Clinic n° 06 du 01/06/2021

 

Organisation

Hélène MARTIN THOMÉ*   Barbara LEFORT**   Franck RENOUARD***  


*Chirurgien Orale
**Ancienne AHU, CHU de Rennes. Exercice exclusif en chirurgie orale, Rennes.
***Diplômée du CNQAOS
****Assistante dentaire du Dr Hélène Martin Thomé.
*****Chirurgien oral, maxillo-facial, Exercice libéral limité à la chirurgie implantaire, Paris.

La pratique de la chirurgie implantaire demande de sérieuses connaissances techniques mais s’appuie aussi sur des connaissances dites non techniques.

Les facteurs humains et organisationnels (FHO) influent sur les résultats et sur la sécurité des actes. Cette approche tend à limiter les échecs et les accidents, à optimiser le travail, à diminuer le stress et par conséquent à rentabiliser l’activité des cabinets.

Depuis de nombreuses années, les chirurgiens-dentistes proposent des plans de traitement incluant les implants endo-osseux. C’est une avancée positive et motivante pour les patients qui apprécient le confort des prothèses implanto-portées. Le succès des traitements implantaires repose sur la formation technique spécifique à cette pratique. Les connaissances anatomiques, biologiques et biomécaniques sont les prérequis pour aborder la chirurgie implantaire de façon sereine et efficace. Le choix judicieux du matériel implantable et de tout l’ancillaire qui l’accompagne fait aussi partie des critères de réussite. De même, l’évolution permanente du matériel oblige les praticiens à rester vigilants et à se former régulièrement. Il existe cependant un troisième axe de réussite, trop souvent passé sous silence, constitué par les facteurs humains et organisationnels (FHO). Ils influent sur les résultats et sur la sécurité des actes [1]. Cette approche tend à limiter les échecs et les accidents, à optimiser le travail, à limiter le stress et par conséquent à rentabiliser l’activité des cabinets.

ORGANISATION INDIVIDUELLE

Pendant une chirurgie implantaire, l’équipe doit maîtriser parfaitement les étapes du traitement et chacun doit connaître son rôle et celui de l’autre. En amont, les protocoles et les checks-lists (figure 1) [2] sont définis avec précision, le matériel est préparé et vérifié. Chacun est conscient de sa tâche et de sa responsabilité dans le traitement.

L’intelligence émotionnelle doit être développée de manière individuelle. La connaissance de soi et de l’autre permet d’appréhender les situations avec sérénité et de baisser le niveau de stress. En s’appropriant ses propres qualités, limites, atouts et faiblesses, on peut adapter son comportement, utiliser certaines complémentarités avec l’autre et, parfois, compenser des défaillances humaines.

Enfin, la reconnaissance des erreurs permet, à terme, d’être plus performant. Après chaque acte, chacun doit analyser les points positifs et négatifs. Ces retours concrets sur l’expérience vécue permettent de sécuriser les approches techniques.

ORGANISATION COLLECTIVE

La vision individuelle doit être complétée par la vision collective de l’organisation. Il est nécessaire d’instaurer un esprit d’équipe pour atteindre les objectifs communs (figure 2 et 3).

Pour les atteindre, il est important de préparer, réaliser puis débriefer. Avant l’action, les protocoles ont été écrits et validés. Pendant l’acte chirurgical, ils sont appliqués avec rigueur et sérieux. Enfin, le temps du feed-back permet l’analyse des points acquis et des points à améliorer [3].

Il est également important d’instaurer des règles de communication efficaces et constructives. L’assertivité doit être au cœur du mode de discussion. Il est essentiel d’échanger et d’écouter, les mots doivent être dits et compris. Le praticien est le leader, il fixe les objectifs et prend les décisions. Il est aussi le manager et crée du lien entre les membres de l’équipe [4].

Pour assimiler et réussir ces étapes, une des méthodes les plus efficaces aujourd’hui est la simulation. Comme les pilotes d’avion, les médecins réanimateurs ou les sportifs de haut niveau, le chirurgien-dentiste doit s’entraîner. La mise en situation et la répétition permettent d’anticiper les problèmes, de les identifier, de les résoudre et, à terme, de les éviter. La ritualisation et la « mise en musique » permettent l’amélioration de la confiance mutuelle et le travail en harmonie de l’équipe [5-7].

FACTEURS HUMAINS ET ORGANISATIONNELS

Les facteurs humains étudient le comportement humain en tenant compte de son environnement et en cassant le dogme de l’infaillibilité humaine qui dit « il suffit de faire ce que l’on a appris pour que ça marche ».

Les études [8] montrent que le cerveau est un organe complexe qui fait beaucoup d’erreurs (en moyenne 4 à 6 par heure). Ni l’engagement individuel, ni le sérieux des opérateurs, ni l’expérience, ne diminuent le risque de faire des erreurs pendant une procédure. Les sciences cognitives apportent des explications à ce « dysfonctionnement ». Il faut accepter que l’erreur humaine fasse partie intégrante des pratiques et appliquer des protocoles qui permettent de limiter le nombre d’erreurs ou, au moins, de limiter les conséquences de ces erreurs. Cette méthode est appliquée dans toutes les industries à risque et, depuis quelques années, dans les spécialités médicales.

Le concept des facteurs humains et organisationnels (FHO) permet d’anticiper les situations difficiles en identifiant les problèmes et en imaginant des procédures spécifiques adaptées.

Une faible ouverture buccale, par exemple, peut être gérée facilement avec des forets de petite longueur, encore faut-il avoir identifié le problème avant de commencer et être certain d’avoir les forets adéquats dans le stock.

Certaines situations indésirables peuvent être évitées en prévoyant des « plans B » avant de commencer le traitement. Exemple : un praticien doit implanter dans un os de très faible densité. Le plan B sera de ne pas poursuivre l’intervention en cas d’implant trop instable. Si cette éventualité a été envisagée et décrite au patient, le praticien se sentira légitime d’arrêter l’intervention si nécessaire. Dans le cas contraire, le praticien se sentira obligé de continuer l’intervention avec, au final, une situation clinique inappropriée (mauvais axe implantaire jusqu’à l’implant qui disparaît dans le sinus).

PRÉVENIR LES COMPLICATIONS

Quand on commence une pratique telle que la chirurgie implantaire, on peut se retrouver submergé par les nombreux paramètres à gérer en même temps. Il est important de prendre du temps pour anticiper et établir son « plan de vol » en restant focalisé sur les paramètres spécifiques et importants pour la chirurgie. En dehors de l’examen clinique complet incluant l’interrogatoire médical, il faut, par exemple, avoir vérifié l’ouverture buccale !

Le plus efficace est l’utilisation systématique de check-lists. Pour un pilote, il est inconcevable de monter dans un avion et de décoller sans avoir passé en revue un certain nombre d’items (figure 4). Il doit en être de même pour les professionnels de santé. Des check-lists spécifiques à l’implantologie existent [9]. Il faut s’y référer et ne pas se fier seulement à sa propre mémoire.

Quand tous les items des check-lists sont cochés, c’est l’attitude du praticien qui entre en jeu et qui va faire la différence. Des études sur des chirurgies réalisées par différents praticiens dans les mêmes locaux, avec les mêmes indications et les mêmes implants ont montré des différences de résultats significatives entre praticiens [10].

La gestion du stress est un facteur important pour progresser dans la pratique chirurgicale. Le stress apparaît quand on a l’impression de ne pas pouvoir faire face [11]. Pour le limiter, il faut diminuer, d’une part, le nombre et l’importance des éléments stressants (stresseurs) et, d’autre part, jouer sur sa « stressabilité ». Limiter les stresseurs revient à identifier les circonstances qui génèrent du stress. Cela peut être le saignement, la peur de ne pas pouvoir finir l’intervention, de ne pas être à la hauteur de la tâche…

Partager permet de relativiser ces sensations et d’en diminuer l’impact. La mise en œuvre du concept des FHO diminue énormément le risque d’être confronté à un stresseur. La stressabilité, c’est-à-dire la capacité à accepter plus ou moins la situation stressante, se travaille avec des méthodes souvent dérivées de la sophrologie ou de la méditation.

GÉRER SON ÉQUIPE POUR AMÉLIORER SA PERFORMANCE

En acceptant de réduire le gradient d’autorité dans l’équipe, on permet aux collaborateurs de s’exprimer sans crainte [12]. Une assistante doit pouvoir dire que l’axe de l’implant lui semble insatisfaisant ou qu’il manque un point de suture en fin d’intervention. Elle doit aussi pouvoir intervenir si le praticien stressé se focalise sur une action au détriment de la sécurité.

Des procédures de contrôle doivent être mises en place. Qui fait quoi et à quel moment ? Qui contrôle le stock d’implants et quand ce contrôle doit-il être fait ? Est-ce que le temps entre le contrôle et l’intervention est suffisant pour commander un composant manquant ?

Il faut aussi favoriser le contrôle croisé en demandant à chacun d’avoir un œil vigilant sur l’action des autres. La plupart du temps, la cause profonde des complications se trouve dans des éléments futiles au départ qui, dans un contexte particulier, peuvent entraîner des conséquences graves. Vérifier le stock avant une intervention prend 1 minute. S’apercevoir que l’implant n’est pas disponible alors que le lambeau a été levé et que la préparation osseuse est terminée est une expérience malheureusement réelle et problématique.

Enfin, il faut éviter d’interrompre une personne en train d’effectuer une action car le cerveau ne peut effectuer deux tâches en même temps et cela peut entraîner des erreurs procédurales. L’assistante qui prépare la table opératoire ne doit pas être interrompue par une question (par exemple pour savoir si le guide a bien été reçu). Penser au guide chirurgical l’oblige à déconnecter sa concentration de la table opératoire au risque de faire des erreurs d’asepsie ou d’oublier d’y déposer des instruments.

Avant l’intervention, il faut toujours prendre le temps de répéter la procédure en insistant sur le rôle de chacun. Ces quelques minutes permettent de vérifier que rien n’a été oublié, que chacun a bien compris l’objectif de l’intervention et ses difficultés éventuelles. Le ou les plans B sont aussi évoqués. Cette phase doit être considérée comme une phase de préparation mentale. Un des outils est d’utiliser le concept « Et si ». Et si l’implant n’est pas stable, qu’est-ce que je fais ? Et si le guide chirurgical n’est pas utilisable, qu’est-ce que je fais ?…

En fin d’intervention, le debriefing permet d’analyser ce qui s’est bien passé et ce qui peut être amélioré. Le praticien doit s’astreindre à faire des comptes rendus opératoires précis. Cela a une valeur médico-légale et permet aussi de renforcer l’expérience.

CONCLUSION

La pratique de la chirurgie implantaire demande de sérieuses connaissances techniques mais s’appuie aussi sur des connaissances dites non techniques. Toutes les industries à risque ont intégré le concept des facteurs humains et organisationnels. De nombreuses spécialités médicales ont emboîté le pas depuis quelques années. Les praticiens qui intègrent la chirurgie implantaire à leur pratique ne peuvent que trouver des bénéfices à s’appuyer sur les FHO. La qualité des soins, la réduction du stress et le confort des patients s’en trouvent grandement améliorés.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Renouard F, Charrier JG. À la recherche du maillon faible. Introduction aux Facteurs Humains. Châtillon : Ewenn Éditions, 2011.
  • 2. [www.for.org/sites/default/files/2018-11/Safety-Checklists-for-Dental-Professionls_Implant-Surgery.pdf] et/ou [box.osteology.org/practice/surgical-checklists]
  • 3. De Lassus R. L’ennégramme. Les 9 types de personnalités. Paris : Marabout, 2013.
  • 4. Tirtiaux G. Mieux réussir ensemble. Gestion du stress, travail en équipe et autres compétences non techniques : s’inspirer des bonnes pratiques d’un pilote de ligne. Paris : Edi Pro Guide Pratique, 2019.
  • 5. Jaffrelot M, Boet S, Di Cioccio A, Michinov E, Chiniara G. Simulation et gestion de crise. Réanimation 2013;22:569-576.
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  • 8. Helmreich RL. One error management: Lessons from aviation. 2000. Br Med J Clinical Research 2000;320:781-785. [org/10.1136.bmj.320.7237.781]
  • 9. Schmitt CM, Buchbender M, Musazada S, Bergauer B, Neukam FW. Evaluation of staff satisfaction after implementation of a surgical safety checklist in the ambulatory of an oral and maxillofacial surgery department and its impact on patient safety. J Oral Maxillofac Surg 2018:76:1616-1639. [10.1016/j.joms.2018.03.032. Epub 2018 Apr 6]
  • 10. Jemt T, Olsson M, Renouard F, Stenport V, Friberg B. Early implant failures related to individual surgeons: An analysis covering 11,074 operations performed during 28 years. Clin Implant Dent Relat Res 2016:18:861-872. [10.1111/cid.12379. Epub 2015 Sep 24]
  • 11. Renouard F, Raynal P. Le stress chez les professionnels de santé. Du cockpit au bloc opératoire. La lettre du Gynécologue 2019;423:32-36.
  • 12. Pons P. L’anticipation. Exemple du pilotage d’un réacteur nucléaire. Info Dent 2015;41/42:2-5.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.