Restauration
Sophie-Caroline CAMPANA* Damien OSTROWSKI** Karim NASR*** Sarah GARNIER**** Sabine JONIOT***** Thibault CANCEILL******
*Interne en médecine bucco-dentaire, université Toulouse III-Paul Sabatier
**Hôpitaux de Toulouse
***AHU, université Toulouse III-Paul Sabatier (sous-section de réhabilitation)
****Hôpitaux de Toulouse
*****MCU-PH, université Toulouse III-Paul Sabatier (sous-section de réhabilitation)
******Hôpitaux de Toulouse
*******Pratique privée à Colomiers (31), Ancienne AHU à Toulouse
********MCU-PH, université Toulouse III-Paul Sabatier (sous-section de réhabilitation)
*********Hôpitaux de Toulouse
**********AHU, université Toulouse III-Paul Sabatier (sous-section de réhabilitation)
***********Hôpitaux de Toulouse
L'évolution de la structure et de la composition des composites a conduit à l'apparition des matériaux dits « bulk fill » qui sont spécifiquement conçus pour une mise en place en masse et une simplification du protocole d'utilisation. Toutefois, de tels matériaux doivent conserver des propriétés similaires aux résines conventionnelles, tout en étant insérés dans des cavités à la limite de l'indication d'une restauration indirecte collée. L'objectif est ici de...
L'évolution de la structure et de la composition des composites a conduit à l'apparition des matériaux dits « bulk fill » qui sont spécifiquement conçus pour une mise en place en masse et une simplification du protocole d'utilisation. Toutefois, de tels matériaux doivent conserver des propriétés similaires aux résines conventionnelles, tout en étant insérés dans des cavités à la limite de l'indication d'une restauration indirecte collée. L'objectif est ici de comparer succinctement les composites bulk avec les composites plus conventionnels et de dresser la liste de ceux qui sont disponibles sur le marché.
Les résines composites sont des matériaux composés d'une phase organique, d'une phase inorganique, et d'un agent de couplage aussi appelé « silane » [1]. La partie organique, constituée classiquement de monomères, correspond à la matrice du matériau, alors que la partie inorganique est représentée par des charges dont la nature varie selon les matériaux [2]. Depuis plus de 40 ans, le Bis-GMA représente le monomère le plus utilisé, mais le large éventail de matériaux disponibles sur le marché a vu émerger au fil du temps des composites comprenant en diverses proportions d'autres monomères comme l'UDMA ou encore le TEGDMA [3].
La plupart des charges sont des charges minérales à base de silice, mais les résines composites de dernière génération comprennent également des charges organiques, voire organo-inorganiques, c'est-à-dire des parts de matrice préalablement polymérisées qui sont incluses comme des charges à part entière. L'adjonction de différentes charges influence les propriétés finales du biomatériau, que ce soit sur le plan mécanique ou physique. En effet, l'augmentation du pourcentage des charges et la diminution de la taille de celles-ci ont pour effet d'améliorer l'état de surface et d'augmenter la résistance à l'usure. En revanche, avec des charges plus petites, les propriétés mécaniques générales sont réduites [4, 5].
Le silane assure, lui, un rôle de liant, autrement dit la cohésion de l'ensemble du matériau lors de la polymérisation. Il s'agit d'une molécule bifonctionnelle dont une extrémité réagit avec la résine matricielle et l'autre avec les charges [1]. L'importance du silane est telle qu'une technologie FSC (pour Full-Coverage Silane Coating) a vu le jour l'an dernier pour permettre la commercialisation d'une toute dernière génération de composites hypersilanisés. L'objectif est de renforcer davantage encore les propriétés mécaniques du biomatériau.
De façon conventionnelle, les composites sont appliqués selon un protocole bien établi. Après la pose du champ opératoire, l'éviction carieuse est réalisée et la cavité est mise en forme en respectant les principes d'économie tissulaire (fig. 1 à 4). Les becs d'émail non soutenus sont éliminés mais il n'est pas nécessaire de concevoir une cavité de dépouille, l'incrémentation du matériau se faisant par apports successifs. La suite des étapes dépend du choix du système adhésif, qui revient à chaque praticien selon son expérience et son plateau technique. L'Académie de dentisterie adhésive conseille plutôt l'utilisation d'un système auto-mordançant (SAM) en secteur postérieur quand l'accès à la cavité est plus difficile, alors qu'un système mordançage & rinçage (M & R) est plutôt recommandé en antérieur. Avec un M & R justement, un mordançage à l'acide orthophosphorique à 35 % est réalisé afin d'éliminer la boue dentinaire et d'ouvrir les tubulis dentinaires (fig. 5). Il sera suivi d'un rinçage total et d'un séchage sans déshydratation pour limiter le collapsus des fibres de collagène, puis un rinçage de la cavité à la chlorhexidine peut être entrepris pour ses actions bactéricides, d'inhibition des matrix metalloproteases (MMP) et d'abaisseur de la tension superficielle [6, 7]. La mise en place de l'adhésif doit être entreprise en brossant toutes les parois dentaires pour faciliter l'infiltration de la résine entre les fibres de collagène et ainsi créer une couche hybride (fig. 6). Un temps de photopolymérisation, variable selon les fabricants et les types d'adhésif, est nécessaire pour terminer sa mise en place.
S'en suit l'incrémentation de la résine composite par couches successives de 2 mm avec photopolymérisation entre chaque application (fig. 7 à 9). Sous l'effet de la lumière, un initiateur de polymérisation génère des radicaux libres qui conduisent à une activation des monomères par ouverture de leur double liaison C = C [1]. Activés, ces monomères s'assemblent en polymères et réticulent. Le respect d'une mise en place par incréments de 2 mm permet d'obtenir un meilleur taux de conversion, c'est-à-dire que l'efficacité de la réaction d'assemblage des monomères en polymères est supérieure [8]. En outre, les couches sont appliquées obliquement afin de réduire au maximum le facteur cavitaire (ou facteur C, représenté par le rapport [nombre de surfaces de composites collées aux parois dentaires de la cavité]/[nombre de surfaces de composites non collées aux parois]). En effet, moins la nouvelle couche de composite présente de surface de contact avec la dent, moins les interfaces tissu/résine risquent de présenter des contraintes [9].
Le gain de temps opératoire étant un argument de vente important des composites, le développement et l'amélioration des biomatériaux dans le champ de l'odontologie conservatrice depuis le début des années 2000 a conduit à la conception de nouveaux matériaux capables d'être incrémentés sur des couches d'épaisseur plus importante. Pour ces matériaux de placement de masse, appelés « bulk fill » par récupération de la dénomination anglo-saxonne, il a fallu adapter la structure et la composition de la résine pour permettre une simplification du protocole d'utilisation sans qu'il n'y ait de répercussion sur les performances cliniques du biomatériau [10]. En effet, si le composite présente l'avantage d'être implémenté en méthode directe au cabinet, il reste un matériau de restauration dont les propriétés mécaniques sont inférieures à celles des matérieux qui sont disponibles pour la réhabilitation indirecte. L'apport de modifications pour le rendre plus facile à manipuler ne devait ainsi pas compromettre davantage ce biomatériau. D'un point de vue physique, les composites bulk fill doivent être plus translucides que les composites conventionnels afin d'optimiser la pénétration de la lumière de photopolymérisation et donc la formation des chaînes de polymères jusqu'au cœur de la restauration [11]. Cela est lié en partie à leurs charges et à la moindre présence dans la matrice de différentes quantités de pigments comme le dioxyde de titane (TiO2), qui correspond à un agent opacifiant [12]. En contrepartie d'une translucidité plus élevée, les qualités esthétiques sont moindres et n'offrent pour ces matériaux qu'une gamme de teintes restreinte [13]. Ils possèdent en outre une proportion plus importante de relaxateurs de tension et une quantité supérieure d'agents initiateurs de la polymérisation (les photo-initiateurs) qui, en plus d'être plus sensibles que ceux retrouvés dans les composites conventionnels, permettront que cette dernière soit complète même pour les parties de la résine situées le plus profondément dans la cavité [14, 15].
Ils doivent également présenter une rétraction de prise très limitée pour éviter l'apparition de hiatus entre la dent et la résine après durcissement [16], surtout qu'une seconde couche de matériau est plus rarement appliquée si la première a été déposée en masse dans la cavité. Pour contrer le phénomène de contraction de polymérisation, plusieurs méthodes sont applicables chimiquement [17], d'autant que la principale cause d'échec clinique des restaurations directes par résine composite provient des variations volumétriques en rapport avec la structure même de leur matrice [18]. Premièrement, le recours à des monomères de haut poids moléculaire à inclure dans la matrice agit en faveur d'une réduction de la rétraction de prise. Ensuite, les bulk sont souvent déjà pourvus de polymères dans leur matrice avant même l'initiation de la polymérisation (fig. 10), ce qui a tendance à préfigurer, avant polymérisation totale, le volume qu'occupera le matériau une fois durci. D'autre part, l'augmentation du pourcentage des charges, en plus d'améliorer les propriétés mécaniques, permet de réduire notamment la rétraction de polymérisation [17].
En revanche, l'augmentation du taux de charges est incompatible avec la conception de matériaux fluides, c'est pourquoi cette option est difficile à mettre en œuvre pour les fabricants qui souhaitent proposer des matériaux flow.
La procédure de mise en œuvre des composites bulk fill diffère ainsi de celle des composites conventionnels, avec une incrémentation qui se fait désormais sur des couches plus épaisses (4 mm au lieu de 2 pour les précédents) [19] et ce, que le matériau soit fluide ou non (fig. 11 à 18).
Malgré le nombre très important d'études publiées depuis le début des années 2000 et comparant les propriétés mécaniques de composites bulk fill et conventionnels, les données ne permettent pas systématiquement de préférer un type de résine plutôt que l'autre, les propriétés étant très variables selon les matériaux [13, 20]. Les études publiées depuis le début de l'année 2019 confirment la tendance observée ces dernières années concernant l'équivalence globale des résultats entre ces composites.
In vitro, d'un point de vue mécanique, le type de fracture de restaurations mésio-occluso-distales en compression n'est pas influencé par le type de composite choisi [21]. Sur des échantillons conçus sur table et qui n'ont pas été mis en place sur des dents extraites, il a également été montré qu'il n'y avait pas de différence significative d'absorption hydrique entre les matériaux à placement de masse et ceux plus conventionnels [22]. Toutefois, la solubilité semble plus importante pour les bulk et les tests de microdureté réalisés sur la partie inférieure des barrettes donnent de moins bons résultats pour ces composites qui, ayant été polymérisés en une seule couche plutôt que par incrémentation régulière, peuvent ne pas avoir laissé diffuser suffisamment la lumière de photopolymérisation jusqu'à la base de l'échantillon [22]. En ce qui concerne les essais d'étanchéité en laboratoire, il a récemment été montré que, quel que soit le biomatériau choisi pour restaurer des cavités de point de contact, une infiltration marginale ne se révèle pas davantage prédictible pour le composite bulk fill ou pour le composite conventionnel [23]. Seul un non-respect des conditions d'application recommandées par le fabricant rend inéluctable la percolation du joint entre la restauration et les tissus dentaires [23]. Ainsi, malgré les limites inhérentes aux études sur dents extraites, il a été proposé de recommander davantage le recours à des composites incrémentés couche par couche sur des cavités présentant de larges plages d'exposition dentinaire [24].
Chez l'homme, les résultats de deux essais cliniques parus en 2019 confirment le bon comportement en bouche des bulk. L'un d'eux, étudiant l'impact du temps et de la puissance de photopolymérisation sur le comportement au long terme de ces matériaux, décrit un taux de réussite à un an proche de 90 % pour le critère basé sur l'apparition de colorations marginales, et de 100 % tous groupes confondus pour l'adaptation marginale [25]. Le second, réalisé sur 236 patients, a montré qu'il n'y avait pas de différences à 36 mois d'un point de vue de l'adaptation de restaurations (fracture, reprise carieuse...) réalisées avec un composite bulk fill mis en place soit en une couche, soit en plusieurs comme un composite conventionnel [26].
Le choix du composite sera basé sur les préférences d'utilisation du chirurgien-dentiste et sur la situation clinique à laquelle il doit faire face, selon la facilité d'accès à la cavité et sa profondeur. Un tableau décisionnel simple peut malgré tout être dégagé (tableau 1) pour aider à la prise de décision thérapeutique. La limite de l'utilisation des composites en méthode directe réside dans leurs indications, parfois à la limite avec la réalisation d'un inlay-onlay (en méthode indirecte donc). La liste des composites de placement de masse disponibles sur le marché est présentée dans le tableau 2.
Les résines bulk fill autorisent une mise en œuvre plus simple et un certain gain de temps dans le protocole opératoire. Cependant, le respect des conseils d'utilisation définis par les fabricants reste essentiel pour assurer la pérennité et l'étanchéité des restaurations. Le chirurgien-dentiste devra être particulièrement vigilant après dépose de la digue au contrôle de l'occlusion en statique et en dynamique, surtout s'il a placé un bulk en masse avec des risques de surocclusion importants. Les finitions ne diffèrent pas entre les matériaux puisqu'il est nécessaire de mener un polissage et un brillantage après vérification de l'adaptation du point de contact.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.