Clinic n° 10 du 01/10/2020

 

De bouche à oreille

Frédéric BESSE  

frbesse@hotmail.fr

Nous nous retrouvons donc avec deux types de dentisterie : une dentisterie d'élite et une dentisterie beaucoup plus basique

La crise sanitaire qui empoisonne notre existence est loin d'être terminée. Cependant, et bien qu'elle occulte les autres problèmes, ces derniers n'ont pas pour autant disparu.

Il en est un en particulier que je vois s'aggraver avec le temps qui passe : la différence entre la dentisterie de pointe enseignée à l'université, et les besoins en dentisterie de base que l'on rencontre au sein des populations rurales (et probablement dans les quartiers populaires, mais n'ayant aucune expérience de ces endroits, je ne peux en parler).

En effet, lorsqu'on découvre les dernières évolutions scientifiques, ou que l'on rencontre des étudiants, force est de constater que la dentisterie du XXIe siècle, telle qu'elle est enseignée dans les universités, utilisant la batterie des technologies numériques à sa disposition, permet des résultats que l'on n'osait pas imaginer il y a seulement 20 ans.

Les préparations pelliculaires, collées à l'aide d'adhésifs désormais performants, les composites multicouches réalisés sous digue, les chirurgies avancées permettant de combler partiellement des sinus ou de recréer des crêtes mandibulaires, les implants posés à l'aide de guides chirurgicaux réalisés par des imprimantes 3D, les inlays, les onlays et autres overlays fraisés dans des blocs de zircone puis maquillés, et dont l'empreinte a été enregistrée à l'aide d'un scanner intrabuccal, tout ceci autorise une dentisterie esthétique et fonctionnelle époustouflante.

Seulement voilà, toutes ces techniques sont onéreuses, hors de portée de l'immense majorité des patients salariés vivant dans des zones à faible revenu moyen. Par voie de conséquence, les praticiens ayant une patientèle issue de ces milieux (qui constituent quand même la grande majorité des 67 millions de Français) ne s'y investissent pas, en temps de formation comme en matériel. Contraints par une convention toujours aussi pingre, ils se contentent d'utiliser des techniques basiques, éprouvées, qui permettent de restaurer chez leurs patients les fonctions essentielles que sont la phonation et la mastication, avec parfois un peu d'esthétique.

Nous nous retrouvons donc avec deux types de dentisterie, une dentisterie d'élite, ultra-performante, qui mobilise les énergies des chercheurs et des laboratoires, et une dentisterie beaucoup plus basique, pratiquée par l'immense majorité des chirurgiens-dentistes.

Le problème majeur se trouve dans le fait que les enseignants chercheurs, ainsi que les attachés universitaires qui font le lien entre la pratique quotidienne et l'université, lui permettant de rester encore un petit peu dans le monde réel, pratiquent tous la dentisterie la plus pointue. Il ne se trouve donc personne pour faire de la recherche et proposer des avancées techniques et cliniques sur des sujets aussi banals que les stellites, la prothèse complète, les couronnes fraisées, les reconstitutions corono-radiculaires, et par conséquent personne pour venir faire de la formation continue sur ces sujets-là aux praticiens qui les réalisent au quotidien. Et le problème ne fera qu'empirer dans les années à venir, avec le départ à la retraite ou la disparition des enseignants qui ont fait de la prothèse adjointe et des couronnes céramo-métalliques ce qu'elles sont aujourd'hui. Sans remettre en cause l'utilité ou la nécessité de faire de la recherche de pointe en dentisterie, je pense qu'il serait souhaitable qu'une partie des enseignants chercheurs se penche sur les problèmes rencontrés par la majorité de nos confrères et propose des avancées sur les techniques cliniques les plus simples et bon marché, accessibles à la majorité de nos concitoyens.