Pluridisciplinaire
Philippe BIDAULT* Bertrand KHAYAT** Philippe KHAYAT***
*Master en sciences, Certificat en parodontologie, Université Laval, Québec. Exercice libéral limité à la Parodontie et à l’Implantologie, Paris.
**Master en sciences, Certificat en endodontie, Université de Washington, Seattle. Exercice libéral limité à l’Endodontie, Paris.
***Master en sciences, Certificat en prothèse, Université de Washington, Seattle. Exercice libéral limité à l’Implantologie, Paris.
Lorsqu’une dent présente une perte osseuse sévère ou une importante lésion d’origine endodontique, l’indication d’extraction est posée et, si nécessaire, un implant est envisagé. Bien que l’extraction paraisse inéluctable, il existe des situations cliniques où le traitement conservateur bien conduit permet pourtant d’obtenir des résultats fiables et parfois spectaculaires. Le succès du traitement parodontal ou endodontique permet alors d’éviter ou de différer durablement un traitement implantaire dont la complexité est en rapport avec l’importance des lésions. Il est également rappelé que, dans un contexte où la prévalence de la péri-implantite est élevée, il ne faut pas avoir une vision trop idéalisée de ce traitement implantaire.
Extraire une dent car elle présente une perte osseuse sévère ou une lésion d’origine endodontique, c’est considérer que cette dent a peu de chance d’être maintenue et/ou que le traitement conservateur est trop complexe. On parle alors d’une dent avec un mauvais pronostic. Dans ces conditions, l’extraction peut apparaître comme la solution la plus indiquée, celle qui s’impose d’elle-même. La suite logique est le remplacement par une prothèse sur implant en considérant que la balance coût/bénéfice/risque est favorable à une solution implantaire.
Pourtant, il est possible de conserver durablement des dents avec des lésions parodontales ou endodontiques sévères. Il peut même être souhaitable de le faire car, dans ces situations de destruction avancée, le traitement implantaire va être compliqué. En pensant résoudre une situation simple, « évidente », on se retrouve finalement dans une situation très complexe.
En s’appuyant sur une série de cas cliniques, un endodontiste, un parodontiste et un implantologiste expliquent leur attitude face à des situations qui semblent être des cas « idéaux » d’extraction-implantation.
Mme G., âgée de 55 ans, en bonne santé générale, caucasienne et non fumeuse, s’est présentée à la consultation car elle souhaitait un deuxième diagnostic et avis. Un premier praticien lui avait dit qu’elle allait perdre ses prémolaires et molaires maxillaires et qu’elle pouvait les remplacer par des couronnes sur implants. La patiente présentait une parodontite généralisée sévère (stade 4, grade C) non traitée. Secteurs 1 et 2, la perte osseuse était très sévère (plus de 70 % de la hauteur radiculaire) (figures 1 et 2).
Au moment de la consultation, le pronostic parodontal des prémolaires et molaires maxillaires était mauvais. Il était donc pertinent que le praticien précédent aborde la question de la conservation des dents cuspidées maxillaires. Mais, les dents n’étaient pas mobiles, la patiente n’avait aucune gêne esthétique ou fonctionnelle, elle avait le souhait de garder ses dents et elle semblait motivée. Elle ne présentait pas de facteurs de risque (comme le tabac ou une pathologie comme un diabète non équilibré ou une pathologie inflammatoire chronique). Donc, il a été décidé de conserver toutes les dents en réalisant un traitement initial non chirurgical puis de réévaluer la situation avant de prendre la décision de conserver ou extraire. Trois mois après l’assainissement initial, nous avons décidé de revoir la patiente en maintenance tous les 3 mois et de réévaluer ainsi régulièrement la situation. Après 8 ans de suivi, toutes les dents secteur 1 et 2 sont encore en bouche. La perte osseuse n’a pas progressé (figures 3 et 4). La patiente a eu dès le début de la prise en charge un bon contrôle de plaque et elle a réussi à le maintenir sur toute la période de suivi (figure 5). Il n’y a pas de saignement au sondage lors des séances de maintenance et pas de sondage supérieur à 5 mm. La patiente suit la fréquence recommandée pour les contrôles (3 mois au début puis 4 mois après 3 ans). Seule la 36 a été perdue suite à une fracture 2 ans après la consultation.
Dans la mesure où l’atteinte parodontale était généralisée (figure 6), une prise en charge initiale était indiquée. On pouvait donc attendre de voir les résultats de cet assainissement pour décider si on conservait les dents maxillaires ou non. À la première consultation, il est difficile d’établir le pronostic parodontal d’une dent et il n’existe pas de modèle « fiable » pour déterminer au départ si une dent est conservable et combien de temps on pourra la conserver. De fait, il y a beaucoup d’éléments qui ne sont pas connus. Par exemple, il n’est pas possible de savoir quelle sera la motivation du patient dans le temps, la qualité du contrôle de plaque ou la réponse biologique. Donc, sauf pour les dents avec une mobilité terminale, une fracture radiculaire ou un délabrement trop important, il est souhaitable, en cas de doute sur le pronostic ou la valeur stratégique d’une dent compromise au niveau parodontal, de ne pas poser d’emblée l’indication d’extraction. La décision peut être réévaluée après assainissement initial et établissement d’un plan de traitement.
• Le pronostic parodontal initial a une faible valeur prédictive et donc un intérêt très limité pour le clinicien [1, 2]. Chez des patients avec une parodontite généralisée suivis en maintenance pendant 10 ans, il a été montré qu’il était possible de conserver 89 % des dents avec un mauvais pronostic initial (dent avec une perte osseuse atteignant 50 à 75 % de la hauteur radiculaire, ou défaut angulaire ou atteinte de furcation) et 71 % des dents dites sans espoir (dent avec une perte osseuse supérieure à 75 % ou une combinaison de deux des facteurs précédents). Les résultats sont très significativement supérieurs chez les patients ayant eu un traitement initial d’assainissement et de la maintenance par rapport aux patients qui ont eu un traitement initial sans maintenance [2]. Une dent avec une perte osseuse sévère, une poche parodontale profonde ou une atteinte de furcation a un moins bon pronostic parodontal qu’une dent sans perte d’attache. Mais chacun de ces paramètres n’est pas un élément suffisant pour décider de l’extraction d’une dent.
• Il est possible de stabiliser à long terme une parodontite sévère généralisée [3]. Sur une période de 30 ans, 80 % des patients en maintenance (1 à 4 fois par an en fonction de la sévérité de la maladie parodontale et du risque parodontal) ont conservé toutes leurs dents.
• La perte osseuse ne progresse pas ou très peu (0,1 mm par an) autour des dents chez des patients suivis régulièrement en maintenance [4]. En décidant de conserver une dent avec un support parodontal déjà très réduit, on ne prend pas le risque de perdre plus d’os et de ne plus pouvoir poser un implant. L’option de la conservation ne va donc pas compliquer la pose éventuelle d’un implant à terme. Ce dernier point est important car il va à l’encontre de l’idée qu’il faudrait extraire rapidement pour préserver de l’os. Rares sont les situations où on peut réellement justifier ce concept « d’extraction préventive ».
M. R., âgé de 39 ans, est adressé par son dentiste qu’il a consulté car il saignait beaucoup et régulièrement au brossage. Son praticien lui a annoncé qu’il allait perdre plusieurs dents (figures 7 et 8) et que, pour avoir des prothèses fixes sur implants, des greffes osseuses étaient indiquées. Le patient était très stressé au travail. Il avait été opéré du genou l’année précédente et la récupération avait été plus longue qu’annoncée par son chirurgien. Il était donc réservé pour se lancer dans de gros traitements dentaires. Il était fumeur (15 cigarettes par jour depuis 20 ans).
Même traitement que dans le cas précédent de Mme G. Toutes les dents ont été conservées au départ. Après 5 ans de suivi strict tous les 3 mois, les dents 24/25/26 sont devenues mobiles et gênantes. Les dents 24 à 28 ont donc été extraites et un traitement implantaire, avec greffe osseuse pré-implantaire, a été réalisé. Après 10 ans, une carie avec cavitation a été diagnostiquée sur la 18. Cette dent a été extraite. Après 13 ans de suivi, pas d’autre carie, pas d’autre dent perdue. Le patient a encore ses dents secteur 1 alors que le pronostic initial était très réservé, voire nul (figure 8).
Le fait que le patient soit fumeur et le contexte psychologique sont des éléments qui nous ont amené à être très prudents avant d’éventuellement extraire des dents, faire des greffes osseuses et poser des implants.
Conserver a permis d’établir une relation de confiance avec le patient. Quand on a dû extraire les dents du secteur 2, c’est le patient qui était demandeur. Il n’a pas subi ces extractions. Il avait eu le temps de comprendre ce qu’était la maladie parodontale, son évolution et son suivi. Il était prêt psychologiquement et financièrement.
Le traitement implantaire a aussi été réalisé dans de meilleures conditions biologiques puisque la parodontite était prise en charge et stabilisée (figures 9 et 10). Le patient avait arrêté de fumer depuis plusieurs années. Nous savions qu’il était motivé et qu’il respectait le suivi recommandé. Donc, dans l’équation multifactorielle qui détermine la conduite d’un traitement implantaire complexe, il y avait moins d’inconnues qu’au début.
Ce cas s’inscrit dans la même perspective que le cas précédent en soulignant le fait qu’on peut conserver pour extraire plus tard et dans de meilleures conditions.
• Ici, il n’y a pas de perte de chance pour le patient en choisissant de garder ses dents. C’est conserver pour mieux extraire au lieu de conserver ou extraire.
• La maintenance parodontale n’est pas que parodontale. Elle permet aussi de prévenir, de dépister ou de surveiller d’autres pathologies (lésions muqueuses, caries, lésions endodontiques etc.).
• L’extraction des dents atteintes parodontalement ne soigne pas la parodontite et ne supprime pas le risque parodontal. Le risque de complications biologiques péri-implantaires est plus élevé chez un patient avec une parodontite même stabilisée. La maintenance est indiquée pour les dents restantes et les implants. La pose d’implant ne permet donc pas de s’affranchir de cette étape essentielle. Dans le cas de crête résorbée ou en fonction du nombre et de la position des implants et de la morphologie des prothèses sur implants, la maintenance implantaire peut même être plus complexe que la maintenance parodontale. Pour un patient comme M. R., avec une parodontite sévère chez qui des implants ont été posés, une maintenance est indiquée tous les 3 à 4 mois.
Mme Y., âgée de 35 ans, consulte un orthodontiste car elle a observé le déplacement de ses incisives maxillaires. Ce praticien oriente la patiente en parodontologie et il lui explique que la migration des dents est secondaire à une parodontite. L’atteinte est généralisée mais la 12 a une atteinte plus sévère avec la présence d’un sondage profond en mésial (10 mm), d’une perte d’attache sévère en mésial et d’un défaut osseux angulaire mésial large et profond (figure 11). La 12 s’est beaucoup déplacée et son pronostic parodontal est très réservé. La dent n’est pas mobile et n’a pas d’atteinte pulpaire.
La patiente a eu un traitement parodontal non chirurgical et un suivi tous les 3 mois.
Une fois la parodontite stabilisée avec un programme de maintenance bien respecté, la patiente a été prise en charge en orthodontie (figure 12). Huit ans après la consultation, la 12, dont le pronostic était très défavorable au début, est toujours en place. Le sondage est de 3 mm en mésial, il n’y a pas de saignement au sondage et il y a un comblement, au moins partiel, du défaut osseux (figure 13). La texture, la couleur et le volume de la gencive sont ceux d’une gencive saine. La patiente a conservé ses dents et elle est satisfaite car on a répondu à sa demande initiale en corrigeant la migration des dents (figure 14).
Compte tenu du pronostic réservé de la 12, il aurait pu sembler plus indiqué d’extraire cette dent. On aurait pu argumenter, à juste titre, que cette lésion sévère et les migrations dentaires chez cette jeune patiente sans pathologie générale et non fumeuse étaient les signes d’une maladie très agressive. On aurait aussi pu considérer que la résolution du défaut angulaire terminal nécessiterait un traitement parodontal complexe avec probablement des techniques de régénération délicates et onéreuses.
Mais, en extrayant la dent, on n’aurait pas traité la parodontite. On n’aurait pas non plus simplifié le traitement car on aurait dû gérer « temporairement » l’édentement pendant toute la phase d’assainissement, de maintenance et de traitement orthodontique. Enfin, le défaut osseux autour de cette 12 aurait pu être une difficulté si on avait voulu remplacer la dent par une couronne sur implant. De fait, extraire la dent ne nous aurait pas permis d’avoir plus d’os pour la pose d’un implant.
En privilégiant une approche graduelle et conservatrice, il a été possible d’affiner notre diagnostic et notre proposition thérapeutique. Comme dans les cas précédents, la bonne réponse tissulaire, après traitement initial, nous a conduit à décider de conserver la dent.
• Le patient peut avoir une forte susceptibilité à la maladie parodontale mais, dans le même temps, avoir une très bonne réponse au traitement. La sévérité de l’atteinte ne préjuge pas de la qualité de la réponse au traitement. De plus, il est difficile d’évaluer, lors des premiers rendez-vous, quel sera le niveau de cette réponse biologique. Donc, prenons le temps avant de décider d’extraire des dents avec de grosses lésions.
• Les techniques (approche globale progressive au lieu d’une approche sectorielle) et les instruments actuels (micro-inserts ultrasonores) pour instrumenter la racine en sous-gingival permettent d’obtenir de très bonnes réponses tissulaires (réduction du sondage et de l’inflammation) même pour des sondages profonds et des lésions osseuses angulaires. Le recours à la chirurgie n’est pas systématique.
• L’orthodontie est un traitement complémentaire souvent essentiel dans la prise en charge des patients avec une parodontite sévère. Il est indiqué de réaliser après le traitement initial (et/ou chirurgical) au moins 2 maintenances à 3 mois d’intervalle avant de considérer un traitement orthodontique. Le suivi parodontal doit se faire tous les 2 à 3 mois dans les cas de parodontite sévère.
Le patient se présente à la consultation, adressé par son praticien, pour avis sur 37, pilier postérieur d’un bridge 35-36-37 (figure 15). L’analyse radiographique met en évidence une très importante perte osseuse tout autour de la dent avec un sondage parodontal profond en mésiovestibulaire. Le test au froid effectué sur la partie métallique de la couronne est négatif. Le diagnostic de nécrose pulpaire avec lésion d’origine endodontique est donc posé. Cependant, l’importante perte osseuse et le sondage parodontal suggèrent la présence d’une fêlure ou d’une atteinte parodontale sévère. Le pronostic étant jugé défavorable, la solution proposée est la section du bridge en distal de 35 et la pose de 2 implants en 36 et 37.
C’est à la demande du patient qui souhaite savoir s’il est possible de conserver sa dent que 37 est réévaluée. Indépendamment des signes radiographiques et du sondage parodontal, le patient ne se plaint pas de sensibilité à la pression et a seulement le souvenir d’un épisode aigu géré par une prise d’antibiotiques. Par ailleurs, la dent ne présente qu’une faible mobilité et l’examen attentif sous microscope du pourtour cervical de la dent ne permet pas d’objectiver une fêlure. Après discussion avec le patient et lui ayant donné l’information que la fêlure ne pouvait être écartée, il est envisagé avec son accord de tenter le traitement endodontique de cette dent et de la réévaluer. Le traitement endodontique est effectué après section de la partie postérieure du bridge (figure 16). La radiographie de contrôle à 3 ans montre une restauration totale de l’os tout autour de la dent sans qu’aucun autre traitement n’ait été effectué (figure 17).
• Le potentiel de réparation suite à un traitement endodontique est très important et doit être exploité au maximum [5, 6]. Une volumineuse lésion osseuse n’implique pas forcément la perte de la dent. Si l’étiologie endodontique est clairement posée (test de vitalité négatif) et qu’elle est l’unique cause de la destruction osseuse, le potentiel de guérison est très élevé suite à un traitement endodontique bien conduit. À l’inverse d’un traitement parodontal, il n’est pas dépendant du sérieux et de la motivation du patient. Dans ce cas clinique, aucun traitement parodontal n’a été adjoint et le parodonte a été restauré ad integrum.
• Un sondage parodontal même profond et ponctuel ne signifie pas systématiquement la présence d’une fêlure. Il peut s’agir d’une fistule empruntant le chemin du ligament parodontal et on peut s’attendre à une bonne réponse tissulaire suite au traitement endodontique. C’est ce qui s’est produit dans ce cas clinique. Il peut aussi s’agir, dans le cas d’une dent vivante, d’une coulée d’émail qui provoque une perte d’attache et qui doit être gérée au niveau parodontal. L’élimination de la coulée d’émail avec des inserts à ultrasons spécifiques en sous-gingival donne des résultats très intéressants sans traitement endodontique.
• Le critère de la mobilité est déterminant. En effet, dans une situation similaire mais avec une forte mobilité, le pronostic est beaucoup plus réservé pour ne pas dire mauvais. Dans ce cas, il est difficile de proposer de manière fiable ce type de traitement au patient.
• Le souhait du patient est un facteur important à prendre en compte. Dans cette situation, c’est lui qui, par son insistance, a permis la conservation de sa dent. Le désir de conserver leurs dents est généralement prédominant chez les patients. Il existe néanmoins des situations où la tentative de conservation s’est soldée par un échec et où le patient est demandeur d’un traitement plus durable. Si, de surcroît, une expérience implantaire précédente a été un succès, le patient n’aura pas d’hésitation à aller vers l’implant. Il est donc essentiel de prendre le temps d’expliquer au patient les différentes options pour qu’il fasse un choix éclairé.
Le patient se présente à la consultation pour l’évaluation de sa 11. Un courrier de son praticien indique qu’il a réalisé plusieurs séances d’hydroxyde de calcium mais ne parvient pas à assécher le canal. La radiographie montre une dent avec un canal large et non obturé ainsi qu’une volumineuse lésion d’origine endodontique (figure 18). Il n’y a pas de symptôme, pas de douleur, pas de mobilité et pas de sondage parodontal.
La logique voudrait qu’on reprenne le traitement endodontique par la voie conventionnelle en espérant pouvoir assécher le canal et l’obturer. Cependant, le praticien m’explique que l’hydroxyde de calcium est éliminé très rapidement et de façon anormale après chaque application bien qu’il réalise à chaque fois une bonne étanchéité coronaire.
Pour mieux comprendre cette situation inhabituelle, on décide d’intervenir par microchirurgie endodontique. À l’ouverture du lambeau, on note une importante fêlure verticale s’étendant de l’apex jusqu’à la jonction du tiers moyen et du tiers coronaire (figure 19). Cela explique clairement pourquoi l’hydroxyde de calcium ne restait pas dans le canal. À ce stade, il semble que l’avenir de cette dent soit compromis. Cependant, il reste un tiers de racine intacte et il est décidé, après résection jusqu’à la partie saine, d’effectuer le nettoyage, la désinfection et l’obturation du canal par voie apicale (figures 20 et 21). Cela devrait permettre la réparation de l’os dans la partie apicale et faciliter la pose d’un éventuel futur implant. La radiographie de contrôle à 3 ans montre une disparition totale de la lésion avec le rétablissement d’un ligament et d’une lamina dura à l’apex de la dent (figure 22). Celle-ci ne présente aucune mobilité, aucun symptôme et la pose d’un implant n’est plus du tout à l’ordre du jour.
• Ne pas croire que nous allons avoir de meilleurs résultats si on utilise de nouveau des techniques qui ont échoué. Essayer avant tout de comprendre pourquoi elles n’ont pas fonctionné. Dans ce cas, repasser par des phases d’hydroxyde de calcium aurait été une perte de temps, n’aurait engendré que du découragement pour le patient et le praticien et aurait probablement conduit à l’extraction de la dent.
• L’apport de la chirurgie endodontique est indéniable. Avec un taux de succès proche de 95 %, cette technique est encore trop peu souvent intégrée au plan de traitement [7-9]. C’est pourtant une solution élégante, rapide, peu onéreuse et très conservatrice.
• La mobilité de la dent après résection, comme dans le premier cas, reste le critère déterminant.
Le patient se présente à la consultation pour évaluer la possibilité de conserver sa 22. On lui a dit qu’elle devait être extraite et remplacée par un implant. La radiographie semble montrer une perforation suite à une fausse route (figure 23). Elle ne présente pas de mobilité mais il existe une simple douleur à la palpation. La dent semble conservable s’il est possible de retrouver le canal originel et de réparer la perforation. Pour mieux cerner la position et l’étendue de la perforation, un examen cone beam est réalisé. Celui-ci met en évidence une perforation très cervicale avec un dépassement de matériau très important qu’il n’était pas possible d’imaginer sur la radiographie rétroalvéolaire (figure 24). À la lumière de l’examen 3D, le pronostic de la dent est réévalué et, bien que l’option extraction puis implant soit de nouveau envisagée, il est proposé au patient de réaliser une chirurgie endodontique qui permettra en un seul temps d’éliminer le matériau extrudé, de réparer la perforation, de préparer et d’obturer l’intégralité du canal par la voie apicale.
À l’ouverture du lambeau, on constate la présence d’un Thermafil perforant non seulement la racine mais aussi la corticale osseuse vestibulaire (figure 25). À l’aide d’inserts à ultrasons spécifiques de différentes longueurs (Acteon Endo Success Apical Surgery), il est possible de réparer la perforation et de préparer le canal dans son grand axe sur toute sa longueur comme lors d’un traitement conventionnel par voie orthograde. À l’aide de fouloirs de différentes longueurs (Hu-Friedy) il est possible d’obturer la totalité du canal. La radiographie post-opératoire montre l’intégralité du canal et la perforation obturés (figure 26). La radiographie de contrôle à 1 an montre une complète réparation de l’os, une parfaite stabilité et une absence totale de symptômes (figure 27).
• L’utilisation de l’examen 3D s’est avérée indispensable pour poser le bon diagnostic et prendre la bonne décision thérapeutique. On a généralement plus souvent recours à cet examen pour évaluer les secteurs postérieurs où l’anatomie est plus complexe. En pratique, on s’aperçoit qu’il devient difficile de poser un diagnostic fiable sans l’aide du cone beam et que son usage est indispensable dans tous les cas avant une chirurgie endodontique.
• La microchirurgie endodontique moderne permet de solutionner des problèmes que l’endodontie conventionnelle ne peut résoudre. La possibilité d’un véritable traitement endodontique par voie apicale offre de nouvelles alternatives thérapeutiques qui sont trop souvent négligées dans les plans de traitement.
Cette jeune patiente de 21 ans se présente à la consultation pour l’évaluation de sa 11. La radiographie montre une importante lésion d’origine endodontique, une dent immature et un traitement endodontique défectueux (figure 28).
Le retraitement endodontique conventionnel pourrait être envisagé mais l’obturation étanche d’un canal court et large est difficile à obtenir. La chirurgie endodontique est donc préférée pour mieux contrôler l’étanchéité apicale. La radiographie post-opératoire montre une obturation de la totalité du canal par voie apicale (figure 29).
La radiographie de contrôle à 1 an montre une guérison complète (figure 30).
Cinq ans plus tard, suite à l’apparition de sensibilité dans ce secteur, la patiente est revue. Une légère dégradation de l’os péri-apical est visible sur la radiographie et on note la présence d’un petit sondage parodontal peu profond suggérant la présence d’une fêlure (figure 31).
Un an plus tard, la radiographie montre clairement la présence d’une fracture visible au travers du matériau d’obturation (figure 32). La dent est donc condamnée et le traitement implantaire est maintenant envisagé (figure 33). Compte tenu de la disparition de la corticale osseuse et de la récidive de la lésion osseuse apicale, la situation n’est pas simple (figure 34). De plus, la patiente a un sourire gingival (figure 35).
L’approche classique comporte normalement 3 étapes bien distinctes : extraction, reconstruction osseuse et, après plusieurs mois de cicatrisation, pose de l’implant. Le nombre des interventions et le fait de lever un lambeau lors de la chirurgie de reconstruction osseuse nous inquiètent. En effet, une rétraction des papilles ou de la ligne de collet pourrait avoir des conséquences esthétiques désastreuses. Il est décidé de recourir à la technique de la triple greffe (greffon tubérositaire associant tissu conjonctif, os cortical et spongieux) en une seule étape et sans lambeau décrite par da Rosa en 2014 [10] (figures 36 à 40).
Un an plus tard, même si le feston cervical s’est un peu accentué, le résultat esthétique est très satisfaisant (figures 41 et 42) et la réparation osseuse impressionnante (figure 43).
• Le traitement conservateur initial n’a pas été un échec.
• À un âge où la croissance alvéolaire perdure et où une implantation précoce s’accompagne dans le temps d’un décalage des bords incisifs, il a permis de gagner 6 années importantes.
Le traitement implantaire ne doit pas être vu comme une panacée et n’est pas indemne de complications. Alors même que le taux de survie est important, une revue systématique à 5 ans révèle que près de 40 % des patients ont rencontré au moins une complication [11]. On note également que les complications les plus fréquentes sont d’origine biologique [12]. Lorsqu’elles associent une inflammation des tissus péri-implantaires, une poche supérieure ou égale à 6 mm et une perte osseuse supérieure ou égale à 3 mm, on parle de péri-implantite [13] et, dans ce cas, le traitement n’est ni simple ni totalement fiable.
Plusieurs revues de littérature nous indiquent que, pour des populations présentant des périodes d’observation de 5 à 10 ans, le pourcentage de patients affectés par une péri-implantite varie entre 18 et 22 % [14-20]. Un patient sur cinq !
Une étude récente s’est intéressée à un groupe de patients implantés mais non inclus dans un programme de maintenance [21]. Cette situation, bien que critiquable, évoque celle de beaucoup de nos cabinets. Dans ce contexte, c’est au bout de 4 à 5 ans seulement que 1 patient sur 5 présentait une péri-implantite. Ces chiffres inquiétants nous conduisent à nous interroger sur la fiabilité et la pérennité du traitement implantaire.
Pourtant, quelques études à long terme portant sur des implants de première génération à surface non modifiée indiquent des valeurs beaucoup plus optimistes [22-26]. Certes, on observe des pertes osseuses au-delà de 3 mm pour 5 à 15 % des implants. Mais les situations associant perte osseuse, saignement et/ou suppuration restent rares. Dans une étude où la période d’observation est de 20 à 24 ans, seuls 2,4 % des implants présentent cette association alors que 11 % ont une perte osseuse supérieure à 3 mm [24].
Sur la base d’une longue expérience clinique, certains auteurs ont attribué ces changements en termes de pronostic et de fiabilité du traitement implantaire au remplacement des surfaces usinées, au début des années 2000, par des surfaces modifiées plus rugueuses [27, 28]. Ces dernières ont permis de raccourcir les temps de traitement et d’améliorer sensiblement les taux d’ostéo-intégration, notamment dans l’os peu dense [29, 30] et dans les greffes sinusiennes [31-33]. Mais, plus récemment, plusieurs auteurs ont observé une augmentation des péri-implantites avec ce type de surface [34-37]. Une revue de littérature intégrant le niveau de rugosité de la surface et le taux de péri-implantites montre clairement le lien entre ces deux variables [38].
En cas de péri-implantite, le type de surface implantaire semble jouer un rôle important. Une étude chez le chien compare surfaces lisses et surfaces modérément rugueuses (surface SLA) dans le cadre d’une péri-implantite expérimentale. Après le retrait des ligatures permettant l’accumulation de plaque suivi d’une phase d’évolution spontanée, la péri-implantite continue de progresser autour des surfaces modérément rugueuses alors qu’une réparation osseuse apparaît spontanément autour des surfaces usinées [39].
Lorsqu’on observe une lésion parodontale ou d’origine endodontique sévère et que l’indication d’extraction semble posée, il peut être intéressant de prendre un temps de réflexion avant d’extraire la dent. On veillera à se méfier des évidences pour plusieurs raisons.
• Même dans des situations très compromises, il est parfois possible de maintenir durablement des dents avec un pronostic au moins aussi bon que celui des implants.
• Les situations les plus compromises, celles où l’extraction semble clairement indiquée, sont aussi des situations où le remplacement de la dent par un implant peut être très complexe.
• Les implants ne sont pas la réponse à tous les problèmes et il faut se garder d’avoir une vision trop idéaliste de ce mode de traitement.
• Si le traitement implantaire est choisi, il faut bien évaluer le risque de péri-implantite et se poser la question du type de surface. Dans les situations à risque, l’utilisation d’implants hybrides associant ostéo-intégration rapide des surfaces rugueuses et fiabilité à long terme des surfaces usinées doit être envisagée.
• Il faut toujours établir un programme de suivi et de maintenance.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun liend’intérêts.