Clinic n° 04 du 01/04/2020

 

Prothèse

Jean-Marie RIGNON-BRET*   Anne DURIN-TOUATI-SANDLER**   Christophe RIGNON-BRET***  


*Professeur Honoraire
**Université de Paris
***Attaché
****Université de Paris
*****Maître de conférences des Universités, Praticien hospitalier
******Université de Paris

Depuis plus de deux siècles, de nombreux auteurs ont essayé de construire des dispositifs mécaniques appelés articulateurs afin d'enregistrer et de reproduire la cinématique mandibulaire d'un sujet dans des buts thérapeutiques et notamment prothétiques. Il est impossible de citer tous les instruments introduits sur le marché tant ils sont nombreux mais un rappel historique de leurs différentes conceptions permet de mieux comprendre leurs possibilités ainsi que les théories...


Depuis plus de deux siècles, de nombreux auteurs ont essayé de construire des dispositifs mécaniques appelés articulateurs afin d'enregistrer et de reproduire la cinématique mandibulaire d'un sujet dans des buts thérapeutiques et notamment prothétiques. Il est impossible de citer tous les instruments introduits sur le marché tant ils sont nombreux mais un rappel historique de leurs différentes conceptions permet de mieux comprendre leurs possibilités ainsi que les théories occlusales auxquelles ils ont donné naissance. Ce vaste sujet est traité en deux articles, l'un sur « l'évolution des articulateurs de 1830 à 1920 » et l'autre sur « l'évolution des articulateurs de 1920 à l'ère numérique ». Seules les innovations marquantes pour les articulateurs et leurs concepts élaborés de 1830 à 1920 sont évoquées par ordre chronologique.

Les précurseurs

L'esprit créatif du Siècle des lumières, avec ses avancées scientifiques, va directement bénéficier à la dentisterie. C'est la période où naissent les articulateurs. Citons les par ordre chronologique.

• P. Pfaff (1756) [1, 2] aurait été le premier à créer une clé en plâtre afin d'articuler des modèles formatés, réalisant ainsi le premier « articulateur plâtre » ou plutôt « occluseur plâtre » (fig. 1).

• J.-B. Gariot (1805) [1, 2] construit le premier véritable « occluseur plâtre » en réalisant une extension des modèles en plâtre avec deux indexations en forme de cônes pour repositionner des modèles (fig. 2 et 3).

• En 1830 apparaissent les premiers occluseurs à charnières de Howarth (fig. 4) et de J. Ladmore [3] (fig. 5). Ces instruments se composent de deux plaques de bois ou de métal réunies par une charnière et sont comparables à l'occluseur en « porte de grange » (fig. 6) d'origine inconnue mais souvent évoqué dans la littérature américaine [4]. La notion de branches supérieure et inférieure de l'articulateur moderne apparaît pour simuler le mouvement d'ouverture-fermeture.

Apparitions des « vrais » articulateurs

Suite à la création des occluseurs, le développement des connaissances anatomiques et occlusales s'oriente vers la recherche d'une modélisation de la cinématique mandibulaire, d'où les innovations successives suivantes.

• J. Cameron (1840) [3, 4] réalise le premier articulateur breveté. Il permet une orientation et un déplacement vertical, latéral et antéro-postérieur des modèles ainsi qu'une ouverture grâce à une charnière située au niveau du modèle mandibulaire (fig. 7). La même année, D.T. Evens [4] met au point un articulateur à charnières qui semble être le premier articulateur véritable (fig. 8) avec des charnières permettant un mouvement de propulsion mais aussi un léger mouvement de diduction.

• W.G.A. Bonwill (1858) [3, 5-9] décrit un mouvement en avant des condyles et construit un articulateur reproduisant leurs trajectoires dans un plan strictement horizontal (fig. 9). En 1864, il présente ses théories sur « l'occlusion anatomique » en se fondant sur des moyennes. Il a le grand mérite de mettre en évidence la règle suivante : « La distance inter-condylienne est égale à la distance centre du condyle/point incisif mandibulaire ». C'est la règle bien connue du « Triangle de Bonwill » [5-7]. Elle se vérifie dans tous les articulateurs, même s'ils reposent sur des théories différentes. Pour Bonwill, ce triangle est de 10,4 cm de côté (4 inches). Il varie entre 10 et 11 cm dans la quasi-totalité des articulateurs. Ces travaux se finalisent en 1864 par la réalisation de son articulateur avec son fameux triangle [7] (fig. 10). Cet articulateur présente des trajectoires en propulsion et en diduction, mais uniquement dans le plan horizontal. Nous pouvons donc le considérer comme le premier articulateur géométrique grâce au triangle mais aussi le premier articulateur anatomique avec la représentation des condyles et du point inter-incisif.

• F.H. Balkwill (1866) [3, 6, 8-11] est le premier à décrire la trajectoire inclinée des condyles. Il réalise un dispositif pour mesurer l'angle de celle-ci avec le plan occlusal et le point incisif, appelé angle de Balkwill, estimé en moyenne à 26o (fig. 11). Grâce à un « cadre de morsure » de sa construction, il démontre la trajectoire en arc de cercle des condyles dans le plan horizontal lors des mouvements de diduction. Le centre de cet arc de cercle est situé en avant des incisives. Le point inter-incisif et le plan occlusal sont ainsi matérialisés avec ce dispositif. Balkwill positionne ainsi le modèle mandibulaire dans une position correcte par rapport à l'axe inter-condylien de son articulateur. C'est la découverte de l'enregistrement du fameux « arc gothique » qui sera ensuite à la base de la compréhension de toute la cinématique mandibulaire et de sa reproduction par les articulateurs.

• G. Davidson (1876) [3] présente un occluseur qui a la particularité d'être « adaptable » par l'intermédiaire d'une rotule sur la branche supérieure de l'instrument. Il autorise des corrections dans le plan vertical et en latéralité (fig. 12).

• R.S. Hayes (1889) [8] réalise le premier articulateur avec des trajectoires condyliennes inclinées fixes. Il introduit la même année le premier exemple d'un arc facial fonctionnel pour positionner les modèles en relation correcte avec les condyles de son articulateur.

• F.G. Von Spee (1890) [9, 12] met en évidence la courbe sagittale des cuspides vestibulaire des dents mandibulaires. Cette courbe, qui porte son nom, a son centre situé au niveau de l'apophyse Crista-Galli.

• W.E. Walker (1896) [13] réalise un articulateur avec des trajectoires condyliennes réglables, non plus horizontales mais inclinées en bas et en avant (fig. 13).

Nouveaux concepts

Le progrès dans l'évolution des articulateurs se fait alors avec l'apparition de nouveaux concepts essentiellement développés pour le traitement de l'édentement total. Ainsi, les auteurs développent des théories occlusales qui accompagnent la création d'articulateurs pour traiter cette pathologie.

• Dès 1894, A. Gysi [14] construit, comme Walker, un articulateur à déplacement condylien incliné. Puis, en collaboration avec Müller (1896 à 1899) [14], il réalise un articulateur anatomique à condyles avec des trajectoires inclinées représentant l'articulation temporo-mandibulaire. Cependant, cet articulateur ne donnant pas de bons résultats dans tous les cas, il ne fut pas commercialisé. Gysi est alors convaincu qu'un articulateur anatomique ne pourra jamais reproduire parfaitement les mouvements condyliens trop complexes de l'articulation temporo-mandibulaire [14]. Il élabore alors sa théorie géométrique « des centres instantanés de rotation » à l'origine d'une douzaine d'articulateurs semi-adaptables ou adaptables produits de 1908 à 1960. Ces instruments géométriques sont conçus pour enregistrer et reproduire non plus les déplacements condyliens mais seulement la résultante fonctionnelle des déplacements au niveau occlusal.

• G.S. Monson (1898), associant la théorie de Von Spee à la règle du triangle équilatéral de Bonwill et au triangle de Balkwill [9] (fig. 14), établit que les surfaces occlusales des dents mandibulaires sont situées sur la surface d'une sphère dont le centre est l'apophyse Crista-Galli et dont le rayon est de 4 inches, soit un peu plus de 10 cm [9] (fig. 15 et 16). Il démontre sa théorie en utilisant un articulateur de Bonwill. Ses dernières recherches aboutiront en 1918 à l'élaboration d'un articulateur breveté appelé « instrument mandibulo-maxillaire » [9] utilisant un arc facial spécifique pour positionner le modèle maxillaire. Dans ce concept, la priorité est axée sur la reconstruction des courbes occlusales, appelé « théorie de la sphère », et non plus sur le concept anatomique pour la reproduction des mouvements condyliens.

• A.D. Gritman (1899) [15] réalise un articulateur avec une trajectoire condylienne, inclinée à 15 degrés, située sur la branche supérieure. La particularité de cet instrument est la possibilité d'augmenter l'espace entre la branche supérieure et la branche inférieure en restant parallèle (fig. 17).

• G..B. Snow (1900) [8, 13] conçoit un arc facial pour améliorer le montage du modèle maxillaire sur l'articulateur de A.D. Grittman. Il utilise pour cela des bases d'occlusion réglées suivant un plan d'occlusion parallèle au plan de Camper (point sous-nasal – tragus). Lors du montage du modèle maxillaire, l'articulateur doit être orienté de façon à ce que ses branches soient parallèles au plan d'occlusion (i.e. plan de Camper) (fig. 18).

• C. Christensen (1901) [9, 13] réalise un articulateur comparable à celui de Walker mais plus simple dans son apparence (fig. 19 et 20) et publie, en 1905, sa technique d'enregistrement des trajectoires condyliennes en propulsion par cires de morsure appelées check bites [16].

• G.B. Snow (1906) introduit sur l'articulateur de A.D. Gritman [13] (fig. 21) une trajectoire condylienne réglable dont l'amplitude peut varier grâce à un ressort (fig. 21). Il utilise encore son arc facial avec cet articulateur et il adopte la technique d'enregistrement par cires de morsure de Christensen [13, 16].

• N.G. Bennett (1907) [17] apporte sa contribution à l'étude des mouvements de la mandibule en définissant tout particulièrement l'angle qui porte son nom. L'angle de Bennett se définit comme l'angle formé pendant la diduction par la trajectoire du condyle non travaillant (condyle orbitant) avec le plan sagittal.

• Dans sa théorie, Eltner (1909) [12] décompose l'articulation temporo-mandibulaire en deux articulations avec une articulation inférieure « condylo-méniscale » et une articulation supérieure « ménisco-temporale ». Il construit alors un articulateur Eltner avec deux axes horizontaux, l'un passant par l'axe des condyles et l'autre par le centre des deux « éminences articulaires » (racines transverses de l'apophyse zygomatique). Pour le premier axe inter-condylien, il est ainsi un précurseur de l'école « gnathologique » qui se fonde sur la théorie de « l'axe charnière ». L'articulateur de Eltner a des guidages sagittaux adaptables et utilise un arc facial. Dans tous les mouvements mandibulaires, les deux centres de rotation conservent la même distance. Dans le plan sagittal, cette théorie semble juste. En revanche, elle ne résiste pas à une analyse critique dans les autres plans, en particulier dans les mouvements latéraux car, dans cet articulateur, les trajets condyliens sont dirigés parallèlement en avant, ce qui rend les mouvements transversaux impossibles.

• O. Amoëdo (1911) [18] présente un « nouvel articulateur anatomique ». Il positionne les modèles sur son articulateur grâce à l'arc facial de Snow (fig. 18). Il programme les trajectoires condyliennes réglables en utilisant la technique de Christensen réalisée avec deux morceaux de pâte thermoplastique placés entre les bases d'occlusion (fig. 19 et 20). Son innovation consiste en la présence d'un plateau incisif et d'une tige incisive réglable permettant de modifier et stabiliser la dimension verticale (fig. 22).

• G. Villain (1912) [12] reprend la théorie de Monson. Pour lui, le problème de l'occlusion des prothèses doit être considéré non pas sur le plan de la reproduction mécanique des mouvements mandibulaires mais sur celui de la reconstruction de l'occlusion dentaire engendrée par ces mouvements. Il réalise alors un articulateur appelé « stabiloccluseur », résultant de ses théories et conçu pour la prothèse amovible complète (fig. 23). Cet instrument vise à reconstruire la surface occlusale déterminée par les mouvements mandibulaires sans chercher à reproduire les mouvements qui lui ont donné naissance. Villain reprend dans le « stabiloccluseur » les trois courbes issues de la « théorie de la sphère » (courbe horizontale ou forme de l'arcade, courbe sagittale ou courbe de Spee, courbe frontale ou courbe de Wilson) (fig. 15 et 16).

• R.E. Hall [19] confectionne une série d'articulateurs (Alligator, 1916 et 1917 ; Automatic Anatomic Articulator, 1918 ; Hall-House Precision Articulator, 1920 ; Hall Arbitrary Articulator, 1924) (fig. 24). Tous ces instruments sont fondés sur un nouveau concept géométrique, « la théorie du cône », selon lequel les mouvements mandibulaires s'effectuent avec un seul axe rétro et inter-condylien. Cet axe unique fait un angle oblique de 45o par rapport aux branches horizontales de l'articulateur et du plan d'occlusion. Hall a également introduit sur ses articulateurs différentes versions de plateaux incisifs réglables avec, pour certains, des ailettes latérales orientables.

• F.M. Wadworth [12, 20, 21] réalise son premier articulateur en 1919 puis un deuxième en 1921. Il réactualise la théorie de la sphère de Monson et présente, en 1924, son dernier articulateur qui utilise un arc facial spécifique.

La théorie de GYSI

A. Gysi introduit une nouvelle conception de la reproduction des mouvements mandibulaires fonctionnels par des articulateurs toujours largement utilisés. Sa théorie fondée sur les « centres instantanés de rotation » mérite un intérêt particulier.

Gysi réalise l'articulateur Gysi Simplex en 1917 [10, 23-26]. Cet instrument a connu un grand succès (comme le Gysi New Simplex mis sur le marché en 1960 qui sera traité dans un prochain article). Après avoir été résolument « anatomique » pour la construction d'un articulateur, Gysi en arrive à la conclusion de Christensen « ... Il ne suffit pas pour atteindre notre but de suivre aveuglément les directions que nous fournit la nature. Nous devons plutôt soumettre à l'examen les conditions mécaniques qui se présentent et exécuter notre travail selon les principes généraux de la mécanique » [14]. Dès lors, Gysi n'a plus cherché, comme les gnathologistes, à simuler le mouvement condylien exact. Il tente plutôt de reproduire la résultante de ces mouvements au niveau occlusal sur les faibles trajets de glissements cuspidiens fonctionnels. L'articulateur devient donc « non anatomique » au niveau du mécanisme d'articulation mais permet de déterminer, au niveau occlusal, la résultante fonctionnelle des mouvements de glissement cuspidien correspondant aux mouvements condyliens automatiques et habituels. Parallèlement, Gysi a réalisé plusieurs autres articulateurs dont certains, « adaptables » comme le Gysi Trubyte, sont capables de satisfaire les trajectoires fonctionnelles de glissement cuspidien propres à chaque cas particulier. Tous ces instruments (une douzaine réalisée depuis 1908 avec aussi de nombreux arcs faciaux) font appel au même concept de la détermination du trajet fonctionnel de glissement cuspidien qui est le seul trajet qu'a voulu reproduire mécaniquement Gysi.

En pratique, dans le traitement de l'édenté total, des plaques métalliques sont fixées sur les maquettes d'occlusion dont le plan d'occlusion est parfaitement réglé (fig. 25). Trois stylets, situés au niveau du point inter-incisif et des premières molaires, permettent l'enregistrement sur les plaques des tracés de glissement fonctionnel mandibulaire en propulsion et en diduction. Gysi construit des articulateurs avec des centres instantanés de rotation permettant de reproduire ces tracés. Lors du mouvement d'ouverture buccale, Gysi a ainsi défini trois centres instantanés de rotation [22, 26] (fig. 27) correspondant chacun à une étape de l'ouverture buccale, mais aussi un centre instantané de rotation moyen pour l'ensemble du mouvement d'ouverture-fermeture (résultats confirmés par Gaspard en 1972) [27]. Parallèlement, Gysi a réalisé des mesures pour déterminer l'inclinaison du déplacement condylien moyen dans le plan sagittal par rapport au plan d'occlusion à 33o (pente du Gysi Simplex). Pour Gysi, le plan d'occlusion correspond au plan de Camper, c'est pourquoi il a construit ses articulateurs selon la référence du plan de Camper. Il situe le point incisif sur ce plan en référence au triangle de Bonwill (fig. 2526 et 30).

Cependant, pour Gysi, le centre instantané de rotation pertinent pour construire un articulateur est celui correspondant au début du mouvement d'ouverture buccale à partir de l'occlusion (fig. 27, V1). Ce centre instantané de rotation est situé à mi-distance entre l'axe bi-condylien et le plan d'occlusion et à environ 1 cm derrière l'axe bi-condylien. En effet, parmi les 3 CIR, le premier est celui qui correspond à une ouverture buccale suffisante pour l'écrasement du bol alimentaire et la fin du cycle masticatoire.

Analyse du mouvement d'ouverture-fermeture du Gysi Simplex

Afin de comprendre la théorie de Gysi, un rappel est nécessaire concernant le diagramme de U. Posselt qui décrit l'enveloppe des mouvements limites de la mandibule (fig. 29). Le point 1 de ce diagramme correspond à l'occlusion de relation centrée et le point 2 à l'occlusion d'intercuspidation maximale (OIM). Gysi ne cherche pas à reproduire le mouvement d'ouverture-fermeture buccale au point 1, qui correspond au « trajet axial terminal des gnathologistes » en rotation pure (que nous détaillerons dans l'article suivant) et qui est reproduit sur les articulateurs de l'école « anatomique » [28, 29]. Au contraire, il cherche à reproduire le mouvement d'ouverture-fermeture habituel (mouvement d'abaissement automatique) à partir de l'OIM (point 2) qui correspond à la combinaison du mouvement de rotation et de translation des condyles lors de l'abaissement mandibulaire.

Ainsi, Gysi précise que son articulateur ne vise pas à reproduire le mouvement d'ouverture-fermeture dans la position guidée la plus postérieure [24] (fig. 28).

La figure 28 illustre la conception de l'articulateur Simplex. Les articulateurs purement anatomiques (école gnathologique) s'ouvrent et se ferment suivant un axe-charnière passant par le centre des condyles anatomiques, c'est-à-dire suivant l'axe R. Dans ce cas, le mouvement des dents décrit un trajet en arc de cercle F (fig. 28) schématisant le déplacement de la mandibule dans sa position la plus postérieure (point 1 du diagramme de Posselt). Le véritable centre d'ouverture-fermeture automatique moyen défini par Gysi (centre instantané de rotation) est localisé en RC, ce qui donne un trajet d'ouverture-fermeture représenté par l'arc de cercle R.

Le premier constat est que l'articulateur Gysi Simplex ne s'ouvre pas selon le centre de rotation idéal moyen déterminé par Gysi, ce qui, paradoxalement, est à l'origine de cet instrument. En effet, Gysi a aussi déterminé des centres de rotation en latéralité permettant de reproduire les mouvements moyens de glissement cuspidien. Il les a situés en arrière, à l'extérieur et légèrement au-dessous du condyle anatomique (en rc). Comme le centre d'ouverture-fermeture idéal moyen RC se trouve également en arrière et au-dessous des condyles anatomiques, l'idée géniale de Gysi concernant cet instrument a été de déplacer légèrement le centre d'ouverture-fermeture idéal moyen RC pour le faire coïncider en rc avec les centres de rotation des mouvements de latéralité, sans que ce déplacement ait une conséquence pratique néfaste.

De plus, au niveau de la tige incisive et du dentalé (fig. 28, I), le schéma indique également la parfaite similitude sur 1 cm des arcs de cercle r et R correspondant respectivement aux centres de rotation rc et RC. Cette superposition des deux arcs IR et Ir en un même trait fin suivant une amplitude signifie qu'il est possible de pratiquer, sans conséquence néfaste, des variations de dimension verticale sur une hauteur de près de 1 cm avec l'articulateur de Gysi dont le mouvement de fermeture automatique ne se fait pas en rotation pure.

Analyse du mouvement de latéralité droite du Gysi Simplex

Sur la figure 30, Gysi [24] précise les objectifs de son articulateur lors des mouvements de diduction et, en particulier, les trajets de glissement cuspidien capables d'être reproduits lors des mouvements de latéralité. Il matérialise le triangle de Bonwill fictif avec l'axe bi-condylien passant par le centre des condyles II et III avec le point incisif I [24] (fig. 26 et 30). Les déplacements de ce triangle (fig. 30, pointillés) simulent les mouvements produits par un glissement occlusal, en diduction droite, sur une amplitude limitée à une demi-cuspide (fig. 30, w).

Le déplacement du triangle de Bonwill (fictif) est représenté en pointillés sur la figure 30. Avec une inclinaison du plateau incisif fixée à 40o par rapport à l'horizontal et une pente fixe de 33o du centre de rotation gauche (point U) de l'articulateur, le schéma indique le déplacement du condyle gauche (point III) vers l'avant, le bas et le dedans [24, 26, 30]. Le déplacement du triangle de Bonwill (fictif) se fait donc selon un angle de Bennett de 17o. Simultanément, le condyle géométrique fictif droit II effectue un déplacement en avant, en bas et en dehors induit par l'extrémité pointue de la branche supérieure droite pivotant sur le centre de rotation droit.

Dans le mouvement de latéralité, le condyle géométrique représenté au niveau du triangle de Bonwill (fig. 30, II) ne « pivote » pas mais réalise un léger mouvement oblique en dehors, en bas et en avant [24, 26] (fig. 30, petite flèche). Par conséquent, dans le traitement de l'édentement total, les molaires droites se déplacent jusqu'au contact bicuspidien (fig. 30, w) tandis que les molaires gauches atteignent un simple contact cuspidien (fig. 30, B). L'articulateur reproduit au niveau occlusal les trajectoires condyliennes déterminées par les centres de rotation sur une amplitude d'une demi-cuspide. Les amplitudes plus importantes ne concernent que les mouvements extrêmes de la mandibule et n'intéressent pas le montage des dents en prothèse complète. Nous retrouvons le souci de l'auteur de se préoccuper uniquement de la reproduction des trajets de glissement cuspidien qualifiés d'« habituels et automatiques », c'est-à-dire de la reproduction de trajets qui n'ont rien à voir avec ceux déterminés par les trajectoires limites des mouvements condyliens.

Analyse du mouvement de propulsion du Gysi Simplex

Le premier modèle de cet articulateur, commercialisé en 1917, avait un plateau incisif fixe présentant une angulation de 40o modifiable par adjonction d'une plaquette métallique collée sur une épaisseur de cire. Les modèles suivants ont été améliorés en 1930 par l'intermédiaire d'un plateau incisif à orientation réglable à volonté. En prothèse amovible complète, cela offre l'avantage, d'une part, de faciliter l'élaboration de la courbe de compensation et, d'autre part, d'utiliser différentes dents prothétiques avec des angulations cuspidiennes différentes (0o, 20o ou 33o). Effectivement, avec un plateau incisif orienté 0o, on utilise des dents à 20o car, avec une pente condylienne à 33o, la moyenne géométrique s'établit à environ 20o au niveau de la première molaire. De la même façon, le plateau incisif est orienté à 30o pour des dents à 33o et à –10o pour des dents à 0o. L'influence de l'orientation du plateau incisif permet, avec une pente condylienne fixe, d'obtenir des angulations cuspidiennes différentes au cours des mouvements de propulsion et de diduction. Ainsi, Gysi a voulu, avec le Simplex, offrir à l'omnipraticien l'outil idéal pour le traitement de l'édentement total.

Conclusion

L'évolution des articulateurs depuis le siècle des lumières jusqu'en 1920 est révélatrice des progrès scientifiques et mécanicistes de cette période. Ces progrès sont intimement liés à la recherche d'instruments capables de reproduire les mouvements mandibulaires pour le traitement de l'édentement total. La multiplicité des articulateurs proposés montre la diversité des conceptions qui vont ensuite évoluer. Il était impossible de citer de manière exhaustive tous les articulateurs et seuls les principaux ont été répertoriés. Néanmoins, les rappels historiques des multiples conceptions permettent de mieux comprendre l'origine des différents éléments de l'articulateur. Il est impératif de rappeler que les conceptions des articulateurs sont intimement liées aux théories occlusales de leurs auteurs mais aussi à leurs techniques d'enregistrement de la cinématique mandibulaire.

Auguste Comte, dans le Cours de philosophie positive (1798-1857), a écrit : « On ne connaît pas complètement une science tant qu'on n'en sait pas l'histoire ». À l'ère du numérique, il nous semble donc important, pour comprendre cet instrument, d'explorer son évolution et de décrire les évolutions apportées depuis 1920 jusqu'à nos jours dans un second article (évolution des articulateurs de 1920 à l'ère numérique).

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

(1) Le centre instantané de rotation (CIR) est un terme utilisé en cinématique pour désigner l'axe autour duquel tourne un solide à un instant donné par rapport à un référentiel. Ainsi, le CIR est un point qui, pour tout solide en mouvement plan, a une vitesse nulle à un instant t.

(2) Plan de Camper : plan horizontal passant par le point sous-nasal et les tragus.

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