Réimplantation
Giulia ARCIDIACONO* Paul LACCOURREYE** Fleur BERES***
*AHU, CES OCE, Master 1 Génétique Exercice libéral à Paris
**AHU, CES OCE, Exercice libéral à Paris
***MCU-PH Responsable du DIUE DIU d’Endodontie UFR Odontologie-Montrouge Université de Paris
Le traitement endodontique orthograde a fait ses preuves depuis bientôt un siècle. Son efficacité ne fait plus l’objet de débat. Aujourd’hui, le taux de succès du traitement initial endodontique est de 96 % grâce à la diffusion de l’usage de la digue, de nouveaux instruments de mise en forme et à l’application de matériaux bioactifs.
Néanmoins, un certain pourcentage d’échecs est toujours à déplorer. Le retraitement orthograde et, le cas échéant, la chirurgie...
Dans l’arsenal de soins de l’endodontiste les techniques de traitement orthograde, retraitement orthograde et microchirurgie ont été largement décrites, et leur efficacité n’est plus mise en discussion. Dans cet article, nous présentons au contraire une technique endo-chirurgicale moins consensuelle : l’auto-transplantation. L’auto-transplantation, décrite depuis Pierre Fauchard, présente aujourd’hui un taux de succès de 80 % à 2 ans post-opératoire, ce qui en fait une technique très fiable.
Néanmoins, comme nous le verrons, l’absence de consensus scientifique à l’égard du protocole ralentit son utilisation quotidienne dans les cabinets, et il est probable que dans les prochaines années, en essayant de rester toujours plus préservateurs, nous évoquerons plus souvent l’auto-transplantation dans les possibilités thérapeutiques endodontiques. Faisons donc le point sur la technique telle qu’elle est actuellement décrite, tout en détaillant les débats concernant le protocole.
Le traitement endodontique orthograde a fait ses preuves depuis bientôt un siècle. Son efficacité ne fait plus l’objet de débat. Aujourd’hui, le taux de succès du traitement initial endodontique est de 96 % grâce à la diffusion de l’usage de la digue, de nouveaux instruments de mise en forme et à l’application de matériaux bioactifs.
Néanmoins, un certain pourcentage d’échecs est toujours à déplorer. Le retraitement orthograde et, le cas échéant, la chirurgie endodontique a retro sont à ce jour les gold standard à appliquer en première intention lors d’un échec endodontique.
Quand ces techniques ne sont pas envisageables ou qu’elles ont échoué, l’auto-transplantation peut être une thérapeutique à prendre en compte. Cette méthode a été décrite dès le XVIIe siècle par le père de la dentisterie moderne, Pierre Fauchard, et a fait l’objet d’un intérêt croissant dans les années 1960. Eclipsée par l’avènement de l’implantologie pendant un demi-siècle, l’auto-transplantation retrouve aujourd’hui l’attention de la communauté internationale (figure 1).
L’auto-transplantation est une technique endo-chirurgicale qui consiste à extraire la dent de la façon la moins traumatique possible afin de pouvoir réaliser en extra-buccal la résection du tiers apical des racines de la dent et l’obturation a retro et, in fine, de réimplanter cette même dent au niveau de son alvéole (figures 2 et 3).
Cette technique sera utilisée avant tout lors de l’échec du retraitement orthograde et de la microchirurgie endodontique.
Elle peut être réalisée lorsque la microchirurgie endodontique n’est pas techniquement réalisable (figure 4) [1, 2] :
- lorsque des facteurs anatomiques empêchent la chirurgie : proximité du foramen mentonnier, proximité du nerf alvéolaire inférieur ou de la cavité sinusienne, épaisseur osseuse importante (supérieur à 8 mm) ;
- lorsque des difficultés opératoires compliquent la chirurgie : dents postérieures, dents possédant un canal en C [3], dents atteintes de résorptions [4], patient anxieux avec faible ouverture buccale.
En traumatologie, la réimplantation permet de conserver sur l’arcade une dent qui a été expulsée lors d’un accident.
Enfin, en cas de suspicion de fêlure/fracture, l’auto-transplantation va permettre d’observer de façon très précise la dent dans sa totalité sous microscope et ainsi de confirmer ou infirmer l’hypothèse [1].
Du fait de son risque bactérien, elle est contre-indiquée de façon absolue chez les patients immunodéprimés, sous immunosuppresseurs, ainsi que chez les patients à risque d’endocardite infectieuses [5]. Par ailleurs, elle est à éviter chez les patients présentant des affections parodontales étendues car son taux de succès diminue alors fortement (figure 5) [1, 6].
L’auto-transplantation est une procédure non invasive et rapide qui présente certains avantages par rapport à la microchirurgie endodontique. L’ostéotomie et le lambeau ne sont pas nécessaires et l’accès visuel de la zone apicale est facilité [7].
L’auto-transplantation est un traitement quasi indolore pour le patient qui se plaint en général d’une gêne pendant 48 à 72 heures suite à l’intervention [1].
L’auto-transplantation présente l’avantage d’être la technique impliquant le moindre coût lorsqu’on la compare à une dépose de prothèse coronaire permettant le retraitement endodontique orthograde ou à la mise en place d’un implant [8].
Le succès en auto-transplantation se caractérise par l’absence de symptômes cliniques, la régénération des tissus parodontaux et l’absence de résorption [9]. L’échec se caractérise quant à lui par la présence d’une poche parodontale supérieure à 5 mm, d’une mobilité pathologique, de la présence d’une plage de résorption et/ou d’une fracture radiculaire [2].
Le taux de succès était de 80,6 % en 1993 dans l’article de Bender et al. avec une obturation a retro à l’amalgame [1].
Les taux de succès recensés par Wang et al. sont du même ordre de grandeur en 2019, soit 97 % à 6 mois et se stabilisant à 80 % de succès à 2 ans, et ce malgré la mise en place de techniques de microchirurgie et l’avènement de matériaux d’obturation plus biocompatibles [2].
Le taux de succès dépend du temps extra-alvéolaire, de la profondeur des poches parodontales, du type de dent, de la forme de l’apex, du matériau employé pour l’obturation a retro et de l’absence de traumatisme secondaire lié à l’intervention [2].
Ce succès peut atteindre 73 % à 11 ans pour les dents présentant un canal un C, ce qui est un excellent taux si l’on considère la difficulté de traitement de ces racines et les difficultés inhérentes à l’auto-transplantation [3].
L’auto-transplantation est souvent considérée comme un dernier recours à cause de la variabilité des taux de succès rencontrés et de l’absence d’un protocole défini commun. Les taux de succès évoqués ne témoignent donc pas forcément du réel profit de cette technique [8].
Les échecs lors des traitements d’auto-transplantation sont précoces, pendant les deux premières années post-opératoires. Cela s’explique par le fait que la plupart des études ne présentent que des résultats à 2 ans, biaisant l’évaluation des échecs [10]. Cho et al. montrent en 2016 que le taux de succès du traitement par auto-transplantation baisse jusqu’à 3 ans post-traitement puis se stabilise. Ils recommandent donc un calendrier de suivi sur 3 ans pour pouvoir intercepter d’éventuelles complications. Ce suivi sur le long terme est difficile à maintenir et à respecter par le patient, ce qui peut causer des échecs tardifs qui auraient pu éventuellement être évités [9].
Le principal facteur limitant est le temps extra-oral. Lors de l’extraction de la dent, les cellules du ligament alvéolo-dentaire se nécrosent, ce qui engendre un processus inflammatoire à la surface de la racine dentaire provoquant l’activation des cémentoblastes et des ostéoclastes. Cette dernière va conduire à l’ankylose dentaire et à la formation de plages de résorption au niveau de la surface radiculaire. Seule la cicatrisation des tissus parodontaux peut empêcher la formation de ces îlots de résorption radiculaire [11].
Le taux d’incidence des résorptions externes post-traitement est de 10 à 13,4 % [10]. Elles interviennent plus fréquemment sur les dents maxillaires que sur les dents mandibulaires [9].
Néanmoins, plus le panel d’études est large plus la prévalence de la résorption diminue [8, 10].
Les résorptions apparaissent essentiellement durant la première année post-opératoire et ne s’accompagnent pas nécessairement d’ankylose comme on a pu le croire pendant longtemps [9].
Les résorptions, si elles ne progressent pas, ne signent pas forcément la perte de la dent, même si elles engagent fortement son pronostic.
Le taux d’incidence de l’ankylose suite à l’extraction/réimplantation est de 25 % [10].
Si la lésion causée au niveau du ligament alvéolo-dentaire est minime, on peut assister à la disparition de l’ankylose par un phénomène de réparation lié aux cellules saines adjacentes du ligament [12].
Les ankyloses se forment souvent au niveau des surfaces palatines ou vestibulaires de la racine : elles ne sont alors par visibles à la radiographie [13].
L’ankylose dentaire aurait deux effets directs sur la qualité osseuse. Tout d’abord, il y a un arrêt de la croissance osseuse autour de la zone d’ankylose, ce qui peut s’accompagner de défaut osseux : cela n’a qu’un impact limité chez l’adulte mais est déterminant durant la croissance. L’auto-transplantation est donc à proscrire chez un patient qui serait en cours de croissance.
De plus, l’extraction d’une dent ankylosée est complexe et s’accompagne d’une perte osseuse assez importante qui peut compliquer la mise en place d’un implant par la suite [10]. Cela pose un réel problème éthique car, en cas d’échec, le traitement de remplacement sera fortement impacté. Il semble donc préférable que la dent soit extraite dès les premiers signes d’ankylose (figure 6).
Lorsque le temps extra-alvéolaire est inférieur à 15 minutes, le processus d’ankylose est moins fréquent [9]. Ce consensus est le seul établi par la communauté scientifique concernant l’auto-transplantation.
Des échecs liés aux pathologies parodontales sont répertoriés dans la littérature. Bender et al., en 1993, contre-indiquent l’auto-transplantation en cas de lésions parodontales causant une mobilité dentaire, l’implication de la furcation, l’inflammation de la gencive [1]. Cho et al. Rapportent, en 2017, que la procédure est un échec en cas de poches parodontales supérieures à 6 mm.
Dans tous les cas, il est préférable que la procédure soit réalisée par deux praticiens chevronnés de façon complémentaire, notamment à cause du protocole strict des 15 minutes extra-buccales nécessaires au maintien des cellules ligamentaires.
Dès 1970, Natiella et al. affirment que le recours limité à la technique de l’auto-transplantation est lié à l’absence de critères de succès et d’un protocole défini [14].
Le protocole mis en place au sein de l’équipe du DIUE est détaillé dans l’article suivant détaillant les cas cliniques d’auto-transplantation réalisés par nos soins.
Par ailleurs, sont dressées successivement les principaux débats quant au déroulé de la technique, qui entraînent une absence de consensus et donc l’impossibilité d’employer cette méthode de façon très large.
• La nécessité de réaliser une extrusion orthodontique [10]. Elle permet une extraction facilitée et donc de moins traumatiser les fibres desmodontales. De plus, elle crée une inflammation physiologique positive qui entraîne l’augmentation de la vascularisation, ce qui pourrait avoir un effet bénéfique sur le processus de cicatrisation post-auto-transplantation et limiter le processus de résorption. Néanmoins, elle n’est encore que peu décrite dans les cas rapportés dans la littérature et elle n’a jamais été jusqu’à maintenant systématisée. C’est pourquoi nous ne l’avons pas appliquée à nos cas cliniques.
• La mise en place d’une antibioprophylaxie. La persistance de l’inflammation est une perte de chance pour la cicatrisation du site. Une façon efficace de réduire l’inflammation est d’éviter une infection en administrant des antibiotiques, c’est d’ailleurs la recommandation de l’International Association of Dental Traumatology [15]. Néanmoins, de nombreux auteurs conseillent de ne pas systématiser cette prise d’antibiotiques.
• La mobilisation de la dent. Certains auteurs déclarent réaliser une syndesmotomie superficielle avant de luxer la dent au davier. D’autres, au contraire, la contre-indiquent de façon formelle pour ne pas léser les fibres desmodontales essentielles à la bonne cicatrisation (figure 7).
• Le milieu de conservation. La solution de Hank est aujourd’hui décrite comme la plus compatible avec la technique d’auto-transplantation comme milieu dans lequel placer la dent en extra-oral. D’autre auteurs se contentent d’une solution qui respecte le pH et l’osmolarité du milieu buccal [16] et préserve le ligament [17]. D’autres cas cliniques rapportés décrivent l’utilisation du sérum physiologique plus disponible et moins cher.
• Le matériau d’obturation. Comme pour la microchirurgie endodontique, les matériaux employés pour l’obturation des canaux peuvent être des ciments tricalciques (MTA/Biodentine/TotalFill) ou de l’IRM. Le phénomène de wash out décrit dans certains articles concerne les obturations réalisées au MTA, raison pour laquelle nous n’avons pas employé ce matériau. Lors de nos cas cliniques nous avons employé le TotalFill Putty (figure 8).
• La mise en place de matériau facilitant la cicatrisation (PRF, Emdogain). Le PRF (fibrine riche en plaquettes) est une technique chirurgicale permettant une cicatrisation facilitée du site chirurgical à partir de substrat sanguin. Il n’est pas systématisé lors de l’auto-transplantation car aucune étude à ce jour ne compare son utilisation à une technique sans comblement. De même, aucune étude n’a comparé dans ce cas un traitement avec Emdogain à une technique sans adjonction d’Emdogain. De plus, ces produits pourraient compliquer la mise en place de la dent dans son alvéole.
• La réalisation d’une contention souple. La contention est mise en place de façon systématique par certains auteurs. D’autres, au contraire, la contre-indiquent si la mobilité dentaire est réduite car, sur le long terme, les contentions peuvent conduire à l’ankylose de la dent, qui est comme nous l’avons vu un risque de l’auto-transplantation [17]. Enfin, nombreux sont ceux qui réalisent un point en croix pour stabiliser la dent dans son alvéole.
Il y a donc un grand nombre de points concernant cette technique endo-chirurgicale pour lesquels un consensus tarde à se trouver, ce qui explique que les praticiens, même chevronnés, renoncent à cette option thérapeutique du fait du grand nombre d’informations antagonistes.
L’absence de consensus quant au protocole ainsi que l’absence d’exploration moléculaire précise empêchent la systématisation de cette technique qui reste une option thérapeutique à appliquer de façon exceptionnelle.
Pourtant, cette technique présente des résultats excellents alors qu’elle est employée dans les cas les plus extrêmes. Ceci laisse penser que sa démocratisation permettra de maintenir en place des dents au pronostic très engagé.
Le renfort d’une dentisterie contemporaine et préservatrice poussera, nous l’espérons, les équipes de recherche à développer des études pour approfondir le sujet et à déterminer un protocole défini unique qui permettra son exploitation dans les cabinets dentaires de demain.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.