tabagisme. Il est fréquent que le patient ne se rende pas compte de son comportement. Concernant le bruxisme de l’éveil, une application pour smartphone (BruxApp) peut être une aide au diagnostic et à la prise en charge [14] (figure 3).
La position de repos lingual et de la pointe de la langue lors de la phase orale de la déglutition ainsi que la ventilation buccale, nasale ou mixte sont des paramètres susceptibles d’entretenir les douleurs des muscles masticateurs [15].
Les traumatismes au niveau de la tête et du cou, par exemple le coup du lapin lors d’un accident de la route, sont des facteurs de risque déclencheurs de DTM.
Cette fiche clinique permet de renseigner les facteurs de risque les plus décrits mais ne peut être exhaustive. D’autres facteurs de risque comme l’asymétrie faciale majeure ou l’hyperlaxité ligamentaire (score de Beighton) par exemple peuvent être recherchés et renseignés dans le dernier item.
L’examen clinique se déroule au fauteuil. La fiche clinique propose une dizaine d’items. Le praticien expérimenté peut choisir quelques tests pour valider les hypothèses diagnostiques de l’entretien.
Ainsi, la confirmation du diagnostic peut être assez rapide et ne nécessite pas obligatoirement la réalisation de tous les tests.
L’objectif de ces palpations est de tenter de reproduire une douleur ressentie habituellement par le patient. Avant de commencer, le praticien prévient le patient de l’intérêt de ce test. Ce dernier doit lever la main lorsqu’il ressent une douleur et dire si elle ressemble à celle qu’il a pu ressentir habituellement au cours du dernier mois.
Le praticien palpe par pression digitale les muscles masséters et temporaux ainsi que l’articulation temporo-mandibulaire (ATM). Ce sont les structures principales à explorer même si d’autres peuvent être ajoutées comme les muscles digastriques, ptérygoïdiens médial et latéral, le sterno-cléido-mastoïdien ou le trapèze par exemple. Elles sont repérées au préalable en demandant au patient de serrer les mâchoires (ce qui met en évidence les contours des muscles) et d’ouvrir la bouche (ce qui met en évidence le condyle mandibulaire).
D’après les DC/TMD, la pression appliquée doit être de 1 kg pour les muscles masticateurs et de 0,5 kg pour le pôle latéral de l’ATM. Ce test est réalisé lorsque le patient a ses muscles relâchés en position de repos (bouche fermée).
Pour une meilleure précision, la palpation des muscles s’effectue sur toute la structure, soit plusieurs points différents de palpation. La durée de la palpation est de 2 secondes mais peut être maintenue 5 secondes pour repérer des douleurs référées. Ceci demande un peu d’entraînement (sur une balance par exemple) pour se calibrer (figure 4).
La palpation des côtés droit et gauche simultanément est plus ergonomique et permet une comparaison aisée par le patient. Néanmoins, une palpation unilatérale améliorerait la précision de ce test.
Ce test de palpation, très spécifique et sensible, est utile dans le diagnostic des douleurs musculaires et articulaires (figure 5).
Ils regroupent les items 12 à 15 de la fiche clinique. Le praticien prend des repères dentaires et demande au patient d’effectuer des mouvements d’ouverture-fermeture, de latéralités droite et gauche et de propulsion. Il observe alors la forme des trajets des mouvements mandibulaires, mesure les amplitudes et note l’apparition de douleurs et de bruits articulaires (figure 6). Lors de l’apparition de douleur, il est demandé au patient où se situe la douleur et si elle ressemble à celle qu’il ressent habituellement.
La mesure des amplitudes de mouvements mandibulaires est marquée dans le diagramme de Farrar (item 14). Ce dernier s’avère utile pour quantifier les limitations de mouvements mandibulaires et émettre une hypothèse diagnostique de déplacement discal [16].
Des antécédents de blocage (s) en position de bouche ouverte ou fermée sont des informations utiles dans le diagnostic et le pronostic de certains DTM. La présence de blocages répétés observés lors de l’ouverture buccale est le seul facteur prédisposant le déplacement discal réductible à devenir irréductible.
Aussi appelé test de Krogh Poulsen, ce test ne fait pas partie des DC/TMD. Il consiste à faire mordre le patient sur un enfonce-couronne au niveau des secondes molaires. Il crée une bascule mandibulaire du côté opposé au bâtonnet et permettrait de différencier les douleurs musculaires (du côté du bâtonnet) des douleurs articulaires (du côté opposé au bâtonnet).
Le praticien peut mesurer le surplomb et le recouvrement incisifs, noter les dents absentes ou remplacées ainsi que les atteintes parodontales et examiner la stabilité de l’occlusion d’intercuspidie maximale (OIM). L’occlusion est aujourd’hui considérée comme un facteur étiologique mineur des DTM. Elle pourrait néanmoins, dans quelques situations, avoir un rôle déclencheur ou d’aggravation et nécessite donc toujours d’être observée.
Le praticien peut aussi reporter les usures dentaires du patient. Ces usures peuvent être physiologiques, d’origine mécanique et/ou chimique (figure 7). Elles nous apprennent beaucoup sur les comportements anciens ou actuels du patient [17].
À l’issue de cet examen, le praticien doit pouvoir valider les hypothèses diagnostiques émises lors de l’entretien avec le patient. Il peut alors poser un premier diagnostic de DTM ainsi que les facteurs de risque qui y sont associés. La fiche clinique permet de noter ce diagnostic, la prise en charge qui en découle ainsi que le suivi du patient.
Lors d’une consultation avec un patient atteint de DTM, le praticien reçoit généralement beaucoup d’informations. Une fiche clinique comme celle que nous présentons permet d’organiser sa consultation en s’appuyant sur les critères diagnostiques validés des DC/TMD.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Figure 1 L’entretien est un moment important dans le diagnostic des DTM.