Parodontie
Anas ABOUJRAB* Marjolaine GOSSET** Adrian BRUN***
*Master de Santé, parcours Parodontologie
**Université de Paris
***Hôpital Charles Foix, Ivry
****PU-PH Parodontologie
*****Université de Paris
******Hôpital Charles Foix, Ivry
*******AP-HP Parodontologie
********Université de Paris
*********Hôpital Henri-Mondor, Créteil
Venez ici prendre connaissance par le jeu de questions/réponses courtes des éléments clés soutenant un rôle de la parodontite dans les maladies cardiovasculaires (MCV). Vous trouverez en seconde partie la synthèse des recommandations pour la prise en charge parodontale des patients atteints ou à risque de MCV bâtis conjointement par la Fédération Européenne de Parodontologie et la Fédération Mondiale de Cardiologie.
La parodontite sévère est une maladie chronique...
Venez ici prendre connaissance par le jeu de questions/réponses courtes des éléments clés soutenant un rôle de la parodontite dans les maladies cardiovasculaires (MCV). Vous trouverez en seconde partie la synthèse des recommandations pour la prise en charge parodontale des patients atteints ou à risque de MCV bâtis conjointement par la Fédération Européenne de Parodontologie et la Fédération Mondiale de Cardiologie.
La parodontite sévère est une maladie chronique inflammatoire à impact systémique en raison de la bactériémie chronique de faible intensité et de l'inflammation de bas grade qui lui sont associées. De nombreuses études montrent les interrelations entre les parodontites et des pathologies systémiques telles que le diabète, l'obésité, les pathologies cardiovasculaires, respiratoires ou articulaires. Ceci a conduit à la proposition de recommandations interprofessionnelles par l'European Federation of Periodontology (EFP) et la World Heart Federation (WHF) en ce qui concerne les maladies cardiovasculaires et l'EFP & l'International Diabetes Federation (IDF) en ce qui concerne le diabète. Ces recommandations sont destinées aux médecins, aux professionnels de santé et aux patients, et ont pour objectif d'améliorer le diagnostic précoce, la prévention et le traitement de ces maladies chroniques. Nous présentons dans ce travail une synthèse des recommandations établies pour le diabète afin de faciliter leur application en pratique clinique quotidienne.
Quelles sont les associations épidémiologiques entre la parodontite et MCV ?
Les patients diagnostiqués pour une parodontite ont un risque augmenté de 1,2 à 3,9 fois d'accidents cardiovasculaires [1-3].
Quels sont les facteurs de risque communs ?
MCV et parodontite sont toutes deux des pathologies chroniques, multifactorielles, qui partagent de nombreux facteurs de risque qui augmentent la prévalence et la sévérité de la maladie, tels que le tabagisme, le diabète, l'âge, le stress ou l'indice de masse corporelle (IMC) [4]. Cependant, une association entre parodontite et MCV indépendante de ces facteurs de risque communs existeraient [5].
Quel risque cardiovasculaire présentent les patients atteints de parodontite ?
L'accumulation de preuves scientifiques au cours de la dernière décennie montre une association significative et indépendante entre la prévalence des parodontites et de futurs événements cardiovasculaires, tels que les accidents cardio-emboliques et thrombotiques [6, 7], mais aussi les accidents vasculaires cérébraux non hémorragiques [8]. Une association entre parodontite et maladies coronariennes [1, 5], maladie artérielle périphérique (MAP) [9] et la fibrillation auriculaire a également été trouvée [10]. Les patients atteints de parodontite présentent un dysfonctionnement endothélial significatif [11, 12].
Les personnes atteintes de parodontite et ayant des antécédents de maladie cardiovasculaire ont-elles plus de chances de subir un événement ultérieur ?
Sur trois études portant sur l'association entre la parodontite et les événements cardiovasculaires secondaires, deux grandes études ne trouvent aucune association significative [13, 14]. Cependant, la dernière trouve une association significative d'événements cérébrovasculaires récurrents [6].
Quels sont les mécanismes physiopathologiques entre la parodontite et les MCV ?
Deux mécanismes majeurs, immuno-inflammatoire (indirect) et bactérien (direct), sont évoqués et peuvent s'associer (fig. 1) :
– voie directe : les bactéries parodontales passent dans la circulation générale via la plaie parodontale et se greffent directement sur des lésions vasculaires préexistantes. Elles recrutent des leucocytes (neutrophiles), participent directement à l'athérogenèse et favorisent la rupture des plaques [15] ;
– voie indirecte : les parodontites provoquent une réaction immuno-inflammatoire avec production de médiateurs pro-inflammatoires et de facteurs pro-thrombotiques qui diffusent via la circulation sanguine jusqu'au niveau des plaques d'athérome [16].
Existe-t-il des preuves de la présence de bactéries buccales dans les lésions d'athérome ?
Certaines bactéries parodontales sont retrouvées au sein des plaques d'athérome, et jouent un rôle dans le développement et la progression de l'athérosclérose, tels que Fusobacterium nucleatum (Fn), Porphyromonas gingivalis (Pg), Tannerella forsythia (Tf), Aggregatibacter actinomycetemcomitans (Aa), Prevotella intermedia (PI), Treponema denticola (Td) [15, 17-23].
Est-ce qu'il y a une association entre les indicateurs inflammatoires chez les patients atteints de parodontite et les maladies cardiovasculaires ?
La parodontite stimule la production de la protéine C réactive (CRP) [16, 24], d'IL-6 [25, 26] et du fibrinogène [27], qui sont considérés comme facteurs de risque des maladies cardiovasculaires. Ainsi, les sujets présentant une parodontite avancée ont une CRP augmentée de 30 % par rapport aux sujets sans parodontite [28]. De plus, les taux de lipoprotéines de haute densité (HDL) sont réduits chez les patients atteints de parodontite par rapport aux patients sains [16], tandis que les taux de cholestérol et de lipoprotéines de basse densité (LDL) sont plus élevés [29]. Enfin, les LPS d'Aa stimulent l'activation des lymphocytes B, des monocytes-macrophages, et stimulent la libération de cytokines pro-inflammatoires comme IL-1, IL-6, IL-8 et CRP, dont les niveaux sériques élevés sont associés aux parodontites et aux maladies cardiovasculaires [30].
Existe-t-il des preuves de l'impact du traitement parodontal sur les maladies cardiovasculaires ?
Selon certaines études, le traitement parodontal réduirait le niveau des médiateurs de l'inflammation systémique et permettrait d'améliorer la fonction endothéliale [31-33]. On constate aussi une amélioration du profil lipidique (diminution du cholestérol total et des triglycérides) [34] et spécifiquement du LDL et du stress oxydatif circulant [35, 36]. Une étude interventionnelle montre que le traitement parodontal permet une diminution de l'épaisseur intima-média carotidienne (IMT) entre 6 et 12 mois après intervention [37]. Cependant, nous disposons de peu d'arguments pour dire que ces changements contribuent à diminuer le risque d'accidents cardiovasculaires [33, 38].
Le traitement parodontal augmente-t-il le risque cardiovasculaire ischémique ?
Le traitement parodontal selon la technique « full-mouth » (bouche globale dans les 24 heures) déclenche une réponse inflammatoire systémique aiguë d'une semaine associée à une altération transitoire de la fonction endothéliale [39]. Cependant, cette réponse inflammatoire n'est pas observée lorsque le traitement parodontal est effectué sur plusieurs séances séparées [40]. Deux études observationnelles n'ont trouvé aucun effet du traitement invasif (surfaçage ou extraction) sur l'augmentation du risque cardiovasculaire ischémique [41, 42], et une étude a suggéré une augmentation minimale du risque dans les 4 semaines suivant le traitement [43]. En conséquence, le traitement parodontal est sûr dans la mesure où il n'augmente pas le risque cardiovasculaire [44].
Le médecin doit :
– être attentif aux signes visibles de gingivites ou de parodontites. Il a un rôle important pour le diagnostic des parodontites chez les patients qui ont des maladies cardiovasculaires, en réalisant un examen complet, une analyse de l'histoire médicale, de l'anamnèse et des symptômes spécifiques du patient. Il doit adresser le patient chez un dentiste pour un examen complet ;
– informer les patients que la parodontite peut avoir un impact négatif sur les MCV en augmentant le risque d'événements des MCV. En revanche, la thérapie parodontale peut avoir un impact positif sur leur contrôle métabolique et les complications cardiovasculaires ;
– inviter les patients à vérifier l'apparition de ces symptômes si aucun n'est présent à ce jour. Si un signe apparaît, ils devront consulter leur dentiste au moins une fois par an ;
– référer tous les patients nouvellement diagnostiqués par MCV pour un examen parodontal dans le cadre de leur prise en charge des MCV. Même si aucune parodontite n'est diagnostiquée, un bilan annuel bucco-dentaire est recommandé ;
– assurer la relation avec le chirurgien-dentiste au sujet de la prise en charge de la parodontite chez les patients atteints de MCV sous traitement anticoagulant/antiplaquettaire avant l'intervention orale et/ou la chirurgie parodontale, afin d'éviter un saignement excessif ou le risque d'événements ischémiques.
– Une fois que le diagnostic de MCV a été posé, le patient doit prendre RDV chez le dentiste pour un examen oral ;
– les personnes atteintes de MCV ont un risque majoré de développer d'autres complications lorsqu'elles souffrent d'une parodontite ;
– les patients doivent informer leur dentiste des résultats de leurs visites chez le médecin, fournir une mise à jour de leurs antécédents de MCV et de tout changement dans les médications, et signaler s'ils suivent un traitement anticoagulant ;
– les patients doivent comprendre qu'il est important de garder leur bouche et leur corps en bonne santé, avec des visites dentaires et médicales régulières ;
– les patients sont invités à réaliser un auto-examen : vérifier s'il y a des symptômes de gingivites ou parodontites ;
– le patient doit appliquer une technique de brossage efficace (2 fois par jour pendant au moins 2 minutes) et utiliser des brossettes interdentaires pour prévenir les maladies parodontales.
Le dentiste doit :
– informer les patients atteints de parodontite qu'ils présentent un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires, telles que l'infarctus du myocarde ou l'AVC, et qu'ils doivent gérer activement tous leurs facteurs de risque cardiovasculaire (tabagisme, excès de poids, tension artérielle, lipides et glucose) en relation avec leur médecin.
– informer les patients présentant une parodontite et un diagnostic de MCV qu'ils peuvent présenter un risque plus élevé de complications ultérieures de MCV et que, par conséquent, ils doivent suivre régulièrement les phases thérapeutiques, de maintenance et de prévention recommandées ;
– évaluer les facteurs de risque des MCV, tels que le diabète, l'obésité, le tabagisme, l'hypertension, l'hyperlipidémie et l'hyperglycémie, et consulter le médecin si l'un de ces facteurs de risque n'est pas bien contrôlé de manière appropriée ;
– réaliser un examen oral complet avec une évaluation parodontale complète par un sondage parodontal ;
– si aucune parodontite n'est diagnostiquée initialement, les patients atteints de MCV doivent être placés sous un régime de soins préventifs et surveillés régulièrement (au moins une fois par an) pour les changements de l'état parodontal ;
– si une parodontite est diagnostiquée, ils doivent être pris en charge dès que leur état cardiovasculaire le permet permet (présent pas de contre-indication, demande un avis spécialisé au moindre doute).
– le dentiste doit réaliser un traitement parodontal non chirurgical quelle que soit la MCV présente ou les médicaments que les patients prennent. Ce traitement doit se faire de préférence en plusieurs séances de 30 à 45 minutes, afin de minimiser un pic d'inflammation systémique aiguë ;
– il n'existe pas de contre-indication concernant le traitement parodontal chirurgical et le traitement implantaire, à l'exception de l'hypertension artérielle (supérieure à 180/100) qui entraîne le report de la chirurgie jusqu'à ce que la pression artérielle du patient soit stabilisée ;
– étant donné que les procédures chirurgicales parodontales et implantaires n'entraînent généralement qu'un risque de saignement faible à moyen en général, le dentiste n'a pas à changer le médicament d'un patient. En cas de doute, il devrait consulter le médecin/cardiologue avant l'intervention ;
– pour les patients sous anti-vitamines K (AVK) (l'acénocoumarol, la warfarine et la fluindione), selon les recommandations de la société française de chirurgie orale, il n'est pas recommandé l'arrêt du traitement médicamenteux si l'INR ≤ 4 pour les procédures à risque de saignement faible ou moyen, et si l'INR ≤ 4 il faut consulter le médecin traitant. Pour les procédures à haut risque hémorragique, un avis obligatoire de médecin traitant pour arrêter les AVK et relais par héparine.
– il n'est pas recommandé d'arrêter les anticoagulants pour les actes parodontaux à faible risque hémorragique chez les patientes sous nouveaux anticoagulants oraux (NACO) (l'apixaban, le dabigatran et le rivaroxaban). Pour les procédures à risque hémorragique moyen, l'arrêt du médicament doit être évalué et organisé avec le médecin traitant.
– pour la bithérapie (un anticoagulant + un antiplaquettaire) et trithérapie (double antiplaquettaire et un anticoagulant), toute modification des médicaments doit être discutée et organisée avec le médecin traitant, quelle que soit la procédure ou le risque hémorragique ;
– envisager la prise en charge locale des complications hémorragiques qui peuvent survenir par des agents hémostatiques locaux (la cellulose oxydée, les éponges hémostatiques résorbables de gélatine, les sutures, les bains de bouche à l'acide tranexamique, la compresse imbibée d'acide tranexamique) ;
– les patients présentant une cardiopathie définie comme étant à haut risque d'endocardite infectieuse comme une prothèse valvulaire (mécanique ou bioprothèse), du matériel étranger pour une chirurgie valvulaire conservatrice (anneau prothétique) ou encore un antécédent d'endocardite infectieuse, cardiopathie congénitale.
– prescrire une antibioprophylaxie pour les patients avec un risque d'endocardite infectieuse une heure avant les actes invasifs, pour tout acte dentaire impliquant une manipulation de la gencive ou de la région périapicale dentaire.
– dans l'heure précèdent les soins dentaire, en dose unique (Amoxicilline 2 g pour les adultes, 50 mg/kg pour les enfants ; Clindamycine en cas d'allergie aux pénicillines 600 mg pour les adultes).
– la réhabilitation fonctionnelle des patients édentés (partiellement ou totalement) est nécessaire pour rétablir une mastication suffisante pour une nutrition adéquate ;
– en l'absence de maladie parodontale, une éducation rigoureuse de l'hygiène buccale aidera à maintenir la santé orale, avec une bonne méthode de brossage, l'utilisation de brossettes interdentaires, ainsi que l'explication sur le bénéfice de la bonne hygiène orale sur la santé et la prévention de maladie.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.