Microchirurgie parondontale
Hanna KRUK* Grégoire CHEVALIER** Selma CHERKAOUI*** Xavier BENSAID**** Marc DANAN*****
*Groupe hospitalier Henri-Mondor Albert-Chenevier Exercice exclusif parodontologieimplantologie Exercice libéral, Vincennes
**Diplôme hospitalier de parodontologieimplantologie Groupe hospitalier Henri-Mondor Albert-Chenevier Exercice libéral, Paris
***Diplôme hospitalier de parodontologieimplantologie Groupe hospitalier Henri-Mondor Albert-Chenevier Exercice libéral, Paris
****AHU parodontologie, Faculté Paris-Descartes Exercice libéral, L’Hay-les-Roses
*****MCU, Faculté Paris-Descartes Exercice exclusif parodontologieimplantologie Exercice libéral, Paris
On observe depuis 20 ans que les techniques medicales classiques laissent de plus en plus la place a des approches moins invasives. Diminuer le traumatisme chirurgical, reduire les douleurs postoperatoires, rendre les cicatrices de moins en moins visibles apres les interventions, tels sont aujourd’hui les defis majeurs que les chirurgiens doivent relever. La comprehension toujours plus grande des facteurs intervenant dans la cicatrisation a conduit a la modification des techniques...
La chirurgie mini-invasive constitue aujourd’hui une solution de remplacement des techniques chirurgicales conventionnelles de choix dans le traitement des lésions intra-osseuses. L’avancée dans la compréhension des facteurs de cicatrisation a permis de faire évoluer les protocoles chirurgicaux. Les dernières données scientifiques montrent que l’évaluation du ressenti du patient, de sa satisfaction et du résultat esthétique est de plus en plus au centre des thérapeutiques. La chirurgie miniinvasive s’inscrit dans cette tendance : les paramètres cliniques sont améliorés, le temps d’intervention et les suites postopératoires sont fortement diminués pour le patient. De nouveaux indices permettent de quantifier de façon objective la cicatrisation obtenue. Cependant, les indications de chirurgie mini-invasive présentent des limites. Le but de cet article est de dresser un panorama des données actuelles de la littérature scientifique sur la chirurgie-invasive.
On observe depuis 20 ans que les techniques medicales classiques laissent de plus en plus la place a des approches moins invasives. Diminuer le traumatisme chirurgical, reduire les douleurs postoperatoires, rendre les cicatrices de moins en moins visibles apres les interventions, tels sont aujourd’hui les defis majeurs que les chirurgiens doivent relever. La comprehension toujours plus grande des facteurs intervenant dans la cicatrisation a conduit a la modification des techniques chirurgicales en faveur de protocoles de chirurgie a minima. La regeneration parodontale a suivi cette tendance. Dans le cadre du traitement des lesions intra-osseuses, plusieurs etudes montrent qu’avec la chirurgie mini-invasive, l’amelioration des parametres cliniques est similaire, voire superieure, a celle des techniques classiques de chirurgie parodontale. Les objectifs de cet article sont de presenter les differents protocoles de chirurgie mini-invasive ainsi que les resultats cliniques obtenus en s’appuyant sur des essais cliniques bien documentes.
À partir de 1990, la chirurgie mini-invasive est définie comme la capacité à réaliser une intervention chirurgicale avec des incisions très réduites et un champ opératoire beaucoup plus restreint qu’auparavant [1, 2]. Des aides optiques – microscopes ou loupes – peuvent être utilisées. C’est en 1995 que Harrel décrit pour la première fois la chirurgie mini-invasive dans le cadre de la régénération parodontale : la minimally invasive surgery ou MIS [3]. Deux incisions intrasulculaires sont réalisées autour de chaque dent bordant la lésion intra-osseuse et une incision interdentaire, le plus souvent déportée en palatin ou lingual, rejoint les incisions intrasulculaires [4] (figures 1 et 2). La papille est disséquée et de petits lambeaux vestibulaires et palatins/linguaux sont décollés.
Un manque d’intérêt pour la chirurgie mini-invasive est alors constaté dans la littérature médicale. En effet, très peu d’articles sont publiés jusqu’en 2007, date à laquelle Cortellini et Tonetti modifient la MIS en y associant les techniques de préservation papillaire : c’est la minimally invasive surgical technique (MIST) [5]. C’est le point de départ de nouveaux protocoles de chirurgie mini-invasive. Ces auteurs s’inspirent du concept du lambeau de préservation papillaire [6, 7] (figures 3 à 8). L’objectif est de garantir une vascularisation optimale de la papille interdentaire et d’éviter la rétraction gingivale postopératoire, inesthétique dans les secteurs antérieurs. En effet, au cours de l’élévation du lambeau muco-périosté, le périoste est séparé du ligament alvéolo-dentaire, ce qui induit un traumatisme vasculaire, particulièrement au niveau des zones inter-dentaires, d’où la nécessité de les préserver au maximum par des techniques de préservation papillaire. L’incision proximale est déportée du côté palatin pour garder l’intégralité tissulaire du côté vestibulaire. Cortellini et al. établissent le tracé des incisions selon la largeur de l’espace interdentaire. Si celui-ci est supérieur ou égal à 2 mm, on réalise une technique de préservation papillaire modifiée (MPPT : modified papilla preservation technique) [8] pour garder l’intégralité de la papille. S’il est inférieur à 2 mm, il est impossible de conserver l’intégralité de la papille. On rentre alors dans la papille pour obtenir la plus grande épaisseur tissulaire possible. C’est la technique du lambeau de préservation papillaire modifié (SPPF : simplified papilla preservation flap) [9] (figures 9 à 16).
D’autres équipes ont par la suite mené des essais cliniques pour étudier la mise en place de biomatériaux et la cicatrisation obtenue. À ce jour, il n’existe que peu de revues de la littérature scientifique [10] sur la chirurgie mini-invasive dans la régénération parodontale. Paradoxalement, cette approche est aujourd’hui de plus en plus utilisée.
Aujourd’hui, une des évolutions de la chirurgie mini-invasive est le traitement simultané de la lésion intra-osseuse et de la récession parodontale. L’adjonction d’un greffon conjonctif à ce type de procédure permet d’épaissir le morphotype gingival, limitant ainsi les rétractions post-opératoires [11].
Après une thérapeutique étiologique, quand des poches profondes supérieures à 6 mm persistent en association avec une lésion intra-osseuse, le traitement chirurgical est recommandé [12]. L’approche chirurgicale conventionnelle indique un abord par sextant ou par quadrant. Aujourd’hui, une lésion isolée sera plutôt abordée par chirurgie mini-invasive, laquelle concerne :
• une ou plusieurs lésions intra-osseuses isolées : le champ opératoire est limité à 2 ou 3 dents ;
• des lésions intra-osseuses à 1, 2 ou 3 parois ou combinées [13] dont l’étendue est inférieure à la moitié de la hauteur radiculaire. Les indications de chirurgie mini-invasive présentent des limites :
• une lésion très profonde ne sera pas abordée par chirurgie mini-invasive ; elle nécessitera une grande laxité du lambeau avec un décollement impliquant plusieurs dents afin d’accéder correctement au fond de la lésion ;
• de même, dans le cas de lésions sévères multiples, un lambeau a minima ne suffira pas à traiter l’ensemble des lésions.
Trois approches principales sont décrites dans la littérature scientifique : les MIS et MIST évoquées précédemment, la technique de chirurgie mini-invasive modifiée (M-MIST, modified minimally invasive surgical technique) et, enfin, l’approche par lambeau unilatéral (SFA, single flap approach).
La M-MIST permet de garder la papille intacte [14] : les incisions intrasulculaires sont reliées par une incision horizontale au niveau du sommet de la papille. Un petit lambeau triangulaire est décollé unilatéralement. La lésion est débridée grâce à un accès vestibulaire ou palatin. Cette technique ne peut s’appliquer qu’à des situations où le défaut n’est pas trop étendu dans le sens vestibulo- lingual, autorisant un accès à la lésion de façon unilatérale uniquement. Les figures 17 à 23 montrent une lésion intra-osseuse en mésial et distal de la première molaire droite. Les incisions intrasulculaires sont étendues sur 3 dents. Les papilles sont préservées dans leur épaisseur maximale. Les parois osseuses résiduelles restent visibles lors de l’abord. La lésion est débridée. Deux points de matelassier verticaux sont réalisés.
Dans le même esprit, Trombelli et al. décrivent la SFA [15]. L’extension mésio-distale est aussi limitée que possible. Les incisions intrasulculaires ne sont réalisées qu’en vestibulaire en suivant le rebord gingival marginal de la dent impliquée. Dans la zone interproximale, une incision oblique ou horizontale est tracée selon le profil de l’os sous-jacent (figures 24 à 29). La distance entre le sommet de la papille et le niveau corono-apical de l’incision interdentaire est déterminée par la dimension corono-apicale de la papille et de l’os sousjacent : plus la distance entre le sommet de la papille et l’os sous-jacent est importante, plus l’incision vestibulaire de la zone interdentaire sera apicale. Un lambeau vestibulaire est décollé sans toucher à l’espace interdentaire du côté palatin. Pour suturer, un point de matelassier horizontal est placé à la base de la papille associé à un point de matelassier vertical ou horizontal entre la partie la plus coronaire du lambeau et la partie la plus coronaire de la papille.
La plupart des études associent la chirurgie mini-invasive à l’utilisation de différents biomatériaux : membranes résorbables [16, 17], os d’origine humaine cryophilisé déminéralisé (demineralized freeze-dried bone allograft, DFDBA) aujourd’hui non utilisable en France [18], os bovin déprotéinisé de type Bio-Oss® [19], combinaison de membranes et de greffes [20] et protéines dérivées de la matrice amélaire (EMD, enamel matrix derivative) [21, 22].
Si nous synthétisons la majeure partie des études cliniques concernant la chirurgie mini- invasive (tableau 1), la littérature met en évidence plusieurs points :
• les articles les plus récents s’intéressent essentiellement aux techniques d’abord chirurgical unilatéral M-MIST ou SFA (lambeau vestibulaire ou lingual/palatin) ;
• 2 publications seulement comparent la chirurgie mini-invasive aux techniques conventionnelles d’abord chirurgical bilatéral. Aucun biomatériau n’est alors utilisé ;
• la plupart des études (15 sur 17) utilisent des biomatériaux. Les protéines dérivées de la matrice de l’émail sont fréquemment rencontrées dans les données publiées.
Les études les plus récentes concernent les techniques combinées d’adjonction d’un greffon conjonctif au traitement des lésions intra-osseuses par chirurgie mini-invasive. L’étude de Trombelli en 2017 est la seule qui compare un protocole de chirurgie mini-invasive (single flap approach) avec ou sans utilisation de greffon conjonctif sur un échantillon de 30 patients [11]. Les défauts sont systématiquement comblés avec un mélange de protéines dérivées de la matrice de l’émail (EMD) et de xénogreffe osseuse. Les paramètres cliniques sont améliorés à 6 mois. Les récessions parodontales post-opératoires persistent mais sont diminuées dans le groupe avec adjonction d’un greffon conjonctif. L’apport d’un greffon conjonctif permet donc de limiter les récessions post-chirurgicales, en particulier en présence d’une destruction de la corticale osseuse sévère (> 5 mm).
Un essai clinique randomisé cherche à comparer l’efficacité d’un lambeau unilatéral vestibulaire (groupe SFA : 14 patients) par rapport à un lambeau bilatéral plus traditionnel (DFA, double flap approach), vestibulaire et lingual/palatin (groupe 2 : 14 patients) [33]. Aucun matériau de régénération n’est utilisé. Ses auteurs concluent que l’abord unilatéral est une technique fiable qui aboutit, au bout de 6 mois, à la même amélioration des paramètres cliniques que l’abord bilatéral : le gain d’attache clinique est alors de 4,5 mm pour le groupe SFA et de 3,4 mm pour le groupe DFA ; la réduction de profondeur de poche est de 5,2 mm pour le groupe SFA et de 3,9 mm pour le groupe DFA. Les différences ne sont pas significatives.
La grande majorité des études traitant de chirurgie mini-invasive par abord bilatéral utilisent des biomatériaux et montrent une amélioration significative des paramètres cliniques. Ribeiro et al. publient le seul essai clinique randomisé cherchant à évaluer les bénéfices de l’EMD associé à la MIST [31]. Trente patients sont inclus : 15 avec MIST seule et 15 avec MIST + EMD. Un patient est perdu de vue. Le recul postopératoire est de 6 mois. Les résultats obtenus ne montrent pas de différence significative dans l’amélioration des paramètres cliniques avec ou sans adjonction d’EMD au bout de 6 mois : la réduction de profondeur de poche est d’environ 3,5 mm pour les deux groupes. De même, Cortellini et Tonetti ne parviennent pas à démontrer les bénéfices de l’adjonction d’un biomatériau [32]. Ils comparent la M-MIST seule à la M-MIST + EMD ou à la M-MIST + EMD + Bio-Oss® pendant 1 an. Chaque groupe comprend 15 lésions intra-osseuses. Au bout de 1 an, ces auteurs constatent une amélioration des paramètres cliniques similaires dans les trois groupes : le gain d’attache clinique est de 4,1 mm pour la MMIST seule, de 4,1 mm pour la M-MIST + EMD et de 3,7 mm pour la M-MIST + EMD + Bio-Oss®.
Plus récemment, Cosyn et al. réalisent la première étude prospective associant la chirurgie mini-invasive avec de l’os bovin déprotéinisé uniquement (Bio-Oss® Collagen) [25]. Quatre-vingt-quinze patients sont traités. Les résultats sont évalués au bout de 1 an. Onze patients sont perdus de vue. Les résultats traduisent l’efficacité avérée de cette technique : la réduction de profondeur de poche moyenne obtenue est de 3,5 mm et le gain d’attache clinique est de 3,1 mm. Cette étude est également la seule qui s’intéresse aux facteurs d’échec de la chirurgie mini-invasive. Un gain d’attache clinique inférieur ou égal à 1 mm est considéré comme un échec. Le taux d’échecs obtenu est de 15 %, ce qui s’inscrit dans la moyenne de 10 à 25 % signalée par les études traitant des techniques régénératives en général. Une analyse de plusieurs variables a permis de présenter des modèles de régression linéaire qui mettent en relation le taux d’échecs et certains facteurs de risque : l’accumulation de plaque et l’anatomie de la lésion intra-osseuse ne permettant pas de contenir le biomatériau. Il est intéressant de noter que les critères d’inclusion de la plupart des études regroupent des lésions intra-osseuses profondes (entre 7 et 8 mm) (figure 30). Le potentiel de cicatrisation intrinsèque d’une lésion intra-osseuse est dépendant de sa morphologie : plus une lésion est profonde et meilleur sera son potentiel de cicatrisation. Cela peut expliquer l’absence de bénéfice statistiquement significatif de l’adjonction d’un biomatériau.
Les figures 31 à 42 illustrent un cas clinique traité par M-MIST en association avec une xénogreffe. Au départ, la lésion intra-osseuse entre 46 et 47 est profonde : 9 mm de profondeur de poche parodontale en vestibulaire et 8 mm en lingual. La largeur de l’espace interdentaire oblige à garder l’épaisseur maximale de la papille. L’abord chirurgical est strictement unilatéral. Le lambeau est décollé pour accéder à la lésion. Les parois osseuses résiduelles sont visibles, la lésion est débridée et comblée au Bio-Oss®. Un point de matelassier horizontal croisé est réalisé. La lésion est comblée. Au bout de 1 an, les profondeurs de poche parodontales sont réduites de 4 mm en vestibulaire et de 5 mm en lingual, ce qui est en accord avec les résultats présentés dans la littérature scientifique. On ne note pas de rétraction gingivale postopératoire.
Une rétraction gingivale postopératoire a lieu de façon systématique mais peu importante par rapport aux techniques traditionnelles.
Alors que le résultat esthétique est prépondérant dans la chirurgie plastique parodontale, il est rare de l’évoquer pour les thérapeutiques régénératives des lésions intra-osseuses. Pourtant, Cosyn et al. introduisent cette notion en évaluant le PES (pink esthetic score) [25]. Cet indice, décrit par Fürhauser, inclut 7 critères : papille mésiale, papille distale, niveau de la récession vestibulaire (ou lingual/palatin), contour des tissus mous en vestibulaire (ou lingual/palatin), déficience du procès alvéolaire, couleur des tissus mous et texture des tissus mous [37]. Il est mesuré avant et 1 an après l’intervention. Chaque critère est évalué selon un score de 0 (le plus faible), 1 ou 2 (le meilleur). À l’origine, il a été conçu pour évaluer les tissus mous autour des implants.
Les résultats obtenus montrent une détérioration significative du niveau des tissus mous sur la face vestibulaire au bout de 1 an : le PES est passé de 10,06 à 9,42 en moyenne, ce qui confirme que la rétraction gingivale a lieu malgré les techniques de chirurgie mini-invasive utilisées.
L’abord unilatéral ne présente pas d’avantage par rapport à l’abord bilatéral : la rétraction gingivale postopératoire est de 0,7 mm dans le groupe SFA contre 0,5 mm quand l’abord est bilatéral. Cette différence s’explique par la trop forte tension [38] exercée lors d’un abord unilatéral. À l’inverse, l’abord bilatéral permet une plus grande laxité du lambeau et diminue ainsi la tension des tissus. Ces résultats sont confirmés par Cosyn et al. qui obtiennent également une rétraction gingivale très peu importante de 0,3 mm au bout de 1 an [25].
Les conclusions des différentes études laissent donc penser que la chirurgie mini-invasive limite de façon importante la rétraction gingivale postopératoire grâce aux techniques de préservation papillaire. Le PES permet de mesurer de façon objective un critère subjectif, l’esthétique. D’ordinaire, dans les études, c’est uniquement le niveau de récession qui est évalué avant et après la chirurgie. À présent, l’intégration du site dans son environnement est également à prendre en compte.
Cependant, si les protocoles de chirurgie mini-invasive limitent les rétractions gingivales postopératoires, elles ne les empêchent pas. Farina et al. ont mis en évidence des récessions parodontales vestibulaires post-chirurgicales sur 74 lésions intra-osseuses, même si celles-ci étaient traitées par SFA (lambeau de petite étendue unilatéral) [39]. Plus le défaut osseux est profond, plus la destruction de la corticale vestibulaire est importante et plus la récession parodontale augmente après l’intervention. Les avancées en chirurgie muco-gingivale ont montré que le greffon conjonctif reste aujourd’hui le gold standard en termes d’épaississement gingival et de recouvrement radiculaire [40]. L’adjonction d’un greffon conjonctif au traitement des lésions intra-osseuses sévères ou en cas d’insuffisance de tissu kératinisé pourrait donc limiter les récessions postopératoires et permettre un recouvrement radiculaire dans certaines situations [11.]
C’est l’avancée dans la compréhension des facteurs de cicatrisation qui est à l’origine des techniques de chirurgie mini-invasive. Le défi auquel est confronté tout chirurgien est en effet d’obtenir une fermeture de première intention pour une cicatrisation optimale, tout en diminuant les suites opératoires pour le patient.
D’un point de vue systémique, les facteurs influençant la cicatrisation sont aujourd’hui connus : état général du patient, médications, présence d’une pathologie générale, tabac… D’un point de vue local, les facteurs intrinsèques à la lésion intra-osseuse conditionnent son potentiel de cicatrisation : nombre de parois osseuses résiduelles [13], morphotype parodontal, épaisseur des tables osseuses… Plus une lésion est étroite et profonde et plus le morphotype parodontal et les tables osseuses sont épais, meilleur sera le potentiel de cicatrisation intrinsèque de la lésion. D’un point de vue biologique, la formation d’un caillot sanguin est la réponse immédiate à tout traumatisme. Ce caillot a deux fonctions : protéger temporairement les tissus et servir de matrice à la migration cellulaire. Dans les trois premiers jours, le premier stade de l’inflammation [41] succède à la formation du caillot. L’épithélialisation a lieu quelques heures après le traumatisme. Le modèle parodontal est complexe dans le cadre du traitement des lésions intra-osseuses car un lambeau muco-périosté est apposé sur une surface avasculaire minéralisée [42] : la racine dentaire. Trois concepts biologiques [43] régissent la cicatrisation : le maintien d’un espace suffisant pour le caillot (notamment dans le cadre de la régénération tissulaire où le maintien de l’espace sous la membrane est essentiel à la régénération), la stabilité du caillot et la fermeture de première intention. Tonetti et al. montrent que l’espace disponible est quasiment proportionnel au gain tissulaire [44]. C’est en effet cette notion d’espace qui permet la stabilisation/adhésion du caillot. La chirurgie mini-invasive est fondée sur ces principes et permet, grâce à la préservation papillaire et à la réduction du traumatisme chirurgical :
• d’améliorer la vascularisation et la stabilité du caillot ;
• de maintenir l’espace nécessaire à la régénération en évitant que les tissus interdentaires se collapsent.
Une étude parue en 2007 montre qu’en fonction du tracé du lambeau, la vascularisation est différente [45]. Cet essai clinique randomisé est réalisé en bouche divisée sur 20 défauts chez 10 patients avec une profondeur de poche supérieure ou égale à 5 mm. Dix défauts ont été traités à l’aide d’un lambeau de Widman modifié (groupe contrôle) et les 10 autres avec un lambeau de préservation papillaire (groupe test). Dans les deux groupes, les lambeaux s’étendent sur 3 papilles interproximales. À l’aide d’une méthode non invasive de mesure de flux sanguin (laser Doppler flowmetry), les auteurs évaluent la vascularisation au bout de 1, 2, 3, 4, 7, 15, 30 et 60 jours. L’injection d’anesthésie avec vasoconstricteur provoque une ischémie pendant au moins les deux premières heures. Puis un pic hyperhémique est observé le jour suivant l’intervention au niveau de la périphérie du lambeau. La réponse hyperhémique se résout au bout de 4 jours pour la technique de préservation papillaire et au bout de 7 jours pour la technique conventionnelle. Plus la réponse hyperhémique à la périphérie du lambeau est courte, plus la microcirculation revient rapidement au niveau du lambeau. Au bout de 7 jours, on observe un meilleur flux sanguin dans le groupe test. La préservation papillaire permet donc de favoriser la vascularisation. Au bout de 15 jours, on constate un retour à la normale.
Le maintien du caillot est primordial dans la cicatrisation. Une déhiscence ou une non-coaptation des berges dans la première semaine après l’intervention peut compromettre la stabilité du caillot et son adhésion à la surface dentaire, ainsi que la vascularisation du site. Wikesjö et al. ont prouvé, dans un modèle expérimental, que sans adhésion du caillot à une surface dentaire traitée par héparine, composant empêchant cette adhésion, il n’y a pas de nouvelle attache conjonctive [46].
Une étude très récente montre que les techniques de chirurgie mini-invasive permettent d’obtenir une cicatrisation optimale de façon plus prédictible [34]. Trente-cinq patients et 43 lésions intra-osseuses sont inclus dans cette étude, dont 7 fumeurs et 2 diabétiques de type 1 non stabilisés (hémoglobine glyquée ≥ 7 %). La configuration des lésions intra-osseuses est précisée : 4 lésions à 1 ou 2 parois combinées, 3 lésions à 2 parois, 26 lésions à 2 ou 3 parois combinées et 10 lésions à 3 parois. En fonction du nombre de parois résiduelles, plusieurs approches thérapeutiques sont adoptées : 25 défauts sont traités par SFA seul, les autres le sont avec greffe osseuse associée ou non à une membrane. Le but de cette étude est de chercher à évaluer précisément la cicatrisation. Le early wound healing index (EHI) est un indice de cicatrisation, à 1 et 2 semaines postchirurgicales, introduit en 2003 par Wachtel et al. pour la microchirurgie [47]. Farina et al. sont les premiers à l’utiliser dans le cadre de la chirurgie mini-invasive [34] :
• fermeture complète sans liseré de fibrine en interdentaire (2 semaines) ;
• fermeture complète avec liseré de fibrine (2 semaines) ;
• fermeture complète avec caillot de fibrine (1 semaine) ;
• fermeture incomplète avec nécrose partielle (1 semaine) – fermeture incomplète avec nécrose totale (2 semaines).
Les figures 43 à 46 illustrent ces différentes possibilités de cicatrisation.
La cicatrisation idéale est un EHI de 1. Un score compris entre 1 et 3 est compatible avec une fermeture de première intention. En revanche, un score de 4 ou 5 indique une nécrose partielle ou totale des tissus. Les résultats montrent que plus de 80 % des patients traités dans cette étude présentent un EHI de 1 ou 2, ce qui correspond à une cicatrisation optimale. Cependant, 15 % des patients présentent une nécrose partielle, même avec une technique de chirurgie mini-invasive de type SFA. Aucune nécrose totale n’est rapportée.
Ainsi, la prédictibilité de fermeture complète de première intention est très importante avec les protocoles mini-invasifs. Cependant, la littérature scientifique rapporte que les conditions de cicatrisation optimale ne sont pas obtenues de façon systématique. De nombreux facteurs confondants propres au patient, à l’anatomie du défaut et aux compétences du chirurgien sont encore inexpliqués et interfèrent dans la cicatrisation. L’EHI est un indice qu’il sera très intéressant d’exploiter dans les futures études cliniques car c’est le seul indice existant qui permette d’évaluer la cicatrisation des sites opératoires.
La médecine fondée sur la preuve s’ancre sur la rencontre entre les preuves scientifiques de la littérature, l’expérience clinique des praticiens et les préférences du patient. Tout traitement parodontal est le fruit d’un partenariat entre le clinicien et son patient. Si le clinicien est apte à évaluer ses résultats en fonction de différentes mesures objectives de profondeur de poche ou de gain d’attache clinique par exemple, il est tout aussi important qu’il accorde un plus grand rôle à ses patients et qu’il évalue leur ressenti et l’étendue des suites postopératoires, partie subjective des résultats. Dans sa revue de littérature, Cortellini constate, grâce à la chirurgie mini-invasive, une diminution des suites postopératoires entre les études réalisées dès 2001 et les plus récentes [48, 49] (tableau 2).
Le récent consensus de Tonetti et Jepsen souligne deux points, généralisables à toute thérapeutique [50] :
• premièrement, le rôle du patient dans la réussite du traitement, notamment au niveau du maintien d’une bonne hygiène bucco-dentaire ;
• deuxièmement, la satisfaction du clinicien qui n’est pas fondée sur les mêmes critères que la satisfaction du patient.
En effet, un praticien privilégie la mesure des paramètres cliniques ainsi que l’épaisseur et la dimension des tissus tandis que le patient se concentre sur les douleurs postopératoires, la durée de l’intervention et le résultat esthétique. Depuis peu, il semble de plus en plus important d’inclure le ressenti du patient dans le choix des thérapeutiques et dans l’évaluation des résultats. L’intensité de la douleur peut être évaluée par le patient selon l’échelle visuelle analogique (EVA) : 0 est le minimum et 10 le maximum.
Ainsi, une feuille de route destinée à guider les choix thérapeutiques du praticien dans la chirurgie mini-invasive a été établie.
En voici les cinq points principaux :
• la lésion intra-osseuse atteint-elle plus de la moitié de la hauteur radiculaire ? Une lésion sévère atteignant plus de la moitié de la hauteur radiculaire est une contre-indication à la chirurgie mini-invasive ;
• la lésion intra-osseuse est-elle accessible du côté vestibulaire uniquement ? Si oui : l’abord doit être unilatéral par technique M-MIST ou SFA. Si non, l’abord doit être bilatéral par technique MIS ou MIST ;
• la largeur de l’espace interdentaire est-elle supérieure à 2 mm ? Si oui, la technique MPPT de conservation de la papille dans sa globalité doit être utilisée. Si non, la technique SPPF de conservation de l’épaisseur maximale de la papille doit l’être ;
• le morphotype parodontal est-il fin ou épais ? Avec un morphotype fin, on s’orientera plutôt vers une technique de préservation de l’épaisseur maximale de la papille afin d’éviter tout déchirement tissulaire ;
• la lésion intra-osseuse est-elle étroite et profonde ou large et profonde ? Une lésion étroite et profonde aura un potentiel de cicatrisation intrinsèque très favorable et ne nécessitera pas obligatoirement l’apport d’un biomatériau. À l’inverse, il est recommandé d’associer un biomatériau aux techniques de chirurgie mini-invasive quand la lésion est large et profonde. L’adjonction d’un greffon conjonctif est également indiquée pour prévenir les rétractions postchirurgicales et épaissir un morphotype parodontal fin lors du traitement d’une lésion intra-osseuse.
La satisfaction du patient et l’évaluation de la cicatrisation étant les deux notions importantes de chirurgie mini-invasive, les deux questions suivantes seront posées à la fin de l’intervention :
• quelle est la cicatrisation obtenue ? Le praticien évalue la cicatrisation à l’aide de l’EHI et le résultat esthétique à l’aide du PES ;
• le patient est-il satisfait de l’intervention ? La prise d’antalgiques sera quantifiée, la douleur du patient sera évaluée sur l’échelle visuelle analogique de la douleur EVA, de même que sa satisfaction globale.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article.