Endodontie
Romain GABRIEL* Jean-Yves COCHET**
*Docteur en chirurgie dentaire
**Endodontiste exclusif
***Diplôme universitaire européen d'endodontologie (DUEE), Université Paris-Diderot, Paris VII
****Attaché Clinique, Paris V
*****Co-responsable de la chirurgie endodontique, Hôpital Bretonneau, Paris V
******Cabinet d'endodontie, Paris
*******Docteur en chirurgie dentaire
********Endodontiste exclusif
*********Diplôme universitaire d'études cliniques Sspécialisées en endodontie, Paris VII
**********Ancien AHU, Paris VII
***********Ex-Président de la Société française d'endodontie
************Chargé d'enseignement au Diplôme universitaire européen d'endodontologie (DUEEC), Université Paris-Diderot, Paris VII
*************Professeur invité à la Southestern University College of Dental medicine Nova, Floride (États-Unis)
**************Cabinet d'endodontie exclusive, Paris
Les objectifs du traitement endodontique, qu'ils s'agissent de l'éradication des bactéries et de leurs toxines du système canalaire, d'une part, ou de l'élimination des débris organiques inflammatoires ou nécrotiques, d'autre part, sont parfaitement définis [1, 2]. L'efficacité de la désinfection et du nettoyage intra-canalaire est directement corrélée à l'effet mécanique et...
Les objectifs du traitement endodontique, qu'ils s'agissent de l'éradication des bactéries et de leurs toxines du système canalaire, d'une part, ou de l'élimination des débris organiques inflammatoires ou nécrotiques, d'autre part, sont parfaitement définis [1, 2]. L'efficacité de la désinfection et du nettoyage intra-canalaire est directement corrélée à l'effet mécanique et chimique de l'irriguant. À cet effet, de nombreux moyens d'activation des solutions d'irrigation ont été mis sur le marché afin de permettre aux endodontistes d'assurer la qualité et la pérennité de leurs traitements canalaires. Néanmoins, il semblerait que la complexité anatomique empêche l'accès des solutions à l'ensemble du réseau endo-canalaire et de ses ramifications (isthmes, canaux secondaires). Des études sur la dynamique des fluides et de microbiologie endodontique ont identifié le laser comme un outil complémentaire pertinent dans les étapes de nettoyage et de désinfection des canaux radiculaires. Après avoir étudié les principes optiques régissant les interactions de l'onde lumineuse du laser sur les différents tissus, nous détaillerons le fonctionnement du laser et la spécificité du laser Erbium:YAG en endodontie. Des cas cliniques permettront d'illustrer son application comme moyen d'activation des solutions d'irrigation ainsi que sa contribution dans le nettoyage et la désinfection du réseau endodontique. Enfin, nous définirons quelques précautions à suivre lors de l'utilisation de ce dispositif au cabinet dentaire.
Le laser en odontologie n'est pas un outil thérapeutique récent. Depuis le premier laser à Rubis développé en 1960, de très nombreux lasers ont été conçus en laboratoire (fig. 1).
Au cours des décennies, de nombreuses spécialités telles que l'ophtalmologie, la dermatologie, l'ORL et bien d'autres disciplines médicales, ont intégré le laser comme un outil courant de leur arsenal thérapeutique (fig. 1).
Il a fallu attendre 2007, soit une vingtaine d'années après son lancement en odontologie, pour que le laser soit reconnu et progressivement considéré comme un outil thérapeutique pertinent en odontologie (fig. 1).
Cependant, la spécificité d'interaction des longueurs d'ondes, les différents protocoles d'utilisation pour chacune d'elles ainsi que le prix d'achat et d'entretien du dispositif semblent freiner son implantation au sein des cabinets libéraux. La simplification du protocole d'utilisation et le soutien apporté par les études scientifiques seront favorables et nécessaires à la démocratisation du laser (fig. 1).
Les lasers sont des sources de lumière dites « monochromatiques » qui émettent, en règle générale, une seule longueur d'onde dans une seule direction, permettant ainsi d'obtenir des ondes « en phase » ou « cohérence spatiale et temporelle ». La lumière émise peut être décrite comme une radiation électromagnétique pouvant comprendre des longueurs d'onde de 100 nm à 1 mm. Tous les types de laser sont applicables en médecine, pouvant stimuler dans l'ultraviolet, le visible ou l'infrarouge.
Le « milieu actif » correspond généralement au nom du laser (fig. 2). Celui-ci peut être un gaz (dioxyde de carbone, hélium-néon, argon), un cristal solide (Erbium:YAG, Nd:YAG, KTP), un semi-conducteur à l'état solide (la diode) ou un liquide tel que ceux utilisés dans les dispositifs médicaux. Lorsque le système de pompage apporte de l'énergie au sein du milieu actif, les électrons présents sur la couche externe se rendent à un palier d'énergie supérieur. On parle d'« inversion de population » lorsqu'il y a plus d'électrons dans les niveaux d'énergie élevés que dans les couches basales. Cette inversion de population est indispensable pour l'émission d'une lumière laser. Au sein de la cavité de résonance se trouvent deux miroirs, parallèles l'un à l'autre. Ces miroirs jouent le rôle de résonateurs optiques et aident à collimater les photons et amplifier le faisceau laser (fig. 2).
Une fois que le faisceau lumineux entre en contact avec le substrat ciblé, une certaine « densité d'énergie » ou « fluence » est délivrée au sein du matériau irradié. La fluence représente la quantité d'énergie reçue par une surface de 1 cm2. L'énergie délivrée dans les tissus dépend de la taille du faisceau laser ou « spot lumineux », de l'utilisation avec ou sans contact du laser sur le tissu, et sera exprimée en J/cm2. La fluence est inversement proportionnelle au diamètre de la fibre optique et donc du spot lumineux ; plus il est petit, plus la fluence sera élevée.
À gauche, la fibre optique de petite taille donne une pénétration étroite et profonde ; à droite, la pénétration est plus large en superficie avec une fibre optique de taille supérieure (fig. 3).
Il existe différents types de lasers avec des rayonnements dont la longueur d'onde et l'intensité conditionnent l'effet tissulaire et, par conséquent, les indications médicales. Dépendant du type de tissu ciblé, le laser peut présenter quatre types d'interactions : l'absorption, la diffusion, la transmission et la réflexion. L'interaction de la longueur d'onde avec le tissu ciblé nécessite une affinité entre celle-ci et les constituants ou « chromophores » du tissu. Ainsi, l'absorption de la longueur d'onde aura lieu pour une affinité élevée entre la lumière et les chromophores présents. Les principaux chromophores présents au sein des tissus sont l'eau, la mélanine, l'hémoglobine et l'hydroxy-apatite [3]. L'absorption est le type d'interaction recherché lors de l'activation des solutions d'irrigation au laser et dépend du type de longueur d'onde délivrée dans la solution aqueuse.
Lorsque l'affinité entre la longueur d'onde et les chromophores est moindre, l'énergie produite par le laser peut également être affaiblie le long de son trajet au sein du tissu. Le phénomène de diffusion est alors en cause, contraignant les photons à changer de direction afin d'augmenter leur absorption dans les tissus environnants. En effet, en étant redirigés dans d'autres directions, les photons sont envoyés vers des chromophores réactifs à leur longueur d'onde. Cette interaction augmente donc le risque d'impacter les tissus adjacents, non ciblés initialement.
Lorsque l'énergie du laser traverse le tissu sans avoir d'effet sur le tissu environnant, on fait alors référence à la transmission. Les longueurs d'onde des lasers Nd:YAG (1064 nm) et Nd:YAP (1340 nm), présentant peu d'affinité pour les substrats riches en eau et hydroxy-apatite, peuvent traverser les tissus sans avoir d'effet et agir sur les couches les plus profondes.
Afin d'illustrer ce phénomène physique qu'est la transmission, l'œil est un très bon exemple (fig. 4). Au même titre que le laser Nd:YAG, l'onde lumineuse du laser diode (810 nm) est transmise à travers la lame criblée de l'œil, la lentille, l'iris, la cornée, le corps vitré et le corps aqueux de l'œil avant d'être absorbée par la rétine [4]. Les lasers « dioxyde de carbone » ou « CO2 » et Erbium:YAG sont, eux, entièrement absorbés par les premières couches ciblées riches en eau, sans transmission.
À l'inverse de l'absorption, la réflexion de la lumière a lieu lorsque l'onde lumineuse ne rencontre pas de chromophores sensibles. Celle-ci est dangereuse car l'énergie peut être redirigée vers une cible non intentionnellement irradiée. La réflexion de l'onde lumineuse des lasers CO2 (10 600 nm) et Erbium:YAG sur les surfaces métalliques (implants en titane, miroirs, écarteurs, etc.) est un bon exemple. Ce phénomène est à l'origine de réflexions iatrogènes pour la vue du patient et du praticien. Certaines mesures de sécurité sont donc nécessaires lors de l'utilisation d'irradiation laser et seront détaillées dans la dernière partie.
L'absorption et la diffusion de la longueur d'onde du laser au sein du substrat ciblé vont entraîner, localement, des réactions biologiques à visée thérapeutique. Classé dans le spectre de l`infrarouge moyen, le laser Erbium:YAG (2940 nm) a une absorption élevée dans l'eau (de l'ordre de 98 %), et moindre dans l'hydroxy-apatite (fig. 5). Le poids de l'émail dentaire est constitué à 96 % de cristaux d'hydroxy-apatite, à 3,6 % d'eau et à 0,4 % de matrice protéique. Le laser le plus adapté pour interagir avec l'émail est donc l'Erbium:YAG. Ce dernier est également à privilégier sur les tissus durs tels que l'os et la dentine, dont le poids est composé de 70 % de phase minérale d'hydroxy-apatite, de 20 % de phase organique protéique et de 10 % d'eau.
Lors d'une activation des solutions d'irrigation au laser Erbium:YAG, il est important de s'assurer que la longueur d'onde n'est pas absorbée par les parois du canal afin que la dentine et le ligament parodontal soient préservés. Il est donc recommandé d'utiliser le laser dans une solution aqueuse, afin qu'il soit très fortement absorbé, pour activer les solutions d'irrigation dans un faible volume d'eau, sans dissiper l'énergie dans les tissus environnants. En raison du coefficient d'absorption élevé du rayonnement Erbium:YAG dans la solution aqueuse, le rayon pénètre jusqu'à une profondeur de l'ordre de 1 mm seulement, sans risquer la diffusion thermique sur les parois radiculaires et parodontales. Lors d'une irradiation de 40 s, une variation de température sur la face externe radiculaire n'excède pas 1,5 oC, très loin de la zone critique de 43 oC qui pourrait créer des troubles parodontaux [5]. En complément, la tête de la pièce à main laser délivre un spray d'eau sur les tissus durs, ce qui permet d'éviter la carbonisation et les micro-fractures des structures cristallines qui en résultent [6].
Son rayonnement fortement absorbé par les solutions aqueuses à fait naître une nouvelle technique dans notre protocole d'irrigation : la désinfection à l'aide d'une solution d'irrigation activée par le laser ou (Laser-Activated Irrigation, LAI). L'absorption de la longueur d'onde du laser au sein de la solution aqueuse génère la formation de bulles à haut potentiel d'implosion, communément connu sous le nom de cavitation.
Parmi les différents facteurs impliqués dans la création du phénomène de cavitation, le coefficient d'absorption de la solution activée (fig. 5) et la forme de la fibre optique semblent avoir un rôle particulièrement important (fig. 6).
L'irrigation activée par le laser Erbium:YAG LightTouch® implique l'utilisation d'une pièce à main constituée d'une fibre optique en saphir apparue en 2007, dérivée du XPulse LightWalker® (Fotona) qui est en quartz (fig. 6). Sa forme cylindrique, dotée d'une extrémité plate, permet de diriger la lumière axialement ou « à tir radial », sans risquer de léser les tissus latéralement.
L'extrémité de la fibre optique du laser Erbium:YAG est immergée dans la cavité d'accès, remplie de solution d'hypochlorite de sodium renouvelée en continu (fig. 8). Il convient d'animer la fibre d'un mouvement hélicoïdale pendant 30 s par canal afin d'exposer l'ensemble des surfaces aux phénomènes photo-acoustiques et photo-mécaniques [7] (fig. 8 et 9).
L'énergie du laser, majoritairement absorbée par la solution aqueuse, chauffe et induit l'ébullition de cette dernière sur une fine couche superficielle, de l'ordre du millimètre, à proximité de la fibre. L'eau surchauffée génère l'expansion d'une bulle de vapeur qui grossit, permettant la transmission de l'onde lumineuse pour être absorbée du côté opposé, évaporant l'eau en regard de la bulle (fig. 14).
Près de la fibre du laser à l'endroit de l'expansion de la bulle, la pression interne devient inférieure à la pression du liquide environnant et pousse la bulle à la rupture (fig. 15). Cette implosion entraîne son détachement de la fibre optique. C'est la première cavitation qui sera à l'origine de bulles de cavitation dites « secondaires » (fig. 16). Ces dernières, plus petites que la bulle « mère », sont à l'origine de nouvelles bulles de taille moindre et en quantité décroissante.
Le phénomène de cavitation produit un effet de nettoyage supérieur à celui de l'irrigation activée par ultrasons (PUI) pourtant considérée comme le gold standard aujourd'hui [8, 9]. Chaque onde de pression induite par le laser est initiatrice d'une multitude de phénomènes « en cascade », à l'origine d'effets photo-acoustiques. Il se forme un jet liquide à grande vitesse comparé à l'utilisation des ultrasons, qui induit une dynamique des fluides non seulement près de l'embout mais également à distance de l'embout [10]. La solution est alors véhiculée dans les zones retranchées mais aussi dans les zones difficiles d'accès du tiers apical.
Les ondes de choc et les mouvements d'écoulement tumultueux produisent des contraintes mécaniques significatives, suffisantes pour éliminer les débris et la boue dentinaire des parois canalaires. L'affaiblissement des membranes cellulaires bactériennes et le cathétérisme du système endo-canalaire sont garantis sans risque de lésions tissulaires [7] (fig. 17 à 20).
L'action antibactérienne du laser repose donc sur ses effets photomécaniques et chimiques sur la solution d'irrigation [11].
Cette action du laser sur les bactéries est susceptible d'intervenir à deux moments dans le processus de formation et de maturation des bactéries en biofilm (fig. 21).
Dans les étapes préliminaires, avant la formation du biofilm, les bactéries planctoniques perdent leur motilité une fois l'irradiation laser produite. Il est donc possible d'inhiber la formation du biofilm dans les étapes précoces de sa formation.
Après la formation du biofilm, lorsque celui-ci est mature, l'onde de choc déstructure la membrane et ouvre la voie aux solutions d'irrigation qui y pénètrent pour exprimer leurs actions solvante et antiseptique [12].
Au-delà de 1 000 nm, les radiations sont invisibles à l'œil nu. L'œil cligne à une vitesse de 250 ms mais la vitesse de pulse est généralement plus rapide. De plus, le clignement ou la fermeture des yeux ne constitue pas une protection suffisante contre tous les lasers. Pour des longueurs d'onde proches de 3 000 nm, l'absorption dans l'eau est maximale et la radiation lumineuse conduit à l'ablation de la cornée, voire même à sa volatilisation dans certains cas. Ainsi, le laser, même utilisé à des énergies faibles, peut engendrer des séquelles sur la pupille et la rétine, comme la formation de cataracte par exemple. Il est donc nécessaire de se procurer des lunettes ayant des verres optiques adaptés à la source lumineuse. Il existe des lunettes de sécurité compatibles aux longueurs d'onde de chaque laser (fig. 22).
L'extrusion de débris dentinaires dans les tissus péri-radiculaires peut être responsable d'une inflammation péri-radiculaire (flare up), de douleurs post-opératoires et de l'échec du traitement. On se doit donc d'utiliser ce type d'instrument passivement avec une extrême délicatesse. La fibre du laser doit être positionnée dans le tiers coronaire du canal dentaire afin d'éviter l'extrusion de solution d'irrigation au-delà de la zone péri-apicale [13].
Le laser Erbium:YAG contribue à l'évolution du concept de désinfection en endodontie. Grâce à son pouvoir photomécanique, l'activation et la propulsion des solutions d'irrigation garantissent une éradication efficace du biofilm bactérien présent dans le réseau endodontique et dans les profondeurs dentinaires [14].
Ses spécificités d'interaction avec les tissus dentaires, l'eau et les solutions d'irrigation en font le laser de choix à utiliser en endodontie [15]. Cette irrigation activée par le laser assure le bon pronostic de nos traitements, à condition de pratiquer une obturation complète de l'endodonte et de la région [16].
Ces préparations « laser-assistées » vont bouleverser nos protocoles cliniques parfois délabrants dans les canaux étroits ou courbes [17]. Nul besoin de sur-instrumenter un canal pour en assurer le nettoyage et son obturation.
Le laser Erbium:YAG occupe une place de plus en plus importante dans notre arsenal thérapeutique. Néanmoins, il ne peut remplacer les instruments endodontiques conventionnels dans l'étape de mise en forme canalaire. L'utilisation d'un laser seul, au contact des parois canalaires, pourrait provoquer des épaulements ou « butées », voire même des perforations dans les canaux courbes.
Sa constante évolution et les concepts thérapeutiques actuels de plus en plus conservateurs lui donnent un rôle clé dans le domaine de la désinfection comparé à d'autres techniques peu évolutives [18].