Clinic n° 12 du 01/12/2020

 

Parodontie

Sarah Le Roch  

Exercice privé exclusif, ParisAttachée universitaire, UFR d'odontologie Denis-DiderotAncienne interne des hôpitaux de Paris, Service d'odontologie, Département de parodontologie, hôpital Rothschild AP-HP

La parodontite est une maladie inflammatoire dont l'évolution varie d'un individu à l'autre en termes de sévérité, de complexité et de taux de progression. Il peut arriver que le soignant se sente démuni quant à l'organisation de son plan de traitement lorsque son patient en est atteint. L'objectif de cet article est, au travers d'un cas clinique illustré, de répondre à la question de la faisabilité d'une thérapeutique orthodontique chez le patient présentant initialement une...


La parodontite est une maladie inflammatoire dont l'évolution varie d'un individu à l'autre en termes de sévérité, de complexité et de taux de progression. Il peut arriver que le soignant se sente démuni quant à l'organisation de son plan de traitement lorsque son patient en est atteint. L'objectif de cet article est, au travers d'un cas clinique illustré, de répondre à la question de la faisabilité d'une thérapeutique orthodontique chez le patient présentant initialement une parodontite sévère, d'identifier le moment opportun pour sa mise en œuvre, et de souligner ses intérêts et ses risques.

Introduction

La séquence chronologique des différentes phases du traitement parodontal et orthodontique est souvent la source de questionnement pour les praticiens ainsi que pour le patient. Le travail présenté dans cet article permet ainsi d'illustrer la coordination de l'orthodontiste (Dr. Diane Gourdon) et du parodontiste pour le déroulement du traitement global d'une patiente atteinte de maladie parodontale et souhaitant effectuer une thérapeutique orthodontique.

Pour répondre à la question de la chronologie globale des traitements à la fois parodontaux et orthodontiques d'un patient atteint de parodontite, nous détaillerons et illustrerons ici le cas d'une adolescente âgée de 15 ans, adressée par son orthodontiste pour un bilan parodontal avant le début de son traitement.

Comme pour toute prise en charge en odontologie, la première consultation débute par une appréhension globale de la patiente. L'adolescente est scolarisée en classe de 3e, habite chez ses parents. Elle est d'origine ethnique africaine et présente un bon état de santé général (ASA 1).

Le recueil des anamnèses permet de se renseigner sur l'histoire dentaire : la patiente rapporte, en termes de symptômes et de signes de maladie parodontale, des gingivorragies ainsi que des suppurations, des mobilités et des migrations dentaires, une halitose. On suspecte également la présence d'un terrain familial puisque la maman et l'une de ses tantes ont perdu des dents jeunes également.

En ce qui concerne l'hygiène orale, la patiente se brosse les dents une à deux fois par jour de façon irrégulière, à l'aide d'une brosse manuelle, et se rend rarement chez un dentiste pour détartrage (moins d'une fois tous les 3 ans).

L'examen clinique extra-oral révèle une morphologie faciale ovale, les étages de la face sont proportionnés, la symétrie est verticale et le profil convexe.

Le sourire est disharmonieux en raison d'asymétries et de malpositions dentaires notables (fig. 1).

L'esthétique constitue le motif de consultation majeur de la patiente auprès de son orthodontiste.

L'analyse occlusale statique révèle un surplomb antérieur de 5 mm, un recouvrement antérieur de + 7 mm à droite et + 4 mm à gauche. En vue sagittale droite, une classe d'Angle canine et molaire de classe I, et en vue sagittale droite, une classe d'Angle canine II et molaire III, avec la dent 45 en linguo-position (fig. 2).

L'occlusion dynamique présente un guide antérieur fonctionnel, une fonction de groupe à droite et une fonction canine à gauche. La formule dentaire est complète (fig. 3).

L'examen clinique parodontal révèle un phénotype plutôt épais et plat avec un degré d'inflammation important. En effet, l'indice de saignement est élevé (60 %). La gencive est œdématiée, rouge-violacée par endroits avec des saignements spontanés. L'indice de plaque est de 90 % (fig. 4).

Le charting parodontal révèle des poches profondes ≥ 6 mm au niveau des dents 16, 12, 11, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 46, 45, 43, 42, 41, 31, 32, 34, 36, 37, et des lésions inter-radiculaires au niveau de 16, 26, 27, 36 (fig. 5).

Le status radiographique, ou bilan long cône, objective l'alvéolyse angulaire prononcée au niveau des molaires et fait suspecter une atteinte des espaces inter-radiculaires au niveau de 16, 26 et 36. Il y a également une alvéolyse horizontale et verticale au niveau des secteurs antérieurs au maxillaire et à la mandibulaire (fig. 6).

La maladie parodontale étant une maladie inflammatoire à composante dysbiotique, l'analyse microbiologique confirme la présence, au-delà de leur seuil de pathogénicité, des bactéries du complexe rouge (Tf, Td) et de A.a.

Diagnostic et pronostic parodontal

Le diagnostic initial est donc, suivant la classification de Chicago 2017, une parodontite stade 3 grade C généralisée [1].

Pronostic dentaire avant traitement

Un pronostic réservé est posé sur les incisives maxillaires et mandibulaires en raison de la présence de poches parodontales profondes atteignant 13 mm. La conservation des dents 16 et 26 ne semble pas évidente de prime abord, c'est pourquoi leur pronostic est incertain. Le pronostic de 36 est quant à lui très réservé en raison de la profondeur de sondage et de la lésion inter-radiculaire de degré II [2].

Pronostic global de la maladie parodontale chez la patiente

Le jeune âge de la patiente, son bon état de santé et sa motivation au traitement sont trois éléments qui, confrontés à la sévérité initiale de sa parodontite et à son degré d'évolution manifestement rapide, conduisent à établir un pronostic global moyen à bon.

Plan de traitement/justification

Les deux objectifs de traitement sont, d'une part, le suivi de l'inflammation au travers du contrôle des facteurs de risque locaux et généraux et, d'autre part, de répondre aux attentes de la patiente en lui permettant d'accéder à sa demande orthodontique.

Identification des facteurs de risque

La patiente présente un bon état de santé systémique. Toutefois, en se basant sur certaines données de la littérature mettant en avant le fait que les populations d'Afrique ont plus souvent des carences en vitamine D, se traduisant par une dérégulation du métabolisme osseux, un dosage de son taux de vitamine D a été effectué et une carence a été révélée. Une prescription est faite d'une ampoule buvable de 25-OH-D3 (100 000 UI) et le dosage est renouvelé 3 mois plus tard [3].

Au niveau local, la patiente présente une forte inflammation avec un indice de plaque de 90 % et un indice de saignement de 60 %. Le brossage de ses dents est irrégulier, effectué à l'aide d'une brosse manuelle sans complément (ni fil dentaire ni brossette). Ce dernier est insuffisant en qualité et en fréquence, et constitue un facteur de risque local pour le développement et l'évolution de la maladie parodontale. En effet, le risque de développer une parodontite en cas d'hygiène orale insuffisante peut être multiplié de 2 à 5 selon les études [4]. Ces facteurs de risque vont être pris en charge dès la phase de thérapeutique initiale.

Thérapeutique initiale

Premièrement, la prescription d'un matériel de brossage spécifique, avec des brossettes interdentaires de taille adaptée à la largeur des espaces interdentaires et une brosse à dent électrique à tête ronde, a été réalisée, ainsi qu'une démonstration du protocole de brossage (fig. 7).

Ensuite, quatre séances de détartrage-surfaçage radiculaire, au niveau des poches parodontales supérieures ou égales à 4 mm, ont été réalisées par quadrant, à raison d'une séance par semaine. Une instrumentation mécanique ultrasonore et des curettes manuelles de Gracey® ont été utilisées, puis un polissage des surfaces nettoyées a été effectué [5].

Une prescription d'antibiotiques a été réalisée. En effet, les données de la littérature montrent une réelle amélioration des paramètres cliniques dans le temps lorsque la thérapeutique initiale est accompagnée d'une prescription d'amoxicilline 500 mg et de métronidazole 500 mg (3 fois par jour, pendant 7 jours) [6]. Toutefois, la toxicité médicamenteuse et l'augmentation de la résistance microbienne aux antibiotiques étant des problèmes de santé publique, la prescription doit être dûment justifiée. Dans ce cas, elle était indiquée étant donné le degré d'inflammation important et le taux de progression rapide de la maladie.

Réévaluation

Huit à dix semaines après la fin de la thérapeutique initiale, un entretien clinique de réévaluation des facteurs de risque ainsi qu'un charting parodontal ont été de nouveau réalisés. Dans le cas de la patiente, le brossage a été considérablement amélioré, avec un indice de plaque réduit à 15 % et un saignement à 10 %. L'aspect œdémateux de la gencive a disparu, comme le montrent les photographies intra-orales (fig. 8 et 9).

Les poches ont été réduites dans leur profondeur et leur nombre. Toutefois, une persistance de poches supérieures ou égales à 4 mm ainsi que de poches profondes de plus de 6 mm, situées au niveau des dents 16, 26, 46, 41, 31, 36, a été notée.

Thérapeutique correctrice

Étant donné la persistance de poches profondes de plus de 5 mm au niveau des dents 16 et 36, une chirurgie d'assainissement avec régénération des lésions infra-osseuses (LIO) a été réalisée [7, 8].

Concernant la dent 16, présentant des poches profondes jusqu'à 10 mm avec une lésion angulaire infra-osseuse à 2 parois au niveau de la racine mésio-vestibulaire et une lésion inter-radiculaire de grade II en vestibulaire et en mésio-palatin, un lambeau repositionné avec mise en place de protéines dérivées de la matrice amélaire et un substitut osseux a été mis en place. En effet, l'anatomie de la lésion angulaire est dans ce cas favorable à un processus de régénération. Des points de matelassier verticaux à l'aide d'un fil non résorbable en prolène 5/0 ont été réalisés pour les sutures (fig. 10).

De même, la dent 36 présentant la persistance de poches allant de 6 à 11 mm en mésial, avec une lésion à 2 parois et la présence d'atteinte inter-radiculaire de degré II, ainsi qu'une lésion circonférentielle autour de la racine distale, un lambeau repositionné avec mise en place de protéines dérivées de la matrice amélaire et un substitut osseux a été effectué, et des points de matelassier verticaux avec le même type de fil ont également été réalisés pour suturer le site (fig. 11).

Concernant les dents 46, 26, 41 et 31, présentant des poches moins profondes à la réévaluation (5-6 mm), une ré-instrumentation manuelle à l'aide de curettes de Gracey® et d'inserts ultrasonores (EMS) a été effectuée.

Réévaluation et bilan de fin de traitement parodontal

Six mois après les séances de thérapeutique correctrice, une réévaluation à l'aide d'un charting parodontal a permis d'objectiver la cicatrisation des sites présentant initialement des poches parodontales. Le sondage est redevenu physiologique, en donnant des mesures inférieures ou égales à 3 mm.

Les indices de plaque et de saignement ont été réduits et maintenus à 10 % et 5 %, respectivement, avec une suppression de l'inflammation.

Un status radiographique, ou bilan long cône, a également été renouvelé à ce stade (donc 10 mois depuis le début de la prise en charge initiale de la patiente) et a permis d'objectiver radiographiquement le gain osseux obtenu au niveau des lésions traitées. La lamina dura, bien nette sur les images radiographiques, permet de confirmer la cicatrisation osseuse. Nous pouvons toutefois constater que le niveau osseux est réduit, notamment au niveau du secteur antérieur mandibulaire et de la 36 (fig. 12).

À ce stade, le feu vert peut être donné pour débuter le traitement orthodontique. Toutefois, la patiente entre désormais en phase de maintenance parodontale, à vie.

Maintenance parodontale

La séance de maintenance parodontale consiste à revoir la patiente en fonction de son risque parodontal individuel, dans le cas présent tous les 6 mois, et comporte les étapes suivantes : un sondage parodontal complet afin de détecter la présence de poches éventuelles signalant une récidive de la maladie parodontale, un contrôle des facteurs de risques généraux et locaux, ainsi qu'un détartrage et un surfaçage radiculaire en cas de poches récidivantes [9].

Dans le cas de cette jeune patiente à risque parodontal élevé et qui s'apprête à entamer un traitement d'orthodontie, ces séances de maintenance seront programmées à raison d'une fois par mois, le temps de son traitement orthodontique.

Traitement orthodontique et maintenance parodontale

L'orthodontiste a demandé l'avulsion de 45 linguo-positionnée en raison de la DDM intra-arcade présente, ainsi que l'avulsion des dents de sagesse (fig. 13).

Le traitement orthodontique, avec comme objectif l'alignement dentaire et le rétablissement des courbes occlusales physiologiques, a été réalisé avec des forces douces et a duré 22 mois.

Le maintien d'une hygiène rigoureuse a été effectué et contrôlé tout le long du traitement (fig. 14).

Discussion

Le pronostic parodontal de certaines dents mono- et pluri-radiculées (incisives mandibulaires, molaires) était de très réservé à incertain avant traitement [2]. La thérapeutique parodontale a consisté en une phase d'identification et de contrôle des facteurs de risque individuels avant réalisation de la thérapeutique initiale en plusieurs séances, suivie de la réévaluation au bout de 10 semaines de traitement [10]. Puis la thérapeutique correctrice a permis de réaliser des chirurgies d'assainissement associées à des techniques de régénération tissulaire induite avec comblement par substitut osseux. Enfin, le bilan de fin de traitement parodontal a autorisé la mise en place du traitement orthodontique, accompagné de séances rapprochées de maintenance parodontale.

Entamer un traitement orthodontique sur un parodonte malade accroît l'inflammation et risque de précipiter la perte de dents, c'est pourquoi la communication entre l'orthodontiste et le parodontiste permet de mener à bien et dans des conditions optimales cette prise en charge délicate des patients atteints de parodontite.

Le patient, même enthousiaste à l'idée de son traitement orthodontique, doit également comprendre l'importance de son état parodontal et de ses facteurs de risque pour des résultats favorables à long terme [11].

Conclusion

Nous avons pu constater des résultats très positifs en termes d'amélioration des paramètres cliniques et esthétiques. L'orthodontie a potentialisé les effets du traitement parodontal en corrigeant les malpositions dentaires et en permettant à la patiente de brosser correctement. Par conséquent, les pronostics individuel et général s'en sont vus considérablement améliorés chez cette patiente.

D'une façon générale et absolue, un traitement orthodontique ne doit être entrepris qu'en l'absence de toute inflammation parodontale. Chez un patient non atteint de parodontite, il faut s'assurer qu'une éventuelle gingivite est absente, ou bien la faire traiter en amont. Chez le patient atteint de parodontite, la thérapeutique orthodontique ne doit pas être débutée avant la fin du traitement parodontal. Enfin, les patients ayant été atteints de parodontite sont à risque plus élevés que les autres patients de développer à nouveau une parodontite. Par conséquent, des séances de maintenance parodontale régulières (au minimum une fois par an), avec motivation au brossage pour le maintien du contrôle de plaque acquis en fin de traitement parodontal, sont indispensables afin d'éviter toute récidive de la maladie parodontale [9].

Liens d'intérêts :

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Remerciement

L'auteur tient à remercier le Dr. Diane Gourdon pour son expertise en orthodontie.

Bibliographie

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