Parodontologie
Kevimy AGOSSA* Marie DUBAR** Élisabeth DELCOURT-DEBRUYNE*** Florence SIEPMANN****
*MCU-PH
**Faculté de chirurgie dentaire de Lille
***Université Lille, Inserm, CHU Lille, U1008 - Controlled Drug Delivery Systems and Biomaterials
****Lille
*****AHU
******Faculté de chirurgie dentaire de Lille
*******Lille
********PU émérite
*********Faculté de chirurgie dentaire de Lille
**********Université Lille, Inserm, CHU Lille, U1008 - Controlled Drug Delivery Systems and Biomaterials
***********Lille
************PU
*************Faculté de Pharmacie de Lille
**************Université Lille, Inserm, CHU Lille, U1008 - Controlled Drug Delivery Systems and Biomaterials
***************Lille
Dans 30 % environ des poches parodontales, l'instrumentation mécanique seule ne suffit pas à obtenir le succès thérapeutique. Les sites actifs persistants sont à risque élevé de progression et nécessitent souvent des traitements complémentaires. Les adjuvants antimicrobiens potentialisent l'effet du débridement mécanique et peuvent limiter le recours à des traitements invasifs et plus coûteux. Leur administration dans la poche parodontale à l'aide de systèmes injectables à...
Dans 30 % environ des poches parodontales, l'instrumentation mécanique seule ne suffit pas à obtenir le succès thérapeutique. Les sites actifs persistants sont à risque élevé de progression et nécessitent souvent des traitements complémentaires. Les adjuvants antimicrobiens potentialisent l'effet du débridement mécanique et peuvent limiter le recours à des traitements invasifs et plus coûteux. Leur administration dans la poche parodontale à l'aide de systèmes injectables à libération prolongée semble une approche intéressante. Cet article propose une mise à jour des connaissances sur ce sujet.
Le succès du traitement parodontal dépend largement de l'efficacité des procédures mises en œuvre pour réduire la charge bactérienne dans les sites parodontaux et extra-parodontaux. Le débridement mécanique des poches parodontales est considéré comme le traitement de référence et suffit en général à contrôler la progression de la maladie. Cependant, la procédure est longue et fastidieuse. De plus, le résultat varie selon l'habileté de l'opérateur et le type de site à traiter. En effet, dans les poches parodontales profondes et lorsque l'anatomie radiculaire est complexe, l'efficacité du traitement mécanique est limitée, ce qui peut expliquer des résultats insuffisants dans certains sites [1]. Six mois après la thérapeutique initiale, environ 30 % des sites ne répondent pas aux critères de « succès » : une profondeur de poche (PPD) ≤ 4 mm, l'absence d'inflammation clinique et l'absence de signe de progression de la maladie [2]. De plus, certains facteurs généraux (tabac, diabète mal contrôlé, obésité) ont un effet négatif sur le résultat du traitement non chirurgical à moyen et long terme [3]. Les agents antimicrobiens ont pour but de compléter l'action mécanique. Les antibiotiques administrés par voie systémique (voie orale) sont couramment prescrits pour cet usage. Leur efficacité comme adjuvants du traitement mécanique a été démontrée dans de nombreuses études [3]. Cependant, la faible biodisponibilité des molécules utilisées contraint à administrer des doses élevées pour atteindre une concentration suffisante dans les tissus parodontaux, ce qui augmente le risque d'effets secondaires et de résistances bactériennes (tableau 1). La libération contrôlée d'antimicrobiens dans la poche parodontale vise à surmonter cette difficulté, d'une part, en contrôlant mieux le site d'action, le temps d'exposition, la dose délivrée et la cinétique de libération de la substance active et, d'autre part, en s'affranchissant du risque de faible observance du patient.
La poche parodontale bordée par un épithélium richement vascularisé et perméable peut servir de réservoir naturel pour la libération prolongée in situ d'une grande variété de principes actifs. Cependant, la poche parodontale est soumise à des contraintes mécaniques et biologiques qui favorisent l'élimination rapide des corps étrangers qui y sont déposés (fig. 1). C'est le cas des forces exercées sur la dent et son environnement lors des fonctions physiologiques et des manœuvres d'hygiène orale ainsi que du flux constant de fluide gingival. Différents systèmes (fibres, films, inserts, micro-particules, gels, etc.) ont été commercialisés comme support de libération d'antimicrobiens dans la poche parodontale. Les formes injectables sont les plus courantes sur le marché et semblent à ce jour les mieux adaptées (fig. 2). Leur performance dépend des propriétés du vecteur et du choix du principe actif.
• Le vecteur amène le principe actif à sa cible et assure son maintien in situ durant un temps suffisant. Pour cela, il doit, d'une part, être facile à mettre en place, s'adapter à l'anatomie du site et y être suffisamment rétentif et, d'autre part, être résorbable suivant la même cinétique que la cicatrisation tissulaire. En outre, ses produits de dégradation devront être biocompatibles.
• Le principe actif produit l'effet pharmacologique. Il doit être présent en quantité suffisante et libéré selon une cinétique contrôlée, ne pas être inactivé par des interactions avec le vecteur ou sur le site d'action, avoir une action qui respecte et/ou restaure l'équilibre de l'écosystème buccal et, enfin, présenter des effets secondaires négligeables.
• Gel à base de minocycline (Parocline) : c'est le seul antibiotique par voie locale actuellement disponible en France. Il est composé d'une matrice de polymère (Eudragit® RS) chargée avec 2 % de chlorhydrate de minocycline. Le fabricant recommande 3 à 4 applications espacées de 15 jours puis une application tous les 3 mois. Durant les 7 premières heures après l'application du gel, de fortes doses de minocycline sont retrouvées dans le fluide gingival puis la quantité de principe actif diminue. Cependant, durant les 3 jours suivant l'administration du gel, la dose de principe actif reste supérieure à la concentration minimale inhibitrice à 90 % (CMI90) in vitro de la plupart des bactéries parodonto-pathogènes [4]. Le passage systémique est négligeable mais, comme toute tétracycline, la minocycline est contre-indiquée chez la femme enceinte, allaitante, l'enfant de moins de 12 ans et l'insuffisant rénal.
• Gel à base de chlorhexidine (Chlo-Site) : il s'agit d'un gel de xanthane, polymère de type saccharide qui forme un gel visqueux et bio-adhésif. Le produit contient une combinaison de deux sels de chlorhexidine (CHX) : 0,5 % de digluconate de CHX et 1 % de dichlorhydrate de CHX. Le digluconate de CHX, très soluble, est libéré en 1 jour à des concentrations > 100 μg/ml. Le dichlorhydrate de CHX, peu soluble, est libéré plus lentement à des concentrations > 0,10 μg/ml pendant une période pouvant atteindre 2 semaines [5].
• Gel à base d'oxygène actif (Oxysafe) : il repose sur la technologie Ardox-X® qui met en jeu un complexe breveté d'hydro-carbone-oxo-borate sur des vecteurs de glycérol et de cellulose et qui libère de l'oxygène actif aux propriétés antimicrobiennes au contact de la salive. L'oxygène serait relargué sous une forme non cytotoxique, sans peroxydes ni radicaux libres, et aurait un effet sélectif sur les pathogènes anaérobies [6]. Le fabricant recommande l'utilisation du gel en combinaison avec le bain de bouche (Oxysafe Liquid) contenant la même technologie.
L'intérêt des antimicrobiens à libération lente comme adjuvant du traitement mécanique a été évalué dans de nombreux essais contrôlés randomisés menés généralement sur des patients atteints de « parodontite chronique » et dans des sites profonds (≥ 5 mm). Peu d'études ont un recul supérieur à 6 mois. Les résultats de ces études ont été analysés dans au moins 4 revues systématiques récentes (tableau 2). La réduction supplémentaire de poche moyenne avec ces dispositifs par rapport au débridement mécanique seul est statistiquement significative mais reste cliniquement très modeste, de l'ordre de 0,4 à 0,6 mm. Les tétracyclines et leurs dérivés sont les molécules les plus couramment administrées par voie locale. Elles permettent en moyenne une réduction supplémentaire de profondeur de poche (PPD) de – 0,5 à – 0,7 mm, supérieure aux résultats obtenus avec la chlorhexidine et le métronidazole (PPD : – 0,1 à – 0,4 mm). Deux revues systématiques suggèrent un intérêt potentiel chez les patients à risque parodontal élevé (fumeurs et diabétiques), en particulier dans les sites persistants, comme alternative aux antibiotiques systémiques. Toutefois, de nombreux biais et une forte hétérogénéité des produits utilisés, des protocoles et des résultats empêchent une évaluation claire du bénéfice clinique [3].
En France, l'utilisation des antibiotiques en parodontologie est régie par les recommandations de bonnes pratiques de prescription des antimicrobiens en médecine orale. Il n'existe pas de cadre réglementaire ni de consensus concernant les antiseptiques. Selon les recommandations en vigueur (ANSM 2011) l'utilisation des antibiotiques par voie locale en parodontologie n'est pas recommandée en raison de la faiblesse du bénéfice clinique et du niveau de preuve scientifique [7].
Des enquêtes menées dans différents pays donnent un aperçu de la prescription des antibiotiques par les chirurgiens-dentistes. Certaines se sont intéressées aux antibiotiques locaux. En Angleterre, 8,9 % des spécialistes en parodontologie les utilisent en première intention contre 5,5 % des omnipraticiens. Dans les poches persistantes, ce sont respectivement 30 % des spécialistes et 15 % des omnipraticiens qui en font usage [8]. En Allemagne, 6,2 % des dentistes utilisent des antibiotiques locaux et 20,8 % des dentistes utilisant des antibiotiques locaux ont recours à des tests microbiens [9].
Étant donné la nature à la fois inflammatoire et infectieuse des maladies parodontales, l'administration simultanée d'antimicrobiens et d'anti-inflammatoires est une piste intéressante qui a été jusqu'ici peu explorée. Le projet Imperio (In situ forming implant for periodontitis treatment) financé par l'Agence nationale de la recherche (2015-2019) avait pour but la mise au point d'un système original appelé « implant formé in situ » (IFIS) pouvant être facilement injecté sous forme liquide dans la poche parodontale où il forme, au contact de la salive, un semi-solide sur mesure et rétentif. Ce système composé de deux polymères biocompatibles, résorbables et muco-adhésifs – PLGA : acide Poly(D,L-lactique-co-glycolique) et HPMC : hydroxypropyl méthylcellulose –, a été chargé à la fois en chlorhexidine et en ibuprofène. Nos résultats montrent in vitro la supériorité de l'IFIS en termes de propriétés mécaniques et antimicrobiennes sur les systèmes actuellement commercialisés pour le même usage [10] (fig. 3). L'IFIS a libéré de façon progressive et simultanée les deux substances actives (chlorhexidine et ibuprofène) pendant plus de 1 mois. In vivo, chez la souris, l'administration de l'IFIS permet une réduction des scores histologiques d'inflammation et une meilleure cicatrisation de la poche [11] (fig. 4). Ces résultats préliminaires suggèrent que l'IFIS chargé à la fois en antiseptique et en anti-inflammatoire pourrait être une alternative efficace aux antibiotiques pour le traitement de poches parodontale récurrentes.
• L'optimisation des vecteurs : les progrès de la science des polymères permettent désormais de proposer des systèmes capables de changer de phase (liquide vers solide) sous l'effet de différents stimuli (pH, température, échange de solvants). Ces vecteurs innovants pourraient améliorer considérablement la facilité d'application, la rétention et in fine l'efficacité des dispositifs de libération dans la poche [12].
• La modulation de l'inflammation : la réponse inflammatoire de l'hôte joue un rôle clé dans la progression et la sévérité des parodontites. De nombreux agents immunomodulateurs pourraient être administrés localement dans la poche parodontale avec un meilleur rapport efficacité/effets indésirables que la voie générale. Parmi ces molécules prometteuses se trouvent les statines, aux propriétés anti-inflammatoires, antimicrobiennes et pro-régénératrices qui montrent un effet positif comme adjuvant local du traitement parodontal chirurgical ou non [13].
• L'application des nanotechnologies : l'utilisation de nanoparticules (≤ 100 nm) comme support de substances actives connaît un essor considérable. Les nanoparticules offrent un potentiel intéressant en raison de leurs propriétés antimicrobiennes, pour le transport de molécules innovantes telles que des anti-oxydants ou dans la régénération tissulaire. Le ratio bénéfice/toxicité reste cependant à clarifier [12].
La libération contrôlée de substances actives dans la poche parodontale reste une piste prometteuse pour traiter les poches parodontales persistantes en complément du débridement mécanique tout en limitant le recours aux antibiotiques systémiques et à la chirurgie. Le bénéfice clinique des systèmes actuels reste très modeste. Cependant, même les antibiotiques systémiques prescrits plus couramment ne montrent qu'un gain limité, avec une réduction supplémentaire de la profondeur de poche moyenne < 1 mm à 1 an ou plus. Les voies d'optimisation de ces dispositifs sont nombreuses à la fois pour améliorer leur maintien prolongé dans le site et pour y intégrer des molécules innovantes.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.