Prothèse
Docteur en chirurgie dentaire
Assistant Hospitalo Universitaire, Université Paris Descartes
Pratique privée, Paris
De nos jours, l'esthétique occupe une place primordiale dans notre société [1]. Les patients souhaitent avoir des dents alignées, plus blanches, afin de masquer les effets du vieillissement que peut parfois révéler le sourire. Grâce à l'amélioration des techniques et des progrès de la recherche dans le domaine des matériaux de restauration, de nombreuses thérapeutiques se sont développées pour répondre à ces exigences. En...
De nos jours, l'esthétique occupe une place primordiale dans notre société [1]. Les patients souhaitent avoir des dents alignées, plus blanches, afin de masquer les effets du vieillissement que peut parfois révéler le sourire. Grâce à l'amélioration des techniques et des progrès de la recherche dans le domaine des matériaux de restauration, de nombreuses thérapeutiques se sont développées pour répondre à ces exigences. En parallèle, le biomimétisme et la préservation de l'organe dentaire ont connu un essor grandissant. Les facettes en céramique, préservatrices des tissus dentaires, permettent de retrouver jusqu'à 97 % de la rigidité de la couronne dentaire lorsqu'elles sont utilisées en tant que substitut amélaire [2]. Elles présentent un taux de survie de 96 % à 20 ans [3]. Leurs indications sont bien codifiées et les protocoles de réalisation bien définis. Le respect de ces protocoles depuis la phase de prévisualisation esthétique jusqu'à l'assemblage nous permet d'obtenir un résultat optimal garant de la satisfaction de nos patients. Cet article au travers d'un cas clinique illustre les étapes clefs de la réhabilitation du sourire d'un patient au moyen de facettes en céramique sur deux incisives centrales maxillaires.
Un patient de 37 ans, en bonne santé générale, se présente en consultation avec une forte demande esthétique (fig. 1). Le patient relate un antécédent de traumatisme il y a plusieurs années ayant entraîné une fracture de ses deux incisives centrales maxillaires. Il a bénéficié à la suite de ce traumatisme de restaurations adhésives en composite direct. Plusieurs réparations suite à des fractures des composites ont été réalisées. Le patient n'apprécie plus aujourd'hui ses deux incisives centrales qu'il trouve « trop courtes », « trop jaunes » et « trop fragiles » et souhaite une réhabilitation plus esthétique et durable dans le temps.
On note tout d'abord, à l'échelle dentaire et gingivale : la présence d'une béance antérieure (le patient a eu un traitement orthodontique pendant plusieurs années et n'a pas souhaité réaliser de traitement chirurgical), la présence de restaurations en composite sur une grande partie des faces vestibulaires de 11 et 21, une abrasion des bords libres des incisives centrales, des incisives centrales plus courtes que les latérales, un diamètre mésio-distal de 21 plus important que celui de 11, une gencive épaisse et un bon alignement des collets entre les centrales et latérales, une légère inflammation gingivale en regard des incisives centrales due à la présence des restaurations en composite.
À l'échelle du visage, cela se traduit par un décalage des milieux inter-incisifs, une ligne du sourire concave et une augmentation de la béance.
Il est alors proposé au patient de réaliser deux facettes en céramique sur 11 et 21. L'objectif est ici de retrouver un équilibre plus harmonieux par une amélioration de la teinte, un meilleur positionnement des milieux inter-incisifs et une correction de la ligne du sourire.
La suite de l'article illustre les différentes étapes de réalisation des facettes sur 11 et 21.
La demande esthétique du patient étant élevée, une prévisualisation esthétique du résultat final avant d'entreprendre les étapes de préparation est primordiale. Plusieurs méthodes sont envisageables afin de réaliser une prévisualisation esthétique, aujourd'hui l'outil informatique est de plus en plus développé mais la réalisation de wax-up par le prothésiste reste toujours d'actualité.
Dans le cadre de réhabilitations antérieures, Gurel [4] a développé une méthode consistant à transférer un projet esthétique virtuel, le wax-up, en un projet esthétique réel : le mock-up. À partir d'un montage en cire (ou aujourd'hui d'un modèle imprimé dans le cadre du flux numérique), une clef en silicone est confectionnée [5]. Elle permet à l'aide d'une résine bis-acryl et sans traitement de la surface dentaire de réaliser un transfert de ce montage en cire directement en bouche [6]. Une fois validée par le patient, la préparation peut ensuite débuter. Suivant la situation, il est possible de laisser le patient avec le mock-up plusieurs jours voire semaines afin qu'il s'habitue à son nouveau sourire avant d'entreprendre la réalisation des restaurations définitives.
Pour que le mock-up puisse être réalisé sans avoir à préparer la surface dentaire et tout en respectant les critères esthétiques du sourire, un ajout de substance préalable à la surface de la dent est nécessaire. Dans notre situation, les dents étant bien positionnées, la réalisation du mock-up aurait entraîné un volume vestibulaire trop important, générant un aspect inesthétique.
La prévisualisation esthétique a donc été réalisée directement en bouche au moyen de composite. Ce dernier positionné sur la dent sans traitement de surface préalable permet de valider avec le patient la longueur finale de ses incisives centrales. Il est décidé en suivant la check-list esthétique développée par Magne et Belser [6] d'allonger les bords libres afin de donner aux incisives centrales une prédominance dans le sourire (avec une longueur moyenne de 1 mm de plus que les incisives latérales) et d'obtenir une ligne du sourire convexe (fig. 2 à 5). Les collets gingivaux étant bien alignés, aucun aménagement n'a été nécessaire.
En l'absence de traitement de surface des dents, les deux composites une fois photopolymérisés peuvent être récupérés à l'aide d'un CK6 puis se repositionner sur les modèles en plâtre afin de guider le prothésiste dans son travail en plus des différentes photos cliniques qui lui sont transmises.
Le concept APT (aesthetic pre evaluative temporary) [4] consiste à réaliser dans un premier temps la préparation au travers du mock-up (la préparation débute alors non pas sur la surface dentaire existante mais sur le volume final de la restauration, la préparation de la dent se faisant alors a minima). Comme vu précédemment (cf. Prévisualisation esthétique) la réalisation d'un mock-up à l'aide de résine bis-acryl n'était pas indiquée dans notre situation clinique. La préparation a donc débuté au contact direct de la surface dentaire (essentiellement de composite recouvrant les faces vestibulaires). L'utilisation de fraises calibrées à butée d'enfoncement nous assure de contrôler nos profondeurs de pénétration. Ces fraises permettent la réalisation de rainures en respectant la double convergence des incisives centrales maxillaires. Un crayon à mine grasse est ensuite utilisé pour marquer l'intérieur de ces rainures. La préparation consistera alors à relier ces rainures entre elles tout en marquant la limite cervicale. La préparation est ainsi plus rapide, plus sécurisante et plus préservatrice en tissu dentaire (fig. 7).
La limite cervicale est positionnée en juxta-gingivale, la mise en place d'un fil rétracteur lors de la préparation permet une protection de la gencive et nous assure de rester dans l'émail, élément indispensable à la longévité des facettes dans le temps [3,7]. Les bords libres ont été très légèrement réduits afin d'éliminer le composite ; la longueur des dents devant être augmentée, il n'est pas utile de réaliser une réduction occlusale de 1,5 à 2 mm. La modification de la position du point inter-incisif, la nécessité de rééquilibrer les diamètres mésio-distaux ainsi que la présence de restaurations en composite anciennes nous a orienté vers un passage du point de contact entre 11 et 21, l'objectif étant d'obtenir une limite de préparation amélaire. Les points de contact avec les incisives latérales ont quant à eux été conservés. La finition des préparations est réalisée à l'aide d'une fraise diamantée bague jaune, d'un insert ultrasonore diamanté et d'une fraise pierre d'Arkansas permettant d'obtenir un état de surface le plus net possible facilitant l'enregistrement de la préparation durant l'empreinte (fig. 8).
La conservation de l'émail lors de la préparation a minima est primordiale, la réalisation d'un mock-up et l'utilisation de fraises calibrées permettent de répondre à cet objectif de préparation. Néanmoins, dans certaines situations, des plages dentinaires peuvent être exposées. Gresnigt et coll. [8] montrent qu'au-delà de 50 % d'exposition dentinaire, la réalisation d'une IDS permet d'obtenir un taux de survie de 96,4 % à 11 ans, celui-ci passe à 81,8 % en l'absence d'IDS. L'IDS [9] permet d'améliorer les valeurs d'adhérence lors de l'assemblage des restaurations et donc leur longévité dans le temps ; il évite aussi les sensibilités lors de la phase de temporisation.
Une fois la préparation des dents terminée, la prise de teinte du support dentaire est effectuée. Cette dernière est réalisée à l'aide d'un teintier spécifique (Natural Die). Dans notre situation, le choix s'est porté sur les teintes ND1 et ND2. La transmission de cette information au prothésiste est indispensable pour qu'il puisse réaliser les facettes les plus esthétiques possible. La prise de teinte des dents adjacentes a, quant à elle, été réalisée avant la préparation (fig. 9).
Après mise en place de fils rétracteurs, une empreinte en 2 temps 2 viscosités est effectuée. Elle permet un enregistrement avec précision du profil d'émergence. La mise en place d'un seul fil rétracteur dans le sulcus est réalisée afin de faciliter son retrait lors de la prise d'empreinte avant d'injecter le matériau light (fig. 10).
Lors de réhabilitation du secteur antérieur, la temporisation constitue une période délicate. Les préparations pour facettes étant peu rétentives, le risque de décollement des provisoires peut représenter une crainte pour le patient et le praticien.
La clef en silicone réalisée en pratique pour le mock-up est utilisée, mais n'ayant pas fait de mock-up, cette clef en silicone a été confectionnée à partir d'un modèle en plâtre issu d'une empreinte primaire.
Lorsque plusieurs restaurations adjacentes sont réalisées, le fait de solidariser l'ensemble des restaurations provisoires permet d'obtenir une meilleure stabilité et résistance.
Un mordançage punctiforme préalable de la face vestibulaire des dents peut être réalisé en complément de rétention. La clef en silicone est ensuite chargée en résine bis-acryl (Protemp 4 Teinte A2) et positionnée en bouche, les excès sont éliminés à l'aide d'une sonde au niveau des embrasures préalablement découpées. Une fois la résine bis-acryl prise, la clef est retirée. Puis, les derniers excès éliminés et l'occlusion vérifiée, le patient peut quitter le cabinet. Des conseils d'hygiène (passage du fil dentaire et brossage) lui sont donnés durant cette phase de temporisation (fig. 11).
Deux modèles en plâtre sont confectionnés par le prothésiste à partir de l'empreinte en silicone :
• un premier modèle sur lequel les préparations pour 11 et 21 sont mises en die, associé à un détourage sous microscope. Sur ces dies le prothésiste pourra réaliser la stratification des facettes et s'assurer de leur parfaite adaptation aux limites de la préparation (fig. 12) ;
• un deuxième modèle non mis en die, lui permettant de gérer le profil d'émergence des restaurations en adéquation avec le profil gingival. Un réglage optimal des points de contact pourra aussi être réalisé grâce à ce modèle (fig. 13).
Une à deux semaines après la prise d'empreinte, le patient est revu au cabinet afin de réaliser l'assemblage des facettes. Le retrait des restaurations transitoires est réalisé à l'aide d'un CK6. Dans certaines situations, la dépose des restaurations provisoires peut s'avérer délicate. La réalisation de rainures à l'aide d'une fraise boule sur contre-angle bague bleue permet ensuite de venir positionner une spatule afin de casser et de déposer l'ensemble des restaurations provisoires.
Une fois les restaurations provisoires déposées, la surface dentaire est soigneusement nettoyée à l'aide d'une brossette et d'une pierre ponce afin d'éliminer les résidus de résine bis-acryl pouvant gêner la bonne insertion des facettes.
L'essayage des facettes est effectué. Dans un premier temps, l'adaptation marginale de chaque facette est vérifiée individuellement. Puis un positionnement des deux facettes permet de vérifier l'ajustage des points de contact.
Dans un second temps, un essayage esthétique est effectué. Il est en effet possible de prévisualiser le rendu esthétique final à l'aide de pâte d'essayage à base de glycérine (Variolink Try-In d'Ivoclar Vivadent). Cinq try-in et cinq colles correspondantes sont disponibles. Après un essayage in situ, le choix s'est porté sur un composite de collage clair et translucide (light). Ce gel d'essai permet aussi de confirmer le bon ajustage des points de contact en donnant aux facettes plus de stabilité lors de l'essayage.
Le protocole d'assemblage des restaurations adhésives en céramique antérieures est aujourd'hui bien codifié. Ce protocole implique d'une part un traitement de surface de la céramique et d'autre part un traitement de surface de la surface dent. La qualité de collage des facettes sera décisive quant à leur longévité [11].
Afin de garantir la bonne étanchéité du site et une adhésion optimale, le collage des facettes doit se faire à l'abri de l'humidité, la mise en place d'un champ opératoire est nécessaire.
Plusieurs techniques d'isolation existent pour la mise en place du champ opératoire, certains auteurs sont partisans d'une digue unitaire présentant l'avantage d'éviter une contamination des surfaces dentaires adjacentes lors du traitement de surface mais impliquant un temps de traitement plus long puisque cette dernière doit être retirée puis remise en place pour chacune des pièces à coller.
Pour ce cas clinique, une digue étendue de canine à canine a été positionnée permettant d'obtenir une vue d'ensemble des préparations. Cette dernière est plus exigeante lors de sa mise en place (taille des perforations, espace entre les perforations, mise en place de ligature, protection des dents adjacentes lors du traitement de surface) mais elle permet un contrôle visuel optimal et un assemblage simultané des deux facettes (fig. 14 et 15). L'utilisation d'une digue épaisse couplée à la mise en place de ligature et de crampons incisifs permet d'obtenir une rétraction des tissus mous et une visibilité parfaite des limites des préparations [12].
Les facettes sont ensuite de nouveau essayées afin de s'assurer de leur bonne mise en place. Les crampons ne doivent pas gêner l'adaptation des facettes au niveau des limites cervicales (fig. 16 et 17).
Une fois l'adaptation des facettes vérifiée, le conditionnement de ces dernières est effectué. Les facettes étant en céramique Emax (disilicate de lithium), un premier mordançage de l'intrados à l'acide fluorhydrique 9 % pendant 20 secondes est réalisé, suivi d'un rinçage pendant 20 secondes à l'eau. Un deuxième mordançage à l'acide orthophosphorique 37 % [2] pendant 20 secondes permet une élimination des résidus suivi lui aussi d'un rinçage à l'eau pendant 20 secondes [13]. Une fois les facettes séchées, le silane est appliqué à l'aide d'une brossette, un temps d'évaporation de 3 min est nécessaire. Enfin une couche d'adhésif (Scotchbond Universal 3M) non photopolymérisé est appliquée. Les facettes sont ensuite placées à l'abri de la lumière (fig. 18 à 20).
Le conditionnement de la surface dentaire comprenant un sablage à l'alumine 27 microns, un mordançage à l'acide orthophosphorique 37 %, un rinçage, un séchage puis l'application du système adhésif (Scotchbond Universal 3M) non photopolymérisé est réalisé (fig. 21).
Le collage s'effectue en utilisant une colle sans potentiel d'adhésion (Variolink Esthetic). La faible épaisseur des restaurations et leur translucidité permettent l'utilisation d'une colle uniquement photopolymérisable. Cette dernière est injectée sur la surface de la dent puis dans l'intrados des facettes. Les facettes sont ensuite positionnées sur la surface de la dent sous pression. Les premiers excès sont éliminés et le passage des points de contact réalisé. Le mode de prise de la colle nous offre un temps de travail quasi illimité permettant de s'assurer de la bonne adaptation des facettes et de l'élimination quasi complète des excès à l'aide d'une sonde et d'un pinceau. Les restaurations doivent être maintenues en place lors de cette étape afin d'éviter un défaut de positionnement de celles-ci. Une fois les excès éliminés, une photopolymérisation de 60 secondes par face sous gel de glycérine évitant l'inhibition par l'oxygène est réalisée (fig. 22 et 23).
La digue est ensuite déposée et les derniers excès de colle sont éliminés avec une lame de bistouri no 12. L'utilisation d'une fraise diamantée est à éviter, cela entraînerait l'apparition de rugosités à l'interface céramique dent qu'il serait difficile de polir correctement par la suite. Un polissage (pointe de silicone) basse vitesse sous irrigation si les limites sont accessibles peut être effectué.
En pratique, les occlusions statique et dynamique sont contrôlées. Dans notre situation, le patient présente une béance antérieure (fig. 24).
Le résultat après l'assemblage montre une bonne adaptation des facettes, une modification du sourire avec une prédominance des incisives centrales maxillaires et une courbe du sourire désormais convexe lui donnant un aspect plus harmonieux.
Jean-Marc Étienne, Oral design center, Nancy (mail@oraldesign.fr) pour la réalisation des facettes en céramique Emax.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.