Dossier
Georges KHOURY* Chérine FARHAT**
*Dr of post-graduats DU de Reconstitution osseuse pré-implantaire, Paris VII, Hôpital Rothschild, Paris.
**Exercice libéral à Beyrouth, Liban.
Augmenter sans greffer ? Est-ce possible ? Si nous considérons que le terme « greffer » répond à un prélèvement osseux, alors oui, il est possible d’augmenter sans greffer. Les augmentations par fractures déplacées bien connues en orthopédie peuvent être détournées pour répondre à un objectif de gain en volumes, bien plus puissant en mécanisme de cicatrisation que ne le serait l’intégration d’une greffe.
L’expansion osseuse décrite par Tatum au début des années 70 a été un élément fondateur des techniques d’ostéotomies [1].
La littérature est confuse sur les deux terminologies, notamment dans les articles scientifiques anglophones où sont citées de façon imprécise les Bone Splitting et Bone Expansion. La différence est importante pour bien en comprendre les approches : elle réside entre une fracture spontanée (expansion osseuse) et une fracture guidée par ostéotomie.
Lors du Congrès Syfac à Menton en 2005 [2], nous avons proposé une classification fondée sur l’approche de la correction. Ainsi sont apparues les ostéotomies définies en deux familles.
La première, l’ostéotomie segmentaire axiale (OSA™) comprend deux sous-groupes qui sont les ostéotomies axiales progressives (OSAP™ ou distractions alvéolaire) et les ostéotomies segmentaires axiales immédiates (OSAI™) qui peuvent corriger la hauteur (OSA™) ou la hauteur et l’épaisseur. On parle alors pour ces dernières d’ostéotomies segmentaires de rotation (OSR™) en correction des volumes 3D.
La seconde, celle qui nous intéresse dans le présent article, est l’ostéotomie segmentaire transversale (OST™).
L’évolution de la technique est fondamentale pour bien comprendre les mécanismes sous-jacents de cicatrisation.
Jusqu’à la fin des années 90, l’expansion était réalisée majoritairement au maxillaire, du fait de sa faible densité osseuse par rapport à la mandibule. L’ostéotomie permettant le positionnement du premier ostéotome était réalisée soit à la fraise chirurgicale, principalement dans les os denses de la mandibule, soit par l’ostéotome droit fin directement ou par l’intermédiaire d’une lame 15 impactée dans la crête.
S’en est suivi une séquence d’ostéotomes de convexité croissante. Ces ostéotomes étaient définies par Tatum en forme de « demi-lune », convexes sur une face et plats sur l’autre versant L’objectif était de développer une compression dans une direction précise, notamment vestibulaire, et de ne pas comprimer le versant palatin ou lingual afin d’obtenir une fracture de l’os vestibulaire déplacé. Cette fracture libérait de ce fait les compressions et permettait une cicatrisation de type fracturaire.
D’autre système mécaniques ou rotatif sont apparus, fondés sur un concept conique croissant en diamètre. Ceux-ci ne peuvent pas être définis comme expanseurs ; ce sont des condenseurs, notamment pour les os de faible densité. Même si, utilisés sur des os denses, nous observons une modification du volume de la crête, l’ischémie de cette compression non fracturaire engendre une inflammation avec une résorption de la crête, voire une non-intégration de l’implant.
Ce cas illustre la technique opératoire telle que définie par Tatum et montre le mécanisme de cicatrisation fracturaire. Il s’agit d’une expansion osseuse réalisée en 1996 selon le concept initial de Tatum, par levée de lambeau et expansion aboutissant à une fracture – spontanée non guidée. La cicatrisation à 4 mois montre la puissance de ce mécanisme de réparation spontanée (figures 1 à 4).
Ce cas, traité en 2002, décrit les étapes de l’évolution de la technique initiale de Tatum en 1998, avec une approche avec un lambeau de demi-épaisseur.
L’approche se faisait alors sans lambeau ou par une approche mini-invasive et la levée d’un lambeau de demi-épaisseur. Le périoste est maintenu attaché mais les tissus durs et mous sont déplacés. La cicatrisation est alors extrêmement rapide tant au niveau des tissus durs que des tissus mous avec une fonte par remodelage extrêmement réduite.
La réparation des tissus mous traduit le maintien de la vascularisation et laisse présager de la cicatrisation osseuse qui s’en suivra et son maintien à 15 ans.
Le suivi à long terme de ce cas (2002/2017) montre clairement l’intérêt du maintien de la vascularisation par l’attache des tissus mous et le pronostic optimisé du maintien de cet os vestibulaire, objectivée 15 ans plus tard au CBCT (figures 5 à 13).
En 2003, Vercellotti déposait son brevet de chirurgie piézoélectrique et l’ostéotomie, jusqu’alors rotative avec une élévation thermique, devenait ultrasonique avec une élévation thermique faible. Les multiples effets de cavitation, d’hémostase et de détersion ont permis une réduction significative de la réaction inflammatoire et ouvert le champ de l’ostéotomie et des fractures contrôlées.
Préalablement, en 2000, Vercellotti publiait un case report d’expansion jusqu’alors réservée au maxillaire [3].
Il décrit la procédure chirurgicale à faible morbidité adoptée dès 2003. Les augmentions osseuses alors associées aux greffes autologues devenaient de ce fait plus accessibles aux patients les plus fragiles et les plus à risque. L’ostéotomie définit le cadre précis de la fracture, notamment à la mandibule jusqu’alors le site d’expansion le plus complexe, et permet un clivage précis du mur vestibulaire qui augmente le volume. Pour le stabiliser et contrairement au maxillaire, l’ostéosynthèse s’est imposée à nous de facto.
La fracture contrôlée doit idéalement permettre un clivage avec maintien de la base du volet au contact de l’os support. Le lambeau de pleine épaisseur permet l’accès à la table osseuse et à la corticotomie apicale horizontale.
L’ostéotomie nécessite une section complète de la corticale intéressant la médullaire. Cette ostéotomie est crestale et latérale vestibulaire. Le mur lingual ne doit pas être inclus dans cette ostéotomie. La corticotomie apicale à la mandibule crée une ligne de fracture contrôlée et ne doit pas sectionner la corticale en entier. La fracture est alors initiée, puis une stabilisation du volet déplacé est réalisée.
La préparation du site implantaire est alors minutieuse du fait de la faible résistance de l’os médullaire au forage.
Ce cas a été réalisé en 2004 et montre les principales étapes de cette ostéotomie transversale mandibulaire à ses débuts, sans comblement vestibulaire. Le potentiel vasculaire de cet espace médullaire ouvert génère une puissante réparation osseuse spontanée (figures 14 à 24).
Les vis qui servaient initialement de maintien seront détournées de leur utilisation primaire pour servir de guidage à l’ostéotomie.
Les difficultés de guider par des vis crantées nous ont amené dès 2003 à collaborer avec la société Deltex pour proposer le concept d’Ostéotomie Segmentaire Guidée pour le déplacement du mur vestibulaire. Ainsi, les vis de compression disponibles ont été modifiées dans leurs dimensions et le premier kit d’ostéotomie guidée a été proposé en 2005, intéressant non seulement les ostéotomies transversales mais également les ostéotomies axiales.
La particularité de ce guidage réside dans le col lisse des vis qui permet, une fois l’ancrage lingual ou palatin effectué, de cliver le long d’une ou de plusieurs vis la paroi vestibulaire et de la guider le long de leur axe. Il a alors été possible de guider les volets de grande étendue dans des déplacements non symétriques, plus ou moins ouverts en mésial et distal.
Ce cas décrit les étapes clés de ces ostéotomies guidées. L’ostéotomie réalisée, le vis sont placées parallèlement et leur axe lisse permet le déplacement contrôlé du volet vestibulaire (figures 25 à 31).
• Réduction du nombre de sites d’intervention par rapport à une greffe autologue (Altiparmak, et al., 2017) [4].
• Peu invasive et taux de réussite élevé (Jamil, et al., 2017) [5].
• Pose simultanée des implants (Scarano, et al., 2016) [6].
• L’ouverture des espaces médullaires permet une meilleure angiogenèse et une meilleure diffusion de la médication.
• La sur-correction du volume osseux vestibulaire par ROG de complément est favorisée par cette angiogenèse issue des espaces médullaires.
• Les mécanismes de cicatrisation fracturaire sécurisent rapidement le segment translaté.
• L’axe osseux initial ne peut être modifié qu’à la mandibule.
• L’ancrage primaire des implants est faible.
• La pose d’implant immédiat unitaire est complexe à la mandibule du fait de l’impératif de la fracture apicale.
• L’ostéite du segment osseux ne peut être écartée dans les os de forte corticalité.
L’étude menée par le Dr G. Huguet pour son doctorat en médecine, sur des patients opérés entre janvier 2009 et mai 2018 (opérateur Dr G. Khoury), regroupe 85 femmes et 40 hommes avec un âge moyen de 55,5 ans [7].
Au total 39 sites maxillaires et 86 sites mandibulaires ont été analysés pour 185 implants posés auprès 94 patients. Les 31 autres ostéotomies ont été reprises pour la pose des implants par des confrères correspondants. L’étude a été réalisée par superposition des données DICOM de suivi et des mesures effectuées sur OSIRIX et non cliniquement observées comme dans la majorité des études existantes.
L’étude a visé les gains initiaux transversaux, les volumes après remodelage post-augmentation et les taux de complications, qu’ils soient modérés ou majeurs.
Le gain vestibulaire a été volontairement choisi comme mesure, à la différence des autres études qui analysent l’épaisseur globale.
Les espaces médullaires étaient alors augmentés de 3,5 à 7 mm afin de ménager l’espace nécessaire aux implants selon leur site.
Les gains moyens de la table osseuse vestibulaire après remodelage et cicatrisation étaient de 3 mm en moyenne, conformes au standard des besoins pour une stabilité osseuse de cette table dans un os natif.
Huit complications mineures ont été rapportées, n’ayant pas compromis le pronostic du traitement : 3 sites ont nécessité une reprise partielle (repose de l’implant non intégré) et 8 patients (9 sites) une reprise chirurgicale de la correction osseuse
Il faut noter que l’étude rétrospective portant sur une période aussi longue comprend tous les cas bénéficiant d’un suivi radiologique, sans distinction de la qualité osseuse de départ (os de type D1 à D4).
Trois des 8 patients ayant été repris présentaient une affection générale non identifiée en préopératoire et apparue durant la phase de cicatrisation. Elle a été la cause de l’altération du métabolisme de cicatrisation et la reprise a été effectuée après traitement et stabilisation de l’affection générale.
Les études rapportées dans la littérature concordent et confortent la fiabilité de cette technique.
• Pour Scarano, et al. (2016) [6], l’épaisseur initiale coronaire de la crête est comprise entre 2,3 et 4,1 mm. Le taux de succès implantaire est de 96,88 % à 3 mois chez 32 patients (64 implants).
• Pour Jamil, et al. (2017) [5], l’augmentation chez 23 patients (26 sites pour 57 implants), pour une épaisseur de crête initialement comprise entre 1 et 3,5 mm, donne un gain compris entre 2,5 mm et 7 mm à 4 mois ; le taux de survie est de 100 %.
• Pour Rahpeyma, et al. (2013) [8], le gain moyen (concernant 38 sites chez 25 patients) est de 2 mm (± 0,3 mm), avec un taux de survie implantaire de 100 % à 6 mois (82 implants).
• La revue de littérature de Chiapasco, et al. (2006) [9] compare les taux de complications des différentes procédures et arrive à la conclusion que le taux de succès de l’expansion alvéolaire est de 98 à 100 %, avec un taux de survie implantaire de 91 à 97,3 %. À noter que l’expansion alvéolaire est différente des ostéotomies et se destine à des sites moins atrophiés et réalisés majoritairement au maxillaire, là où l’os a moins tendance à s’ischémier par rapport à la mandibule.
Altiparmak, et al. (2017) [4] comparent les complications et les taux de survie implantaire en cas de défaut transversal traité par ostéotomie (28 patients) ou par greffe d’apposition (28 patients). Aucune différence statistiquement significative n’a été observée, que ce soit au niveau des taux de survie implantaire ou des complications.
• Bassetti, et al. (2016) [10], dans une revue de littérature, confirment le bénéfice d’une ROG en complément des expansions et des ostéotomies. Les taux de survie des implants lors des expansion varient entre 91,7 et 100 % et les taux de succès de 88,2 à 100 %.
• Stricker, et al. (2014) [11] et Ella, et al. (2014) [12] confirment de protéger cet os vestibulaire par une régénération de complément (notre approche depuis 2005).
• Milinkovic, et al. (2014) [13], dans une revue de littérature, comparent les taux de survie implantaire et les taux de complication en fonction des procédures d’augmentation utilisées (ROG, greffes d’apposition, ostéotomies…) et en fonction des spécificités cliniques (édentement partiel, défaut horizontal/vertical, fenestrations…). Les conclusions vont dans le sens de la fiabilité de la technique.
• Augmentation de l’épaisseur vestibulaire des crêtes résiduelles.
• Corticales vestibulaire et linguale non soudées.
• Épaisseur minimale de 2 mm par l’utilisation de chirurgie piézoélectrique.
• Associée à une ROG, elle permet l’exploitation de crêtes plus fines par apicalisation de l’ostéotomie.
• Adéquation axes osseux/axes prothétiques.
• Hauteur de crête insuffisante. Inadéquation des axes osseux et prothétiques.
• Os type D1 : soudures corticales traduisant une insuffisance de vascularisation.
L’ostéotomie transversale est une technique éprouvée et fiable d’augmentation par clivage de l’os alvéolaire, qui permet de s’affranchir d’un site de prélèvement. Néanmoins, les crêtes atrophiées dans les secteurs postérieurs mandibulaires présentent fréquemment des défauts d’épaisseur et de hauteur. Les limites de l’ostéotomie transversale sont alors atteintes, laissant la place, dans le cadre des ostéotomies, aux Ostéotomies Segmentaires Axiales strictes (OSA™) [2], ou de Rotation (OSR™) [14] capables de reconstruire des défauts dans les trois dimensions.
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.