Clinic n° 12 du 01/12/2020

 

Dermatologie buccale

Philippe LESCLOUS  

Une patiente de 64 ans consulte pour une lésion blanche au niveau gingival maxillaire droit, d'apparition récente dit-elle, asymptomatique mais qui l'inquiète quand même.

Entretien médical, histoire de la lésion

La patiente est suivie pour un diabète de type 2 et elle traité par antidiabétiques oraux. Elle présente une intoxication tabagique sevrée depuis 2002 estimée à 20 paquets-années. Elle ne consomme de l'alcool que de manière occasionnelle.

À...


Une patiente de 64 ans consulte pour une lésion blanche au niveau gingival maxillaire droit, d'apparition récente dit-elle, asymptomatique mais qui l'inquiète quand même.

Entretien médical, histoire de la lésion

La patiente est suivie pour un diabète de type 2 et elle traité par antidiabétiques oraux. Elle présente une intoxication tabagique sevrée depuis 2002 estimée à 20 paquets-années. Elle ne consomme de l'alcool que de manière occasionnelle.

À l'entretien, il n'y a pas d'asthénie ou de perte de poids récente. Elle a découvert elle-même l'existence d'une lésion blanche du secteur 1 et en particulier au niveau de la papille inter-dentaire entre 14 et 15. Aucun épisode symptomatique passé ou actuel n'est rapporté.

Examen clinique

L'examen exobuccal ne met aucun signe clinique particulier en évidence, en particulier aucune adénopathie.

L'examen endobuccal révèle une lésion blanche, probablement kératosique, non détachable, de la muqueuse gingivale vestibulaire s'étendant de la 14 à la 17 (fig. 1), particulièrement hétérogène au niveau de la papille interdentaire entre 16 et 17. Cette lésion ne présente pas d'ulcération ou de végétation, signes cliniques de suspicion de malignité. Une atteinte parodontale plus profonde est bien visible à ce niveau. L'examen systématique de la muqueuse buccale, de rigueur chez cette patiente ancienne fumeuse, ne révèle par ailleurs aucune autre atteinte muqueuse.

Devant une lésion blanche non détachable d'aspect hétérogène en surface, il convient de réaliser une biopsie pour éliminer en priorité une lésion dysplasique (à potentiel de dégénérescence maligne), une lésion pré-cancéreuse voire même une lésion maligne.

Histologie

L'examen histologique montre un épaississement de la couche épithéliale granuleuse avec une hyperkératose ou hypergranulose en V ce qui donne un aspect d'épithélium malpighien en dentelle ; un important infiltrat inflammatoire est visible au niveau du tissu conjonctif sous-jacent (fig. 2).

Aucun argument en faveur d'un processus malin n'est présent.

Prise en charge thérapeutique

En l'absence de dysplasie à l'examen histologique, une surveillance clinique est nécessaire.

En présence de dysplasie légère à modérée, une exérèse de la lésion au bistouri ou au laser est préconisée.

En présence de dysplasie de haut grade, il est nécessaire de réaliser une exérèse au bistouri avec des marges chirurgicales en muqueuse saine.

Chez cette patiente, un suivi régulier, semestriel, de cette lésion est préconisé chez son dentiste-traitant pour intercepter toute évolution hétérogène de la surface muqueuse et potentiellement toute dégénérescence maligne. Par ailleurs, une prise en charge parodontale est fortement conseillée à la patiente.

Commentaires

La kératinisation est un processus physiologique de la muqueuse buccale normale. Elle est visible par l'aspect opalin qu'elle donne à la muqueuse. Elle peut être de type orthokératosique (absence de noyaux et présence de granulose) ou parakératosique (présence de noyaux pycnotiques et absence de granulose).

La kératose (ou hyperkératose) est donc une kératinisation épithéliale en excès. Elle se caractérise par une couleur blanche de la muqueuse. Elle peut avoir différentes origines (traumatique, infectieuse, inflammatoire, tumorale, médicamenteuse) et peut être bénigne (kératose frictionnelle, kératose due au tabac : ce qui est l'hypothèse retenue ici même si la patente ne l'a découverte que récemment) ou maligne (carcinome épidermoïde +++).

Les diagnostics différentiels sont la candidose aiguë (exclu puisque la lésion n'est pas détachable), le lichen plan et la candidose chronique (exclus sur arguments cliniques : aucune symptomatologie passée ou récente ; et histologiques : aucun critère de malignité).

À lire

  • Beauvillain de Montreuil C, Billet J. Pathologie de la muqueuse buccale. Société française d'ORL et de chirurgie de la Face et du Cou, 2009.
  • Kuffer R, Lombardi T, Husson-Bui C, Courrier B, Samson J. La muqueuse buccale : de la clinique au traitement. Editions Med'com, 2009.
  • Fricain JC, Boisramé S, Chaux-Bodard AG, Cousty S, Devoize L, Lesclous P, Radoï L. Référentiel Internat Chirurgie Orale. Information Dentaire Presse Edition Média, 2020.