Juridique
Avocat au barreau de Paris
Il y a compérage lorsqu'on constate une collusion entre professionnels de santé ou avec un tiers, consistant à se procurer mutuellement des clients, l'un persuadant les siens qu'ils ont besoin des soins ou des produits d'un autre. Cette pratique est déontologiquement prohibée. Peut-on soutenir que l'appartenance à un réseau est constitutive de compérage ? Le Conseil d'État (CE, 19 décembre 2018, no 403426) répond par la négative.
Mme D., chirurgien-dentiste, a établi à l'intention d'un patient un devis relatif à la réalisation de soins dentaires. Ce patient a interrogé son organisme de protection complémentaire en matière de santé sur le niveau auquel ces soins seraient pris en charge. Après avoir délivré cette information, cet organisme lui a fait part de la possibilité de bénéficier d'un « reste à charge » plus limité en s'adressant à un chirurgien-dentiste affilié au « réseau de soins Santéclair » et lui a communiqué les noms de trois praticiens adhérents à cet organisme et installés à proximité de son domicile. Le patient s'est donc tourné vers l'un des praticiens.
Mme D. a porté plainte contre M. B., l'un de ces trois praticiens, devant la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne de l'Ordre des chirurgiens-dentistes. Elle soutenait notamment que M. B. consentait à un effort tarifaire en contrepartie de la garantie par Santéclair d'un « volume de patients ». Pour elle, le contrat conclu entre Santéclair et M. B. traduisait une relation de compérage prohibé par le code de la santé publique.
La demande de Mme D. ayant été rejetée en première instance par la chambre disciplinaire, puis en appel par la chambre disciplinaire nationale, Mme D. s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'État. La question posée est la suivante : « le contrat conclu entre un chirurgien-dentiste et un réseau mutualiste est-il constitutif de compérage ? ».
Le juge disciplinaire a analysé le contrat d'adhésion proposé par le réseau Santéclair et signé par M. B. Il s'agit d'un contrat conclu en vertu du I de l'article 2 de la loi du 27 janvier 2014 qui prohibe notamment les clauses d'exclusivité. À sa lecture, il apparaît que ce contrat ne stipule ni que les honoraires pratiqués par les praticiens adhérents varient selon que le patient est ou non bénéficiaire des services de Santéclair ni que Santéclair s'engage à orienter les patients bénéficiaires vers les praticiens adhérents. L'engagement contractuel de Santéclair consistait seulement à communiquer aux patients bénéficiaires de ses services, sur leur demande, les coordonnées des praticiens adhérents à Santéclair et les honoraires qu'ils pratiquent. Le Conseil d'État analyse donc ce contrat comme ne constituant pas un acte de compérage prohibé. En effet, il convient de noter que la collusion est écartée car le praticien adhère à un réseau sans pour autant permettre à la mutuelle de bénéficier d'un avantage : la prise en charge des frais médicaux du patient reste identique, quel que soit le professionnel choisi ; seul le reste à charge est réduit par le recours au praticien du réseau. Cette mise en relation n'est donc pas prohibée, d'autant que le patient reste libre de choisir le praticien à qui il confie les soins.
Les réseaux mutualistes ne sont pas contraires à la déontologie. Il ne s'agit pas non plus d'un moyen de publicité indirecte puisque le patient s'inscrit dans une démarche active dans le choix du praticien et que les informations sur les honoraires pratiqués sont des données objectives.