Éditorial
Oui, comme si c’était hier. Toute évocationdu souvenir d’une première fois appelle ces mots, en général accompagnés d’un sourire ému et d’un regard nostalgique.
Pourquoi ? Parce que nos premières fois, qu’elles soient anciennes ou toutes récentes, possèdent une permanence particulière : bien qu’elles constituent les piliers d’un passé révoqué, désormais témoin de nos expériences acquises, elles nous accompagnent dans nos inconscients. Nos...
Oui, comme si c’était hier. Toute évocationdu souvenir d’une première fois appelle ces mots, en général accompagnés d’un sourire ému et d’un regard nostalgique.
Pourquoi ? Parce que nos premières fois, qu’elles soient anciennes ou toutes récentes, possèdent une permanence particulière : bien qu’elles constituent les piliers d’un passé révoqué, désormais témoin de nos expériences acquises, elles nous accompagnent dans nos inconscients. Nos premières fois, si loin, si proches.
Qui étions-nous avant qu’elles n’adviennent ? Un bébé qui se meut à quatre pattes et qui soudain, sous le regard fier et attendri de ses parents, se redresse vers l’enfance. Cet enfant qui surmonte ses frayeurs et saute du grand plongeoir. Des adolescents submergés par la volupté d’un premier baiser. Des amants transis de l’être devenus. Nos vies nous ont permis d’avoir tous été ceux-là.
Nous l’avons été mais nous ne le sommes plus. Le présent vole au passé le frisson des premières fois. Jamais plus nous ne nagerons pour la première fois, jamais plus nous ne ferons l’amour pour la première fois. Adieu aux émois qui mêlent la peur et l’envie. Au diable la première gorgée de bière. Mais que Delerm ne cède pas au désespoir : en plongeant ses dents dans la madeleine de son enfance, Proust nous a montré la voie. Du côté de chez Swann, il a mandé le passé. Un instant et un arôme auront suffi à éveiller une sensation semblable à celle éprouvée dans un passé oublié.
Faisons de même. Retournons dans nos centres de soins. Quand était-ce déjà ? 1986, 1999, 2005… Rappelons-nous l’épouvante face aux 35 millimètres de la première tronculaire. Revivons la fierté d’avoir combattu la douleur d’un autre à l’issue de la première pulpotomie. Encore étudiants, rentrer chez ses parents et leur raconter avec la candeur de l’inouï combien se sentir utile rend heureux. Ne laissons pas l’expérience voler le bouleversement de l’inédit. Accédons à la possibilité que rétablir la fonction et l’esthétique de nos patients ne se mue jamais en routine.
Si les premières fois s’envolent, les sentiments étranges et ambivalents qui en émanent peuvent être recrutés. Ne nous contentons pas de la satisfaction de nos patients. Ne réduisons pas notre art à une simple profession. Accédons chaque jour à la rencontre de l’émerveillement et de l’excitation. Gardons à l’esprit que, si une dent est un organe, la remplacer n’a rien de banal.
Soignons chaque patient comme si c’était la première fois. Posons nos implants, comme si c’étaient les premiers.