Ils sont victimes de l'hubris, ce moment dans la vie d'un homme où le succès lui monte à la tête jusqu'à en commettre des erreurs.
Notre profession se trouve actuellement dans une situation curieuse. D'un côté il y a pléthore de praticiens dans des zones que la pensée unique a validées comme étant « habitables », bords de mer, métropoles urbaines et villes universitaires, tandis que sur le reste du territoire, devenu plus ou moins médicalement désert, des praticiens, souvent âgés, se démènent comme des diables à roulettes pour essayer de soigner une population désemparée. Les deux catégories de praticiens n'exercent pas la même dentisterie, n'ont ni les mêmes revenus ni la même vie, chacun enviant l'autre pour ce qu'il n'a pas. Leur mauvaise répartition suscite l'ire des autorités, bien conscientes que les premiers sont contraints de sur-traiter pour vivre alors que les seconds ne peuvent soigner correctement l'ensemble des bouches qui en ont besoin, que le nombre total des praticiens est largement suffisant pour notre pays et qu'une simple décision politique, mais courageuse, suffirait à résoudre le problème.
Oublions la première catégorie de confrères, fourvoyés dans des rêves bétonnés, et observons ce qui se passe avec les seconds. En effet, s'y trouvent de plus en plus de praticiens qui, réalisant le fait qu'ils sont à la fois indispensables et incapables de soigner tous ceux qui ont besoin de leurs services, imaginent que leur position privilégiée est une forteresse inexpugnable, et profitent de leur avantage pour imposer des plans de traitements que beaucoup ne peuvent s'offrir. Ils sont victimes de ce que les grecs appelaient l'hubris, ce moment clef dans la vie d'un homme où le succès lui monte à la tête jusqu'à en commettre des erreurs parfois fatales. Ce phénomène est très bien illustré dans la mythologie grecque par quantité de mythes, le plus connu étant celui d'Icare. Quelles en sont les conséquences ? des chiffres d'affaires énormes....et beaucoup de patients dépités car ne parvenant pas à se payer les implants et les céramiques haut de gamme proposées (imposées) par ces praticiens.
Pour l'instant, cela fonctionne, mais les associations de consommateurs, de patients, les autorités veillent et cherchent des solutions. Les taxis, en leur temps, ont fait la même erreur, persuadés que leur sacro-sainte plaque préfectorale constituait un blindage inaltérable contre toute forme de concurrence. C'était l'époque des chauffeurs de taxi arrogants, qui imposaient leurs trajets et leurs horaires de travail, et qui étaient introuvables lorsqu'on en avait besoin. Et puis Uber est arrivé, et ils sont tous redescendus sur terre, brutalement. Alors certes, notre diplôme nous protège, nos années d'études, notre compétence etc... mais franchement, faut-il six ans de faculté pour faire des détartrages, boucher des caries ou réaliser des prothèses adjointes, surtout à une époque ou une IA bien paramétrée pourrait surveiller les options techniques de praticiens formés rapidement et contraints à s'installer dans des zones sous dotées ? Ceux d'entre nous ayant choisi de ne faire que des soins de haut de gamme et de laisser se débrouiller la majorité de leurs patients potentiels feraient bien de réfléchir à l'exemple des taxis...la chute pourrait être dure !!!