Clinic n° 04 du 01/04/2021

 

Anatomie

Canalaire

Lola MARCHAND*   Fleur BERES**  


*Exercice libéral limité à l’endodontie, Paris.
**MCU-PH
***Responsable du DIUE, Hôpital Bretonneau.
**** DIU d’Endodontie UFR Odontologie-Montrouge Université de Paris.

Les variations anatomiques de l’endodonte engendrent fréquemment des échecs de traitement : l’oubli d’un canal « caché » (12 % des dents traitées), qui ne sera pas désinfecté, peut devenir la cause potentielle d’une infection persistante (risque d’apparition d’une parodontite apicale 6,25 fois plus élevé dans ce cas de figure) [1].

Ce propos sera illustré par deux cas de retraitements endodontiques sur dents...


Les variations anatomiques de l’endodonte engendrent fréquemment des échecs de traitement : l’oubli d’un canal « caché » (12 % des dents traitées), qui ne sera pas désinfecté, peut devenir la cause potentielle d’une infection persistante (risque d’apparition d’une parodontite apicale 6,25 fois plus élevé dans ce cas de figure) [1].

Ce propos sera illustré par deux cas de retraitements endodontiques sur dents présentant des variations anatomiques après que un ou plusieurs canaux n’ont pas été traités.

GESTION DE CANAUX « OUBLIÉS » SUR PREMIÈRE PRÉMOLAIRE MAXILLAIRE À TROIS RACINES

Mme G., patiente âgée de 67 ans, est adressée au diue pour la gestion d’une infection endodontique sur la 24, support de bridge 21-22-23-24.

Au niveau santé générale, elle présente des allergies à la pristinamycine et à l’iode. elle est en rémission d’un cancer de poumon qui a été traité en 2011.

Histoire de la maladie

Le traitement endodontique initial de la 24 et la pose du bridge ont été réalisés en février 2019, soit un an plus tôt. La patiente relate l’apparition en juillet 2019 d’épisodes d’abcès à répétition, traités par antibiothérapies jusqu’en novembre 2019.

En décembre 2019, Mme G. change de praticien. Ce dernier observe une fistulisation de l’infection et l’adresse au DIUE de l’hôpital Bretonneau.

Nous prenons en charge la patiente au mois de mars 2020, elle est très anxieuse et a perdu confiance en le corps médical, ce qui complique l’alliance thérapeutique.

Examen clinique

L’examen clinique exo-buccal ne montre rien de particulier.

l’examen endo-buccal révèle (figure 1) :

- une adaptation du bridge céramo-métallique satisfaisante ; son esthétique est correcte et convient à la patiente ;

- la présence d’une fistule dans le vestibule en regard de la 24 ;

- un test de percussion négatif sur la 24 ;

- un test de palpation positif sur la 24 ;

- un sondage vestibulaire à 5 mm.

Examen radiographique

L’examen rétro-alvéolaire montre que (figures 2 et 3) :

- la dent 24 présente une alvéolyse horizontale sur la moitié de sa hauteur radiculaire ;

- cette prémolaire présente plusieurs racines, courtes, dont une seule paraît avoir été traitée ;

- la racine obturée présente un dépassement de matériau d’obturation ;

- le trajet fistulaire provient d’une des racines non traitées ;

- aucune image péri-apicale n’est clairement objectivable ;

- il existe une ostéo-densification de la région péri-apicale.

L’examen CBCT montre (figures 4 à 6) :

- la présence de 3 racines : la mésio-vestibulaire (MV) et la disto-vestibulaire (DV) ne sont pas traitées ; la palatine présente un dépassement de matériau d’obturation important (4 mm) ;

- des LIPOE observables en rapport des racines MV et DV non traitées ;

- la corticale vestibulaire qui est détruite sur toute la longueur de la racine MV ;

- une ostéo-densification qui se situe entre la racine P et le plancher sinusien.

Diagnostics

Les diagnostics d’abcès apical chronique et d’ostéite condensante sont posés [2].

Décision thérapeutique

Trois options thérapeutiques ont été considérées :

- la chirurgie endodontique a retro évitant la dépose du bridge ;

- la dépose de ce dernier suivie du retraitement endodontique orthograde ;

- le retraitement orthograde réalisé à travers le bridge.

La première option a été écartée en raison de la faiblesse du support parodontal : l’abord chirurgical aggraverait le contexte, engageant le pronostic mécanique de la dent.

La deuxième option n’a pas été retenue : une fracture radiculaire et/ou du bridge était à craindre lors de la dépose.

Il a donc été décidé de réaliser le retraitement endodontique orthograde à travers le bridge. Le pronostic était réservé.

Première séance (mars 2020)

L’option passage au travers du bridge a d’abord été envisagée mais, entre-temps, le bridge s’est descellé : on a pu ainsi isoler la dent de façon unitaire avec un champ opératoire.

La désobturation endodontique a été réalisée manuellement aux limes c+ et à l’aide du système protaper de retraitement.

Les entrées canalaires MV et DV ont été mises en évidence à l’aide d’un insert US de type ET25.

La longueur de travail a été déterminée au localisateur d’Apex.

Les canaux MV et P ont été perméabilisés classiquement. Des limes C+8 ont été utilisées pour progresser dans le canal dv calcifié (figure 7).

Le système protaper gold a été utilisé pour la mise en forme des canaux.

Une médication intra-canalaire à l’hydroxyde de calcium a été mise en place.

Un cavit a été positionné dans la cavité d’accès avant le rescellement du bridge au Temp bond.

Deuxième séance (juin 2020)

Un délai de 3 mois s’est écoulé entre les deux séances en raison du confinement COVID.

On objective une cicatrisation de la fistule vestibulaire.

L’hydroxyde de calcium a été éliminé des canaux avec des limes ultra-sonores.

La mise en forme finale a été réalisée aux Protaper Gold F1 et F2 dans les 3 canaux.

Le rinçage final à l’hypochlorite de sodium puis à l’EDTA et, enfin, à nouveau à l’hypochlorite a été soumis à une activation à l’Endoactivator.

L’obturation aux Bioroot RCS avec cônes de gutta-tuteur a été choisie.

La reconstitution corono-radiculaire a été réalisée dans la séance au composite Core X Flow, avant de resceller le bridge au Fuji+ (figure 8).

Suivi

Des contrôles à 3 mois, 6 mois et 1 an ont été planifiés (figure 9).

Discussion du cas n° 1

La prévalence d’une troisième racine sur les prémolaires maxillaires est rare, elle varie de 0,8 à 6 % selon les études.

Cette particularité anatomique est plus fréquemment retrouvée chez les populations africaines [3-5].

RETRAITEMENT ENDODONTIQUE SUR RADIX ENTOMOLARIS

Mme R., Patiente âgée de 50 ans, est adressée au DIUE pour la gestion d’une infection endodontique sur la 47, porteuse de couronne métallique.

Au niveau santé générale, la patiente présente une hypercholestérolémie traitée et équilibrée.

Histoire de la maladie

Le traitement endodontique initial de la 47 a été réalisé en 2015. La patiente nous apprend qu’une image péri-apicale a été découverte de façon fortuite lors d’un contrôle radiographique panoramique en février 2019. Son omnipraticien l’adresse alors à un endodontiste mais nous ne la recevons au DIUE de l’hôpital Bretonneau qu’un an plus tard.

Examen clinique

L’examen clinique exo-buccal ne montre rien de particulier.

L’examen endo-buccal révèle :

- un test de percussion négatif sur la 47 ;

- un test de palpation négatif sur la 47 ;

- la dent 47 restaurée par une couronne débordante. On note une reprise de lésion carieuse au niveau de la limite mésiale ;

- les dents 45 et 48 non restaurées.

Examen radiographique

L’examen rétro-alvéolaire montre que (figure 10) :

- le traitement endodontique de la 47 est insuffisant ;

- un ancrage radiculaire est présent au niveau des racines mésiales ;

- des images péri-apicales sont observables aux apex mésiaux et distaux. L’examen CBCT montre (figure 11) :

- la présence d’une deuxième racine distale en lingual : cette radix entomolaris est de type A de Carlsen [6] et type 3 de De Moor [7] ;

- une possible résorption apicale débutante au niveau de la racine DL ;

- une image péri-apicale concernant les racines ML et DL qui n’ont pas été obturées.

Diagnostic

Le diagnostic de parodontite apicale asymptomatique est posé.

Décision thérapeutique

Deux possibilités thérapeutiques ont été considérées :

- l’abstention, la surveillance et l’intervention différée en cas d’évolution du phénomène infectieux ;

- le retraitement endodontique orthograde après dépose de la couronne et de l’ancrage radiculaire.

La deuxième option a été retenue, la patiente souhaitant réaliser une nouvelle couronne immédiatement.

Première séance (février 2020)

Dans un premier temps, la couronne et l’ancrage ont été déposés afin de réaliser une reconstitution pré-endodontique au CVI.

L’entrée canalaire DL a été mise en évidence à l’aide d’un insert US de type CAP1.

La désobturation endodontique des canaux MV et DV a été réalisée manuellement aux limes K-File et à l’aide du système Protaper de retraitement. La butée d’obturation dans le canal MV a été levée avec une lime C+8.

Les canaux ML et DL non traités ont été perméabilisés classiquement. Des limes C+8 ont été utilisées pour progresser dans le canal DL calcifié.

Le système Protaper Gold a été utilisé pour la mise en forme des canaux MV ML et DV. Pour le canal DL calcifié et fortement courbé, la mise en forme a été réalisée aux limes manuelles jusqu’à la K20, aucune autre lime au-delà n’atteignant la longueur de travail.

Une médication intra-canalaire à l’hydroxyde de calcium a été mise en place dans les 4 canaux (figure 12).

Deuxième séance (mars 2020)

L’hydroxyde de calcium a été éliminé des canaux avec des limes ultra-sonores.

La mise en forme finale a été réalisée aux Protaper Gold F1 et F2 dans les canaux MV ML et DV ; une lime K20 a travaillé une dernière fois le canal DL.

Le rinçage final à l’hypochlorite de sodium puis à l’EDTA et, enfin, à nouveau à l’hypochlorite a été soumis à une activation à l’Endoactivator.

L’obturation aux Bioroot RCS avec cônes de gutta-tuteur (cône Medium Fine pour le canal DL) a été choisie.

Du téflon et du CVI ont été placés en restauration temporaire (figure 13).

Suivi

Un contrôle radiographique à 4 mois a été réalisé, objectivant une cicatrisation osseuse (figure 14).

Un nouveau contrôle radiographique à 6 mois a été planifié pour s’assurer de la bonne tournure de la cicatrisation.

Discussion du cas n° 2

La radix entomolaris est rarement observée dans la population générale (3 à 5 % selon les études) mais elle est considérée comme une variation anatomique normale chez les populations mongoloïdes (Chinois, Esquimaux, Indiens d’Amérique) de par sa prévalence importante : 5 à 30 % [8-12].

DISCUSSION GÉNÉRALE

Difficulté de diagnostic ?

De par leur prévalence peu importante dans la population générale, les variations anatomiques de l’endodonte ne sont pas systématiquement recherchées. La question d’une démarche diagnostique systématisée se pose alors.

Sur les dents pouvant présenter des variations anatomiques, deux radiographies rétro-alvéolaires d’angulations différentes (20-40°) devraient systématiquement être réalisées en pré-opératoire.

La question de systématiser le CBCT pré-opératoire chez certaines populations peut aussi se poser.

Certaines variations anatomiques radiculaires peuvent être associées à des morphologies coronaires prédictives : renflement gingival, cuspide supplémentaire…, montrant bien l’importance de l’examen clinique.

Difficulté de traitement ?

La cavité d’accès peut être délicate à réaliser : pour les prémolaires à 3 racines, la bifurcation entre les racines MV et DV est souvent basse. L’entrée canalaire des radix entomolaris se situe au niveau d’une excroissance DL qu’il faudra aller chercher précautionneusement. Ainsi, l’utilisation d’aides optiques sera cruciale pour la réussite du traitement.

Ces canaux supplémentaires présentent fréquemment une courbure importante nécessitant l’utilisation d’instruments de mise en forme adaptés.

CONCLUSION

L’omnipraticien doit avoir connaissance des variations anatomiques de l’endodonte, de leur prévalence et de leurs spécificités ethniques.

Des analyses clinique et radiographique préopératoires rigoureuses devront être menées.

Enfin, pour potentialiser la réussite de ces traitements, ils devront être réalisés avec un matériel adapté : aides optiques et instruments de mise en forme pour canaux grêles et courbes.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Costa FFNP, Pacheco-Yanes J, Siqueira JF Jr, Oliveira ACS, Gazzaneo I, Amorim CA et al. Association between missed canals and apical periodontitis. Int Endod J 2019;52:400-406.
  • 2. AAE Consensus Conference Recommended Diagnostic Terminology. J Endod 2009;35.
  • 3. Nallapati S. Three canal mandibular first and second premolars: a treatment approach. J Endod 2005;31:474-476.
  • 4. Vertucci FJ, Gegauff A. Root canal morphology of the maxillary first premolar. J Am Dent Assoc 1979;99:194-198.
  • 5. Borghesi A, Michelin S, Zigliani A, Tonni I, Maroldi R. Three-rooted maxillary first premolars incidentally detected on cone beam CT: an in vivo study. Surg Radiol Anat 2019;41:461-468.
  • 6. Arlsen O, Alexandersen V. Radix entomolaris: identification and morphology. Scand J Dent Res 1990;98:363-373.
  • 7. De Moor RJ, Deroose CA, Calberson FL. The radix entomolaris in mandibular first molars: an endodontie challenge. Int Endod J 2004;37:789-799.
  • 8. Ratman EK. Three-rooted lower molars in man and their racial distribution. Br Dent J 1938;64:264-274.
  • 9. Ferraz JA, Pecora JD. Three-rooted mandibular molars in patients of Mongolian, Caucasian and Negro origin. Braz Dent J 1993;3:113-117
  • 10. Walker RT, Quackenbush LE. Three-rooted lower first permanent molars in Hong Kong Chinese. Br Dent J 1985;159:298-299.
  • 11. Curzon ME, Curzon JA. Three-rooted mandibular molars in the Keewatin Eskimo. J Can Dent Assoc 1971;37:71-72.
  • 12. Curzon ME. Three-rooted mandibular permanent molars in English Caucasians. J Dent Res 1973;52:181.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.