Clinic n° 05 du 01/05/2020

 

Prothèse

Jean-Marie RIGNON-BRET*   Anne DURIN-TOUATI-SANDLER**   Christophe RIGNON-BRET***  


*Professeur Honoraire
**Université de Paris
***Attachée
****Université de Paris
*****Maître de Conférences des Universités, Praticien hospitalier
******Université de Paris

Depuis plus de deux siècles, de nombreux auteurs ont essayé de construire des dispositifs mécaniques appelés articulateurs afin d'enregistrer et de reproduire la cinématique mandibulaire d'un sujet dans des buts thérapeutiques et notamment prothétiques. Il est impossible de citer tous les instruments introduits sur le marché tant ils sont nombreux mais un rappel historique de leurs différentes conceptions permet de mieux comprendre leurs possibilités ainsi que les théories...


Depuis plus de deux siècles, de nombreux auteurs ont essayé de construire des dispositifs mécaniques appelés articulateurs afin d'enregistrer et de reproduire la cinématique mandibulaire d'un sujet dans des buts thérapeutiques et notamment prothétiques. Il est impossible de citer tous les instruments introduits sur le marché tant ils sont nombreux mais un rappel historique de leurs différentes conceptions permet de mieux comprendre leurs possibilités ainsi que les théories occlusales auxquelles ils ont donné naissance. La première partie de ce vaste sujet a été traitée dans un premier article intitulé Évolution des articulateurs de 1830 à 1920 [1]. Cette deuxième partie est consacrée à l'évolution des articulateurs de 1920 à l'ère numérique. Seules les innovations marquantes durant cette période sont abordées par ordre chronologique.

Les nouveaux concepts depuis 1920

Aux États-Unis comme en Europe, la recherche pour simuler les mouvements mandibulaires se poursuit avec l'amélioration de certains concepts existants et l'apparition de nouveaux concepts.

• Wadsworth [2-4], après avoir fait son premier articulateur en 1919, en réalise un deuxième en 1921 puis un troisième en 1924. Wadsworth réactualise la théorie de la sphère de Monson déjà introduite dans le stabiloccluseur de Villain. Il présente en 1924 son dernier articulateur qui utilise un arc facial spécifique (fig. 1). Pour Wadsworth, la sphère est de diamètre variable et doit être adaptée à chaque patient en fonction de la distance incisive-condyle (fig. 2). Ainsi, un drapeau est érigé sur la branche supérieure de l'articulateur et le centre individualisé de la sphère est déterminé sur celui-ci de la façon suivante :

– la distance incisive-condyle est mesurée grâce à un compas puis reportée à partir du centre de l'axe inter-condylien en traçant un premier arc de cercle sur le drapeau ;

– un deuxième arc de cercle est ensuite reporté sur le drapeau de la même façon à partir du point inter-incisif ;

– le point d'entrecroisement des deux arcs de cercle constitue alors le centre de la sphère individualisée. À partir de ce centre, la distance incisive-condyle peut être reportée au niveau des maquettes d'occlusion avec le compas pour tracer la courbe d'occlusion personnelle du sujet (fig. 3).

Cette procédure est à l'origine de la technique du drapeau utilisée pour matérialiser la courbe sagittale d'occlusion. Ce concept de la théorie de la sphère, repris par Hagman en 1929 avec son Balancer Articulator, a été diffusé aux États-Unis avec la technique de Pankey et Mann (fig. 4 et 5). Il a été exploité en Europe avec l'utilisation de calottes sphériques de rayons variables pour des articulateurs tels que les Stratos 100 et 300 adaptés à la conception d'un montage sphéroïdal en prothèse amovible complète.

• Hanau [5] améliore en 1920 l'arc facial de Snow. Il ajoute un pointeau orbitaire pour prendre un troisième point de référence : le point sous-orbitaire. Ainsi, le modèle maxillaire est parfaitement positionné par rapport à l'axe inter-condylien de son articulateur. Le plan de référence utilisé est le plan de Francfort (point sous-orbitaire/bord supérieur du tragus). Comme dans tous les articulateurs anatomiques issus de l'école gnathologique, les branches de l'articulateur de Hanau sont parallèles au plan de Francfort.

• Darcissac [2] invente en 1924 une méthode originale reposant sur l'enregistrement direct, en bouche, des rapports d'articulé en propulsion et en diduction avec une pâte à empreinte thermoplastique placée dans un instrument appelé stabilisateur-enregistreur. Celui-ci est composé d'un dispositif intra-buccal d'enregistrement solidaire d'un dispositif extra-buccal de stabilisation (fig. 6 et 7). Les rapports d'articulé enregistrés sur le sujet sont ensuite transférés sur un articulateur spécial appelé articulateur enregistreur, puis reproduits par cet instrument adaptable à chaque cas particulier (fig. 8).

Théorie gnathologique et « articulateurs anatomiques »

De 1920 jusqu'à nos jours sont apparus des articulateurs très complexes avec pour objectif la reproduction de toutes les particularités articulo-mandibulaires. Les chefs de file, Mac Collum, Stallard, Stuart et Granger, sont les pionniers de la théorie gnathologique à l'origine des articulateurs anatomiques.

• Mac Collum [6, 7] découvre en 1924 la première méthode qui permet de localiser l'axe charnière ou axe de rotation de la mandibule autour des deux articulations temporo-mandibulaires. Il fonde en 1926 [6] la Gnathological Society qui propose cette définition : « La gnathologie (mot suggéré par Stallard) est la science qui traite de la biologie des mécanismes de la mastication », par extrapolation du grec gnathos qui signifie mâchoire et logos qui signifie étude ou connaissance de... La gnathologie est assimilable à l'occlusion organique développée par des auteurs tels que Payne et Thomas [8], qui s'intéressent aux déterminants de la morphologie occlusale ou aux techniques de cire ajoutée.

Il est impossible de citer tous les instruments introduits sur le marché depuis cette époque tant ils sont nombreux et certains très complexes comme celui de Stuart [5] qui passe pour être un modèle du point de vue gnathologique. La plupart de ces instruments utilisent un mandibulographe (instrument permettant de matérialiser la localisation et les déplacements de points d'émergence condyliens) pour une localisation précise de l'axe charnière ainsi que des techniques pantographiques pour l'enregistrement des déplacements condyliens et leurs transferts sur l'articulateur. Sans développer leur conception, il semble nécessaire de citer quelques-uns de ces instruments qui ont marqué leur époque

• Le Kinoscope [9] de Hanau (1923).

• Le Gnathoscope [6] de Mac Collum (1929).

• L'articulateur Tripod [10, 11], de Stansberry (1929), instrument à trois points d'appui car l'auteur ne juge pas indispensable le positionnement précis du modèle maxillaire si les enregistrements sont effectués à partir de la dimension verticale d'occlusion définitive [12]. Ces enregistrements comme d'autres de différentes sortes sont utilisables avec l'articulateur de Brandup-Wognsten (1936).

• Le Gnathograph [6] de Stuart et Mac Collum (1934) amélioré par Stuart seul (1955) [6]. Ce nouvel articulateur de Stuart est dit totalement adaptable car il enregistre et reproduit la totalité de l'enveloppe des mouvements limites de la mandibule décrite par Posselt [13, 14].

• Le Gnatholator de Granger (1958) [15, 16] associé à un panthographe est aussi classé totalement adaptable par les gnathologistes.

• Le Transograph articulateur-enregistreur réalisé par Page [17] (1961) qui a permis de démontrer la réalité de l'axe charnière.

• L'articulateur de Ney [18] (1962) d'une grande complexité d'utilisation.

• Le Denar, totalement adaptable avec son pantographe pneumatique [19, 20], présenté (fig. 9) par Guichet (1970).

Il faut être un spécialiste pour utiliser ces articulateurs dits totalement adaptables. D'autres articulateurs, plus simples, construits sur le même concept gnathologique, sont à la disposition de l'omnipraticien. En particulier, les derniers de la série de Hanau, le Whip Mix, le Dentatus ARL (fig. 10) utilisé par Lauritzen [21] avec le mandibulographe d'Almore, l'articulateur Sam et, plus récemment, les derniers Quick (fig. 11) ou les Stratos (fig. 12). Tous sont utilisables avec ou sans enregistrements axiographiques mais aussi dans un concept géométrique. Pour ces instruments, l'apport de l'axiographie mécanique supprime les techniques d'enregistrement par cires de morsure (check-bites) pour la programmation de l'articulateur. Néanmoins, l'enregistrement de la relation centrée se réalise toujours avec des cires d'enregistrement.

La théorie de « l'axe charnière »

Tous les articulateurs de l'école anatomique et gnathologique sont fondés sur la théorie de l'axe charnière. Ils ont pour objectif de reproduire mécaniquement, le plus fidèlement possible, les mouvements mandibulaires. Physiologiquement, les mouvements mandibulaires sont déterminés par des trajectoires individuelles. Celles-ci se produisent toutes à l'intérieur d'une enveloppe de mouvements qui est celle des mouvements limites extrêmes parfaitement décrite par Posselt [13, 14] (fig. 13).

Pour expliquer le problème de la reproduction des mouvements physiologiques mandibulaires par un simulateur de mouvement appelé articulateur, les simplifications suivantes sont introduites. Le crâne est considéré comme une pièce fixe. La mandibule est une pièce mobile séparée du crâne qui peut se déplacer dans les trois dimensions. Quelle est la méthode qui permettrait de connaître la position exacte de la mandibule dans l'espace par rapport au crâne ? Si nous immobilisons cette mandibule en un seul point, il en résulte qu'elle peut tourner autour de celui-ci selon une multitude de possibilités. Si nous l'immobilisons en un deuxième point, nous constatons que les positions adoptées par rapport au crâne sont alors limitées par l'axe formé par ces deux points. En prenant un troisième point, non situé sur l'axe, la position de la mandibule est unique et définie d'une manière exacte par rapport au crâne. Donc, si nous pouvons déterminer la position exacte de ces trois points non alignés par rapport au crâne, l'étude du mouvement est ramenée à l'étude du trajet de ces trois points et la reproduction du mouvement est réduite à la reproduction de leur trajet. La détermination de ces trois points mandibulaires et l'analyse de leurs trajets dans l'espace s'avérant difficiles et compliquées, l'école gnathologique a apporté un élément de simplification : la théorie de l'axe charnière. Ainsi, O'Lucia [22] écrit en 1920 le postulat sur lequel repose toute cette théorie : « ... La tête du condyle mandibulaire tourne sur la surface inférieure du ménisque. Le ménisque et le condyle peuvent se déplacer sur la surface de la cavité glénoïde. Quel que soit le déplacement ménisco-temporal, le condyle est toujours apte à effectuer une rotation au niveau condylo-méniscal... il est pratique de localiser un de ces mouvements de rotation ; le centre du mouvement vertical, le centre du mouvement latéral sont un seul et même centre et il en existe un sur chaque condyle. L'axe charnière est la ligne imaginaire joignant les centres de rotation droit et gauche. Le centre de rotation est constant pour chaque condyle et appartient à l'os mandibulaire. Lorsque la mandibule se déplace, l'axe charnière se déplace avec elle... ». En prenant comme troisième point mandibulaire le point inter-incisif (dentalé), l'étude des mouvements mandibulaires est ramenée à l'étude des déplacements de l'axe charnière et du dentalé. Le postulat étant admis, il devient alors facile de construire des articulateurs capables d'enregistrer et de reproduire les mouvements mandibulaires situés sur les limites de l'enveloppe décrite par Posselt.

Interprétation de la « relation centrée »

À partir d'une position de référence reproductible, les mouvements limites peuvent être précisément reproduits. La position de référence choisie correspond à la position de relation centrée. Elle est définie initialement par les Américains comme une position de retrusion [16, 22]. C'est la position mandibulaire la plus postérieure à partir de laquelle le mouvement de rétraction n'est plus possible. C'est donc une position située sur les limites de l'enveloppe de mouvements décrite par Posselt [13, 14] (point I du diagramme) (fig. 13). Alors qu'une étude de Posselt [23] montre que moins de 10 % des sujets normalement dentés ont une coïncidence entre occlusion d'intercuspidation maximale (OIM) et occlusion de relation centrée (ORC), les gnathologistes ont choisi d'adopter cette correspondance entre OIM et ORC pour traiter tous les cas [15, 19-22]. En conséquence, ils ont élaboré des instruments pour enregistrer et reproduire les mouvements mandibulaires à partir de cette position de référence.

Problématique des articulateurs « anatomiques »

Le transfert sur articulateur des modèles maxillaires et mandibulaires en position de relation centrée se fait classiquement suivant une procédure définie par les gnathologistes. Le praticien guide la mandibule dans sa position la plus postérieure et entraîne le patient à garder cette posture lors du mouvement de fermeture de faible amplitude. Ce trajet de fermeture en position « rétruse » est appelé trajet axial terminal [13, 24]. Avec un mandibulographe (ou localisateur d'axe charnière), le praticien repère le centre de rotation condylien dans la région pré-tragiale. Selon les gnathologistes, l'axe de rotation pure ou axe charnière est ainsi repéré. Il ne peut être enregistré que si l'amplitude d'ouverture buccale au niveau incisif ne dépasse pas 17 mm pour Posselt [13] et 27 mm pour Ramfjord [24]. Le repérage grâce à un arc facial d'un troisième point sur le massif facial supérieur, le point sous-orbitaire, permet de positionner correctement le modèle maxillaire sur l'articulateur par rapport à l'axe charnière du sujet [25] (fig. 14). Ensuite, le modèle mandibulaire est monté grâce à des cires d'enregistrement d'occlusion de relation centrée selon le trajet de fermeture appelé trajet axial terminal dans la posture de l'époque de la relation centrée la plus rétractée [25] (fig. 15).Comme le modèle maxillaire est positionné exactement par rapport à l'axe inter-condylien de l'articulateur correspondant lui-même à l'axe de rotation pure décrit par la mandibule lors de ce mouvement limite, l'enregistrement de la position dite de relation centrée mandibulaire de référence est reproductible. Cette reproductibilité est indépendante de l'épaisseur de la cire d'enregistrement. Cela présente l'avantage de pouvoir contrôler le premier enregistrement en le validant par un suivant, grâce à la technique de la double base engrainée ou split-cast. À partir de cette position de référence, choisie comme position de relation centrée par les gnathologistes et appelée relation axiale terminale centrée, il est facile de réaliser ensuite des enregistrements précis par cires de morsure (check bites) soit en propulsion, soit en diduction pour programmer leurs trajectoires.

L'axiographie mécanique apporte une amélioration permettant l'enregistrement et la transcription graphique de l'intégralité des trajets de l'axe inter-condylien plutôt que la position ponctuelle d'enregistrements sur cire de morsure. C'est donc un outil de choix pour programmer facilement des articulateurs adaptables simplifiés construits dans ce concept : Hanau, Dentatus (fig. 10), Whip-Mix, Quick (fig. 11).....

Un autre outil, le pantographe (fig. 9), a été développé pour enregistrer et reproduire sur des articulateurs adaptables la totalité des déplacements condyliens sur les limites de l'enveloppe décrite par Posselt (fig. 13). L'utilisation de cet instrument chez le sujet denté nécessite un enregistrement en surélévation grâce à des gouttières occlusales et des systèmes à point d'appui central pour s'affranchir de l'influence de contacts dento-dentaires. Avec un pantographe, seuls les mouvements limites ou de bordures permettent de programmer l'articulateur car ils sont reproductibles. En revanche, les mouvements mandibulaires à l'intérieur de l'enveloppe limite ne sont pas superposables. La reproduction des trajectoires limites est intéressante pour le traitement du sujet denté où sont recherchés des désocclusions canines ou de groupes. Dans ces cas, la programmation de l'articulateur se fait légèrement à l'intérieur des limites enregistrées pour qu'elles ne soient pas atteintes lors des déplacements condyliens induits par les mouvements fonctionnels. La programmation de ces articulateurs sur les trajectoires limites n'a aucun intérêt dans le traitement de l'édentement total. En effet, en prothèse complète, des contacts occlusaux généralement équilibrés automatiques et habituels sont recherchés dans les mouvements en diduction et en propulsion mais en aucun cas des désocclusions. Ces mouvements excursifs s'établissent à partir d'une intercuspidation maximum assimilable à la position 2 du diagramme de Posselt [13, 14] (fig. 13). La pertinence des conceptions de Gysi pour ces articulateurs conçus exclusivement pour le traitement de l'édenté total est ainsi confirmée [1].

Classification des articulateurs

Les articulateurs anatomiques issus de l'école gnathologique ont leurs branches parallèles au plan de Francfort alors que celles d'autres articulateurs, tels que ceux de Gysi, sont parallèles au plan de Camper. La différence de 10o d'angulation entre ces deux plans explique qu'une pente de 40o sur un articulateur anatomique correspond à une pente de 30o sur des articulateurs géométriques élaborés suivant la référence du plan de Camper. Le plan horizontal d'un articulateur est conçu en fonction du plan qu'il utilise comme référence. Ainsi, pour un articulateur anatomique, le plan de référence est le plan de Francfort alors que, pour un articulateur non anatomique tels que le Gysi ou d'autres comme les Stratos, le plan de référence est le plan de Camper. Les articulateurs anatomiques ont des boîtiers condyliens se référant aux articulations temporo-mandibulaires. Ceux dont les sphères condyliennes sont solidaires de la branche inférieure, comme la plupart des articulateurs actuels, sont appelés Arcon. À l'inverse, si les sphères condyliennes sont solidaires de la branche supérieure de l'articulateur, ils sont appelés Anti-Arcon mais le qualificatif d'Arcon Inversé nous semblerait mieux adapté. Les articulateurs sans boîtiers condyliens se voulant non anatomiques tels que ceux de Gysi sont donc des Non-Arcon. Parallèlement au nombre très important d'articulateurs anatomiques sur le marché, d'autres instruments fondés sur des concepts géométriques ont été développés.

Articulateurs et « théorie géométrique »

• Gerber [26] produit en 1948 son premier articulateur Translator suivi de trois autres (1951, 1956,1959) appelés Condylator et d'un dernier le Condylator Vario réalisé en 1976 [26] (fig. 16). Ces articulateurs, bien qu'étant construits selon un concept géométrique, s'appuient sur des données anatomiques ou gnathologiques avec des arcs faciaux [26, 27] (fig. 17). Gerber, élève de Gysi, a conçu comme lui tous ses instruments pour le traitement de l'édenté total suivant la référence du plan de Camper. Il partage aussi la conviction de Gysi que la position rétrusive maximale (Most Retruded Position) située au point 1 du diagramme de Posselt [13, 14] (fig. 13) n'est pas physiologique et ne doit pas être la position de relation centrée à transférer sur son articulateur. Il préfère ce qu'il appelle la relation centrée physiologique (RCP) assimilable au point 2 du diagramme de Posselt (fig. 13). Il justifie de prendre comme référence la RCP en affirmant que la détermination du rapport intermaxillaire (RIM) chez l'édenté total se réalise dans des conditions posturales en position assise ou debout, la tête droite, au repos. Dans ces conditions, bouche fermée, Gerber considère que le sommet des deux condyles est situé au point le plus haut (zénith) des cavités glénoïdes. C'est dans la situation de l'espace libre d'inocclusion ainsi créé que doit être enregistré le RIM. Gerber insiste sur la nécessité d'un enregistrement du RIM répétitif, retrouvé par le patient, non guidé par le praticien [27]. L'enregistrement de ce RIM se fait avec un pantographe fixé à un système à point d'appui central intra-buccal solidaire de maquettes (fig. 17 et 18), réglées à la dimension verticale d'occlusion [27]. Le patient est entraîné à effectuer sans être guidé des mouvements d'ouverture-fermeture, de propulsion-rétropulsion et de diduction. À l'issu de ces entraînements, des tracés d'arcs gothiques correspondant aux mouvements de latéralité et de diduction sont enregistrés (fig. 19). De plus, Gerber a présenté en 1960 [26] sa théorie condylienne s'appuyant sur l'analogie entre la forme de la tête du condyle (convexe) et de la cavité glénoïde (concave) avec le sommet des cuspides d'appui (convexe) et la fosse (concave) des dents artificielles. Suivant ce concept reposant sur le principe « mortier(concave)-pilon(convexe) », il a conçu les dents en porcelaine Condyloform (1951). Ainsi, la mastication s'apparente au fonctionnement d'un pilon dans un mortier puisque le sommet des cuspides d'appui s'encastre dans les fosses antagonistes.

• En 1960, le Gysi New Simplex apparaît (fig. 20), conçu comme les autres articulateurs de l'auteur suivant la référence du plan de Camper. Il reproduit exactement la cinématique mandibulaire du Gysi Simplex [29] lorsque ses centres instantanés de rotation en latéralité (CRL) réglables sont placés dans leurs positions extérieures extrêmes mais il apporte, de plus, différentes améliorations.

– D'abord, la création d'une table de transfert. La situation du point inter-incisif est matérialisée sur cette table en référence à la règle du triangle de Bonwill. Elle permet de positionner le modèle maxillaire en conformité avec le plan de Camper.

– Ensuite, pour le mouvement d'ouverture-fermeture [29]. L'axe d'ouverture de l'articulateur est rétro-condylien et passe à 1 cm en arrière du condyle fictif (déterminé par le triangle de Bonwill). Cet axe est situé à mi-hauteur entre ce condyle fictif et le plan d'occlusion. Ainsi, l'axe d'ouverture-fermeture du New Simplex est pratiquement en coïncidence avec le centre instantané de rotation du mouvement d'ouverture-fermeture automatique déterminé par Gysi [1, 29]. Le Gysi Simplex s'ouvrait en coïncidence avec les centres instantanés de rotation en latéralités (CRL) alors que, sur le New Simplex, les CRL deviennent adaptables et réglables. L'intérêt des CRL adaptables [29] est de permettre la programmation individualisée des mouvements de latéralité du patient à partir d'une position d'intercuspidation maximum physiologique, c'est-à-dire assimilable au point 2 du diagramme de Posselt [13, 14] (similaire à celle préconisée par Gerber). La résultante fonctionnelle de ces mouvements peut être enregistrée par l'intermédiaire d'un arc gothique établi au niveau du plan d'occlusion grâce à un système à point d'appui central (Simplex Intra Oral Gothic Tracer). Les enregistrements d'arc gothique sur la plaque fixée sur le bourrelet d'occlusion de la maquette mandibulaire (fig. 21 et 22) permettent une programmation personnalisée (fig. 23 et 24). Cette programmation est réalisée en positionnant les CRL suivant les tracés de l'arc gothique. Le déplacement des CRL de la position la plus externe à la position la plus interne correspond à une ouverture de l'arc gothique de 10o, soit 5o de chaque côté de l'angle. Le sommet de l'arc gothique correspond à la position d'OIM physiologique. Ce progrès donne plus d'amplitude dans les glissements cuspidiens fonctionnels sans modifier la position d'intercuspidation déterminée par le sommet de l'arc gothique. Cette programmation des CRL influence directement les glissements cuspidiens fonctionnels. L'adaptabilité des CRL de l'articulateur Gysi New Simplex rend possible toutes les positions fictives du condyle travaillant schématisées à travers un triangle de Bonwill [29, 30] (fig. 25). En fonction de la programmation des CRL en position externe, médiane ou interne, le condyle travaillant peut se déplacer en avant, en arrière, en bas, en haut ou sur l'axe inter-condylien selon un mouvement en dehors de faible amplitude. Cette programmation associée à celle du plateau incisif inclinable selon différentes angulations détermine différentes positions condyliennes fictives toutes situées à l'intérieur d'un volume limite de mouvements [29]. Ce volume limite peut être schématisé par un petit cône de révolution, comparable à celui établi par Guichet (fig. 26). Ce cône a pour sommet le centre du condyle anatomique fictif lorsqu'il est en position de relation axiale terminale centrée et comme axe celui de l'axe inter-condylien. Pour les passionnés des théories occlusales, cette schématisation démontre, par des résultats de déplacements condyliens identiques simulés sur un articulateur simplifié, l'analogie insoupçonnée et les liens existants entre la théorie gnathologique et la théorie de Gysi. Les deux théories se rejoignent parfois, à la seule différence que les déplacements condyliens s'établissent à partir d'une position de relation centrée au point 1 du diagramme de Posselt pour les gnathologistes alors que c'est à partir d'un point assimilable au point 2 pour Gysi.

• En 1992, la société Ivoclar développe la gamme des articulateurs Stratos [31] : d'abord le 200 puis le 100 et le 300 (fig. 12). La possibilité de séparation rapide des branches supérieures et les vis de réglage du mouvement de propulsion sont comparables à celles des articulateurs FAG. Ils s'en différencient essentiellement par leur conception en référence au plan de Camper. Le Stratos 300 offre la possibilité intéressante d'un mouvement de rétraction à partir d'une position 0 antérieure à celle établie au point 1 du diagramme de Posselt ainsi que celle d'utiliser des systèmes de programmation électroniques.

• En 1993 apparaît l'articulateur Quick Master à boîtier B2 (fig. 11) modifié plusieurs fois par Fagdentaire jusqu'à sa version actuelle, le Quick Master 1000 B2 Magnétique [32], facilitant le désoclage des modèles. C'est un articulateur anatomique adaptable simplifié de type Arcon réalisé suivant la référence du plan de Francfort. Une des qualités majeures des articulateurs Fag est l'interchangeabilité des modèles avec un autre articulateur Fag (dans une tolérance de ± 20 microns) qui évite le transport d'instrument du cabinet au laboratoire, à condition que praticien et prothésiste possèdent chacun un articulateur Fag. Cet instrument est utilisable avec un système modulaire à ailes de Bennett interchangeables au sein des boîtiers condyliens. Ces ailes sont la reproduction exacte des mouvements mandibulaires enregistrés par l'intermédiaire d'instruments d'axiographie mécanique (Quick Axis).

Synthèse d'utilisation pratique

Nous avons établi une classification des articulateurs (fig. 27) et il est opportun de préciser que, actuellement, les articulateurs Fag Master B2 et Master Lab sont très utilisés en prothèse amovible complète, programmés dans un concept géométrique avec une table de transfert. La contrainte de ce concept est de ne pouvoir procéder qu'à de minimes variations de dimension verticale. La raison en est que sur les Fag, l'enregistrement de l'occlusion d'intercuspidation maximale se fait suivant le trajet axial terminal le plus rétracté, établi au point 1 du diagramme de Posselt, alors que, chez l'édenté total, la position d'intercuspidation maximale d'équilibre prothétique (repérable par enregistrement avec un système à point d'appui central) se fait sur le trajet d'ouverture-fermeture habituel assimilable au point 2 du diagramme de Posselt. Dans ces conditions, une variation importante de la dimension verticale provoque un déplacement antéro-postérieur des modèles qui ne permet pas de conserver l'occlusion d'intercuspidation maximale préalablement enregistrée. En revanche, la dimension verticale peut être modifiée sans inconvénient avec des articulateurs Gysi Simplex et New Simplex, qui ont une ouverture-fermeture suivant un trajet automatique et habituel moyen, ou le Condylator de Gerber, programmé à partir de la relation centrée physiologique déterminée par le patient. L'articulateur Stratos 300 offre la possibilité d'enregistrer et de reproduire la relation axiale terminale centrée des gnathologistes mais aussi la relation centrée physiologique de Gerber (l'une située au point 1 du diagramme de Posselt, l'autre assimilable au point 2).

L'ère numérique

• Szentpetery [33] réalise en 1999 l'articulateur virtuel dit « mathématique » qui reproduit les mouvements d'un articulateur mécanique fondé sur une simulation mathématique des mouvements incluant les mouvements de Bennett.

• En 2002 et 2010, la société Kavo développe l'Arcus Digma puis l'Arcus Digma 2 [34] (fig. 28) qui sont des outils de mesure de la cinématique mandibulaire. L'Arcus Digma utilise l'axiographie numérique qui permet la visualisation en 3D de la cinématique condylienne lors des mouvements limites et fonctionnels. Son fonctionnement repose sur l'utilisation des ultrasons et sur la modification des longueurs d'onde émises lors du déplacement (effet Doppler). Il aide au diagnostic des dysfonctionnements de l'appareil manducateur et à la localisation du point cinématique. Le point cinématique est défini par la concordance entre les trajets d'ouverture et de propulsion, c'est-à-dire le point qui se trouve à l'endroit où les mouvements de propulsion et d'ouverture sont confondus [35]. Il calcule rapidement les valeurs de programmation des articulateurs Prothe Plus (Kavo) ou Stratos (Ivoclar). Il présente une commande avec 3 modes de fonctionnement : le mode analyse, le mode programmation et le mode EPA qui permet de comparer la position articulaire lors de différents enregistrements de l'occlusion entre eux ou par rapport à une position mandibulaire en relation centrée. C'est le résultat de la révolution numérique associé au progrès de la miniaturisation des capteurs ultrasonores [36].

• Gartner et Kordass [37, 38] réalisent en 2003 un articulateur virtuel complètement adaptable reproduisant exactement les mouvements mandibulaires à l'aide d'un système informatique d'enregistrement appelé Jaw Motion Analyzer (fig. 29). Le logiciel calcule et visualise les impacts occlusaux, aussi bien en statique qu'en dynamique, et utilise ces données dans la modélisation des restaurations par CAD-CAM (Computer Aided Design- Computer Aided Manufacturing : Kordass and Gartner Virtual Articulator). L'articulateur virtuel est un outil qui permet une analyse occlusale dématérialisée aussi bien en statique qu'en dynamique. Il peut pallier les inexactitudes que la mise en articulateur physique des modèles génère [37, 38]. Il reproduit les mouvements masticatoires avec plus de précision et améliore la conception et la fabrication des éléments prothétiques. Cet outil peut aider l'analyse du degré d'intercuspidation, la hauteur et les angles fonctionnels des cuspides. Il rend possible l'analyse des guidages, facilite l'analyse occlusale et détermine la morphologie des éléments prothétiques. Le logiciel a aussi intégré une représentation des trajectoires condyliennes dans les plans sagittaux et horizontaux. Ce progrès permet d'observer les relations étroites entre le guide incisif et le déplacement condylien.

• Dr Maxime Jaisson et son associé Antoine Rodrigue sont à l'origine, en 2017, de l'articulateur 4D dans sa forme la plus aboutie avec la technologie Modjaw [39] (fig. 30 et 31) qui permet la combinaison de l'espace et du temps. Les bénéfices apportés par cette technologie sont : une grande facilité d'enregistrement de l'occlusion, des dispositifs non invasifs et légers (en diminuant le biais d'enregistrements générés par les capteurs), une plus grande pertinence des informations enregistrées et leur facilité d'utilisation dans l'espace numérique de travail. Pour autant, cette technologie prometteuse nécessite un entraînement à son utilisation et un investissement personnel significatif pour exploiter les capacités de l'outil. Les articulateurs virtuels sont fondés sur un concept numérique.

• La plupart des articulateurs actuels ont leurs équivalents numériques exploités par les logiciels de CFAO. Ils peuvent être couplés avec des enregistrements permettant de programmer des articulateurs virtuels de tout type et de toute conception.

Conclusion

Dès l'origine, les théories occlusales et les articulateurs ont passionné les chercheurs. Jusqu'en 1920, la réalisation de ces « outils » était principalement motivée par le traitement de l'édentation totale mais, par la suite, l'utilisation de ces instruments a aussi intéressé le traitement du sujet denté avec de nouveaux concepts mécaniques puis virtuels avec l'ère numérique.

Notre propos a vocation de mettre en lumière ces pionniers de la profession qui ont consacré du temps, de l'énergie et de la recherche pour faire évoluer les articulateurs dans la quête du bien-être des patients.

C'est un hommage que nous leur rendons à travers deux articles.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

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