Dermatologie buccale
M. B., 60 ans, est adressé en consultation de pathologie de la muqueuse buccale pour de multiples érosions buccales persistantes malgré plusieurs tentatives thérapeutiques.
M. B. n'a pas d'antécédent médical particulier, pas d'allergie. Il n'a aucun traitement en cours. À l'entretien, on retrouve une consommation d'alcool de 50 cl de bière à 5o et 2 verres de vins (1 verre = 20 cl). Ce qui revient à 4 unités d'alcool par...
M. B., 60 ans, est adressé en consultation de pathologie de la muqueuse buccale pour de multiples érosions buccales persistantes malgré plusieurs tentatives thérapeutiques.
M. B. n'a pas d'antécédent médical particulier, pas d'allergie. Il n'a aucun traitement en cours. À l'entretien, on retrouve une consommation d'alcool de 50 cl de bière à 5o et 2 verres de vins (1 verre = 20 cl). Ce qui revient à 4 unités d'alcool par jour (1 unité = 10 grammes). Sa consommation de tabac est estimée à 28 paquets-année.
Depuis 3 mois, le patient se plaint de douleurs endo-buccales légères (EVA : 30/100) sur lésions érosives peu douloureuses. Il s'agit d'un premier épisode, sans facteur déclenchant retrouvé. Des traitements corticoïdes topiques (pastilles à sucer de bétaméthasone 0,1 mg), antifongiques (bains de bouche d'amphotéricine B), puis systémiques, antiviraux (Valaciclovir), antibiotiques par voie orale (amoxicilline + acide clavulanique, métronidazole), bains de bouche au bicarbonate de sodium ont été entrepris sans amélioration notable. Le processus semble même s'aggraver puisque le patient rapporte désormais des lésions cutanées du tronc et du cuir chevelu.
À l'examen endobuccal, des érosions post-bulleuses de la muqueuse buccale sont constatées. Elles présentent un fond érythémateux et des bords déchiquetés recouverts de fausses membranes. On les retrouve sur les faces internes des joues (fig. 1), au niveau du versant muqueux des lèvres (fig. 2), sur la langue et sur le palais mou mais la gencive est indemne. La pince sans griffe permet le décollement de lambeau de muqueuse saine en périphérie de ces lésions (signe de la pince positif).
Ce tableau endo-buccal est complété par des lésions bulleuses et des croûtes post-bulleuses du tronc et du cuir chevelu (fig. 3). La pression digitale tangentielle en peau péri-lésionnelle entraîne le décollement épidermique (signe de Nikolsky positif). L'examen ophtalmologique est sans particularité.
Devant cette présentation typique de maladie bulleuse, les diagnostics évoqués sont la pemphigoïde cicatricielle, le pemphigus vulgaire et l'érythème polymorphe.
Le respect de la gencive attachée associé à l'atteinte cutanée fait penser en priorité au pemphigus vulgaire même si le signe de la pince et l'atteinte palatine sont compatibles avec une pemphigoïde cicatricielle. La présence d'une atteinte oculaire nous aurait plutôt orientés vers une pemphigoïde cicatricielle. L'érythème polymorphe, nécrose kératinocytaire par phénomène immuno-allergique, est évoqué devant l'atteinte mixte cutanéo-muqueuse érythémateuse, bulleuse et nécrotique. Toutefois, ce diagnostic paraît peu probable vu la chronologie et l'âge du patient. L'érythème polymorphe se déclare préférentiellement chez l'enfant et l'adulte jeune de façon aigu. Les lésions disparaissent en 2 à 6 semaines.
Un examen histologique apparaît nécessaire à l'affirmation du diagnostic de même que le dosage sérique de certains anticorps rencontrés dans les maladies bulleuses.
Quatre biopsies sont réalisées, deux en zone cutanée et deux en zone muqueuse endo-buccale. Pour chaque localisation, un prélèvement est réalisé en zone péri-lésionnelle pour envoi en histologie standard alors qu'un autre est réalisé en zone saine pour une étude en immunofluorescence directe. Le prélèvement sanguin est effectué le même jour.
Sur le plan sérologique, une série d'anti-corps a été testée : anti-Bp180, anti-Bp230, anti-desmogléine 1 et 3. Pour rappel, Bp230 et Bp180 sont des constituants des hémidesmosomes. Elles assurent la jonction entre lame basale et épiderme. La desmogléine étant une protéine constitutive des desmosomes, elle assure la jonction entre les kératinocytes. Seuls les anti-desmogléine 1 et 3 sont revenus positifs. Cette sérologie oriente donc vers une pathologie bulleuse de type pemphigus plutôt qu'une pathologie de la jonction lame basale-kératinocyte comme la pemphigoïde.
L'histologie standard (fig. 4) montre un aspect typique de pemphigus avec décollement intra-épidermique par clivage acantholytique profond (flèche de gauche) ainsi qu'un infiltrat inflammatoire du chorion (flèche de droite).
Sur les coupes en immunofluorescence directe, des dépôts d'anticorps anti-IgG, anti-IgA, anti-IgM et C3 dans une moindre mesure, sont visualisés. Ils mettent en évidence un réseau réticulaire, aussi dit en maille, sur toute la hauteur de l'épiderme (fig. 5).
Les données cliniques, sérologiques et anatomopathologiques convergent donc bien vers le diagnostic initialement évoqué de pemphigus. Étant donné le terrain alcoolo-tabagique et l'âge, un pemphigus paranéoplasique (causé par une néoplasie sous-jacente) est à éliminer. Un examen clinique approfondi ainsi que des imageries appropriées ont permis d'éliminer ce diagnostic, nous permettant de conclure à un pemphigus vulgaire.
L'extension cutanée et la résistance aux corticoïdes topiques en première intention ont imposé une hospitalisation en dermatologie afin de débuter un traitement par corticoïdes oraux à forte dose (1 mg/kg/j d'équivalent prednisone) associé à une corticothérapie topique buccale (préparation de bétaméthasone 0,05 % : Diprolène, incorporée dans une pâte de protection dermique à base de pectine, gélatine et cellulose : Orabase), en application biquotidienne matin et soir. Malgré cette corticothérapie importante, les lésions s'aggravent. Une biothérapie par anticorps ciblant les lymphocytes B, le rituximab est alors décidée.
Le rôle du chirurgien dentiste omnipraticien est de savoir démarrer une démarche diagnostique et thérapeutique adaptée puis, si nécessaire (comme ici), de savoir référer le patient en milieu spécialisé.
Le pemphigus vulgaire est une atteinte bulleuse intra-épithéliale auto-immune dont la première manifestation est endo-buccale dans 50 % des cas. Le diagnostic de certitude repose sur l'examen anatomopathologique et sur la sérologie. Les biopsies destinées à l'immunofluorescence se font en zone saine alors que les biopsies destinées à l'histologie standard sont idéalement réalisées à la jonction zone saine/zone pathologique. Le traitement peut être local dans les formes endo-buccales isolées bénignes mais relève le plus souvent d'une prise en charge spécialisée, dermatologique en l'occurrence.