Chirurgie
Implantaire
Hélène ARNAL* Méryl MACCOTTA**
*Spécialiste en Chirurgie orale
**Praticien attaché à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, Encadrement clinique du DU d’Implantologie, Université de Paris, Chargé d’enseignement ROG dans plusieurs DU d’Implantologie. Exercice limité à l’Implantologie et à la Chirurgie pré-implantaire, Paris.
***Spécialiste en Chirurgie orale, Ancienne interne des Hôpitaux de Paris, DES de Chirurgie orale.
****Praticien attachée, service d’Odontologie chirurgicale, hôpital Bicêtre. Exercice libéral, Paris.
La préservation alvéolaire est indiquée en présence d’une corticale vestibulaire inférieure à 2 mm, avec une largeur de crête d’au moins 8 à 9 mm et plutôt dans les secteurs postérieurs. Une fois l’avulsion dentaire réalisée de manière atraumatique, l’alvéole est comblée par un biomatériau et, le plus souvent, scellée à l’aide d’une membrane, résorbable ou non. Le fait de combler l’alvéole retarde la néoformation osseuse. L’implant sera posé au minimum 6 mois plus tard. L’information et le consentement du patient sont donc un prérequis indispensable.
Lors des 6 à 12 mois suivant une avulsion dentaire, une série de remaniements tissulaires affecte l’alvéole d’extraction, incluant remodelage osseux et perte dimensionnelle et pouvant compromettre le placement d’un implant [1, 2]. La gestion de l’alvéole d’extraction est donc un véritable défi et doit être considérée comme la première étape de la réhabilitation implantaire. La technique de préservation alvéolaire est envisagée dans les cas où, malgré un certain degré de résorption osseuse inévitable, elle peut permettre d’éviter ou de limiter le recours à des augmentations osseuses secondaires.
Après une avulsion dentaire, la cicatrisation alvéolaire se fait depuis le fond de l’alvéole vers la portion coronaire. Elle occupe les 2/3 de l’alvéole au bout d’une quarantaine de jours. La fermeture épithéliale est effectuée 4 à 5 semaines après l’extraction. Au bout de 15 semaines, l’alvéole est comblée par du tissu osseux en plein remaniement [3].
La résorption osseuse post-extractionnelle est significativement plus importante dans le sens horizontal (en moyenne 3,8 mm, soit 30 à 60 % [1, 2, 4]) que dans le sens vertical (de 0,64 à 1,67 mm, soit 11 à 22 % [2, 4]). Elle se fait principalement dans le tiers coronaire et surtout aux dépens de la paroi vestibulaire.
Le remodelage osseux dans un site encastré est principalement localisé dans la zone centrale du mur osseux vestibulaire tandis que les murs proximaux sont assez bien maintenus par le ligament parodontal des dents adjacentes.
L’ampleur du remodelage dépend aussi de l’épaisseur de la paroi osseuse vestibulaire. Sur les phénotypes minces (< 1 mm d’épaisseur), on observe une perte verticale importante de la paroi vestibulaire, alors que les phénotypes épais (> 1 mm) montrent un taux de résorption plus limité [5].
Les procédures de préservation alvéolaire ont démontré leur efficacité pour limiter la résorption post-extractionnelle [1, 4, 6, 7].
Il s’agit, une fois l’avulsion dentaire réalisée, de combler l’alvéole par un biomatériau et/ou de la sceller, en permettant une cicatrisation de première ou deuxième intention [1]. La préservation alvéolaire est indiquée lorsqu’il n’est pas possible de placer un implant immédiatement mais qu’il est possible de préserver suffisamment de volume osseux pour une implantation différée. Dans les autres cas, le choix se porte sur une régénération osseuse guidée.
Il semble que les alvéoles altérées (perte de plus de 50 % de la paroi vestibulaire) ont un potentiel ostéogénique souvent trop faible pour permettre l’ossification d’un comblement réalisé par un biomatériau seul. On pourra dans de tels cas considérer un comblement mixte, associant un biomatériau et de l’os autogène, au moins au niveau de la paroi vestibulaire [8]. Si la paroi vestibulaire est intacte sur au moins 50 % de sa surface, l’utilisation d’un biomatériau seul est possible [9].
Selon Qahash et al., le contour osseux vestibulaire peut être conservé naturellement après cicatrisation à condition que l’épaisseur de la paroi osseuse soit supérieure à 2 mm [10]. La préservation alvéolaire n’est donc indiquée que lorsque la paroi vestibulaire est inférieure à 1,5-2 mm [1, 5, 11].
Afin de définir la meilleure stratégie thérapeutique, il est donc intéressant de réaliser un cone beam avant l’avulsion dentaire. Il permet d’appréhender la largeur de crête initiale ainsi que l’intégrité et l’épaisseur des murs osseux.
Une ordonnance pré et post-opératoire est remise au patient, comprenant une antibiothérapie (amoxicilline 2 g/jour), des antalgiques de palier 1 et des soins locaux à la chlorhexidine. Le plateau technique comprend l’instrumentation nécessaire à une avulsion dentaire, avec éventuellement des instruments de type périotome (manuel ou insert de piézochirurgie) ou Meisinger Benex®. L’intervention doit être atraumatique pour préserver au maximum l’apport vasculaire.
Après anesthésie locale, une incision intra-sulculaire vestibulaire et linguale est réalisée le long de la dent à extraire, si possible sans lever de lambeau pour limiter la résorption de la paroi vestibulaire. La dent est ensuite extraite avec séparation des racines et, si besoin, séparation de la racine dans le sens vestibulo-lingual de manière à limiter les forces transmises à la corticale vestibulaire. L’alvéole est révisée : élimination du tissu de granulation, irrigation au sérum physiologique, contrôle visuel et tactile de l’intégrité des parois osseuses. Puis l’alvéole est comblée.
Aucun matériau de comblement n’a prouvé scientifiquement une supériorité quant à ses performances cliniques [12]. On peut utiliser, seul ou en combinaison, de l’os autogène, allogène ou xénogénique [13]. Le plus utilisé dans la littérature est l’os bovin déprotéinisé (Geistlich Bio-Oss® ou Geistlich Bio-Oss® Collagen) [6, 9, 14, 15] (figures 1a, 2a, 3a, 3b, 3c).
L’alvéole est scellée pour stabiliser le caillot sanguin et protéger le comblement de la contamination bactérienne [1, 9]. La plupart des auteurs mettent en place une membrane collagénique ou en d-PTFE [13, 14], ce qui a comme avantage d’isoler l’alvéole comblée de la prolifération des fibroblastes et des cellules épithéliales [4]. L’équipe de Bousquet a observé une plus faible résorption au niveau des parois lorsqu’une membrane était utilisée pour fermer le site [16]. Cette équipe a également montré qu’un défaut de type fistule devait être traité en interposant une membrane entre la paroi osseuse et les tissus mous, afin d’éviter l’invagination des tissus mous à l’intérieur de l’alvéole [17]. Il est donc possible de fermer l’alvéole seulement avec la membrane et d’obtenir ensuite une cicatrisation muqueuse par deuxième intention en réalisant simplement des sutures en treillis par-dessus la membrane (figures 1a, 2a, 3c). Si une membrane en collagène a été mise en place, la zone centrale (crestale) de la membrane restera exposée au milieu buccal. Une membrane en collagène natif ainsi exposée se résorbe en quelques jours. Les membranes réticulées gardent leur intégrité plus longtemps dans le milieu buccal, surtout si on double ou quadruple le nombre de couches. Un caillot de fibrine prend le relais et scelle l’étanchéité de l’alvéole (figures 1b, 2b).
Toutefois, de nombreux auteurs considèrent que la fermeture primaire muqueuse du site est un facteur du succès, sans que la littérature ne permette de comparaison significative entre les différentes techniques [1, 12, 14]. Plusieurs sont décrites : lambeau déplacé coronairement (mais qui implique un déplacement de la ligne muco-gingivale), socket seal technique [9] (punch épithélio-conjonctif), greffe de tissu conjonctif, éponge de collagène, matrice de substitution de tissus mous (Geistlich Mucograft®).
Les analyses histologiques menées sur des prélèvements osseux 6 mois après préservation alvéolaire montrent un pourcentage d’os néoformé de 16,02 ± 7,06 % [15] à 32,4 % [16]. Dans l’étude de Maiorana, et al. [18], les particules résiduelles de biomatériau (os bovin déprotéinisé) occupaient 31,97 ± 3,52 % de l’aire étudiée. La proportion d’os minéralisé était de 47,97 ± 6,77 %, tandis que le taux de tissu conjonctif et de moëlle osseuse était de 50,67 ± 8,42 % [15]. Nous retrouvons des résultats similaires dans les analyses histologiques que nous avons conduites (figure 4).
La technique de préservation alvéolaire peut réduire la résorption osseuse de 1,5 à 2,4 mm dans le sens horizontal et de 0,8 à 2,5 mm dans le sens vertical par rapport à une avulsion dentaire simple [1] (figures 1f, 1g, 2i, 2j, 3k, 3l).
Le fait de combler l’alvéole retarde la néoformation osseuse [5]. Le délai de cicatrisation nécessaire est compris entre 4 à 9 mois [1] et peut dépendre de la taille de l’alvéole. D’une façon générale, une densité osseuse cliniquement acceptable est rarement obtenue avant 6 mois (figures 1c, 1d, 1e, 2c, 2d, 2e, 2f, 2g, 2h, 2i, 2j, 2k, 2l, 2m, 3f, 3g, 3h, 3i, 3j, 3m, 3n).
Les indications de la préservation alvéolaire sont :
– site inter de bridge ;
– patient en cours de croissance, pour qui l’implantation va être différée ;
– site d’extraction lorsque les conditions suivantes sont réunies : hauteur du site suffisante pour la pose d’un implant, largeur de crête initiale d’au moins 8 à 9 mm et épaisseur de la paroi vestibulaire inférieure à 2 mm.
En effet, selon les règles du positionnement tridimensionnel d’un implant, 2 mm d’épaisseur osseuse sont nécessaires en vestibulaire de l’implant et 1 mm en lingual [20]. En prévoyant un implant de diamètre standard (4 mm) et en anticipant une probable perte horizontale de 1 à 2 mm lors de la cicatrisation de la préservation alvéolaire, on obtient une épaisseur minimale de la crête nécessaire de 9 mm (1 + 4 + 2 + 2) [21-23].
Si les conditions ne sont pas réunies, une reconstruction par régénération osseuse guidée est programmée, avec pose de l’implant simultanée ou différée.
Il n’y a pas de contre-indication spécifique à la préservation de crête [12]. Néanmoins, nous écartons de la procédure de préservation alvéolaire les sites présentant un foyer infectieux symptomatique et/ou avec suppuration du fait du risque de contamination bactérienne du comblement.
La principale limite de la préservation alvéolaire est qu’elle diffère l’implantation de 6 mois.
De plus, lors de la réouverture, on observe parfois cliniquement une ossification incomplète au niveau du tiers coronaire. Il peut s’agir soit d’une fibro-intégration du comblement, soit d’un os encore immature. La prudence consiste à cureter cette partie jusqu’à retrouver une zone ayant la densité clinique de l’os. Nous pouvons émettre plusieurs hypothèses pour expliquer cela :
– le potentiel ostéogénique du site extractionnel peut être en cause : site peu vascularisé, absence ou grande finesse de la paroi vestibulaire sur laquelle il n’y a pas eu d’adjonction d’os autogène lors de la préservation alvéolaire [8] ;
– utilisation d’une technique inadéquate : biomatériau non adapté, absence de fermeture de l’alvéole.
Les techniques de préservation alvéolaire réduisent significativement les indications d’augmentation osseuse secondaire [1, 17, 24]. Lorsque cette option est retenue, elle doit être intégrée au plan de traitement implantaire et expliquée au patient avec son délai de cicatrisation (6 mois), portant la durée totale du plan de traitement implantaire à 9 mois. La technique étant fiable et facile à mettre en place, elle est recommandée dans le respect de ses indications.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.