Clinic n° 02 du 01/02/2020

 

Endodontie

Meryem ALAOUI LAMRANI*   Fatima Zahra BENKARROUM**   Hakima CHHOUL***  


*Spécialiste en pédodontie-prévention
**Service de pédodontie-prévention, faculté de médecine dentaire
***Rabat, Maroc
****Professeur assistant
*****Service de pédodontie-prévention, faculté de médecine dentaire
******Rabat, Maroc
*******Professeur de l'enseignement supérieur
********Service de pédodontie-prévention, faculté de médecine dentaire
*********Rabat, Maroc

La dent invaginée, nouvellement appelée dens invaginatus (DI), est une anomalie de forme résultant d'une invagination partielle, de profondeur variable, de l'organe de l'émail au cours du développement de la dent. Cette originalité anatomique fait de la DI une cible privilégiée pour les lésions carieuses pouvant rapidement aboutir à des complications pulpaires et/ou pulpo-parodontales.

Le maintien de la vitalité pulpaire ainsi que le respect de l'intégrité du statut...


La dent invaginée, nouvellement appelée dens invaginatus (DI), est une anomalie de forme résultant d'une invagination partielle, de profondeur variable, de l'organe de l'émail au cours du développement de la dent. Cette originalité anatomique fait de la DI une cible privilégiée pour les lésions carieuses pouvant rapidement aboutir à des complications pulpaires et/ou pulpo-parodontales.

Le maintien de la vitalité pulpaire ainsi que le respect de l'intégrité du statut péri-radiculaire représentent les objectifs clés d'une prise en charge préventive, gage d'un meilleur pronostic.

Cet article présente deux rapports de cas d'invagination dentaire. Il aborde l'aspect clinique de cette anomalie pouvant conduire à un diagnostic précoce et fournit des lignes directrices pour le traitement des dents invaginées.

Introduction

Dens invaginatus (DI) est une anomalie dentaire du développement caractérisée par une invagination de l'organe de l'émail dans la papille dentaire, avant la fin de la calcification [1]. Cette invagination varie de la simple accentuation des puits cingulaires (foramen caecum) à l'invagination corono-radiculaire complète, atteignant l'apex dentaire et donnant lieu à un système canalaire d'une grande complexité [2].

Sa prévalence est comprise entre 0,04 % et 10 %, avec une prédilection pour les incisives latérales maxillaires et une survenue bilatérale dans 43 % des cas [1-3].

L'invagination dentaire résulte du repliement de l'émail dans la dentine une poche de matière organique sous la surface de l'émail. Elle constitue une niche pour les bactéries de la cavité buccale qui pourront se propager via l'invagination dentaire, entraînant le développement de caries précoces et l'arrêt de l'édification radiculaire (quand la dent est immature) consécutive à la nécrose pulpaire [1].

Par conséquent, le diagnostic précoce et le traitement prophylactique de ces lésions sont importants pour le maintien de la vitalité pulpaire.

Présentation du cas clinique

S. E., un garçon âgé de 8 ans, a consulté au service de pédodontie-prévention du Centre de consultation et de traitements dentaires de Rabat (CCTDR) pour une mise en état de la cavité buccale. L'interrogatoire n'a révélé aucune pathologie générale.

L'examen clinique a montré que l'enfant est en denture mixte et que son hygiène buccale est insatisfaisante.

L'examen dentaire a révélé la présence d'une encoche au niveau du bord incisif de la 22, et de puits cingulaires rétractés au niveau de la 12 et la 22. Ces dernières ont un aspect de tonneau (fig. 1 et 2). Le test de sensibilité a été positif au niveau de la 12 et de la 22.

La radiographie rétro-alvéolaire a objectivé la présence d'une projection radio-opaque limitée par l'émail au niveau des couronnes de la 12 et de la 22. Cette projection est confinée à la couronne et ne dépasse pas la jonction amélo-cémentaire (JAC). L'examen radiographique a montré également l'absence d'atteinte péri-radiculaire au niveau des deux incisives latérales immatures (début stade 9 de Nolla) (fig. 3 et 4).

Le diagnostic de dent invaginée type I selon la classification d'OEHLERS est posé au niveau de la 12 et de la 22. Un traitement préventif s'impose afin de maintenir la vitalité pulpaire au niveau de ces dents.

La prise en charge a commencé par la motivation à l'hygiène bucco-dentaire, renforcée par des conseils diététiques, un enseignement de la méthode de brossage et une prescription d'un dentifrice dosé à 1 500 ppm de fluor.

Un nettoyage prophylactique professionnel des surfaces dentaires, y compris des puits cingulaires de la 12 et de la 22, a été réalisé avec une brossette sèche (la granulométrie de la pâte prophylactique emprisonnée dans le fond des puits peut altérer la qualité du mordançage), montée sur contre-angle afin d'éliminer le biofilm bactérien.

Par la suite, un scellement avec la résine de scellement des fissures au niveau de la 12 et la 22 a été mis en place (fig. 5).

Un suivi clinique et radiographique régulier de la vitalité pulpaire et de l'intégrité parodontale a été instauré (fig. 6 et 7).

Discussion

Dens invaginatus (DI) est une anomalie dentaire du développement caractérisée par une invagination de l'organe de l'émail dans la papille dentaire, avant la fin de la calcification. Cette invagination varie de la simple accentuation des puits cingulaires (foramen caecum) à l'invagination corono-radiculaire complète, atteignant l'apex dentaire et donnant lieu à un système canalaire d'une grande complexité [1-2].

Sa prévalence est comprise entre 0,04 % et 10 % [1] avec une prédilection pour les incisives latérales maxillaires, suivies des incisives centrales maxillaires, alors qu'elle est rare au niveau des canines, prémolaires et molaires [1, 4]. La survenue est bilatérale dans 43 % des cas [3].

Dans notre cas clinique, l'invagination intéressait les incisives latérales maxillaires droites et gauches.

La DI affecte principalement les dents permanentes, mais parfois aussi les dents lactéales [5].

L'étiologie de l'ID n'est pas claire, mais semble impliquer des facteurs génétiques et environnementaux. L'interaction entre les cellules mésenchymateuses et épithéliales joue un rôle important dans le développement des dents. Cette interaction est régulée par diverses protéines de signalisation, telles que les facteurs de croissance des fibroblastes, les protéines morphogénétiques osseuses, les facteurs de nécrose tumorale, les protéines Hedgehog (Hh) et Wingless (Wg). Les variations dans les gènes impliqués dans ces voies de signalisation affectent la formation et la morphogenèse des dents [6-8].

Une prolifération cellulaire focale excessive de l'épithélium interne de l'émail et une croissance anormale de la papille dentaire ont été suggérées comme facteurs étiopathogéniques de l'ID [9]. Les forces externes des dents adjacentes, les traumatismes et les infections peuvent également contribuer à sa genèse [10].

On distingue deux principaux types de DI : coronaire et radiculaire. La principale différence entre les deux types est l'origine de l'invagination.

Le type radiculaire provient d'un repliement de la gaine de Hertwig dans la racine après le développement complet de la couronne [11].

Le type coronaire est plus commun. Oehlers l'a classé en trois formes en fonction de leur présentation radiographique [12, 13] (fig. 8 à 11) :

- type I : l'invagination est minime, confinée à la couronne et ne dépassant pas la jonction amélo-cémentaire. C'est le cas pour notre patient ;

- type II : l'invagination s'étend au-delà de la jonction amélo-cémentaire et se termine en cul-de-sac à l'intérieur de la racine, sans communication avec le ligament parodontal, mais des communications avec la pulpe sont possibles ;

- type III : l'invagination s'étend dans la racine et débouche de façon latérale sur l'une des parois radiculaires (type III a) ou au niveau apical (type III b), en créant un pseudo foramen sans communication immédiate avec la pulpe, qui est repoussée et resserrée entre l'invagination et la racine.

Certains signes cliniques peuvent faire penser à une telle anomalie, mais ils ne sont pas constants et ne suffisent pas pour poser le diagnostic de dens in dente. Un examen radiographique s'impose afin de confirmer la présence de l'invagination dentaire.

Le diagnostic précoce de DI conditionne le pronostic. Un foramen coecum profond sur la surface palatine ou occlusale de la dent constitue l'entrée de l'invagination. Une morphologie spécifique de la couronne peut indiquer l'existence de DI. Sur la base de la littérature, les formes cliniques de la DI peuvent être résumées comme suit :

- présence d'un puits ou d'une dépression cingulaire palatine de taille et de profondeur variables [14] (fig. 12) ;

- dents en forme de tonneau ou en forme conoïde [15] (fig. 13) ;

- couronne dilatée avec un diamètre vestibulo-lingual et/ou mésio-distal important [16] (fig. 14 et 15) ;

- présence d'un talon cuspidien ou d'une évagination dentaire. Celle-ci apparaît couramment et simultanément avec la DI de forme II [17] (fig. 16).

Présence d'un sillon labial associé à une encoche vestibulaire [3, 18]

L'examen radiographique est plus fiable pour poser le diagnostic de la DI. L'imagerie bidimensionnelle, comme les radiographies rétro-alvéolaires ou les radiographies panoramiques, est la méthode la plus couramment utilisée en endodontie.

La découverte de DI peut être soit fortuite, soit faite à la suite d'une investigation radiographique sur une dent indemne de carie et de traumatisme et qui présente des épisodes infectieux, soit encore devant une morphologie coronaire anormale [19]

Quand une DI est diagnostiquée, il faut fortement suspecter et rechercher systématiquement cette anomalie dans la dent controlatérale. Les représentations radiographiques de la DI sont résumées comme suit (tableau 1).

Les images tridimensionnelles formées par le scanner sont supérieures aux radiographies bidimensionnelles concernant le diagnostic des DI, car elles fournissent des informations détaillées sur le système canalaire interne des dents invaginées.

De nos jours, les images 3D peuvent aussi être reconstruites avec précision, ce qui permet de révéler le type et l'étendue de la DI.

Dernière-née de l'imagerie sectionnelle, la technique tomographique volumique numérisée à faisceau conique (ou cone beam, CBCT) est dévolue à la seule imagerie dento-maxillaire. Différente dans sa conception du scanner, elle est économe en radiations, en temps, fiable en résultats et reconnue comme un mode d'imagerie substitutif au scanner.

Elle constitue un outil complémentaire de choix dans le diagnostic et la prise en charge des dens invaginatus [20]. La CBCT est préférable également à la technique tomographique par spirale (SCT), qui reste moins précise et avec une épaisseur de coupe de 650-1 000 μm, alors que la technique micro-CT (5-50 μm) fournit davantage de détails structurels que la CBCT (80-200 μm) dans les études in vitro (dents invaginées extraites) [19, 21].

Le système canalaire des dents invaginées type I est relativement simple et l'utilisation de CBCT dans ce type n'a pas été rapportée jusqu'à présent. C'est la raison pour laquelle nous avons fait appel à l'imagerie conventionnelle dans notre cas clinique. En somme, la CBCT est indispensable pour les dens in dente type III, recommandée pour les types II, et facultative pour les types I.

Par ailleurs, l'utilisation d'un modèle plastique 3D imprimé à partir de données DICOM (digital imaging and communications in medicine) de CBCT pour le diagnostic et le traitement conservateur d'un cas complexe de dens invaginatus a été rapporté [16]. L'intérêt est de pouvoir visualiser la dent (résine transparente) et de simuler ainsi l'acte clinique avant sa réalisation.

Options thérapeutiques

Le tableau 2 montre les options thérapeutiques en fonction des différents types de l'invagination au niveau des dents permanentes (tableau 2).

Dans nos deux cas cliniques, le dépistage précoce de cette anomalie a permis d'opter pour un traitement préventif, préservant ainsi la vitalité pulpaire et permettant la poursuite de l'édification radiculaire des dents concernées.

Pour les dents temporaires invaginées, le traitement est relativement simple. L'extraction est indiquée si la lésion péri-apicale menace le germe de la dent permanente. Sinon, un traitement conservateur – en l'occurrence avec la résine composite ou par un traitement canalaire – doit être choisi en fonction de l'état pulpaire [5].

Conclusion

Les options thérapeutiques de la DI diffèrent en fonction du type de l'invagination et de l'état pulpaire au niveau du canal principal.

La prise en charge doit être axée sur le dépistage précoce de cette anomalie afin de prévenir l'atteinte pulpaire et de limiter les complications infectieuses locales et loco-régionales qui peuvent en résulter, d'autant plus que le traitement endodontique est complexe.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

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