Clinic n° 03 du 01/03/2020

 

Vie sociale

Xavier BONDIL  

Chirurgien-DentisteAEU en implantologieDU de parodontologie et d'implantologie OraleDU d'expertise en médecine bucco-dentaireExpert Judiciaire près de la cours d'Appel de Lyon

La notion de santé évolue et ne se limite plus qu'à la seule réparation des déficits ou des maladies. Elle intègre aussi la notion du bien-être et de la qualité de vie, une de ses composantes. Elle ne consiste ainsi pas uniquement en l'absence de maladie, de dysfonction ou d'infirmité. Cette notion évolue vers non seulement l'absence de pathologique mais aussi l'obtention d'une amélioration de la qualité de vie, y compris sexuelle. L'OMS différencie ainsi la santé physique,...


La notion de santé évolue et ne se limite plus qu'à la seule réparation des déficits ou des maladies. Elle intègre aussi la notion du bien-être et de la qualité de vie, une de ses composantes. Elle ne consiste ainsi pas uniquement en l'absence de maladie, de dysfonction ou d'infirmité. Cette notion évolue vers non seulement l'absence de pathologique mais aussi l'obtention d'une amélioration de la qualité de vie, y compris sexuelle. L'OMS différencie ainsi la santé physique, mentale et sexuelle. Cette évolution est particulièrement significative dans les traitements anti-cancéreux. La sexologie est devenue une branche de la médecine chargée de s'occuper de manière approfondie de la vie et de l'activité sexuelle dans toutes ses composantes, tant quantitativement que qualitativement.

Les publications établissant des liens étroits entre la qualité de vie et la santé orale sont nombreuses (indice OHRQoL) : à titre d'exemples, SUN [1] dans une méta-analyse affirme que la malocclusion serait significativement liée à une baisse de la qualité de vie. Plus cette malocclusion est sévère, plus les impacts psychosociaux seraient importants. ALI [2] affirme quant à lui que le remplacement des édentements partiels par des techniques fixes (implants ou bridges) améliorerait la qualité de vie des personnes âgées. ASHARI [3] affirme que le score esthétique ne permettrait pas de prédire l'impact de la maloccusion sur la qualité de vie orale.

La santé sexuelle est définie par l'OMS en 2002 comme « un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d'avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence ». L'espace buccal fait indéniablement partie intégrante des processus de séduction, d'érotisme et de sexualité et cet aspect souvent « sanctuarisé » voire tabou et devrait entrer dans la pratique de la médecine bucco-dentaire (fig. 1).

Les professionnels de la médecine bucco-dentaire ont bien évidemment conscience de l'importance de cette question mais ne l'abordent pas. Selon une enquête IPSOS [4] en 2004, la qualité de vie sexuelle est essentielle ou très importante pour un tiers des sondés, assez importante pour un autre tiers et peu importante pour un dernier tiers. Cette même enquête montre que l'activité sexuelle persiste quel que soit l'âge (de 2,3 rapports hebdomadaires à 35 ans à 1,1 après 70 ans). Or, nous vivons de plus en plus longtemps.

Le sujet abordé par le présent article ne concerne ni la pornographie ou le vulgaire, mais bel et bien la sexualité dans ses diverses composantes, en lien direct (baisers, caresses et rapports bucco-génitaux) ou indirect (identitaire, relationnelle, intime, image corporelle, estime et confiance en soi, séduction, érotisme, couple, amour, conjugalité) et in fine le bien-être et la qualité de vie.

Ce sujet, pourtant important dans la vie de tout être vivant (fig. 2), n'est pas suffisamment abordé dans la relation soignant / soigné encore moins en dentaire qu'en médecine. Abraham et Schwartz [17] évoquent même une « véritable négligence » de la part des professionnels. Nous pouvons évoquer plusieurs pistes, de manière non exhaustive, pour expliquer cette insuffisance :

– Tabous, mythes, fausses idées.

– Méconnaissance par manque de formation et de sensibilisation

– Pudeur

Nous ignorons dans l'état actuel de nos connaissances si les patients sont demandeurs de cette information dans le cadre de traitements dentaires, mais nous pouvons raisonnablement le supposer. Il convient de lever le silence sur ce sujet tout en respectant les sensibilités individuelles. Manon BESTAUX [5] rappelle avec justesse que la bouche est une voie potentielle de contamination, que ce soit dans le cadre du baiser ou de rapports bucco-génitaux.

Lors de parodontopathie, il devrait être utile de préciser aux patients que cette maladie bactérienne reste contagieuse et que le saignement gingival constitue autant de portes ouvertes à une contamination sanguine. Cela concerne également d'autres IST telles que la syphilis [6], les HPV [7] l'Herpès [8] encore le VIH [9].

Les patients sont plus ou moins conscients de ces pathologies sexuellement transmissibles et il est de la responsabilité du chirurgien-dentiste de les informer dans toutes les situations ou ces pathologies sont identifiées : si le patient est inconscients des risques il conviendra de le protéger en l'informant, et s'il est surinformé, il conviendra de lui apporter une information raisonnée et médicale afin de le rassurer.

Le fait d'avoir des pathologies buccales, une halitose ou l'idée de transmettre à son partenaire une maladie peut pour certaines personne les empêcher de s'« abandonner » lors du baiser. Le baiser est une pratique très intime avec un statut particulier.

L'offre de soins bucco-dentaire sur ce point précis manque :

– d'initiative et de communication,

– de faire savoir et de savoir-faire,

– d'égalité d'accès aux soins. Pour des raisons financières ; l'assurance maladie obligatoire persistant à refuser la prise en charge des traitements parodontaux. Pour des raisons des comportements contraires à la déontologie de la part d'une partie de la profession [10].

Sur les réseaux sociaux, cette question est parfois directement abordée par les patients. À titre d'exemple sur un site de discussion concernant des gouttières d'alignement, en janvier 2018 nous pouvons lire « Question délicate : sexuellement parlant, ça ne vous pose aucun soucis les gouttières ??? » ; En Juin 2019 « Enlever vous vos gouttières quand vous faites le sex? » (Sic). Ces questions ont reçu une centaine de contributions, nombre bien supérieur aux autres questions.

La cible de cette sensibilisation devrait ainsi concerner toute la population dès lors qu'elle a des problèmes dentaires et une possibilité d'activité sexuelle. Mais cette information nécessaire ne doit pas aller au-delà de la demande des patients. Cette discussion qui peut survenir suite à une information reste délicate à aborder pour un chirurgien-dentiste, mais finalement pas davantage que de demander si une personne est séropositive.

Afin d'éventuellement aborder, il convient de se poser la question des interactions entre la qualité de vie sexuelle et leur pathologies bucco-dentaires. Qu'est ce qui pourrait perturber la qualité de vie sexuelle ?

– la douleur chronique,

– les problèmes nutritionnels,

– la perte de confiance en soi,

– le port d'appareils amovibles, en particulier la prothèse amovible totale,

– la peur de transmettre des maladies.

Approche judiciaire

La notion de qualité de vie sexuelle est reconnue par les tribunaux et son éventuelle perturbation est abordée dans les expertises si le juge le demande. Selon la classification DINTHILAC, le préjudice sexuel est un préjudice extra patrimonial permanent. Il est défini selon un cahier des charges précis :

Existe-t-il un préjudicie morphologique lié à l'atteinte des organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ?

Existe-t-il un préjudice lié à l'acte sexuel lui-même : perte de libido, perte de la capacité physique à réaliser l' »acte, perte de la capacité à accéder au plaisir ?

Le préjudice a provoqué une difficulté ou une impossibilité de procréer ?

La jurisprudence est inconstante et peu prolixe sur cette thématique précise en ce qui concerne l'odontologie (MACSF [11]) : une patiente a été ainsi déboutée de sa demande réparation de préjudice sexuel par la Cour d'Appel d'Aix en Provence en avril 2013 (aucun des trois préjudice suscités n'a été retenu) alors qu'une autre a obtenu gain de cause au Tribunal de Grande Instance de Nice en juin 2017 (Citons Catherine BLANC, juriste de la MASCF : « L'expert avait retenu l'existence de ce préjudice avec « une perte de la libido et des difficultés à réaliser certaines pratiques sexuelles, ce qui enlève tout plaisir ». Estimant que la demanderesse était restée édentée pendant plusieurs mois, et que cette situation était de nature à altérer sa libido, le Tribunal estime que le préjudice sexuel est suffisamment caractérisé pour justifier une indemnisation à ce titre. »).

Discussion

La dentisterie abusivement autoproclamée « esthétique » se développe. Cette évolution putative est la conséquence de trois facteurs :

Une demande des patients,

Une pression de la part des industriels et des firmes commerciales,

Un espace de liberté tarifaire.

L'aspect « érotique » est sous-jacent. Les réclames des firmes commerciales, non tenues par la déontologie médicale mais par leur propre éthique, utilisent le facteur « sexe » pour motiver leurs clients potentiels. En effet, le pouvoir manipulateur du sexe n'est plus à démontrer dans les techniques de manipulation de masse. Certains professionnels de santé photographient leurs patients dans des attitudes plus sensuelles que cliniques, voire organisent de véritables « shooting » loin de toute considération médicale et dont on peut se demander quel serait leur but sinon de jouer sur l'émotion et non plus sur la raison.

La « dentisterie émotionnelle », ou le « marketing authentique » renie sa vocation médicale via une photographie érotique ; l'évolution des publications sur les réseaux sociaux est univoque, en particulier hors de France. Cette évolution démontre néanmoins toute la dimension sexuelle du sourire. Le risque de manipulation des patients est réel, en contradiction avec le principe de consentement éclairé.

D'après HAGEGE [12] l'individu perdrait son statut de sujet pour devenir objet/produit conçu en fonction d'une valeur d'usage voire marchande. Cette tendance lourde ne semble pourtant qu'à ses prémisses et semble se développer si l'on en croit les thèmes de la formation continue professionnelle, au point que l'on peut se poser la question suivante : qu'est-ce qu'une dentisterie qui serait « moche », en creux avec une dentisterie dite « esthétique » ?

Ces considérations éthiques ne doivent pas occulter l'impact réel sur la qualité de vie des patients, impact qui a été largement démontré par la chirurgie du « mieux-être » MEIDANI 2005 [13].

Selon la pathologie

Les pathologies dentaires non traitées sont pour l'immense majorité des cas des pathologies chroniques avec une évolution négative : ni les lésions carieuses ni les maladies parodontales ne guérissent sans l'intervention du chirurgien-dentiste. Une atteinte de la qualité de vie sexuelle pour raison odontologique ne peut donc pas s'améliorer spontanément.

Parodonte et qualité de vie sexuelle

Un lien entre la dysfonction érectile est de plus en plus établi. La dysfonction érectile est évidemment une cause majeure de perturbation de la qualité de vie sexuelle.

KELLESARIAN [14] (2018), dans une revue de littérature de 9 études, rapporte une relation étroite entre la dysfonction érectile et la parodontite chronique probablement par atteinte cardiovasculaire commune. Il recommande aux professionnels chargés du traitement de la dysfonction érectile à encourager leurs patients à s'adresser à leur chirurgien-dentiste en cas d'anomalie.

LUI [15] (2017), dans une revue de littérature confirme que malgré la grande hétérogénéité des protocoles, l'existence d'une corrélation significative entre la dysfonction érectile et les parodontites chroniques. Les auteurs appellent à la réalisation d'étude épidémiologiques.

MARTIN [16] (2018), dans une étude de cas sur la population européenne, examine certains marqueurs biochimiques (profil lipidique, testostérone, protéine C active, paramètre glycémique) et de facteurs de comorbidité. Il affirme que les patients atteint de parodontopathie sont plus susceptibles d'être atteints de dysfonction érectile et ce de manière indépendante des autres facteurs pris en compte. Ceci laisse à penser qu'il existe un lien entre troubles de l'érection et les parodontopathies. Il affirme que la parodontite chronique était un facteur de risque de dysfonction érectile et qu'elles doivent être considérées comme un paramètre important par les urologues. Le traitement parodontal pourrait être utile dans la prévention et le traitement de la dysfonction érectile.

Prothèse et qualité de vie sexuelle

Nous dissocierons deux types de réhabilitation prothétique : l'amélioration d'un sourire dans le cadre d'un état buccodentaire sain et le remplacement prothétique d'une dentition pour raison médicale.

Prothèse à vocation uniquement esthétique

La confiance retrouvée avec une amélioration du sourire pourrait avoir un impact sur la qualité de vie sexuelle et intime via l'amélioration de l'image corporelle et de l'estime et la confiance en soi, un des déterminants de la vie sexuelle.

Prothèses à visée médicale rétablissant l'esthétique

La pose d'un appareil amovible complet par exemple peut de manière légitime interroger le patient sur les conséquences pratiques en ce qui concerne les relations sexuelles, et ce quel que soit l'âge.

Par analogie le fait de passer du port d'un appareil complet au port d'une prothèse implantoportée a-t-elle un impact sur la qualité de vie sexuelle ?

Lors de lésion dentaire importante antérieures (par exemple suite à une érosion chimique liée à un comportement boulimique (fig. 3 à 5)

Les patients, interrogées plusieurs années après leurs traitements, admettent que la réhabilitation de leur sourire a amélioré la qualité de leur vie sexuelle mais de manière indirecte (assurance, confiance en soit, désir de séduction), tout en relativisant (le charme n'est pas strictement dento-dépendant).

Cancers et qualité de vie sexuelle

Les cancers : tous les cancers y compris oraux sont impactés, soit par le cancer en tant que tel soit par les traitements. Au niveau psychologique, le cancer est un évènement majeur d'une vie ; ø se guérit et on vit de plus en plus longtemps avec.

Conclusion

L'amélioration du sourire fait partie de la capacité de tous les chirurgiens-dentistes, et non d'une minorité. La profession doit évoluer, en prenant compte de la qualité de vie sexuelle, et donc a fortiori des critères esthétiques dans la pratique quotidiennesans pour autant perdre son essence médicale.

Il est nécessaire de réaliser des études scientifiques pour essayer de déterminer l'impact réel de notre pratique sur la qualité de vie sexuelle de nos patients.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

  • [1] Sun L, Wong HM, McGrath CP. Relationship Between the Severity of Malocclusion and Oral Health Related Quality of Life: A Systematic Review and Meta-analysis. Oral Health Prev Dent. 2017;15(6):503-517.
  • [2] Ali Z, Baker SR, Shahrbaf S, Martin N, Vettore MV. Oral health-related quality of life after prosthodontic treatment for patients with partial edentulism: A systematic review and meta-analysis. J Prosthet Dent. 2019 Jan;121(1):59-68.e3.
  • [3] Ashari A, Mohamed AM. Relationship of the Dental Aesthetic Index to the oral health-related quality of life. Angle Orthod. 2016 Mar;86(2):337-42.
  • [4] Les points cardinaux de la sexualité enquête Lilly-IPSOS 2004 échantillon 1 000 H > 34 ans (âge moyen 52) 80 % ayant un(e) partenaire sexuel.
  • [5] Bestaux M. En quoi les chirurgiens-dentistes sont-ils concernés par le sexe ? le point de vue d'un sexologue clinicien – L'information dentaire 2017;11/12:32-36.
  • [6] Campana F. Syphilis : le retour ? L'information dentaire 2017;11/12:38-42.
  • [7] Ordioni U. Infection à HPV : bénignes ou malignes ? L'information dentaire 2017;11/12:44-48.
  • [8] Rochefort J. Herpès buccal et herpès génital que faut-il retenir ? L'information dentaire 2017;11/12:50-54.
  • [9] Vigarios E. Manifestations buccales de l'infection par le VIH L'information dentaire 2017;11/12:58-64.
  • [10] CNCOCD. Intolérables refus de soins aux patients VIH La Lettre de l'Ordre 2015;139:14-16.
  • [11] « Le préjudice sexuel en matière dentaire », MACSF, Catherine Blanc, juriste https://www.macsf-exerciceprofessionnel.fr/Responsabilite/Analyses-de-decisions?specialite=184
  • [12] Hagege J.-C. Séduire. Chimères et réalités de la chirurgie esthétique, Paris, Albin Michel, 1993.
  • [13] Meidani A. Différence « honteuse » et chirurgie esthétique : entre l'autonomie subjective des sujets et l'efficacité du contexte normatif. Déviance et Société, 2005;29(2):167-179.
  • [14] Kellesarian SV, Kellesarian TV, Ros Malignaggi V, Al-Askar M, Ghanem A, Malmstrom H, Javed F. Association Between Periodontal Disease and Erectile Dysfunction: A Systematic Review. Am J Mens Health. 2018 Mar;12(2):338-346.
  • [15] Liu LH, Li EM, Zhong SL, Li YQ, Yang ZY, Kang R, et al. Chronic periodontitis and the risk of erectile dysfunction: a systematic review and meta-analysis. International Journal Of Impotence Research. 10 nov 2016;29:43.
  • [16] Martín A, Bravo M, Arrabal M, Magán-Fernández A, Mesa F. Chronic periodontitis is associated with erectile dysfunction. A case–control study in european population. J Clin Periodontol. 2018;45:791-798.
  • [17] Abraham G, Schatz J.-P. Médecine dentaire esthétique et sexualité Rev Med Suisse 2012;8:622-6.