Clinic n° 03 du 01/03/2021

 

Synergie

Implant prothèse

Renaud NOHARET  

MCU-PH en prothèse, Université de Lyon, fondateur de DCO Formations. Exercice libéral à Lyon

Les techniques chirurgicales implantaires ne sont pas une science exacte, puisque la biologie intervient en termes de cicatrisation et qu’elle peut ne pas être parfaite, vu qu’elle ne nous propose « que » 98 % de succès implantaire. Néanmoins, quelles que soient les péripéties rencontrées, le projet prothétique final reste et doit rester identique, tout comme le positionnement implantaire.

Le projet est l’élément clef dans une réhabilitation prothétique, et ce quelle que soit sa nature (prothèse amovible, fixe, dentaire, implantaire, etc.). En effet, il est important de réfléchir à la situation clinique entre tous les acteurs avant le traitement afin de poser, d’une part, le bon diagnostic et, d’autre part, la bonne chronologie de traitement. Ce projet doit également être élaboré avec le patient afin que le résultat obtenu soit satisfaisant pour toutes les parties.

Le résultat ne doit et ne peut pas être issu d’une succession hasardeuse d’actes thérapeutiques [1]. Il doit être bien inscrit comme finalité d’une chaîne logique (biologiquement, fonctionnellement et temporellement) de traitements afin d’obtenir la situation finale escomptée et prévisualisée. Évidemment, et parce que nous travaillons sur des tissus vivants, il est possible de rencontrer des aléas mais ils ne doivent pas faire dériver, au final, du résultat souhaité. Ces aléas ne seront pas problématiques, dès lors que le patient a été informé des risques et que le praticien sait gérer ces complications de traitements, soit personnellement, soit en déléguant.

Afin d’illustrer la constance du projet prothétique en toutes circonstances, une situation clinique implantaire avec un échec de cicatrisation initiale va être exposée. Ce traitement permettra aussi de mettre en lumière les potentielles étiologies de cet aléa.

SITUTION CLINIQUE INITIALE

Une patiente de 24 ans est adressée en consultation pour une fracture de sa dent 11. Cette patiente est externe en médecine et révise le concours de l’internat. Elle décrit des douleurs sur sa dent et la présence par intermittence de petits abcès palatins. Ces derniers sont traités par antibiothérapie et drainage spontané. Néanmoins, elle souhaite un traitement « définitif » de cette situation (figures 1 à 5).

RÈGLES DE PLANIFICATION IMPLANTAIRE DANS LE SECTEUR ANTÉRIEUR UNITAIRE

La notion d’espace biologique est capitale en implantologie orale tant pour la cicatrisation initiale que pour le maintien de l’implant dans le temps. Cet espace biologique est constitué des tissus mous et durs environnant l’implant. La position de l’implant doit être étudiée et validée cliniquement en fonction de cet espace biologique. Cela est effectivement important pour un résultat clinique satisfaisant. Le positionnement implantaire va influer dans le résultat tant du rose que du blanc. Un mauvais positionnement peut faire disparaître une papille ou modifier une morphologie coronaire pourtant capitale pour le succès esthétique.

SENS MÉSIO-DISTAL

Ce positionnement doit répondre à deux exigences [2] :

• L’exigence biologique impose un minimum de 1,5 mm entre une dent et un implant afin d’assurer la présence d’une papille viable en termes de dimensions. La réduction de cet espace va engendrer un aplatissement de la papille, voire sa disparition.

• Dans un même temps, dans l’espace biologique présent, l’exigence prothétique est de faire correspondre le centre de l’implant au zénith de la future couronne implantaire. En effet, la plus grande quantité de résorption osseuse étant située en regard du centre implantaire, il semble logique de faire correspondre ce point le plus haut biologiquement au zénith de la future couronne implantaire. Cet aspect morphologique est important en termes de résultat esthétique : ce zénith, tant sur sa position que sur sa forme, impose la base de la morphologie et des lignes de transition de la future restauration.

SENS APICO-CORONAIRE

La position de l’implant dans le sens apico-coronaire joue aussi un rôle dans la reconstruction finale [2]. En effet, l’enfoncement implantaire sera lié à la quantité des tissus durs et mous présents. Un enfoncement excessif induit une perte osseuse importante et rendra aléatoire la présence d’une papille, la muqueuse péri-implantaire étant symétrique au volume osseux. La présence papillaire est en effet dépendante de la présence ou non de l’os sous-jacent et adjacent à l’implant. Actuellement, il est admis que l’obtention d’une papille ne pourra se faire que dans certaines circonstances spécifiques : lorsque la distance entre le point de contact et la crête est inférieure à 5 mm, la papille sera présente à 100 % ; si cette distance est supérieure, la papille sera présente dans 50 % des situations au maximum. Un enfoncement insuffisant provoquera un risque de visibilité de la plate-forme implantaire par transparence muqueuse ainsi qu’une difficulté de réalisation d’une morphologie coronaire adéquate. En effet, une distance réduite entre l’implant et la morphologie coronaire rend délicate la réalisation prothétique, la faible distance ne permettant pas de travailler réellement cette zone, ô combien importante pour la notion d’émergence naturelle.

Aujourd’hui, il est donc recommandé de positionner l’implant à 3,5 mm de la future gencive marginale souhaitée ; dans le cas présent, à 3,5 mm sous le niveau du collet clinique de la 21. Cette distance permet d’optimiser le résultat papillaire et le profil d’émergence.

SENS VESTIBULO-PALATIN

Si nous suivons les préconisations de l’espace biologique, il semble recommandé que la paroi osseuse vestibulaire à l’implant soit d’au minimum 1,5 mm [2]. Toutefois, l’épaisseur minimale est revue à la hausse depuis quelques années. En effet, à partir de 2005, Grunder [3] conseille de préserver ou de rétablir un minimum de 2 mm de corticale en vestibulaire de l’implant afin de garantir une pérennité du volume osseux vestibulaire.

Cette dimension semble être le minimum dans la réhabilitation esthétique du secteur antérieur. Il est entendu que, en cas de perte osseuse vestibulaire, cela entraîne aussi une perte muqueuse, donc la sensation d’une dent longue puisque cela va agrandir la couronne implantaire dans le sens occluso-cervical. Cette dimension a un impact particulièrement important et visible ; il est donc impératif de conserver et/ou reconstruire le volume osseux vertical en cas de manque.

La mise en place d’un implant dans un environnement osseux non adéquat entraînera des doléances esthétiques légitimes du patient. Celles-ci seront extrêmement difficiles à satisfaire a posteriori. Il est donc obligatoire de se placer dans des conditions conformes à un résultat esthétique répondant au Pink and White Esthetic Scores [4]. Pour cela, il est important de posséder une chronologie diagnostique qui permettra d’aboutir à la pose d’implant de façon directe ou précédée d’une chirurgie pré-implantaire.

DIAGNOSTIC, PROJET PROTHÉTIQUE ET TRAITEMENT IMPLANTAIRE

Après réalisation du clone digital [5], nous avons les éléments pour poser le diagnostic et donc le plan de traitement associé. Dans la situation présente, après planification, l’indication est posée d’une technique d’extraction/implantation et restauration immédiate. Ce traitement est possible car la corticale vestibulaire est totalement intacte ; seule la corticale palatine est détériorée. Cette présence vestibulaire nous garantit une résorption minimale et donc un résultat esthétique effectif (figures 6 à 9).

Les étapes chirurgicales peuvent alors se dérouler de façon classique. L’extraction est réalisée de façon minutieuse afin de conserver le volume osseux présent. Un décollement palatin est ensuite réalisé afin d’objectiver cliniquement la perte osseuse (figure 10). Afin de respecter la planification chirurgicale, un guide stéréolithographique est utilisé (figure 11) : cela nous donne plus de précision qu’une chirurgie manuelle classique. En suivant ce positionnement chirurgical implantaire, un comblement osseux (Geistlich Bio-Oss®) est réalisé pour remplir l’espace entre la paroi alvéolaire et l’implant (Nobel Active NP, 10 mm, Nobel Biocare®). À ce dernier est ajoutée une greffe conjonctive pour maintenir le volume global tissulaire de cette dent (figure 12). Le prothésiste réalise alors la dent provisoire en fonction de l’empreinte ; cette dernière est vissée 3 heures après la chirurgie (figures 13 et 14). La patiente est prévenue du grand soin à apporter à cette restauration immédiate, compte tenu du faible ancrage osseux et du faible couple d’insertion de l’implant (20 N/cm). La littérature préconise un couple d’insertion de minimum 30 N/cm et une expérience chirurgicale pour réaliser ce type de technique de mise en esthétique immédiate [6]. Il faut bien faire la balance pour/contre de ce genre de traitement, et gérer les aléas potentiellement consécutifs.

La patiente est revue sous 10 jours : la dent provisoire (de même que l’implant) est mobile. La patiente avoue avoir négligé, lors de deux ou trois repas, les précautions requises. L’ensemble est alors déposé pour obtenir une cicatrisation muqueuse et osseuse. À 8 semaines, l’implant est reposé dans l’os néoformé (Nobel Active NP, 10 mm, Nobel Biocare ®). Le guide chirurgical est conservé. En effet, le projet prothétique restant le même, la position implantaire est également identique. Il s’agit peut-être, lors de cette deuxième intervention implantaire, d’adapter la biologie par une reconstruction osseuse guidée simultanée mais, en aucun cas, d’une variation de position implantaire. Dans le cas présent, parce que la situation initiale était favorable et que l’implantation en deuxième temps était précoce (type 2) [7], nous n’avons eu qu’à réaliser la pose implantaire. Nous avons simplement modifié le volume du guide pour réaliser un lambeau vestibulaire : la partie vestibulaire externe du guide a été enlevée afin d’avoir un accès aisé au site (figures 15 à 17). Après 6 mois d’ostéo-intégration, le dégagement de l’implant est entrepris avec la mise en place d’un pilier trans-gingival (On1, Nobel Biocare®) puis la réalisation de l’empreinte et la confection de la nouvelle dent provisoire transvissée (figures 18 à 20). Enfin, après la cicatrisation tissulaire de 8 semaines minimum, une empreinte est réalisée pour mettre en place une couronne définitive transvissée avec embase titane et armature zircone (figures 21 et 22).

CONCLUSION

Quels que soient les aléas d’un traitement implantaire, le positionnement doit respecter les mêmes critères. Il est donc cohérent de réutiliser les outils issus de la planification initiale. La biologie peut néanmoins devoir être modifiée afin de correspondre à la constance de ce projet prothétique.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. F1. Coachman C, Calamita M. Digital Smile Design: a tool for treatment planning and communication in esthetic dentistry. Quintessence of Dental Technology 2012;35:103-111.
  • 2. Noharet R, Viennot S. Implantologie et édentement antérieur. In : Berteretche MV. Esthétique en odontologie. Paris : Éditions CdP, 2014.
  • 3. Grunder U, Gracis S, Capelli M. Influence of the 3-D bone-to-implant relationship on esthetics. Int J Periodontics Restorative Dent. 2005 Apr;25 (2):113-9.
  • 4. Fürhauser R, Florescu D, Benesch T, Haas R, Mailath G, Watzek G. Evaluation of soft tissue around single-tooth implant crowns : the Pink Esthetic Score. Clin Oral Implants Res 2005;16:639-644.
  • 5. Noharet R. Outils numériques et traitements implantaires du futur édenté complet. Fil Dentaire 2018;38: 26-30.
  • 6. Cochran DL, Morton D, Weber HP. Consensus statement and recommended clinical procedures regarding loading protocols for endosseous dental implants. Int J Oral Maxillofac Implants 2004;19 (Suppl):109-113.
  • 7. Buser D, Chappuis V, Belser UC, Chen S. Implant placement post-extraction in esthetic single tooth sites: when immediate, when early, when late ? Periodontol 2000 2017;73:84-102.

Liens d’intérêts

Renaud Noharet déclare des liens d’intérêts avec Nobel Biocare, Dentsply Sirona et 3Shape. L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant cet article.

Remerciements aux prothésistes

Laboratoire Philippe Buisson (étapes préparatoires et prothèse provisoire) et M. Edson Da Silva (prothèse définitive).