Clinic n° 12 du 01/12/2019

 

Dermatologie buccale

Philippe LESCLOUS  

Une patiente de 59 ans consulte pour bilan bucco-dentaire. Il est découvert de façon fortuite une lésion nodulaire violacée du trigone rétro-molaire gauche. L'ancienneté de celle-ci est donc impossible à estimer. Son principal antécédent médical est une infection au virus de l'immuno-déficience humaine (VIH) de type 1 à charge virale indétectable sous thérapie antivirale (dolutégravir et abacavir). Sa consommation tabagique est estimée à 50 paquets année.

Examen...


Une patiente de 59 ans consulte pour bilan bucco-dentaire. Il est découvert de façon fortuite une lésion nodulaire violacée du trigone rétro-molaire gauche. L'ancienneté de celle-ci est donc impossible à estimer. Son principal antécédent médical est une infection au virus de l'immuno-déficience humaine (VIH) de type 1 à charge virale indétectable sous thérapie antivirale (dolutégravir et abacavir). Sa consommation tabagique est estimée à 50 paquets année.

Examen clinique

Une lésion violacée du trigone rétro-molaire gauche de 4 cm non douloureuse, régulière et bourgeonnante sur le versant lingual est bien visible lors de l'examen intra-oral (fig. 1).

La palpation est indolore et retrouve une induration sous-jacente.

L'examen du reste de la cavité buccale est sans particularité, les aires ganglionnaires sont libres.

Démarche diagnostique

Suite à l'examen clinique, un orthopantomogramme est réalisé afin de rechercher une éventuelle extension de la lésion à l'os sous-jacent. Celui-ci ne révèle aucune anomalie.

Devant l'aspect de cette lésion et tenant compte de l'antécédent d'infection au VIH, la première hypothèse envisagée est celle d'un sarcome de Kaposi. On ne peut néanmoins pas écarter un carcinome épidermoïde ni un lymphome. Une biopsie est donc indispensable.

Celle-ci est réalisée sous anesthésie locale au niveau du dôme de la lésion (fig. 2).

Le résultat histologique montre une lésion épithéliale de différenciation glandulaire dont la nature exacte est difficile à préciser. Il n'est pas possible de préciser le caractère primitif ou secondaire de celle-ci ainsi que son histopronostic. Il est donc programmé une nouvelle biopsie plus large que la première. L'examen anatomo-pathologique retrouve alors une persistance de la prolifération tumorale antérieurement observée. Il s'agit d'une lésion tumorale épithéliale dont la nature et l'histopronostic restent difficiles à préciser. Certains éléments orientent vers une tumeur salivaire.

Prise en charge thérapeutique

Du fait de l'absence de résultat anatomopathologique précis et dans un contexte préoccupant, il est décidé lors d'une réunion de concertation pluridisciplinaire de réaliser une exérèse de la lésion.

L'examen histologique de la pièce opératoire montre, en surface, un épithélium malpighien discrètement hyperplasique, de morphologie normale. Au sein du chorion, on observe une prolifération tumorale de nature épithéliale caractérisée par des cellules de grande taille comportant des cytoplasmes éosinophiles et des noyaux arrondis, centrés par un nucléole. Il n'existe pas d'atypie franche. Ces éléments dessinent des travées ou des glandes, centrées sur un matériel sécrétoire (fig. 3).

L'étude immuno-histochimique réalisée pour préciser le diagnostic montre un marquage intense avec l'anticorps anti-protéine S100. Il existe un marquage focal avec l'anticorps anti-MamaGlobuline (MGB). Enfin, quelques cellules sont marquées par l'anticorps DOG 1. La positivité aux anticorps S100 et MGB signe plutôt un carcinome salivaire mammaire alors que celle à DOG signe plutôt un carcinome à cellules acineuses.

En résumé, cet examen montre des éléments histologiques en faveur d'un carcinome pseudo-salivaire mammaire de bas grade de malignité de type sécrétoire mais le diagnostic de carcinome à cellules acineuses ne peut être réfuté. Dans les deux cas, il s'agit d'une lésion maligne.

Commentaires

Ce cas illustre bien la complexité diagnostique de certaines lésions, même avec des examens histologiques répétés.

Le carcinome sécrétoire salivaire pseudo-mammaire (ou MASC pour Mammary Analogue Secretory Carcinoma) a été ajouté en 2017 à la quatrième édition de la classification des tumeurs de la tête et du cou de l'Organisation mondiale de la santé. La plupart de ces tumeurs sont localisées sur la glande parotide et très peu de cas ont été rapportés dans les glandes salivaires mineures de la muqueuse buccale. Cette entité tumorale présente de nombreuses ressemblances morphologiques et génétiques avec le carcinome sécrétoire du sein, en particulier une translocation chromosomique t(12;15)(p13;q25) intéressant les gènes ETV6 et NTRK3. Cette tumeur maligne mal connue et de présentation non spécifique risque de voir sa prévalence augmenter par les progrès du diagnostic génétique.

Le principal diagnostic différentiel, comme nous en avons l'exemple ici, est le carcinome à cellules acineuses. Dans les deux cas, ce sont la plupart du temps des tumeurs malignes de bas grade avec un profil évolutif favorable. Leur risque de métastase est faible. Leur traitement est essentiellement chirurgical dans un premier temps.

À lire

  • Badoual C. Les glandes salivaires : le point sur les nouveautés en cytopathologie et pathologie. Carrefour Pathologie, 2018. https://carrefour-pathologie.org/wp-content/uploads/2018/12/339-BADOUAL.pdf
  • Durga P, Michiko N, Bhoj Raj A, Daichi H, Aya O, Tetsuro M et al. Secretory carcinoma of minor salivary gland in buccal mucosa: a case report and review of the literature. Case Reports in Pathology 2019;Article ID 2074504:8 pages. doi.org/10.1155/2019/2074504.