Clinic n° 07 du 01/07/2020

 

Parodontologie

Margot COHEN*   Marjolaine GOSSET**   Catherine PESCI-BARDON***  


*Exercice privé
Master 1
Santé parcours parodontologie
**Université de Paris
***PU-PH parodontologie
****Université de Paris
Hôpital Charles-Foix AP-HP
*****Praticien Hospitalier
Spécialiste qualifiée en médecine bucco-dentaire

Les anticoagulants oraux (anti-vitamines K et anticoagulants oraux directs) sont des traitements fréquemment prescrits. Connaître ces médicaments ainsi que les risques qui leur sont associés est donc indispensable. Dans cet article, des protocoles adaptés à la gestion du risque hémorragique sont proposés pour traiter sereinement ces patients, notamment pour les soins de parodontologie et d'implantologie.

L'association entre parodontites et maladies cardio-vasculaires a été...


Les anticoagulants oraux (anti-vitamines K et anticoagulants oraux directs) sont des traitements fréquemment prescrits. Connaître ces médicaments ainsi que les risques qui leur sont associés est donc indispensable. Dans cet article, des protocoles adaptés à la gestion du risque hémorragique sont proposés pour traiter sereinement ces patients, notamment pour les soins de parodontologie et d'implantologie.

L'association entre parodontites et maladies cardio-vasculaires a été largement étudiée ces vingt dernières années. Une mauvaise santé parodontale augmenterait le risque d'apparition d'événements cardio-vasculaires ischémiques. Il est donc important de savoir organiser le traitement parodontal de ces patients lors de notre pratique quotidienne au cabinet [1]. Ceci exige de connaître et de comprendre les traitements médicaux, particulièrement anticoagulants, de ces patients.

Les anticoagulants

Les maladies cardiovasculaires sont la deuxième cause de mortalité en France [2]. Les anticoagulants (fig. 1) sont une spécialité pharmaceutique très prescrite pour leur action de prévention et de traitement des pathologies thrombo-emboliques (thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, etc.). En 2013, 3,12 millions de patients en France sont concernés par la prise d'un anticoagulant. L'exposition à ce traitement augmente avec l'âge et touche 13,7 % des sujets de 65 ans et plus [2]. Les principaux anticoagulants prescrits sont les anti-vitamines K (AVK) qui ont prouvé leur efficacité depuis de nombreuses années. Cependant, en raison de leurs effets indésirables, de nouvelles spécialités ont été développées : ce sont les anticoagulants oraux directs (AOD) dont la vente a très rapidement augmenté depuis leur mise sur le marché [3].

Pour rappel, un traitement anticoagulant cible la deuxième phase de l'hémostase : la coagulation plasmatique. On les distingue des anti-agrégants plaquettaires (Kardégic®, Plavix®, Duoplavin®, etc.) qui ciblent l'hémostase primaire par altération de la formation du clou plaquettaire. Notons que ces deux spécialités sont fréquemment associées (fig. 1).

Anti-vitamines K (AVK)

• Présentation générale des AVK

Trois AVK (molécules en DCI) sont distingués, répondant à deux familles pharmacologiques différentes (tableau 1) :

– les dérivés de la coumarine : l'acénocoumarol et la warfarine ;

– les dérivés de l'indanedione : la fluindione.

La demi-vie des AVK est longue (la demi-vie correspond au temps nécessaire pour qu'une substance perde la moitié de son activité pharmacologique). Ainsi, des protocoles précis sont établis pour la gestion de ces patients à risque hémorragique, en tenant compte de la pharmacocinétique de ce médicament.

• Traitement par AVK : quels risques dans notre pratique quotidienne ?

Il existe deux risques à prendre en compte au cours de nos soins :

– le risque hémorragique. Il peut être évalué par le test biologique International Normalized Ratio (INR) ;

– le risque médicamenteux. Il existe des interactions médicamenteuses des AVK avec certains antibiotiques comme la pénicilline, certains macrolides ou le métronidazole, qui provoquent une augmentation sporadique de l'INR. Le patient doit donc en être informé. De plus, l'antifongique miconazole par voie générale ou en gel buccal ainsi que la prise d'aspirine à forte dose ou d'anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) augmentent le risque hémorragique de l'anticoagulant [4, 5].

Anticoagulants oraux directs (AOD)

• Présentation générale des AOD

À ce jour, quatre molécules sont disponibles dont les dosages sont déterminés en fonction de l'indication de prescription (tableau 2).

La demi-vie des AOD est courte (inférieure à 24 heures) et ils agissent directement sur la cascade de la coagulation contrôlant la formation de caillots libres (au contraire des AVK qui interviennent sur la synthèse des facteurs de coagulation). Autrement dit, leur pharmacocinétique est prédictible, de même que leur relation dose-effet. Une modification raisonnée du traitement est réalisable pour des soins bucco-dentaires invasifs.

• Traitement par AOD : quels risques dans notre pratique quotidienne ?

De la même manière, deux risques inhérents à la prise d'un traitement anticoagulant existent :

– le risque hémorragique. Attention, aucun bilan biologique ne permet de mesurer l'activité anticoagulante et donc le risque hémorragique des AOD (tableau 3). En effet, les AOD perturbent la valeur de l'INR, ce qui le rend non interprétable et sans corrélation avec le risque thrombo-embolique et hémorragique ;

– le risque médicamenteux car l'association avec des AINS augmente le risque hémorragique.

Réaliser le traitement parodontal chez un patient sous anticoagulant 

Lors de la réalisation d'un traitement parodontal, nous serons amenés à gérer le risque hémorragique selon l'acte réalisé, à faible ou à fort risque en accord avec Sanz et al[1]. Nous proposons une classification des actes relatifs à la parodontologie et à l'implantologie pour établir un protocole de prise en charge des patients et ainsi adapter nos précautions face à l'importance du risque hémorragique.

• Les actes considérés à faible risque hémorragique incluent, par exemple, une thérapeutique parodontale non chirurgicale, une avulsion simple ou des avulsions multiples dans un même cadran, la pose d'un implant unitaire, certaines chirurgies parodontales muco-gingivales, etc. (tableau 3). Ces actes provoquent moins de 1 % des saignements post-opératoires recensés chez les patients à risque cardio-vasculaire [1].

• Les actes à haut risque hémorragique se distinguent par une durée opératoire supérieure à 1 heure, une localisation ou une technique délicate ou des actes invasifs intervenant dans plusieurs cadrans différents : par exemple, une greffe osseuse autogène. Ils sont responsables de saignements modérés dans 2 à 5 % des cas [1].

Évaluer la nécessité d'une modification de traitement. À qui incombe la responsabilité de cette décision ?

Généralités

Le chirurgien-dentiste doit évaluer si l'acte à réaliser est associé à un faible (ex. : détartrage supra-gingival) ou à un fort risque hémorragique (ex. : avulsions). Ainsi, il peut choisir, en relation avec le médecin traitant, de poursuivre le traitement anticoagulant ou de l'arrêter avec un éventuel relais héparinique.

Quatre options thérapeutiques sont envisageables pour la prise en charge de ces patients à risque hémorragique (fig. 2) qui implique dans certaines situations la mise en relation avec le médecin traitant :

• poursuite du traitement sans modification ;

• poursuite du traitement avec modification ;

• arrêt temporaire de l'anticoagulant sans relais héparine ;

• arrêt du traitement avec relais héparine.

Conduite à tenir pour les patients sous AVK

Trois options thérapeutiques sont établies par la HAS [6] pour la prise en charge des patients sous AVK [7] (fig. 3).

• Pour un acte à faible risque hémorragique : réaliser un contrôle de l'INR 24 à 48 heures avant l'intervention pour déterminer le degré d'anticoagulation. La valeur de l'INR doit être stable et strictement inférieure à 4 pour réaliser l'acte sans arrêt du traitement.

• Lorsque l'INR est supérieur ou égal à 4, l'intervention doit être reportée. La cause de l'instabilité doit être recherchée et des mesures correctives doivent être prises par le médecin prescripteur en cas de surdosage.

• Pour un acte à haut risque hémorragique, un avis obligatoire du médecin est demandé afin de déterminer le risque thrombotique. L'arrêt des AVK est autorisé uniquement si le risque thrombotique du patient est faible. Le traitement est arrêté 24 à 48 heures avant l'acte programmé, puis repris le lendemain de l'intervention. Le contrôle de l'INR préopératoire ne doit pas dépasser la valeur de 1,5.

• Dans le cas inverse, un risque thrombotique élevé impose d'instaurer un relais héparine car il existe un risque vital pour ces patients. Une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) ou non fractionnée (HNF) est prise en pré-opératoire et post-opératoire à des doses curatives. Si cela n'est pas réalisable, un report de l'intervention pourra également être envisagé.

Lors de la prise en charge d'un patient parodontal, la réalisation d'un détartrage et de surfaçage est considérée comme à faible risque hémorragique. En fonction de la sévérité de l'inflammation, de l'étendue et de la profondeur des poches parodontales, ce risque est cependant à moduler. Ainsi, si le risque est fort, il faut privilégier, dans un premier temps, une séance d'enseignement à l'hygiène orale et un détartrage supra-gingival pour diminuer l'inflammation et donc le risque hémorragique.

Dans le cas d'une bithérapie avec un anti-agrégant plaquettaire, ce dernier peut être poursuivi sans modification de traitement. Cette situation est fréquente et n'influe pas sur le protocole établi.

Conduite à tenir pour les patients sous AOD

Les protocoles pour la prise en charge des patients sous AOD divergent, tant chez les chirurgiens-dentistes que chez les médecins.

D'après la littérature, nous proposons une ligne de conduite directrice à individualiser en fonction de chaque cas [8-11] (fig. 4).

• Pour une chirurgie à faible risque hémorragique, aucun arrêt ou modification de traitement n'est réalisé. Il est cependant préférable de planifier l'intervention le plus tard possible après la dernière prise du médicament.

• Dans le cas de chirurgie à haut risque hémorragique, l'avis du médecin prescripteur permettra de déterminer le risque thrombotique. Lorsque ce dernier est faible, une fenêtre thérapeutique de 48 heures est établie avec l'arrêt du traitement la veille de l'intervention et la reprise le lendemain. La demi-vie courte du médicament permet une élimination suffisante de l'AOD avant l'intervention.

• Lorsque le risque thrombotique est élevé, l'arrêt du traitement provoque un risque trop important pour le patient. Dans ce cas, un arrêt de 5 jours des AOD associé à un relais héparine est instauré.

Les relais héparine

Il existe une prévalence de saignements plus élevée chez les patients recevant un relais héparine. Tant pour les AOD que pour les AVK, ces relais sont injectés à dose thérapeutique et représentent donc un risque accru de saignements [12].

La demi-vie courte des AOD permet de réaliser une interruption à court terme du traitement. Cette solution est amplement recommandée en cas de risque de saignement important au cours d'une chirurgie parodontale.

Moyens d'hémostase

Nous disposons de nombreux moyens d'hémostase permettant de contrôler le risque hémorragique dont le choix peut être fait selon l'acte clinique réalisé. Par exemple, il est possible d'utiliser l'eau oxygénée en bain de bouche après un surfaçage ou un détartrage. Pour un acte invasif de type chirurgie d'assainissement parodontal, la compression manuelle et la réalisation de sutures sont les meilleures techniques d'hémostase. En cas de saignements post-opératoires persistants, l'acide tranéxamique (Exacyl®) peut être utilisé sur une compresse ou en bain de bouche passif. Lors d'une greffe gingivale avec prélèvement palatin, une protection est indispensable avec, par exemple, une plaque palatine ainsi que l'application de produits hémostatiques de type Pangen®, Surgicel® et/ou Exacyl® associée à des sutures.

À RETENIR

La pratique d'une chirurgie parodontale sur un patient sous traitement AOD ne présente pas de risque vital pour ce dernier. Dans la mesure où l'acte invasif est à risque faible ou modéré, les AOD peuvent être continués sans interruption. Les saignements qui surviennent sont légers et faciles à maîtriser.

Les conclusions sont similaires pour les patients sous AVK lorsque l'INR est conforme aux recommandations, soit inférieur à 4. Associé à un plateau technique du praticien adapté, le risque hémorragique est considéré comme contrôlable et le risque thrombo-embolique n'est pas augmenté par une modification de traitement.

L'arrêt des anticoagulants doit être le fruit d'une décision réfléchie et pluridisciplinaire. Malgré le faible risque de survenue, le risque thrombo-embolique ne doit pas être sous-estimé ni négligé. Les complications hémorragiques sont plus recensées dans la littérature mais les issues sont moins dramatiques.

L'incidence des saignements post-opératoires, pour les patients poursuivant leur traitement AVK, est directement liée à la valeur de l'INR le jour de l'intervention.

Il est nécessaire d'évaluer, avant l'acte, les facteurs de risque liés au traitement, à l'intervention et au patient.

Lorsque la chirurgie est estimée à haut risque hémorragique ou dans le cas de patients complexes et possédant des caractéristiques cliniques prédisposant aux saignements, une prise en charge pluridisciplinaire est nécessaire. Si le médecin estime que le risque thrombotique du patient est trop élevé pour interrompre le traitement, il est préférable d'orienter le patient vers une prise en charge hospitalière.

Bibliographie

  • [1] Sanz M, Marco Del Castillo A, Jepsen S, Gonzalez-Juanatey JR, D'Aiuto F. Periodontitis and cardiovascular diseases: consensus report. J Clin Periodontol 2020;47:268-288.
  • [2] Anaes. Methode d'évaluation du risque cardio-vasculaire global, juin 2004 (http://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/Risque_cardio_vasculaire_rap.pdf).
  • [3] Boudali L. Les anticoagulants : bénéfices cliniques et risques iatrogéniques. Recommandations de l'ANSM, 2013 (https://www.ansm.sante.fr/content/download/56139/722625/version/3/file/présentation+benefices-risques_iatrogenie_CP+27nov2013.pdf).
  • [4] ANSM. Les anticoagulants en France en 2014 : état des lieux, synthèse et surveillance, avril 2014 (https://www.ansm.sante.fr/content/.../2/file/ANSM-rapport_NACOs-avril+2014.pdf).
  • [5] ANSM. Bon usage des médicaments antivitamines K (AVK). Actualisation, juillet 2012 (https://www.ansm.sante.fr/content/download/6187/59989/version/12/file/Bon+usage+AVK+actualisée+juillet+2012.pdf).
  • [6] Haute Autorité de Santé. Prise en charge des surdosages en antivitamines K, des situations à risque hémorragique et des accidents hémorragiques chez les patients traités par antivitamines K en ville et en milieu hospitalier. Recommandations professionnelles, avril 2008 (https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2008- 09/surdosage_en_avk_situations_a_risque_et_accidents_hemorragiques_- _recommandations_v2.pdf).
  • [7] Société Française de chirurgie orale (SFCO). Gestion péri-opératoire des patients traités par antithrombotiques en chirurgie orale (Recommandations de la SFCO). ID Inf Dent 2016;4:18-22.
  • [8] ANSM. Les nouveaux anticoagulants oraux (Pradaxa, Xarelto, Eliquis). Des médicaments sous surveillance renforcée - Point d'information. Actualisé le 09/10/2013 (https://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Les-nouveaux-anticoagulants-oraux-Pradaxa-Xarelto-Eliquis-Des-medicaments-sous-surveillance-renforcee-Point-d-information-Actualise-le-09-10-2013).
  • [9] Samama C, Pernod G, Albaladejo P, Sie P. Gestion péri-opératoire des nouveaux anticoagulants oraux. La Presse Médicale 2014;43:637-644.
  • [10] Lanau N, Mareque J, Giner L, Zabalza M. Direct oral anticoagulants and its implications in dentistry. A review of literature. J Clin Exp Dent 2017;9:e1346-e1354.
  • [11] Mahé I, Radoi L. Enquête portant sur la gestion périopératoire des anticoagulants oraux chez les patients subissant une intervention de chirurgie buccale, d'implantologie ou de parodontologie. Protocole de recherche non interventionnelle PRADICO, mars 2017.
  • [12] Motta RHL, Bergamaschi C, de Andrade NK, Guimaraes C, Ramacciato J, Araujo J, Lopes L. Bleeding risk in patients using oral anticoagulants submitted to surgical procedures in dentistry: a systematic review protocol. BMJ Open 2017;7:e019161.