PARODONTIE
Dossier
Léa BONTEMPS* Charles ANGIONI** Farid GHOUL*** Fadel BELLAKHDAR**** Adrian BRUN*****
*AHU, exercice libéral à Paris.
**AHU, exercice libéral à Paris.
***Ancien AHU, exercice libéral à Paris.
****AHU, exercice libéral à Paris.
*****MCU-PH associé. UFR Odontologie-Montrouge, faculté de santé, université de Paris. Service de médecine bucco-dentaire, hôpital Henri-Mondor AP-HP, Créteil.
Le rôle des tissus kératinisés dans le maintien de la santé péri-implantaire n’est pas tranché dans la nouvelle classification. La présence de tissu kératinisé pourrait constituer un des facteurs influençant l’accumulation de plaque autour d’un implant. Une hauteur de 2 mm de tissu kératinisé pourrait favoriser ce contrôle de plaque. Cette même hauteur réduirait le risque d’apparition de récession péri-implantaire et de diminution du niveau osseux crestal. Les apports nécessaires sont idéalement anticipés avant la mise en charge de l’implant.
Le succès des thérapeutiques implantaires est plurifactoriel. L’état de santé du patient, son environnement, la qualité du brossage et des tissus péri-implantaires, la procédure chirurgicale ou encore la restauration prothétique sont autant de facteurs pouvant jouer un rôle dans les complications biologiques rencontrées autour des implants.
S’il est admis qu’en présence d’un bon contrôle de plaque, la santé gingivale peut être maintenue en l’absence de tissu kératinisé, ce consensus peut difficilement être extrapolé aux muqueuses péri-implantaires, compte tenu de leurs caractéristiques anatomiques et histologiques propres.
Ce constat établi, l’objectif de notre article est double :
– faire le point sur les possibles conséquences d’un manque de tissu kératinisé sur la santé des tissus péri-implantaires ;
– présenter succinctement les stratégies muco-gingivales envisageables et leurs indications.
La nouvelle classification des maladies parodontales parue en 2018 [1] répertorie également les différents états et maladies péri-implantaires. Cette classification inédite définit la santé péri-implantaire, la mucosite, et la péri-implantite (tableau 1).
La santé péri-implantaire (figure 1) est caractérisée par l’absence de signe clinique d’inflammation, l’absence d’augmentation de la profondeur de sondage par rapport aux sondages précédents et l’absence de perte osseuse (une fois le remodelage osseux initial terminé).
Dans le cas d’une mucosite (figure 2), les tissus mous péri-implantaires présentent des signes cliniques d’inflammation : le praticien peut objectiver des saignements ou des suppurations. Du fait de l’œdème et de la diminution de la résistance au passage de la sonde, une augmentation de la profondeur de sondage autour de l’implant est possible.
La péri-implantite (figure 3) est quant à elle caractérisée par la présence de signes cliniques d’inflammation, une augmentation de la profondeur de sondage et une perte osseuse indépendante du remodelage osseux initial ou supérieure à 3 mm. La prévalence de la mucosite est de 43 % tandis que celle de la péri-implantite est de 22 % [2].
Le rôle des tissus mous dans l’initiation et le développement des maladies péri-implantaires est depuis longtemps controversé. Les nombreuses études de haut niveau de preuve étudiant l’impact d’un manque de tissu kératinisé sur les paramètres cliniques et radiographiques péri-implantaires fournissent des résultats contradictoires.
Le facteur de risque majeur des mucosites et péri-implantites est l’accumulation de plaque dentaire [1]. À ce titre, l’influence du tissu kératinisé sur le confort et la qualité du contrôle de plaque autour des implants a été étudiée et ne fait pas consensus [3]. Il semble néanmoins qu’une hauteur minimale de 2 mm de muqueuse kératinisée constitue un atout pour faciliter le contrôle de plaque [4], surtout au niveau des sites difficilement accessibles au brossage (secteurs linguaux, postérieurs, mandibulaires) ou des sites présentant une faible profondeur de vestibule [5] (figure 4). Cependant, d’autres facteurs sont à prendre en compte parmi lesquels le positionnement de l’implant, la conception et l’état de surface de la prothèse ainsi que l’habileté du patient [6].
La hauteur de tissu kératinisé semble en revanche avoir un impact sur la stabilité des tissus mous et notamment sur le développement de récessions péri-implantaires. En effet, même si ces dernières sont plurifactorielles et dépendent aussi du positionnement de l’implant et de la quantité d’os vestibulaire, une hauteur de tissu kératinisé inférieure à 2 mm augmenterait leur risque d’apparition [4, 7].
La stabilité osseuse péri-implantaire semble quant à elle davantage dépendre de l’épaisseur des tissus mous, notamment au moment de la pose de l’implant. Une perte osseuse plus importante est observée lorsque les tissus mous péri-implantaires sont fins, en comparaison avec une muqueuse épaisse [8]. Une étude transversale récente montre que la prévalence des péri-implantites est significativement plus importante en l’absence de tissu kératinisé [4]. Plusieurs études attestent qu’une épaisseur de 2 mm autour des implants semble diminuer ces risques de perte osseuse, surtout en regard des implants dit bone-level [9] (figure 5).
De même, pour une hauteur de tissu kératinisé inférieure à 2 mm, une étude contrôlée randomisée met en évidence que l’augmentation de cette hauteur, via une greffe épithélio-conjonctive, diminue de façon statistiquement significative la perte osseuse crestale radiologique à 18 mois [10]. Ces résultats sont confirmés à plus long terme sur la même cohorte : l’augmentation de tissu kératinisé autour d’implants présentant un manque prévient la perte osseuse sur une durée d’au moins 48 mois [11].
Les pertes tissulaires péri-implantaires étant difficiles à stabiliser, la prévention est essentielle. Il est ainsi préférable d’évaluer la quantité de tissu kératinisé présent avant la pose d’un implant. Si la hauteur ou l’épaisseur de ce tissu est inférieure à 2 mm, si une traction musculaire et/ou un vestibule peu profond sont mis en évidence, un apport de tissu mou est conseillé.
L’objectif recherché orientera le choix de la technique chirurgicale : les greffes de conjonctif enfoui sont à privilégier pour augmenter l’épaisseur des tissus alors qu’une augmentation de hauteur sera plus prédictible via un lambeau apicalisé associé ou non à une greffe épithélio-conjonctive [12].
À quel moment faut-il réaliser ce geste chirurgical ? Les greffes peuvent être faites avant ou pendant la pose de l’implant, lors du second temps chirurgical ou une fois l’implant mis en charge. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte comme la hauteur et l’épaisseur initiales de tissu kératinisé, la profondeur du vestibule, l’indication d’une greffe osseuse ou encore l’expérience du praticien.
• Il est préférable de réaliser la greffe avant la pose de l’implant en cas d’absence totale de muqueuse kératinisée (figure 6).
• De même, une greffe préalable à une reconstruction osseuse volumineuse est recommandée afin de favoriser une cicatrisation de première intention.
• Une greffe de conjonctif enfoui pendant la pose de l’implant ou lors du second temps chirurgical permet de limiter le nombre d’interventions et de diminuer la morbidité du traitement.
• Dans le cas d’une mauvaise estimation initiale des tissus mous disponibles ou d’un mauvais positionnement de l’implant, une greffe gingivale est toujours possible une fois l’implant mis en charge (figure 7).
La prise en charge des pathologies péri-implantaires est pluridisciplinaire. Quelle que soit la sévérité de l’atteinte, le traitement débute par un contrôle des facteurs de risque généraux, une correction des facteurs iatrogènes, une amélioration du contrôle de plaque et un assainissement local non chirurgical. Si la mucosite peut être réversible sous trois semaines, la péri-implantite nécessite un assainissement chirurgical avec ou sans régénération osseuse [13].
Face à une mucosite ou une péri-implantite, l’amélioration des conditions muqueuses locales peut compléter les procédures d’assainissement citées précédemment (figure 7). Peu de données sont disponibles sur le sujet. Il a néanmoins été montré qu’une augmentation de la hauteur de tissu kératinisé permet une réduction de l’indice gingival et des profondeurs de sondage [3] (figure 8) alors qu’un épaississement par greffe de conjonctif enfoui limite la perte osseuse en comparaison avec une muqueuse fine [14] (figure 9). Un manchon muqueux d’une hauteur et d’une épaisseur suffisantes assurerait un joint tissulaire plus stable et jouerait ainsi un rôle de barrière face aux biofilms.
Dans les cas où une greffe est indiquée, mais n’est pas réalisable (santé générale, obstacle anatomique), le praticien peut adapter les mesures d’hygiène bucco-dentaires à la situation clinique et, si nécessaire, augmenter la fréquence des séances de maintenance.
Pour tout implant posé, le suivi parodontal est essentiel : l’évaluation du risque individuel, les sondages et examens radiologiques comparatifs, le nettoyage professionnel régulier et la motivation au contrôle de plaque sont des éléments stratégiques pour le maintien de la santé péri-implantaire et le diagnostic rapide d’une pathologie.
Les quelques études de haut niveau de preuve disponibles sur le sujet sont cependant en faveur d’une muqueuse kératinisée haute et épaisse pour favoriser la santé péri-implantaire. Le praticien peut indiquer une greffe gingivale face à un site présentant un manque de tissu en hauteur ou en épaisseur, une récession évolutive, une gêne au brossage rapportée par le patient ou encore un contrôle de plaque imparfait qui pourrait être amélioré grâce à un meilleur profil tissulaire.
Plusieurs questions restent en suspens du fait d’un manque de données scientifiques, notamment sur l’éventuelle supériorité d’une technique chirurgicale muco-gingivale pour le maintien ou l’amélioration de la santé péri-implantaire, le timing à privilégier pour réaliser une augmentation de tissus mous, ou encore l’effet des chirurgies muco-gingivales de renforcement sur les sites déjà atteints de maladies implantaires.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.