Clinic n° 10 du 01/10/2020

 

Enquête

Entre mesures sanitaires et nouvelles réformes, le monde de la médecine est en pleine transformation. Afin d'améliorer l'accès aux soins et d'optimiser le temps de travail, beaucoup de médecins se tournent vers les nouvelles technologies. Ces dernières offrent une réponse aux problématiques modernes en s'affranchissant des distances entre patients et praticiens : la télémédecine.

Mélissande Bry et Simon Fretel

La télémédecine dans le droit...


Entre mesures sanitaires et nouvelles réformes, le monde de la médecine est en pleine transformation. Afin d'améliorer l'accès aux soins et d'optimiser le temps de travail, beaucoup de médecins se tournent vers les nouvelles technologies. Ces dernières offrent une réponse aux problématiques modernes en s'affranchissant des distances entre patients et praticiens : la télémédecine.

Mélissande Bry et Simon Fretel

La télémédecine dans le droit français

La télémédecine est une pratique médicale et est à ce titre définie par le code de la santé publique. Il s'agit d'un exercice de la médecine à distance ayant recours à l'utilisation des « technologies de l'information et de la communication » (article L.6316-1). La loi prévoit en France depuis 2009 cinq actes bien distincts :

• la téléconsultation, qui permet à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient ;

• la télé-expertise, qui permet à un professionnel médical de solliciter à distance l'expertise d'autres professionnels médicaux ;

• la télésurveillance médicale, qui permet à un professionnel médical d'interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d'un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à sa prise en charge ;

• la téléassistance médicale, qui permet à un professionnel médical d'assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d'un acte ;

• la réponse médicale, apportée dans le cadre de la régulation médicale des appels d'urgence.

L'acte médical n'est pas clairement défini dans le droit français et, malgré le décret de 2009, un cadre juridique plus précis reste à mettre en place pour la télémédecine. Dans certains domaines, ce statut relève donc de la volonté des praticiens. De nombreux cabinets sont équipés de logiciels de visioconférence afin d'examiner des patients et de pouvoir établir des diagnostics. Ces méthodes permettent notamment de faciliter l'accès aux soins, d'optimiser le temps des consultations et de limiter les contacts.

En effet, la crise sanitaire que nous traversons actuellement engendre une transformation des rapports entre les patients et leurs médecins. Les consignes sanitaires impliquent la nécessité d'éviter les contacts physiques et les regroupements. C'est pourquoi la télémédecine se révèle aujourd'hui comme une pratique indispensable au bon fonctionnement de notre système de santé.

La vie professionnelle des médecins se trouve aussi impactée par cette période particulière, et les chirurgiens-dentistes ne sont pas en reste. La particularité du diagnostic bucco-dentaire fait qu'il ne pas peut être établi sur une simple visioconférence, cette dernière ne rendant pas compte du véritable état de santé du patient. Cependant, il serait faux de croire que la télémédecine se résume à la mise en place d'une simple interface digitale entre le patient et le médecin. Les dernières innovations offrent aux chirurgiens-dentistes de nouveaux outils pour travailler dans les meilleures conditions.

Le projet E-DENT

Le degré de fiabilité accordé aux diagnostics pris à distance peut constituer un frein important au développement de la télémédecine bucco-dentaire. En effet, difficile de concevoir une prise en charge de qualité sans contact direct avec le praticien. Pour Nicolas Giraudeau, chirurgien-dentiste et maître de conférences au centre hospitalier régional universitaire (CHU) de Montpellier : « Dans un cabinet, avec les caméras à fluorescence, le chirurgien-dentiste ne fait que regarder des images sur un écran pour poser un diagnostic. Donc qu'il soit à côté du patient ou à mille kilomètres, le diagnostic doit logiquement être le même. » Afin de vérifier cette affirmation, le chirurgien-dentiste a lancé une étude visant à observer la concordance de diagnostic entre consultations normales et les téléconsultations pour des patients souffrant de caries. Les résultats, publiés en janvier 2020, montrent une concordance de 86,2 % entre les deux approches. Cette étude, à l'origine du projet E-DENT, est l'une des premières à montrer que la télémédecine bucco-dentaire et les nouvelles technologies en matière de santé permettent de dresser des diagnostics comparables à ceux d'une consultation en présentiel.

La société E-DENTECH, créée en 2015, propose une solution innovante nommée « projet E-DENT », reposant sur les travaux du docteur Nicolas Giraudeau. L'idée est de permettre aux établissements médicaux-sociaux d'assurer le suivi dentaire de leurs patients. « Notre cible est les personnes âgées, malades ou atteintes de handicap, il s'agit d'un public qui a difficilement accès aux soins dentaires », nous annonce Roland Petcu, directeur opérationnel d'Edentech. Le principe de E-DENT repose sur la logique de la téléconsultation asynchrone, c'est-à-dire que le professionnel et le patient ne sont pas mis en contact en même temps. Les données dentaires sont collectées par le personnel soignant, en utilisant une caméra intra-orale à fluorescence couplée à un logiciel. Un dossier patient est ainsi créé et sera consulté par un chirurgien-dentiste depuis son cabinet afin d'établir un diagnostic. L'utilisation de la caméra à fluorescence permet de déceler des pathologies dentaires comme les caries, le tartre et les inflammations gingivales. Cet outil permet d'obtenir des informations jusque-là uniquement accessibles lors d'une consultation traditionnelle.

Le projet E-DENT a été subventionné par l'agence régionale de la santé (ARS) du Languedoc-Roussillon en 2014, permettant d'étendre le dispositif à une douzaine d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), trois maisons d'accueil spécialisées (MAS), et un établissement pénitencier. Aujourd'hui, la société a pris de l'ampleur et propose des formations au personnel soignant, en partenariat avec le CHU de Montpellier, quant à l'utilisation du dispositif : « Nous proposons des formations spécialisées d'une journée pour habiliter le personnel des établissements. Aujourd'hui, nous équipons une centaine de sites (hôpitaux, EPHAD, prisons) dans plus de 5 régions et pour un taux de succès de 100 %. » L'avantage de cette méthode est que la collecte peut se faire partout : dans le lit du patient, dans la salle à manger ou dans n'importe quel lieu qui peut lui être familier. « C'est un véritable plus pour les patients atteints de déficience cognitive qui ont du mal à quitter un environnement familier et pour lesquels une visite classique chez le dentiste peut s'avérer douloureuse. » Ce système se révèle néanmoins coûteux du fait du matériel digital. EDENTECH s'efforce de mettre en place une « logique permettant aux établissements de mutualiser le dispositif ». Le matériel de consultation pourra alors être transmis entre différents lieux et ainsi minimiser l'impact financier en augmentant son accessibilité.

Perspectives futures

À terme, l'objectif est donc d'optimiser au mieux les rendez-vous médicaux : il faut systématiser les consultations afin d'éviter de se retrouver dans des cas d'urgence et d'améliorer la prise en charge. « Aujourd'hui, 15 % des personnes consultées à distance n'ont pas besoin de soins, 20 % ont simplement besoin de soins d'hygiène, et 65 % de soins plus ou moins importants. »

Pour Nicolas Giraudeau, la fiabilité d'une telle technique repose sur l'utilisation d'outils performants manipulés par un personnel qualifié. Ce surcoût est au cœur des négociations tenues avec l'assurance-maladie. L'absence de réel cadre financier pour des actes de télémédecine bucco-dentaire rend les démarches difficiles et, la plupart du temps, les frais sont intégralement payés par les établissements. « C'est une priorité : la profession doit négocier avec l'assurance-maladie le remboursement de l'acte en toute intelligence. [...] Cela doit être considéré comme un acte médical à part entière », affirme-t-il. Dans cette optique, une autre étude du CHU de Montpellier, financée par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) et lancée peu avant la crise du covid-19, visait à évaluer l'impact médico-économique de la télémédecine bucco-dentaire en EHPAD. Malgré des premiers résultats en faveur d'une amélioration de la qualité de vie pour les personnes suivant des téléconsultations, les recherches ont été arrêtées par la pandémie et ne pourront pas reprendre.

Fort de ces données préliminaires et des précédentes études, Nicolas Giraudeau maintient que la télémédecine doit être intégrée en tant qu'outil essentiel à l'organisation du système de santé français. Il insiste sur le fait que ces technologies et les avantages qui en résultent doivent avant tout rester au profit de la lutte contre les inégalités d'accès aux soins.