Parodontologie
Matthieu RIMBERT* Lorris BOIVIN** Pierre BARTHET*** Sara LAURENCIN****
*Docteur en chirurgie dentaire
**Ancien assistant hospitalo-universitaire
***Pratique privée exclusive en parodontologie, implantologie
****Toulouse
*****Docteur en chirurgie dentaire
******Toulouse
*******Docteur en chirurgie dentaire
********Maître de conférence des Universités, Praticien hospitalier
*********Pratique privée exclusive en parodontologie, implantologie
**********Toulouse
***********Docteur en chirurgie dentaire
************Maître de conférence des Universités, Praticien hospitalier
*************Pratique exclusive en parodontologie, implantologie
**************Toulouse
Les récessions gingivales sont souvent accompagnées de modifications du volume de la racine exposée appelées lésions cervicales non carieuses (LCNC). Le recouvrement radiculaire par lambeau déplacé associé ou non à une greffe conjonctive permet de traiter ces lésions. L'apport de la greffe est crucial pour un bon résultat esthétique lorsque les lésions cervicales sont profondes. Certains auteurs ont proposé de les substituer par l'utilisation de biomatériaux de restauration...
Les récessions gingivales sont souvent accompagnées de modifications du volume de la racine exposée appelées lésions cervicales non carieuses (LCNC). Le recouvrement radiculaire par lambeau déplacé associé ou non à une greffe conjonctive permet de traiter ces lésions. L'apport de la greffe est crucial pour un bon résultat esthétique lorsque les lésions cervicales sont profondes. Certains auteurs ont proposé de les substituer par l'utilisation de biomatériaux de restauration pour reconstituer la perte de volume dentaire préalablement au recouvrement par la gencive. Ici, nous présentons une série de cas où le biomatériau choisi a été la Biodentine®.
L'Académie américaine de parodontologie définit la récession gingivale comme « une migration apicale de la gencive marginale au-delà de la jonction émail-cément ». Les récessions gingivales laissent apparaître la partie radiculaire de la dent concernée. Cette surface est moins résistante aux agressions externes telles que le brossage, ce qui est à l'origine de lésions cervicales non carieuses. Celles-ci correspondent à une perte tissulaire localisée au niveau du tiers cervical de la dent, sans origine bactérienne [1]. Aujourd'hui, leur prévalence est comprise entre 5 et 85 % et augmente avec l'âge : 30 % des 20-30 ans présentent des LCNC contre 82 % des 60-70 ans [2]. La prévalence serait plus importante chez les patients issus des classes socio-économiques élevées, ce qui s'expliquerait par certaines habitudes hygiéno-diététiques [3].
La présence de lésions cervicales d'usure est un point de complexité du traitement de recouvrement radiculaire. En 2010, Pini-Prato et al. proposent d'enrichir la classification des récessions parodontales de Cairo en évaluant 2 critères sur la surface dentaire : la visibilité de la jonction amélo-cémentaire (A : persistante, B : absente) et la présence d'une dépression de plus de 0,5 mm au niveau de la racine exposée (noté + ou –) [4]. Les lésions cervicales d'usure (+) seront donc notées « A » si elles ne concernent que la racine dentaire ou « B » si elles concernent la racine et la couronne dentaire. Dans ce travail, nous nous intéresserons aux pertes de substances dentaires importantes (A+ ou B+ de plus de 3 mm).
Les principes du traitement des récessions parodontales associées à des lésions cervicales d'usure lors des chirurgies parodontales de recouvrement radiculaire ont été décrits en 2011 par Zucchelli et al. Ils reposent sur un traitement combiné chirurgical et conservateur avec placement d'un matériau dentaire de restauration dans la partie coronaire de la lésion cervicale d'usure jusqu'à la limite maximale de recouvrement. Dans la partie radiculaire de la récession qui sera recouverte de gencive, le placement d'une greffe de conjonctif enfoui permettra d'éviter l'effondrement de la gencive sur ce site, ce qui est particulièrement important en zone esthétique. Ceci vise à obtenir une cicatrisation avec une accentuation du profil en « aile de mouette » d'Abrams (fig. 1). Ce profil, qui a été décrit par Abrams et repris par Kay en 1985, met en évidence le rôle du profil d'émergence vestibulaire. Le galbe vertical de la dent doit reproduire le phénotype gingival. Pour les phénotypes épais, les dents sont bombées, et, pour les phénotypes fins, la face vestibulaire est plus plate [5].
Face à des lésions profondes, l'utilisation de biomatériaux pour palier la perte de substance dentaire radiculaire a été proposée par certains auteurs. Les composites et ciments verre-ionomères sont ainsi utilisés et une cicatrisation de l'attache épithéliale sur ces matériaux a été montrée [6]. Ils sont faciles d'emploi et permettent une bonne finition pour les composites. Cependant, des matériaux à base de silicate tricalcique type Biodentine®, moins cytotoxiques envers les fibroblastes [7, 8], semblent intéressants. Développés comme substituts dentinaires, ces matériaux sont composés de silicate tricalcique (80 %), de carbonate de calcium (15 %) et d'oxyde de zirconium (5 %). Ils sont notamment utiles dans le traitement des palatal groove [9] (invaginations le long des racines des incisives latérales à l'origine de perte d'attache palatine des dents concernées). Notons qu'ils sont plus difficiles à employer et présentent de faibles qualités optique et esthétique.
Ce travail illustre la prise en charge de lésions cervicales non carieuses sévères par une reconstruction de la partie amélaire, comme décrite initialement dans la littérature, mais également une reconstruction de la partie radiculaire par de la Biodentine®, associée à une chirurgie parodontale de recouvrement.
Afin d'illustrer cela, nous proposons une série de 4 cas cliniques.
Une patiente de 53 ans se présente à la consultation pour la réfection de ses prothèses dentaires. Avant l'intervention, les prothèses sont remplacées par un premier jeu de prothèses transitoires aux limites imposées par l'analyse esthétique (fig. 2 et 3). Après analyse esthétique, le choix thérapeutique retenu est le recouvrement radiculaire des récessions par tunnelisation avec adjonction de tissu conjonctif enfoui en amont de la réhabilitation prothétique. Cependant, l'étude préalable du cas montre que la limite maximale de recouvrement est située en coronaire de la lésion cervicale non carieuse. Traiter la partie radiculaire, qui sera recouverte, permet de réduire le profil en aile de mouette.
Le jour de la chirurgie, les anciennes restaurations en résine composite sont déposées sur la canine et les prémolaires maxillaires. De la Biodentine est ensuite mise en place afin de restaurer la perte de substance sur la canine (fig. 4). Un greffon palatin est placé sous le tunnel et des points de sutures sont réalisés de façon à recouvrir le biomatériau. À 15 jours, les points sont déposés et, à 5 semaines, un nouveau jeu de provisoires est réalisé permettant de guider et contrôler la cicatrisation. Un sondage parodontal est effectué et met en évidence une attache parodontale (fig. 5 à 7).
Une patiente de 40 ans consulte pour des sensibilités dentinaires au niveau de sa première prémolaire maxillaire droite. L'examen clinique révèle une lésion cervicale non carieuse associée à une récession gingivale sans perte d'émail. Nous avons fait le choix de placer un biomatériau tricalcique avant la chirurgie de recouvrement radiculaire par technique de tunnel modifié (fig. 8 à 10). Un protocole similaire à celui appliqué dans le cas clinique no 1 a été réalisé. La cicatrisation à 18 mois montre une bonne intégration du biomatériau ainsi qu'un recouvrement complet.
Un patient de 61 ans, souhaitant améliorer l'esthétique de son sourire, se décide pour la réalisation d'une greffe conjonctive enfouie. La présence d'une lésion cervicale non carieuse masquée par un composite impose la dépose de la restauration. La profondeur de la lésion cervicale non carieuse est de 1,5 mm. Nous optons pour la mise en place d'un biomatériau. Le protocole réalisé est le même que décrit précédemment (cf. cas no 1 et 2). Le contrôle à 6 mois montre un recouvrement complet ainsi qu'une attache du tissu gingival (fig. 11 à 13).
Une patiente de 70 ans, consulte pour améliorer l'esthétique de son sourire. L'examen clinique révèle des récessions dans le secteur antérieur, associées à de volumineux et débordants composites cervicaux. La dépose de ces derniers révèle, en place de 13 et 23, de profondes lésions allant jusqu'à la chambre pulpaire (fig. 14 et 15). La décision thérapeutique est de restaurer en composite direct la perte de substance amélaire. La partie radiculaire manquante est restaurée à l'aide de Biodentine®. La symétrie des lésions permet de comparer la manière de restaurer. En 13, le matériau est placé en premier et est recouvert d'une résine composite après séchage (fig. 16). En 23, le composite est d'abord réalisé et la Biodentine® est placée en deuxième intention. Un tunnel est réalisé de 13 à 23. Pendant l'intervention, le composite de la 13 reposant sur le matériau n'est pas resté en place. Le composite sera replacé après cicatrisation complète. Après 15 jours, les points de sutures sont déposés (fig. 17).
L'apport de Biodentine®, afin de reconstruire la partie radiculaire, s'inscrit dans la thérapeutique décrite initialement en 2011 par Zucchelli et al. Un composite cervical à la limite de recouvrement maximal est réalisé en amont de l'intervention. La mise en place de ce matériau complète la prise en charge de ces lésions sévères par une reconstruction radiculaire permettant alors d'obtenir le même volume que lorsque la racine était intacte. Ceci améliore l'esthétique, évitant ainsi la création d'une concavité antérieure.
Il est à noter que ce matériau présente de faibles qualités esthétiques et nécessite un recouvrement complet. Ses qualités mécaniques et d'adhésion sont également faibles et sa mise en place doit se faire après la réalisation du composite cervical, à la limite maximale de recouvrement. Dans le cas clinique no 4, le secteur 1, où le composite a été fait sur ce matériau, nous a conduit à une perte peropératoire de la résine composite laissant apparaître la Biodentine®. Dans le secteur 2, le composite a été réalisé à la limite maximale de recouvrement en premier. La partie radiculaire a été reconstruite secondairement par de la Biodentine®, ce qui a eu pour effet d'obtenir une meilleure tenue des matériaux.
L'utilisation de phosphates tricalciques associés à des chirurgies parodontales de recouvrement peut être une alternative au traitement des lésions cervicales d'usure associées à des chirurgies parodontales de recouvrement. Dans le traitement des lésions cervicales non carieuses, ils permettent de soutenir la gencive, évitant ainsi la création d'une concavité pouvant être inesthétique en secteur antérieur. Il nous reste à suivre l'étanchéité et le vieillissement de ce matériau sur le long terme.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.