Dossier
Roger JOERGER* Xavier VAN BELLINGHEN** Alexis JENNY***
*MCU-PH, Faculté de Chirurgie dentaire de Strasbourg. Exercice libéral, Strasbourg.
**DE de kinésithérapie MCU-PH, Faculté de Chirurgie dentaire de Strasbourg.
***Attaché d’enseignement, Faculté de Chirurgie dentaire de Strasbourg. Exercice libéral, Strasbourg.
L’occlusion fonctionnelle se détourne significativement du recours à l’orthèse pour le traitement des DDA, au profit de la modification directe des faces occlusales par adjonction de composite. Hommage à Marcel Le Gall qui avait collaboré à cette publication pendant sa maladie.
L’occlusodontie fonctionnelle qui tient compte de la mastication apporte à notre discipline des idées particulièrement novatrices et la font entrer de plain-pied dans la modernité. En 1994, et particulièrement après le Congrès du Collège national d’Occlusodontie (CNO) de Tours de 1999, Jean-François Lauret et Marcel Le Gall ont proposé une nouvelle théorie de l’occlusion, prenant à contre-pied la gnathologie : remplacer la canine par la première molaire dans le rôle du chef d’orchestre de la mastication [1]. Les implications cliniques de la mastication sont nombreuses [2] tout en relevant de l’évidence, au sens étymologique de « ce que l’on voit », c’est-à-dire de l’observation scientifique. La mastication implique une remise en question de l’occlusogramme et ouvre des perspectives de réglages occlusaux contribuant à la fois au confort de la mastication et aux tentatives de traitement des dyskinésies dento-articulaires (DDA) qui privilégient désormais l’intervention occlusale directe.
Cet article présente une technique d’ajout de composite créant les guidages d’entrée et de sortie de cycles de mastication déficients, afin de traiter les DDA. Il est illustré par deux vidéos exceptionnelles réalisées en direct par Marcel Le Gall, qu’il n’a pas eu le temps de publier avant juillet 2020, et qui tiennent lieu d’hommage à l’œuvre considérable et novatrice qu’il a réalisée [2-5] (figures 1 et 2, vidéos 1 et 2).
L’occlusion fonctionnelle présentée par Lauret et Le Gall se résume à 4 points essentiels.
• Abandon dans toutes les situations cliniques de la relation centrée comme choix d’une relation intermaxillaire (RIM). Il existe non pas une relation centrée mais de nombreuses relations centrées ayant en commun de « manipuler » la mandibule et de la placer ou de la pousser dans l’aire des entrées de cycle, c’est-à-dire en compression. La position de référence adoptée est simplement l’occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) pendant la déglutition physiologique [6, 7].
• Abandon de la « fonction canine » au profit du rôle des premières molaires (M1) dans le guidage de la mastication. La fonction essentielle repose sur le glissement du sillon vestibulo-distal de la molaire inférieure (sillon de Le Gall) le long du pont d’émail de la molaire supérieure. Le mouvement d’entrée est transversal selon l’orientation de la première partie du pont d’émail ; il est anti-rétrusif et protège l’articulation temporo-mandibulaire (ATM). Le mouvement de sortie suit l’inflexion de la seconde partie du pont d’émail en direction de la canine opposée ; il est anti-propulsif et protège les dents antérieures (figure 3).
• Abandon du schéma dissociant les guidages antérieur et postérieur (ou déterminants antérieurs et postérieurs). M1 assure seule le guidage dès l’âge de 6 ans et devient le lieu privilégié d’intervention occlusale par ajout de composite. La canine n’apparaît qu’entre 9 et 12 ans et elle s’intègre dans le cycle préexistant sans pouvoir le modifier [2].
• Le rétablissement ou l’amélioration des critères fonctionnels du cycle de mastication sanctionne le degré de réussite de l’intervention occlusale par la technique additive de composite d’entrée ou de sortie de cycle [4, 5] (figure 4).
Les guidages d’entrée et de sortie de cycle dépassent l’aire de la traditionnelle « table occlusale » pour s’étendre sur une surface occlusale sollicitant plus ou moins la face vestibulaire des dents mandibulaires et une petite surface de la face palatine des dents maxillaires : ce sont les appuis d’entrée. Le composite-up aura comme principal objectif de reconstruire les guidages d’entrée et de sortie (tableau 1).
La forme des cycles s’observe en regardant le patient mastiquer sur le papier d’occlusion. On vérifie le nombre et la répartition des entrées ainsi que l’efficacité des sorties [8]. La lecture du cycle relève de l’observation directe (figures 5 à 10).
Le protocole de collage est celui de la pose d’un composite sans possibilité de se servir de la digue : etching de 15 secondes, rinçage et séchage, adhésif, polymérisation, dépôt du composite et isolation par un film d’adhésif, 3 à 4 cycles de mastication, élimination des excédents à la microbrush et 2 cycles de mastication ; puis polymérisation et ajustage de l’occlusion par des vérifications successives jusqu’à la restauration des guidages [5] (figures 11 et 12).
Le sur-guidage n’est plus de mise car l’efficacité du bras de levier susceptible de réinitialiser un cycle de mastication dépend d’un réglage extrêmement fin de quelques dizaines de microns ; c’est la phase la plus délicate, la plus difficile, la plus intéressante mais parfois aussi la plus décourageante. Le bras de levier agissant sur l’ATM est d’une telle précision qu’une orthèse de 1,5 mm s’apparente à une technique grossière inopérante sur le cycle de mastication et le fonctionnement de l’ATM. Le composite-up excelle dans les premières étapes des DDA et l’orthèse peut prendre le relais à partir des déplacements discaux non réductibles (DDNR) (figure 13).
L’orthèse de distension et d’avancée s’avère très souvent efficace mais se solde par un désastre occlusal en antéposition mandibulaire au moment de la dépose. Elle soulagera souvent les ATM en cas d’arthrose mais elle est concurrencée par une autre possibilité thérapeutique plus indiquée, la restauration prothétique de la dimension verticale d’occlusion (DVO) (tableau 2).
Le recours à l’orthèse ne s’effectuera donc qu’en seconde intention, après la réhabilitation sans succès des entrées et sorties sur M1 et l’harmonisation généralisée des guidages sur l’arcade.
Aucune action thérapeutique n’est parfaite [9] (figure 14). Restaurer les guidages par ajout de composite est sans doute actuellement la meilleure solution efficiente sur le cycle de mastication et le confort occlusal. Ni le composite-up ni l’orthèse n’est capable de repositionner un disque sur son condyle ou de réparer les dégâts de l’arthrose. Un diagnostic précis et fiable, un pronostic réaliste ainsi qu’une information honnête délivrée au patient sont les ingrédients constitutifs d’un exercice serein. Il est urgent de pondérer l’optimisme béat et de diffuser un état des connaissances réaliste en matière de pronostic des traitements des DDA.
La corrélation entre occlusion fonctionnelle, ATM et cycle masticatoire est étayée par les vidéos réalisées en direct au fauteuil, sur des patients non connus de l’opérateur et elle constitue un bon niveau de preuve de sa réalité [4, 5].
La technique du composite-up présente certains avantages sur les orthèses quant à son action sur l’ATM et les muscles masticateurs. Le patient choisira toujours de se passer d’une orthèse encombrante et inconfortable si le résultat est meilleur avec 20 microns de composite et un cycle masticatoire fonctionnel. Pour le praticien, il est plus facile et plus économique de régler l’occlusion sur les dents que sur des surfaces de résine ; en faisant indenter et mastiquer sur l’orthèse garnie de résine, le temps de réglage de l’OIM d’abord puis celui des entrées et des sorties occuperont la demi-journée de fauteuil pour un praticien averti ; c’est une perte de temps considérable pour un bien piètre résultat… La restauration d’une sortie de cycle sur M1 (pas toujours facile de bien la régler en peu de temps) qui rétablit un cycle de mastication et réconcilie le disque et le condyle en levant les inhibitions musculaires semble devenir actuellement la voie royale en thérapeutique des DDA.
Occlusodontiste ou illusionniste, les limites territoriales sont parfois bien vite franchies. Le professionnel s’entoure de protocoles d’examen, de diagnostics complémentaires et documentés tels que les tracés axiographiques et l’imagerie médicale (de préférence l’IRM car elle montre magnifiquement les tissus mous et les tissus durs sans irradiation) [10, 11]. Il connaît le pronostic de la pathologie et a suffisamment de maturité pour ne pas promettre la lune à ses patients ; il a aussi suffisamment de connaissances pour tenter de rétablir un cycle de mastication.
Certaines disciplines complémentaires sont bien sûr sollicitées en absence de résultats mais à condition d’avoir préalablement tout mis en œuvre pour établir une occlusion fonctionnelle : orthophonie, ostéopathie, posturologie, orthoptie, ORL, spécialiste de la douleur. D’autres disciplines, en revanche, ne seront pas d’un grand secours pour remettre un disque articulaire en place…
Le recours au composite-up relève de la compétence exclusive de l’occlusodontiste.
L’aveu d’une absence de corrélation entre la morphologie occlusale et la forme du cycle masticatoire a gratifié, à juste titre, l’occlusodontie de discipline obscure, rebutante, réservée à quelques soi-disant éminents spécialistes.
À l’exception de M. Le Gall, personne jusqu’à présent n’a présenté de vidéo réalisée en direct avant, pendant et après une intervention occlusale, quelle que soit la théorie occlusale utilisée. À n’en point douter, il fera des émules.
Le traumatisme du changement de paradigme est certes inévitable mais nous avons désormais l’opportunité d’expérimenter et de mettre en œuvre à la fois une nouvelle théorie occlusale fonctionnelle, issue des travaux de Lauret et Le Gall, et d’apprécier son efficacité clinique lors du traitement des DDA.
Les auteurs déclarent que le contenu de cet article ne présente aucun lien d’intérêts.
Vidéo 1 La mastication, fonction princeps de la physiologie humaine (avec l’autorisation de Maryse Le Gall).
Vidéo 2 Le composite-up, cas clinique (avec l’autorisation de Maryse Le Gall).