PARODONTIE
Dossier
Clément MESSECA* Orianne GONDEL** Pamela DE SILANS*** Dominique GUEZ**** Martin BIOSSE DUPLAN*****
*PH à l’hôpital Bichat, exercice libéral à Paris.
**Ancienne interne MBD, DU de parodontologie.
***AHU, exercice libéral à Clichy.
****MCU-PH, exercice libéral à Paris.
*****MCU-PH. UFR Odontologie-Montrouge, faculté de santé, université de Paris. Service de médecine bucco-dentaire, hôpital Bretonneau AP-HP, Paris.
La récente classification distingue deux grands types de maladies générales ayant un impact sur le parodonte. Le premier comprend les maladies rares avec un impact majeur sur la survenue ou la sévérité de destructions parodontales, et où les manifestations parodontales sont quasiment systématiques. Le second regroupe les maladies plus courantes, comme le diabète de type 2, qui ont un impact variable sur le parodonte, et où l’atteinte parodontale n’est pas constante. Apprécier l’impact de ces maladies sur le parodonte est indispensable pour conduire le traitement parodontal efficacement, et en toute sécurité.
Le succès du traitement parodontal passe par la prise en compte des facteurs de risque du patient. Parmi ces facteurs, la présence d’une maladie systémique a souvent une importance majeure, parce que de nombreuses maladies affectent les tissus parodontaux. Chacune de ces maladies peut aggraver un ou plusieurs processus biologiques participant à la perte d’attache.
La dernière classification des maladies parodontales sépare en deux grandes catégories les maladies systémiques ayant des répercussions sur le parodonte [1]. La première regroupe les maladies systémiques qui peuvent modifier la survenue et/ou la sévérité d’une maladie parodontale. Schématiquement, dans cette catégorie, la maladie systémique modifie la réponse de l’hôte au biofilm bactérien. Elle perturbe un ou plusieurs acteurs cellulaires impliqués dans la destruction des tissus parodontaux et amplifie et aggrave le processus pathologique rencontré chez un individu sans maladie générale. Au sein de cette catégorie, la classification distingue des maladies ayant un impact majeur, pour lesquelles les individus atteints présentent quasiment systématiquement une parodontite, et celles ayant un impact variable, où l’individu atteint peut être en bonne santé parodontale malgré la maladie générale. Les maladies ayant un impact majeur sont principalement des maladies rares qui peuvent être d’origine génétique. Les maladies ayant un impact variable sont plus fréquentes et souvent en rapport avec un processus inflammatoire chronique affectant d’autres organes.
La seconde catégorie de maladies systémiques qui ont un impact sur le parodonte sont celles qui contribuent à détruire les tissus parodontaux, indépendamment de l’inflammation induite par le biofilm et responsable d’une maladie parodontale. Dans cette dernière catégorie, on retrouve par exemple les néoplasies comme le carcinome épidermoïde ou l’histiocytose à cellules de Langerhans.
La santé parodontale correspond à un état d’équilibre dans lequel un microbiote est toléré par un hôte. Cet équilibre peut s’altérer et conduire à un état pathologique associé au développement d’un microbiote déséquilibré ou d’une intolérance à ce dernier suite à des modifications du statut systémique de l’hôte.
La santé parodontale est associée à une réaction inflammatoire contrôlée en réponse aux résidents bactériens. Les cellules de l’épithélium de jonction, constamment au contact de ces populations bactériennes, jouent un rôle majeur dans le maintien de cet état de veille et le contrôle du biofilm. Ces cellules produisent des cytokines immuno-stimulatrices essentielles au recrutement et à la migration de cellules phagocytaires au niveau du sillon gingivo-dentaire, comme les polynucléaires neutrophiles. Les cellules dendritiques de l’épithélium permettent également le recrutement de lymphocytes qui infiltrent à leur tour les tissus parodontaux.
La réaction inflammatoire et le recrutement de cellules immunitaires, s’ils persistent dans le temps ou que leur intensité augmente, perturbent l’homéostasie de l’ensemble des tissus parodontaux. Un déséquilibre dans les sous-ensembles de lymphocytes (notamment les cellules Th) survient et on assiste alors à la dégradation des fibres ligamentaires et du tissu conjonctif par les métalloprotéases de la matrice, une diminution de la formation osseuse par les ostéoblastes et une résorption de l’os alvéolaire par les ostéoclastes. Cela aboutit à la formation d’un tissu de granulation et une perte osseuse. Cette situation physiopathologique persiste jusqu’à ce que la dent soit exfoliée ou que le biofilm microbien et le tissu de granulation soient éliminés avec succès par des moyens thérapeutiques [2].
L’une des maladies générales qui peut modifier la réponse de l’hôte face aux bactéries du biofilm est le diabète. Le diabète est très fréquent et concerne 3,7 millions de Français, avec une moyenne d’âge de 65 ans, qui présentent surtout un diabète de type 2.
L’étiologie du diabète de type 2 est étroitement liée à la présence d’une obésité qui entraîne une inflammation systémique de bas grade liée à la production de médiateurs de l’inflammation par les macrophages et les adipocytes du tissu gras. Cette inflammation altère le métabolisme du glucose en diminuant la réponse cellulaire à l’insuline et dérégule l’immunité. Dans le parodonte, les médiateurs de l’inflammation contri buent à une réponse inflammatoire exacerbée. De plus, l’homéostasie des tissus conjonctif, osseux et vasculaire est affectée.
Le diabète de type 2 augmente ainsi la fréquence, la sévérité et la progression des parodontites et complique la réponse au traitement parodontal [3]. La sévérité de l’atteinte parodontale dépend du contrôle du diabète et la consultation de parodontie peut être un lieu propice au dépistage du prédiabète et du diabète [4] (figure 1).
Les rhumatismes inflammatoires constituent une autre famille de maladies fréquemment rencontrées en parodontie. Parmi celles-ci, la polyarthrite rhumatoïde est une maladie inflammatoire chronique articulaire dont la prévalence est de moins de 1 %. Elle partage avec la parodontite plusieurs facteurs de risque et interactions biologiques réciproques possibles via des cytokines pro-inflammatoires. Le risque d’avoir une parodontite chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde est significativement plus élevé que dans la population géné rale [5] (figure 2). Certains patients peuvent aussi présenter une ostéoporose qui fragilise la microstructure osseuse et augmente le risque de fracture. L’ostéoporose partage avec la parodontite une résorption osseuse augmentée et des facteurs de risque comme la consommation de tabac. Il pourrait exister une association chez la femme ménopausée entre l’ostéoporose et la perte d’attache [6].
D’autres maladies systémiques peuvent affecter la santé parodontale : l’insuffisance rénale chronique, l’obésité morbide, le syndrome métabolique, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin et de nombreux traitements médicamenteux.
Des maladies beaucoup plus rares peuvent affecter directement le système immunitaire (et perturber la réponse de l’hôte aux bactéries) et/ ou créer des défauts constitutionnels du système d’attache. Ce sont souvent des maladies d’origine génétique où l’atteinte parodontale est rarement isolée.
Dans les déficits immunitaires primitifs, qui sont des maladies rares souvent responsables d’infections récurrentes et d’une altération sévère de l’état général, une atteinte parodontale est fréquente et responsable de parodontites sévères qui peuvent apparaitre dès l’enfance [7]. Il est vraisemblable que toute déficience ou dysfonction concernant des cellules de l’immunité innée ou adaptative a des répercussions plus ou moins importantes sur les tissus parodontaux. Le rôle majeur des neutrophiles est ainsi illustré par les répercussions parodontales sévères lorsque leur nombre ou leur fonction phagocytaire sont altérés (neutropénie congénitale, agranulocytose médicamenteuse, syndrome de Chédiak-Higashi, syndrome de déficience d’adhésion des leucocytes…) (figure 3).
Des maladies génétiques peuvent également entraîner des anomalies structurelles du système d’attache et de l’appareil d’ancrage. Le parodonte n’est alors plus capable de jouer son rôle d’interface avec l’environnement extérieur, d’ancrer la dent à l’os des maxillaires ni de s’adapter aux contraintes permanentes exercées sur la dent. Ainsi, certaines formes du syndrome d’Ehlers-Danlos caractérisées par une fragilité du tissu conjonctif sont responsables d’atteintes parodontales précoces et très évolutives. Dans l’hypophosphatasie, un défaut de minéralisation causé par des mutations du gène de la phosphatase alcaline peut entraîner une formation réduite de cément sur la racine dentaire et un ancrage anormal des faisceaux de fibres du ligament parodontal [8]. Ces défauts du système d’attache sont responsables de pertes dentaires prématurées chez l’enfant ou l’adulte et de parodontites précoces et sévères (figure 4). D’autres maladies génétiques osseuses sont responsables d’atteintes parodontales.
De nombreuses maladies générales ont des répercussions sur la santé parodontale et sur l’évolution d’une parodontite. Il existe un continuum entre maladies fréquentes et maladies rares où ces dernières peuvent constituer des exemples extrêmes des dérégulations présentes dans les maladies fréquentes. L’identification de ces maladies générales comme facteur de risque individuel chez un patient est indispensable à l’efficacité et à la conduite en toute sécurité du traitement parodontal.
Martin Biosse Duplan déclare des liens d’intérêts avec Kyowa Kirin pharma et Alexion pharmaceuticals, les autres auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts. Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant cet article.