Cariologie
Sophie DOMEJEAN* Nicolas PROMENZIO**
*Département d'odontologie conservatrice, Université Clermont Auvergne, UFR d'Odontologie
**Centre de recherche en odontologie clinique EA 4847
***CHU Estaing Clermont-Ferrand, Service d'odontologie
****Clermont-Ferrand
*****Exercice libéral
******Bologne (52)
Quelles sont les attentes des patients lorsqu'ils vont chez le dentiste ? Que connaissent-ils de la maladie carieuse et ses traitements ? Les réponses à ces deux questions pourraient éclairer la profession pour tenter de mieux répondre aux attentes des patients et de mieux orienter les campagnes d'information et de prévention en matière de cariologie.
L'Intervention minimale (IM) en dentisterie est un mouvement qui a émergé dans les années 1986-1987 [
Quelles sont les attentes des patients lorsqu'ils vont chez le dentiste ? Que connaissent-ils de la maladie carieuse et ses traitements ? Les réponses à ces deux questions pourraient éclairer la profession pour tenter de mieux répondre aux attentes des patients et de mieux orienter les campagnes d'information et de prévention en matière de cariologie.
L'Intervention minimale (IM) en dentisterie est un mouvement qui a émergé dans les années 1986-1987 [1, 2]. Ses points clefs en matière de cariologie sont au nombre de six comme l'a rappelé, en 2017, la Fédération dentaire internationale (FDI) [3] :
• la détection précoce des lésions carieuses, l'évaluation de leur activité et l'évaluation du risque carieux ;
• la reminéralisation de l'émail et de la dentine touchés par le processus carieux ;
• la mise en œuvre de mesures visant à ce que les dents saines restent saines ;
• un intervalle de rappel déterminé cas par cas ;
• des procédures restauratrices (opératoires) invasives a minima afin d'améliorer la longévité de la dent sur l'arcade ;
• la réparation des restaurations défectueuses plutôt que leur remplacement.
Malheureusement, il semble que, plus de 30 ans plus tard, ce concept ne soit toujours pas intégré en pratique quotidienne en France comme l'ont montré des enquêtes par questionnaire à propos de l'évaluation du risque carieux [4, 5], des scellements (préventifs et thérapeutiques) [6], du seuil des traitements restaurateurs [7] ou encore à propos de la prise en charge des lésions carieuses para-pulpaires [8, 9] ou de celle des restaurations défectueuses [10].
Faire évoluer les pratiques professionnelles prend du temps [11] et implique de travailler sur plusieurs axes [12] : la formation initiale (des futurs chirurgiens-dentistes – CD – dans les facultés de chirurgie dentaire) ainsi que la formation continue (des CD en exercice) mais aussi la rémunération des actes et la demande du patient. Si, selon les dernières recommandations européennes, l'IM doit faire partie de la formation initiale [13], il semble qu'en France les CD en exercice ne sont pas encore tous formés à l'IM. En effet, des enquêtes par questionnaire ont montré que 12 % environ des répondants ne savaient pas ce qu'est l'IM [4, 5] et que 60 % environ [6] n'avaient, en 2015, jamais suivi de formation continue dans ce domaine. Considérant la rémunération des actes, une inadéquation a été relevée entre l'IM et la classification commune des actes médicaux (CCAM) (et donc le système de rémunération des CD et de remboursement des patients). Il apparaît que, malheureusement, le système de santé français encourage toujours le modèle curatif et invasif au détriment du modèle préventif et non ou peu invasif [14]. Le dernier levier à l'évolution des pratiques professionnelles est lié à la demande du patient mais cette facette est rarement étudiée dans le domaine de la cariologie.
Il existe quelques travaux sur la satisfaction des patients lors de leurs visites chez leur CD : comparaison entre IM et dentisterie traditionnelle (invasive) [15, 16], évaluation du ressenti des patients par rapport à un soin (en considérant, outre le soin lui-même, la prise de rendez-vous, les explications données par le CD ou l'état des locaux) [17-19], comparaison entre satisfaction du CD et celle du patient par rapport à un soin donné [20] ou, encore, comparaison de la satisfaction des patients entre deux lieux de soin [21, 22]. D'autres études ont cherché à investiguer les raisons d'insatisfaction des patients [23] ou encore à développer, en collaboration avec des patients, un outil d'évaluation de leur satisfaction [24].
Il a été décrit que les attentes des patients ont largement évolué au cours du dernier siècle. En effet, si, au début du xxe siècle, il était acceptable de perdre ses dents aux alentours de 40 ans, il est aujourd'hui primordial de vouloir les conserver le plus longtemps possible en utilisant tous les traitements à disposition [25]. Malheureusement, il semble que la confiance accordée aux CD soit limitée [26-28]. Si la satisfaction et la demande des patients en dentisterie sont deux volets étroitement liés, elles représentent cependant deux entités. Il est dommageable qu'aucune donnée française sur ces deux points ne soit actuellement disponible. En effet, connaître/comprendre les attentes et connaissances des patients en matière de prise en charge de la maladie carieuse et de ses lésions pourrait permettre d'orienter les campagnes d'information et de prévention pour susciter la demande spontanée, de la part des patients, de soins répondant au concept d'IM lorsqu'ils consultent leurs CD qui, en retour, seront plus enclins à se former à ce concept.
Les objectifs du présent travail sont donc de répondre à deux questions – « Quelles sont les attentes des patients lorsqu'ils vont chez le dentiste ? » et « Que connaissent-ils de la maladie carieuse et ses traitements ? » – par le biais d'une étude pilote réalisée auprès de 100 patients du Service d'odontologie du Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Clermont-Ferrand à l'aide d'un questionnaire développé spécifiquement à cet effet.
Une étude descriptive a été réalisée pour répondre aux deux questions décrites précédemment.
• Schéma de l'étude. Enquête transversale.
• Questionnaire. Spécialement développé pour le présent projet en se fondant, notamment, sur les travaux de Mitchell et al. [15] (sur la comparaison de la satisfaction des patients entre soins invasifs et non invasifs en cariologie) et de Armfield et al. [28] (sur la confiance des patients envers leur CD). Il comporte 5 sections distinctes :
– profil des répondants,
– caractéristiques attendues chez un CD,
– attentes des patients pour un soin en cariologie,
– connaissance des patients sur les lésions carieuses et les soins possibles,
– avis à propos de la prise en charge actuelle des soins préventifs en France.
• Pilotage [29]. Réalisé dans le Service d'odontologie du CHRU de Clermont-Ferrand, après accord du chef de service, par auto-administration du questionnaire à 102 patients volontaires ayant consulté pour des soins d'odontologie conservatrice et endodontie du 28 janvier 2019 au 12 février 2019.
• Analyses. Descriptive et statistique (test du χ2 avec un seuil de significativité à 5 % pour évaluer l'influence des caractéristiques socio-démographiques des patients sur leurs attentes et connaissances en cariologie). Dans la plupart des cas, les résultats des tests n'étaient pas interprétables en raison de trop faibles effectifs.
Le tableau 1 présente les caractéristiques socio-démographiques des répondants. La répartition hommes/femmes est équilibrée (respectivement 51,5 % et 48,5 %) ; la moyenne d'âge des répondants est de 47,5 ± 18,3 ans. Il s'avère que 8,9 % des répondants diffèrent leurs visites à plus de 2 ans d'intervalle et que 22,7 % ne consultent qu'en cas d'urgence. Il apparaît que les hommes consultent plus fréquemment uniquement en cas d'urgence que les femmes (31,4 % contre 14,3 %) (p = 0,042). Les deux raisons principales motivant le choix du Service d'odontologie du CHRU de Clermont-Ferrand comme lieu de soin sont une décision personnelle (49 %) et la recommandation par un proche (32,4 %). Concernant la perception des répondants de leur état de santé orale, 40,2 % la jugent « moyenne », 33,3 % « bonne ou excellente » et 26,5 % « mauvaise ou très mauvaise ». Si 40,2 % des répondants se disent relaxés à l'idée d'une visite chez le CD, 37,3 % déclarent être légèrement tendus et 22,5 % très anxieux ou même physiquement malades.
Lorsqu'ils sont interrogés sur l'importance accordée à différents traits de caractère de leur CD, les répondants placent, comme « très important ou extrêmement important » et en première position, le fait qu'il leur inspire confiance (91 %) (tableau 2) ; viennent ensuite la bienveillance (89,2 %), le fait d'être rassurant (85,3 %), qu'il explique bien les soins (81,3 %) et qu'il prenne en compte l'anxiété éventuelle (77,5 %).
Le tableau 3 présente l'importance accordée par les répondants à différentes caractéristiques directement liées aux soins dentaires prodigués. Parmi sept proposées, les trois plus fréquemment cités comme étant « très importants ou extrêmement importants » sont ne pas avoir mal (79,1 %), que le soin soit esthétique (77,2 %) et que le soin soit le moins destructeur possible (77 %). A contrario, les patients ont jugé « pas, peu ou moyennement important » le fait que les séances de soins soient courtes (76 %) et de devoir venir plusieurs fois pour soigner une même dent (64,7 %).
Le tableau 4 présente les réponses aux questions posées dans le but d'évaluer ce que connaissent les patients à propos de quelques points essentiels sur la maladie carieuse et ses traitements. Si la très grande majorité des répondants connaît le rôle néfaste du sucre (94,1 %), l'importance du brossage biquotidien (98 %) et celle d'un suivi régulier (92,1 %), il semble que le rôle du fluor soit plus mal connu. En effet, seuls 54,9 % connaissent son importance et 32,4 % savent que son dosage doit être adapté à l'âge. Il apparaît aussi que les patients connaissent mal les alternatives aux soins invasifs traditionnels ; par exemple, 72,5 % ne connaissent pas les soins non-invasifs (vernis, bains de bouche...) et 65,5 % ne savent pas que des tissus cariés peuvent être, dans certains cas, laissés sans risque sous une restauration.
Pour finir, des questions sur les soins préventifs étaient présentées aux patients ; il s'avère que 78,2 % des répondants considèrent comme anormal le fait que les soins de prévention ne soient pas remboursés par l'Assurance maladie. Concernant le fait de payer (sans remboursement) pour des soins préventifs, les avis divergent : en effet, si 45,1 % des répondants sont enclins à payer « de leur poche » pour des soins préventifs, 33,3 % ne le sont pas et 21,6 % restent sans opinion.
Un questionnaire visant à l'étude des attentes et connaissances des patients en matière de maladie carieuse a été développé en se fondant, notamment, sur deux travaux [15, 28] portant sur la satisfaction et les attentes des patients en matière de soins en cariologie. De format court (une page A4 recto-verso) pour ne pas lasser les répondants, il utilise volontairement des termes simplifiés et parfois peu scientifiques (par exemple, « caries » au lieu de « lésions carieuses ») pour une meilleure compréhension par le plus grand nombre. L'étude pilote a permis de tester le questionnaire et son auto-administration ; quelques points mineurs, essentiellement liés à la mise en page, devront être corrigés pour une utilisation à plus grande échelle.
Il apparaît que la grande majorité des répondants appréhende les soins dentaires ; en effet, 59,8 % se déclarent de « légèrement tendus à physiquement malades » à l'idée des visites chez le CD (tableau 1). Ceci est à mettre en parallèle avec le fait que, parmi les caractéristiques liées au CD citées comme étant les plus importantes, arrivent en tête la bienveillance (89,2 %), le fait d'être rassurant (85,3 %) et celui qu'il explique bien les soins (81,3 %) (tableau 2).
Il semble que le niveau de connaissance sur la maladie carieuse et sa prise en charge est variable.
Si l'importance du brossage biquotidien semble intégrée, celle du dentifrice fluoré et de ses modalités d'utilisation l'est moins. Il semble nécessaire d'informer largement le public sur ces points, notamment au moment où les recettes de dentifrices non fluorés dits « bio » ou « faits maison » fleurissent sur Internet. De plus, il apparaît que la grande majorité des patients ne connaît pas les alternatives aux soins invasifs. Aussi, comme l'explique Mitchell et al. [16], ce manque de connaissance est certainement un frein à leur réalisation et prodiguer des informations permet de diminuer le nombre de patients refusant ces alternatives ultra-conservatrices. Il pourrait être avancé que les soins non invasifs sont moins connus car moins proposés aux patients en raison de leur manque de reconnaissance dans la CCAM. Il se peut cependant que le frein administratif et donc financier soit surtout dans l'imaginaire du soignant car, en effet, 34,6 % des personnes interrogées déclarent comme « pas à moyennement important » le fait que les soins soient totalement remboursés (tableau 3) et 45,1 % seraient prêts à ne pas être remboursés pour des soins préventifs.
Il serait important d'administrer le questionnaire à une plus large population afin de décrire les attentes et connaissances des patients en matière de prise en charge de la maladie carieuse et de ses lésions. Ceci pourrait permettre d'orienter les campagnes d'information et de prévention pour susciter la demande spontanée, de la part des patients, de soins répondant au concept d'IM lorsqu'ils consultent leurs CD qui, en retour, seront plus enclins à se former à ce concept.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.