Enquête
Le « 100 % Santé » ne résoudra pas le problème de l'accès aux soins des populations précaires. Les participants au colloque organisé par l'ASPBD sur les « inégalités sociales et accès à la santé bucco dentaire » qui s'est tenu le 21 juin au Sénat, ont insisté sur la nécessité de faire appel à des médiateurs.
Clinic lève le voile sur 5 séances.
Adrien RenaudLe « 100 % Santé » ne résoudra pas le problème de l'accès aux soins des populations précaires. Les participants au colloque organisé par l'ASPBD sur les « inégalités sociales et accès à la santé bucco dentaire » qui s'est tenu le 21 juin au Sénat, ont insisté sur la nécessité de faire appel à des médiateurs.
Clinic lève le voile sur 5 séances.
Adrien RenaudAbsorbés par la masse des contraintes qui s'imposent à eux, les chirurgiens-dentistes ont de moins en moins de temps à accorder à la relation praticien-patient. Or, cette dernière est à la fois la clé d'une prise en charge réussie et d'une vie professionnelle épanouie.
Avec la mise en place du panier à reste à charge zéro, « on est loin du 100 % sécu qui constituerait un véritable RAC0 », a lancé Laurence Cohen en ouverture du colloque. Pour la sénatrice du Val de Marne – groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, « le risque est grand » d'une répercussion de la hausse des coûts par les complémentaires ou d'une réduction des paniers de soins proposés. Mais surtout, cette réforme « laisse de côté les citoyens les plus démunis qui ne disposent pas de complémentaire santé, soit 4 à 5 millions de Français » et ne permet pas de répondre aux difficultés d'accès à la santé bucco dentaire dues aux inégalités sociales. Une étude de la Dress menée en 2015 sur les enfants d'ouvriers a montré qu'en CM2, les enfants d'ouvriers ont 1,5 fois plus de chance d'avoir une carie que ceux des cadres.
L'examen des raisons du non recours aux soins des personnes bénéficiant de la CMU est révélateur de problèmes qui dépassent les raisons financières. Caroline Desprès, médecin anthropologue, a exploré ce sujet à travers des monographies. Cette chercheuse a ainsi montré les « multiples déterminants » du non recours aux soins de personnes bénéficiant de la CMU dont, la méfiance à l'égard des institutions et des professionnels, les habitudes de soins qui ne se sont pas ancrées dès l'enfance ou encore, les expériences antérieures traumatisantes.
Les inégalités de santé orales s'ancrent dès l'enfance et impactent le développement de l'enfant dans son ensemble, expose Estelle Machat, MCU-PH à l'Université de Clermont-Ferrand qui a étudié le cas des enfants de la ZEP à Clermont-Ferrand. Dans cette population, le nombre moyen de dents cariés à 5 ans est 5 fois supérieur à la moyenne nationale. La majorité des enfants poly cariés est d'un poids inférieur à la moyenne des enfants de leur âge. Cette situation les confronte dès le départ dans la vie à un faisceau de difficultés qui entravent leur développement. Ils ne jouent plus, ne peuvent pas se nourrir à la cantine à cause de leurs gênes pour mastiquer et déglutir, ont des problèmes de sommeil... Des difficultés qui impactent leur capacité de concentration et d'apprentissage et in fine leur niveau scolaire.
Quelle démarche adopter pour ramener au soins les personnes en situation de grande précarité qui restent en marge de la santé bucco dentaire ? Les résultats de M't dents montrent bien que ce n'est pas la gratuité qui fait venir massivement au cabinet dentaire. D'autres leviers sont à trouver au delà de la profession elle-même.
Au tout début de la vie par exemple, « l'impact des sage femmes est extraordinaire » auprès des femmes enceintes, relève Edmée Bert, chirurgien dentiste référent bucco dentaire à l'ARS Ile de France, ajoutant que la santé bucco dentaire « ne relève pas que des odontologistes mais de la totalité des professionnels de santé ». « L'information des mamans dans les PMI est un levier important » renchérit Martine Dame, coordinateur des centres dentaires de Nanterre. « C'est dans ces années là, en crèche et avant, que les parents sont très réceptifs », confirme un chirurgien–dentiste Grenoblois qui a formé à la prévention bucco dentaire des professionnels de 6 crèches de la ville après avoir dépisté 189 enfants qui entraient en maternelle. Sur l'ensemble, 59 ne connaissaient pas la brosse à dent, 6 étaient poly cariés, et les boissons sucrées. La cohorte d'enfants sera suivie pendant trois ans pour observer l'impact que peuvent avoir ces personnes relai.
L'opération lancée en 1991 dans le Val de Marne montrent que les résultats peuvent être au rendez vous. Le département mène des actions d'information, de prévention et de dépistage dans les PMI, les crèches, les écoles, puis les collèges depuis 2003, en s'appuyant sur le réseau de soins libéral, les centres de santé et centres hospitaliers du département. Résultat : 82,3 % des enfants de 6 ans sont en bonne santé bucco dentaire et plus précisément 79 % des enfants de moins de 6 ans n'ont jamais eu de caries (63 % en moyenne nationale).
Auprès des familles, des personnes isolées, des solutions diverses sont expérimentées.
Pour ramener aux soins des personnes en situation précaires dans un état de santé très marqué par le renoncement aux soins, l'AOI-réseau social dentaire 94 a recours à la « la médiation », « ça coute, mais c'est un cout relatif par rapport à l'impact », estime Isabelle Thiébot. Car pour cette praticienne, l'information et l'accompagnement permettent d'inverser le renoncement aux soins dentaires de ces populations. Plusieurs conditions doivent être cependant réunies. Il faut que le réseau soit partenaire des structures sociales qui l'environnent, qu'il ait une bonne connaissance du maillage des structures de soins, et qu'il s'insère dans le service d'odontologie de l'hôpital Charles Foix.
« Mais il faut former les personnes relai », remarque Thomas Mercier, chirurgien-dentiste à l'ARS du Grand Est qui regrette l'absence d'impulsion pour « amener la santé » des personnes qui ont peu de ressources, des personnes âgées et des détenus. « On aimerait qu'il y ait des orientations nationales dans ce sens », demande ce praticien conseil.
S'il n'existe effectivement pas d'orientations nationale, il existe en revanche une initiative émanant de l'Assurance Maladie et qui couvre l'ensemble du territoire. Ses 101 CPAM sont dotées de cellules de renoncement aux soins depuis juin 2018. Ces cellules appelées les Pfidass (voir encadré) « ont ce rôle de médiation pour les personnes qui renoncent aux soins ou qui ne comprennent pas le système de santé », explique le chirurgien-dentiste conseil, référent Pfidass à la CPAM du Havre. Elles « prennent totalement en charge l'assuré, effectuent les relances téléphoniques , obtiennent les rendez-vous, tiennent la main de la personne pendant le temps ou elle en a besoin. Ensuite arrive le problème financier. On travaille sur les devis. Le service d'aide financière de l'Assurance maladie prend le relais. Un assuré peut faire une demande d'aide quand il a un reste de soins prothèse ou quand les actes ne sont pas pris en charge ».
Les nombreuses réactions de surprises dans la salle montrent à quel point ce type de structure reste mal connu. « On ne sait pas s'emparer de certaines politiques publiques parce qu'on ne les connaît pas », s'étonne Sylvie Azogui Levy, PU-PH à Garancière !
Le Secours Populaire a lancé plusieurs initiatives de médiation en fonction des publics et des situations. Il a mis en place des « relais santé » qui reçoivent les personnes, les écoute leur ouvre des droits et les orientent vers des partenaires, professionnels de santé, centres de santé, hôpitaux. L'association mène aussi des actions de prévention sous la forme d'ateliers en famille pour apprendre le brossage des dents et comprendre les raisons de ce geste. Ces ateliers donnent lieu à un temps de dépistage par des chirurgiens-dentistes bénévoles et, si besoin, les personnes sont orientées pour des soins. Une antenne en Haute Garonne tient une permanence santé hebdomadaire pour les SDF qui propose des actions de prévention bucco dentaire organisées de façon ludique. Le but est d'essayer de faire revenir dans le soins un public qui en est très éloigné. « On ne peut pas avoir une standardisation des procédures. Il y a une multiplicité de publics – migrants, rupture d'emploi... –, il ne peut donc pas y avoir une réponse unique. Il y a une finesse de travail et de réflexion à avoir », conclut Sylvie Azogui-Lévy.
Anne-Chantal de DivonneLe taux de participation des jeunes de 21 et 24 ans au programme M't Dents a atteint 40 % après la première année d'application. Ce résultat est « plutôt positifs », alors « qu'aucune campagne de communication n'a encore été lancée », a estimé Martine Guionet, en charge du programme M'T Dents à la CNAM, au cours du colloque sur les inégalités sociales et l'accès à la santé bucco dentaire organisé au Sénat le 21 juin à l'initiative de Laurence Cohen, sénatrice du Val de Marne. « Pour une première année de mise en œuvre sur une population étudiante ou qui entre sur le marché du travail et qui se caractérise par un fort renoncement aux soins, on a été heureusement surpris, » a poursuivi Martine Guionet. L'extension du programme au enfants de 3 ans n'a commencé qu'au cours du 2e semestre.
Le programme d'accompagnement en milieu scolaire qui a été mis en place pour les enfants de 6 ans au niveau national, a été recentré il y a quelques années sur des territoires plus ciblés, en direction des populations les plus déshéritées. Il est mené en partenariat avec les ordres départementaux, les syndicats et l'éducation nationale. Ce sont des actions de sensibilisation pour dédramatiser l'image du chirurgien-dentiste, donner des connaissances de base sur l'hygiène buccodentaire, aider à la gestuelle du brossage et inciter les parents à emmener leurs enfants chez un praticien. Des dépistages sont aussi proposés dans les écoles soit par des chirurgiens-dentistes, soit par des étudiants en chirurgie dentaire. Lorsque des soins sont à réaliser et quand nécessaire, un accompagnement est mis en place. « C'est un travail très lourd des services de la caisse et des chirurgiens-dentistes qui doivent organiser leur planning pour « récupérer » ces enfants et accompagner cette offre de soins. Mais les résultats sont plutôt bons, » note Martine Guionet.
Ces actions menées au niveau local mobilisent plus d'un million d'euros sur un budget annuel de l'assurance maladie de 63 millions consacré à l'ensemble du programme M't Dents.
Afin de lutter contre le renoncement aux soins, l'Assurance Maladie a généralisé progressivement depuis 2017 un nouveau dispositif à l'ensemble du territoire : la Plate-Forme d'Intervention Départementale pour l'Accès aux Soins et à la Santé (PFIDASS).
Le dispositif a été mis en place après qu'une étude réalisée par l'Observatoire des non recours aux droits et aux services (Odenore) dans 71 CPAM a montré que plus de 25 % des personnes interrogées dans les accueils de l'Assurance Maladie étaient concernés par des situations de renoncement. La Plateforme PFIDASS fonctionne maintenant depuis la mi 2018 dans les 101 CPAM. Elle a pour but de détecter ces personnes soit lors de leur passage à la CPAM, soit lors de leur passage dans une structure partenaire (professionnel de santé, hôpital, service social, pôle emploi, caf...) et de leur proposer un accompagnement personnalisé global, du recours aux droits jusqu'à la réalisation des soins.
Concrètement, lorsqu'une difficulté d'accès aux soins est repérée, trois niveaux d'accompagnement peuvent être proposés :
– un accompagnement administratif pour aider la personne à bénéficier des droits adéquats ;
– une orientation et un suivi dans le système de soins et de santé pour informer et conseiller l'assuré dans l'identification et la sélection des professionnels de santé à solliciter ;
– un accompagnement financier pour identifier les solutions permettant de financer le reste à charge.
L'assistante sociale est « élément majeur de l'existence et du fonctionnement de la PASS », affirme Lisa Friedlander, MCU PH en odontologie prothétique, référent PASS bucco dentaire depuis 2004 à l'Hôpital de La Pitié Salpêtrière. De fait, c'est elle qui accueille les patients en renoncement aux soins pour raisons financières, quelque soit leur situation. Après une première consultation dans le service d'odontologie pour élaborer une ébauche de plan de traitement, l'assistante reçoit le nouveau patient pour « un entretien de vie ». « C'est un long échange pendant lequel beaucoup de choses sont dites qui vont apporter des éléments au dossier social », explique Lisa Friedlander. Plus de 600 entretiens sociaux sont ainsi menés chaque année. Une « charge considérable » pour l'assistante sociale de cette PASS qui compte une file active de 1 000 patients par an, dont la moitié sont nouveaux ; des patients plutôt jeunes mais une proportion importante de personnes âgées disposant de petites retraites.
Les éléments rassemblés sur chaque personne reçue sont examinés chaque mois par une commission d'admission composée de représentants de l'administration de l'hôpital, d'un expert médical, des référents de la Pass et d'un travailleur social, afin d'évaluer la possibilité de financer le plan de traitement envisagé.
« On ne fait pas du soins social. Les patients sont soignés comme tous les autres dans le service d'odontologie », tient à préciser Lisa Friedlander. Mais la réalisation du traitement peut prendre beaucoup de temps. Les plans deréhabilitation entrent dans le panier CMUC, sauf pour les soins de parodontie et la stabilisation de prothèses complètes mandibulaires par deux implants. C'est là qu'intervient un protocole universitaire signé avec Zimmer* qui permet au patient de bénéficier d'une solution implantaire. Grâce à ce protocole, les étudiants se familiarisent avec la technique implantaire en posant un à deux implants par an à des patients dans un cadre simple, défini par la PASS, sans mise en condition tissulaire.
Les soins à la Pass, c'est aussi « souvent la seule rencontre dans la vie des futurs chirurgiens-dentistes libéraux avec des populations fragiles socialement, des migrants... Ils passent beaucoup de barrières mentales et psychologiques, » conclut Lisa Friedlander
« Le RAC zéro part d'une bonne intention sur le fond. Mais pas sur la forme ! Les gens sont venus. Il a fallu leur dire que cela ne concernait qu'un type de pratique, qu'il fallait avoir une mutuelle... Nous avons à gérer l'humain derrière ! »
Martine Dame, présidente du Syndicat National des chirurgiens des centres de santé.