Clinic n° 11 du 01/11/2020

 

CFAO

Nicolas PITON  

La prothèse adjointe représente dorénavant un champ de nouvelles opportunités pour les patients et le praticien dans sa pratique quotidienne future. En effet, les possibilités d'enregistrement d'informations extra-orales apportent à la fois un confort de réalisation pour le prothésiste et de transmission des données cliniques pour le praticien.

Nous illustrerons le déroulement de ce flux numérique au travers de la description d'un cas clinique, faisant intervenir un...


La prothèse adjointe représente dorénavant un champ de nouvelles opportunités pour les patients et le praticien dans sa pratique quotidienne future. En effet, les possibilités d'enregistrement d'informations extra-orales apportent à la fois un confort de réalisation pour le prothésiste et de transmission des données cliniques pour le praticien.

Nous illustrerons le déroulement de ce flux numérique au travers de la description d'un cas clinique, faisant intervenir un laboratoire français extérieur au cabinet et éloigné géographiquement de notre clinique (fig. 1).

Description du cas clinique

Une patiente de 64 ans se présente au cabinet pour des douleurs diffuses importantes des mobilités dentaires généralisées au stade de parodontite terminale, rendant leur pronostic à court terme compromis.

La patiente est également en souffrance psychologique profonde et n'arrive plus à s'alimenter.

D'une certaine manière, nous sommes devant un tableau clinique urgent renforcé en cette période particulière post-confinement suite au covid-19, et il nous faut donc trouver une solution efficace, rapide et entraînant le minimum de douleur pour effectuer les empreintes et remettre dans un premier temps la patiente dans de bonnes conditions psychologiques pour passer cette épreuve.

Décision thérapeutique

La décision thérapeutique a été prise avec la patiente d'effectuer les avulsions des dents en un seul temps opératoire, et de prévoir la pose des prothèses adjointes complètes provisoires immédiates le jour de l'intervention.

Eu égard à son état de santé général (problème de temps de coagulation), sa psychologie (phobie du dentiste), et son état d'épuisement moral avancé, il a été décidé d'effectuer les avulsions chez un stomatologue sous anesthésie générale dans le cadre hospitalier avec un environnement prévoyant toutes les éventualités.

Le rendez-vous a été pris conjointement entre le service de stomatologie et le cabinet dentaire afin de réduire au maximum le temps entre l'intervention et la pose, pour améliorer les conditions de l'hémostase, et donc de la cicatrisation.

Ces prothèses adjointes immédiates, stratégiques dans un plan de traitement global, permettront de passer le délai incompressible de cicatrisation des tissus, et ce dans de bonnes conditions psycho-physiologiques pour le patient, améliorant la situation pour le passage à la prothèse adjointe définitive ou un éventuel traitement implantaire futur.

Les étapes cliniques

Étape 1 : l'acquisition clinique des données patient

Lors d'une consultation préopératoire, nous effectuerons une prise d'empreinte optique à l'aide d'une sonde optique ou d'une caméra intra-orale. Ici, nous utiliserons la Virtuo Vivo® de chez Dental Wings.

Nous allons pouvoir enregistrer une pré-empreinte, ou « pré-scannage », de la situation initiale au maxillaire, et nous pourrons transmettre la situation clinique initiale au prothésiste par ce biais-là.

Nous aurons ainsi les empreintes de l'arcade maxillaire, mandibulaire, le rapport interarcades, mais également des informations extra-orales afin de pouvoir replacer le plus efficacement possible les empreintes optiques des arcades dans le visage du patient. Ceci aura son importance dans la réussite du traitement (fig. 2 à 9).

Nous passerons en revue à l'écran toutes les empreintes optiques effectuées.

Nous nous retrouverons donc en possession de cinq fichiers au format .ply (ou pour simplifier format .stl couleur) :

– le fichier pré-scan de l'arcade maxillaire ;

– le fichier pré-scan de l'arcade mandibulaire ;

– le fichier de positionnement interarcade ;

– le fichier de scan du positionnement du palais par rapport à l'arête nasale ;

– le fichier de scan de visage.

Ces fichiers pourront être envoyés sous forme « brute » par un logiciel de transfert de fichiers volumineux (WeTransfer, Smash...) ou par commande (dans ce cas format .xorder) via une passerelle internet sécurisée dédiée du fabricant du scanner intra-oral, ou encore via une passerelle sécurisée de communication ouverte avec le laboratoire de prothèse.

Dans ce cas, nous utiliserons la passerelle Circle4dentists® créée par Circle, permettant de transmettre aisément tous les fichiers en notre possession au laboratoire de prothèse (ici Horslab), qui disposera ainsi d'un logiciel de modélisation en ligne et accédera s'il le souhaite par la suite à la plateforme de fabrication de prothèses mise à disposition et répondant aux normes traçabilité.

Le prothésiste peut se concentrer sur la modélisation et la caractérisation éventuelle de l'appareil amovible en s'affranchissant des lourdes dépenses d'outils de fabrication, sans cesse en évolution (fig. 10).

Ainsi, les aspects les plus chronophages et le stress se voient réduits, et l'ergonomie quotidienne est largement améliorée.

Étape 2 : la conception assistée par ordinateur

Les empreintes reçues seront contrôlées par le prothésiste sur le logiciel de conception, et peuvent être effectuées de manière collégiale par écran interposé entre praticien et prothésiste, via un logiciel de partage d'écran (par exemple Teamviewer), ou ici directement via l'interface utilisée par le prothésiste. On peut aller jusqu'au design partagé si besoin.

– nettoyage des éventuels artefacts gênant le futur travail de conception (comme on « débullerait » une empreinte au plâtre par exemple) ;

– examen du repositionnement interarcades (fig. 11 et 12).

Les dents à remplacer seront retirées virtuellement du modèle par le praticien ou le prothésiste, selon les connaissances acquises. L'idéal est que cela soit le praticien qui effectue cette tâche car il connaît la situation clinique et est à la meilleure place pour anticiper l'anatomie future des crêtes après extraction des dents ou régularisation osseuse, qui peuvent aussi, le cas échéant, être modelées à loisir afin de s'approcher le plus possible de la future situation clinique (régularisation de crêtes) (fig. 13 à 15).

Les modèles de travail sont exactement les mêmes fichiers qu'à l'origine. Ils sont donc orientés exactement de la même manière que les empreintes de situation avant d'avoir retiré les dents (fig. 16 et 17).

Cette caractéristique permet de mixer et de superposer les différents fichiers et de pouvoir s'en servir comme de « calques 3D » dans le soft utilisé (Lucy®) pour orienter les fichiers et positionner correctement les différentes informations cliniques (scan arches, arête nasale, visage), et ainsi pouvoir mettre en place un cadre précis de design des prothèses adjointes complètes hautes, propices à la mise en place d'algorithmes de calcul spécifiques au logiciel et basés sur l'intelligence artificielle. Le scan du visage sera écarté car pas suffisamment précis pour être utilisé comme donnée médicale utile (fig. 18 et 19).

Il est également possible de simuler des zones de compression et de décharge en incluant des valeurs légèrement négatives ou positives au niveau des surfaces délimitées en regard de zones anatomiques particulières, le but étant de pouvoir obtenir des meilleures rétention, sustentation et stabilité de la future prothèse amovible provisoire immédiate (fig. 20).

Dans le logiciel de fabrication, le prothésiste pourra procéder au modelage de la base et des dents de l'appareil, qui pourront être personnalisées au maximum.

Un des grands avantages de l'utilisation des outils numériques est également de pouvoir par exemple surmonter aisément les contraintes liées au montage des dents du commerce sur base en cire, et de devoir les adapter à des situations parfois très complexes.

Une avancée majeure est la possibilité de personnaliser au maximum la forme des dents, mais aussi et surtout de pouvoir les positionner tout en recalculant en temps réel l'occlusion des deux arches simultanément (fig. 21 à 23) !

En fin de modélisation, nous obtenons d'une part des fichiers de fabrication des dents qui seront usinées, mais également un fichier de base prothétique. Celle-ci sera injectée en suivant les normes actuelles de fabrication, ce choix ayant été décidé avec la connaissance et le recul clinique par rapport au comportement au long terme de ces matériaux, tout en laissant la possibilité au prothésiste de pouvoir reprendre aisément la main en cas de problème, de modification de dernière minute ou de rebasage futur, ce qui sera justement le cas ici au cours de la cicatrisation (fig. 24 et 25).

Étape 3 : pose des prothèses complètes adjointes provisoires immédiates

La pose des prothèses sera effectuée quelques heures après les extractions (faites en milieu hospitalier).

L'ajustage est satisfaisant, la stabilité, la rétention et la sustentation également.

Nous noterons quelques corrections au niveau des bords et une équilibration légère des prothèses le jour de la pose.

La stabilité primaire des prothèses met le patient, encore sous le stress intense lié à l'édentation totale, dans de bonnes conditions psychologiques (fig. 26 à 29).

Le patient repart donc avec des prothèses de bonnes qualités esthétique et fonctionnelle, et lors du contrôle à une semaine, le patient confirmera la bonne intégration de ces adjointes complètes « numériques ». Les rebasages successifs pour compenser le remodelage osseux pourront s'effectuer sereinement les semaines suivantes, afin de préparer les prothèses définitives (fig. 30 et 31).

Conclusion

Nous observons un mouvement global des fabricants porté sur la prothèse adjointe amovible partielle, et plus particulièrement sur la prothèse adjointe complète.

Ironie du sort, la partie souvent oubliée de la prothèse devient un centre d'intérêt majeur en dentisterie numérique.

S'il n'y a rien d'étonnant du point de vue d'un dessinateur 3D, la chose est en revanche totalement nouvelle pour la sphère du monde dentaire (même si nos amis prothésistes ont un temps d'avance sur ce sujet).

Il est à noter tout de même que de nouvelles informations sont captables et exploitables cliniquement pour définir un cadre plus précis dans l'élaboration de nos prothèses, et ce au grand bénéfice de nos patients.

Ces nouvelles données seront probablement, au même titre que les empreintes optiques, le ciment de nouvelles règles restant à définir, qui révolutionneront en profondeur notre métier en constante évolution.