Odontologie spatiale
Timothée BOURGEOIS* Brigitte GODARD** Catherine MESGOUEZ***
*Docteur en Chirugie dentaire
**Exercice libéral
***Champigny-sur-Marne (94)
****Docteur en médecine
*****Médecin des astronautes européens
******Centre Européen des Astronautes
*******Chargée de recherche clinique
********MEDES (Institut de médecine et physiologie spatiale)
*********Toulouse
**********MCU-PH
***********UFR d'Odontologie Garancière Université de Paris
************Sercice d'Odontologie Garancière Rothschild-APHP
Les missions spatiales habitées connaissent un nouvel essor. De grands projets se développent, notamment l'exploration de la planète Mars par des astronautes dans les 20 à 30 prochaines années. Ces nouveaux défis ouvrent la voie à de nouvelles contraintes, notamment médicales. L'organisme n'étant pas adapté à la vie en impesanteur, l'allongement de la durée des missions nécessite une prise en charge médicale particulière des membres d'équipage. Les modifications aux niveaux...
Les missions spatiales habitées connaissent un nouvel essor. De grands projets se développent, notamment l'exploration de la planète Mars par des astronautes dans les 20 à 30 prochaines années. Ces nouveaux défis ouvrent la voie à de nouvelles contraintes, notamment médicales. L'organisme n'étant pas adapté à la vie en impesanteur, l'allongement de la durée des missions nécessite une prise en charge médicale particulière des membres d'équipage. Les modifications aux niveaux oro-facial et bucco-dentaire sont également présentes. Aussi, dans ce contexte, l'odontologie aura-t-elle toute sa place et son importance dans la préparation des missions spatiales habitées.
Un long travail de collaboration internationale initié par les États-Unis a permis la construction de la Station Spatiale Internationale (ISS) assemblée dans l'espace de façon modulaire faisant suite à la station Mir. Elle est occupée en permanence par un équipage international consacré à la recherche scientifique. Le premier module a été lancé en 1998. Elle constitue le plus grand objet artificiel placé en orbite terrestre. Depuis 2009, elle accueille un équipage permanent de 6 personnes restant en moyenne 6 mois sur place (fig. 1).
L'objectif principal des agences spatiales est aujourd'hui la recherche scientifique, que ce soit pour les missions habitées, par des collaborations internationales dans l'ISS ou grâce à des prouesses technologiques comme l'envoi de sondes et de rovers (véhicule d'exploration spatial) robotisés vers d'autres astres du système solaire.
Les prochaines missions seront des missions de longue durée qui ouvrent la voie à de nouvelles contraintes, notamment d'autonomie médicale. Un voyage aller-retour vers la planète Mars durerait au minimum environ 500 jours et plus probablement entre 800 et 1 000 jours, sans possibilité de retour d'urgence sur Terre. À ce jour, aucun homme n'est resté autant de temps dans l'espace et aussi éloigné de toute liaison avec la Terre.
Pour minimiser les risques, il est indispensable de connaître la physiopathologie humaine dans les conditions très particulières que représente un vol spatial, afin de prévenir ou de traiter tout incident pouvant survenir en cours de mission [1].
Les contraintes sur le corps humain sont nombreuses et représentées par les radiations, la microgravité, le confinement et l'isolement ainsi que par les changements chrono-biologiques. Un certain nombre de mesures devra être mis en œuvre pour permettre à l'équipage de s'adapter au mieux à son nouvel environnement, mais aussi pour prévenir et contrôler tout problème médical (fig. 2 et 3).
Dans l'espace, à proximité de la Terre, on retrouve de nombreuses radiations extrêmement variées et dangereuses qui sont soit des particules ionisantes (essentiellement des protons et des électrons) prisonnières du champ magnétique terrestre dans les ceintures de Van Allen, soit des particules peu atténuées par la magnétosphère terrestre comme les rayons cosmiques et galactiques (souvent appelés le « fond galactique ») et les éruptions solaires.
Les radiations présentes au-delà de l'orbite terrestre sont substantiellement différentes des radiations ionisantes auxquelles les êtres humains sont habituellement exposés en orbite circumterrestre. Cela est dû à la présence de particules chargées de haute énergie provenant des vents solaires ou du fin fond de l'espace. Les connaissances sur les potentielles interactions que peuvent avoir ces rayonnements sur l'ADN, les cellules et les tissus des astronautes sont actuellement insuffisantes [2].
Les radiations reçues pour une mission habitée vers Mars sont estimées à une dose de 0,6 Sievert (Sv) au cours d'un voyage de 18 mois (environs 500 jours), soit 400 mSv/an. Selon l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), cela représenterait 67 fois la dose externe maximale autorisée pour les travailleurs de catégorie A (travailleurs susceptibles de recevoir, dans les conditions habituelles de travail, une dose efficace supérieure à 6 mSv/an, ou une dose équivalente supérieure aux 3/10 des limites annuelles d'exposition) [3] (fig. 4).
La particularité la plus marquante liée aux vols spatiaux est probablement le phénomène d'impesanteur (ou apesanteur) ressenti par les astronautes. Cette sensation est due non pas à une absence de gravité mais à une absence de pesanteur terrestre. Dans le cadre des vols en orbite basse comme pour l'ISS, on parle de microgravité. La gravité terrestre résiduelle reste relativement importante, de l'ordre de 10-2 g (g étant la gravité terrestre, soit 9,81 m.s-2) [4].
C'est le mouvement de rotation de la station spatiale autour de la Terre qui donne cette sensation d'impesanteur. Sa vitesse d'environ 28 000 km/h lui confère une force d'inertie centrifuge qui compense l'attraction gravitationnelle terrestre [5].
Les conséquences sur l'organisme de cette impesanteur sont nombreuses. Outre la modification importante qu'elle apporte sur les gestes quotidiens et les habitudes de vie des membres d'équipage, l'absence de pesanteur a de fortes répercussions sur la physiologie de leurs organes :
• Variation de la pression sanguine et de la distribution du sang, entraînant une perturbation du système cardio-vasculaire.
• Ostéoporose par décalcification due à la disparition des contraintes mécaniques.
• Fonte musculaire due à la disparition des contraintes mécaniques.
• Troubles de l'orientation par un bouleversement des différents récepteurs vestibulaire et proprioceptifs. Ils ont pour conséquence le phénomène bien connu de syndrome d'adaptation à l'espace ou « mal de l'espace ». Il se caractérise par des nausées, des vomissements, de la somnolence et une désorientation. Ce phénomène qui touche près de la moitié des astronautes disparaît tout seul après quelques jours d'acclimatation au nouvel environnement.
• Modifications immunologiques nombreuses, notamment affaiblissement du système immunitaire [2, 6-15].
L'impesanteur représente également une contrainte non négligeable dans le domaine de l'hygiène, tant pour la toilette quotidienne que pour le recueil des excrétas. Dans le cas de l'alimentation, il impose un conditionnement particulier des repas qui doivent aussi présenter des propriétés d'adhérence, ce qui peut avoir des conséquences notamment dans le domaine bucco-dentaire [14, 16].
Au cours des missions spatiales habitées, le manque de place est un des paramètres les plus difficiles à supporter psychologiquement. Au-delà du manque d'espace, l'impossibilité de sortir du vaisseau spatial entraîne des « déprivations sensorielles » (absence de sollicitation des sens par des variations de décors, de visages, de températures, de sons ou de sensations). Certaines études montrent que, privé des stimulations habituelles, le cerveau peut s'emballer et produire ses propres messages chimiques. Cela aboutit à des hallucinations visuelles et/ou auditives, jusqu'à une dégradation générale et durable de l'état psychique [17].
Lors des voyages spatiaux de longue durée, les rapports sociaux sont limités aux seuls membres d'équipages, soit 2 à 6 personnes. Cela peut entraîner à la fois un resserrement des liens entre les membres d'équipages ou, au contraire, l'apparition de clivages et de tensions au sein du groupe. De plus, la promiscuité peut rendre difficilement supportable le quotidien.
Enfin, la particularité d'un voyage lointain, outre sa durée importante, est le problème que poserait la séparation des astronautes de la vue de la planète Terre. Cela se produirait en cas de voyage habité vers Mars. Aucun être humain n'a, à ce jour, été confronté à une telle situation [14, 18, 19].
Étant donné que la station fait un tour autour de la Terre en 90 minutes, les alternances jour/nuit sont beaucoup plus fréquentes que sur Terre et perturbent les rythmes circadiens.
Avant qu'un astronaute ne puisse partir en mission spatiale, un processus de recrutement puis de formation est nécessaire. Bien que chaque agence spatiale ait ses propres critères de sélection, la formation en vue d'une mission à bord de l'ISS est en grande partie mutualisée entre les différentes agences spatiales participant au projet. À ce jour, les astronautes européens de l'ESA (European Space Agency) sont tous destinés à une mission à bord de la Station Spatiale Internationale.
Nous avons volontairement axé dans cet article la sélection, la formation et le suivi sur la partie dentaire. Un autre article a été écrit récemment et pourra compléter celui-ci si besoin [20].
Les nombreuses contraintes relatives aux missions spatiales décrites précédemment imposent aux agences spatiales une sélection rigoureuse des futurs astronautes. C'est un processus long, dynamique et évolutif qui dure en moyenne 10 mois. Il est sous la responsabilité de toute une équipe composée d'instigateurs du programme, de différents représentants du corps médical et de psychologues.
La sélection se fait en plusieurs étapes :
• sélection initiale sur dossier ;
• tests psychologiques pour les candidats retenus ;
• deuxième série de tests psychologiques et entretiens ;
• examens médicaux ;
• entretien d'embauche.
Le recrutement de nouveaux astronautes est assez rare, le dernier en date pour l'ESA remonte à 2008-2009. Il a abouti à la sélection de 6 astronautes dont le Français Thomas Pesquet.
Lors de cette dernière sélection, l'ESA a redéfini des recommandations concernant les critères de sélection dans les différents États membres.
Lors de la sélection des futurs astronautes, les critères d'exclusion dus à des pathologies bucco-dentaires sont nombreux. Ils ont été validés par les agences spatiales participant au programme de la Station Spatiale Internationale (NASA, ESA, Agences spatiales russe, canadienne et japonaise). Seront donc exclus du programme spatial les astronautes présentant au moins un des problèmes suivants [21, 22].
• Tout défaut dentaire perturbant une élocution claire.
• Un édentement complet maxillaire ou mandibulaire ou un nombre insuffisant de dents saines naturelles permettant la mastication d'un régime alimentaire normale ou une élocution claire.
• Une prothèse dentaire amovible qui, en cas de perte ou de fracture, ne laisserait pas suffisamment de dents saines naturelles pour mastiquer ou parler clairement.
• Une prothèse dentaire amovible unilatérale risquant d'être avalée.
• Des pathologies ou anomalies des mâchoires ou des structures associées, incluant les problèmes parodontaux, ne pouvant pas être corrigées facilement ou qui pourraient interférer avec les obligations de performance.
• Des problèmes de malocclusion sévère perturbant la mastication d'un régime alimentaire normal ou une élocution claire.
• Toute lésion dentaire telle que les lésions carieuses, les dysplasies dentinaire ou amélaire, les fêlures dentaires symptomatiques, les restaurations coronaires inadaptées, les prothèses inadaptées et les défauts au niveau implantaire jusqu'à leur correction.
• Les troisièmes molaires incluses ou partiellement incluses pouvant potentiellement provoquer une résorption de la deuxième molaire adjacente, une péri-coronarite ou un problème parodontal jusqu'à son traitement complet.
• Les infections d'origine endodontique ou parodontale jusqu'à leur traitement.
• Un traitement orthodontique actif.
• Une classification est utilisée à l'heure actuelle par les partenaires de l'ISS pour valider la mission d'un astronaute à bord de la station. Seules les classes I et II permettent de voler (tableau 1).
En complément de cette sélection, les astronautes ont une visite de contrôle annuelle obligatoire et la dernière doit avoir lieu au moins 6 mois avant le début de la mission. Les astronautes doivent se trouver en classe I ou II pour prétendre à une mission spatiale. Seuls les astronautes en classe I à la dernière visite de contrôle pourront partir. Tous les soins dentaires doivent avoir été réalisés au moins 90 jours avant le décollage. Au cours de la dernière consultation chez leur dentiste, les astronautes réalisent un détartrage et la pose d'un verni fluoré pour prévenir l'apparition de lésions carieuses.
En plus de ces soins préventifs, les astronautes doivent s'engager à suivre des règles d'hygiène bucco-dentaire très strictes (fig. 5). Ils sont, de surcroît, particulièrement bien sensibilisés aux risques de pathologies bucco-dentaires et à l'importance du respect de ces règles [23-25]. Cette prévention a porté ses fruits jusqu'à présent puisque très peu de cas de problèmes dentaires en cours de mission ont été rapportés et, pour la plupart, des traitements par antalgiques ont été suffisants.
Une fois recrutés, les astronautes devront suivre une formation de plusieurs années avant de pouvoir être envoyés en mission spatiale. C'est une formation intense et laborieuse qui va changer radicalement leur mode de vie.
Il y a trois phases de formation chronologique : la formation de base, la formation avancée et la formation spécifique à la mission.
Après l'accomplissement des 16 mois de la formation de base, les astronautes commencent un apprentissage plus spécifique, plus technique et plus pratique. Cette formation avancée dure en moyenne une année et se déroule dans les différents centres d'entraînement des agences partenaires dans le monde (États-Unis, Europe, Russie, Canada, Japon).
Elle a pour objectif de développer les compétences et les aptitudes indispensables aux opérations et à la maintenance des systèmes ainsi que l'apprentissage des missions scientifiques à bord de l'ISS.
C'est uniquement une fois cette phase d'entraînement achevée que les astronautes seront éligibles aux missions spatiales.
Dès lors qu'un astronaute est assigné à une mission spatiale, il commence une formation spécifique axée sur sa future mission. Cette formation peut durer 30 mois. Au cours de cette phase d'entraînement, les astronautes vont apprendre tout ce qui est nécessaire à l'accomplissement de leur mission.
C'est lors de cette formation que deux astronautes seront sélectionnés afin de devenir Crew Medical Officer (CMO). Ils sont spécifiquement formés afin d'être en mesure de réaliser des soins d'urgence à bord de la station spatiale. Ils apprennent ainsi, entre autres, à anesthésier une dent, traiter une lésion carieuse ou même réaliser une avulsion dentaire [24, 26].
Le concept de dentisterie spatiale est apparu en 1957 avec la publication par le General Office de l'US Air Force du premier guide de médecine spatiale incluant un chapitre sur l'odontologie (Air Force Manual 160-13). Il faudra attendre 1966 pour voir l'affectation d'un chirurgien-dentiste à plein temps à la NASA [23, 24].
Les années 1980 verront l'odontologie entrer dans le programme des navettes spatiales avec le développement d'une instrumentation adaptée aux contraintes spatiales et de guides pour la prise en charge bucco-dentaire des astronautes au cours des vols spatiaux.
Début 2000, la conquête spatiale entre dans une nouvelle dimension avec le projet de missions de longue durée. Le Comité de la National Academy of Science Institute of Medecine pour la médecine spatiale se saisit alors de la problématique du maintien de la santé bucco-dentaire des équipages. Les premières études portant spécifiquement sur l'impact de l'impesanteur sur la sphère bucco-dentaire ont débuté en 2009. Cette année a vu également la création de l'International Association of Aerospace Dentistry (IAAD), une organisation affiliée à l'Aerospace Medical Association (AsMA) et se définissant comme « la voix de la dentisterie au sein de la médecine spatiale ».
Depuis 2010, la Kepler Space University propose une formation en dentisterie spatiale pour à la fois sensibiliser les professionnels de l'espace à cette problématique mais aussi pour promouvoir la recherche en dentisterie spatiale peu développée jusqu'à présent dans ce domaine.
À ce jour, très peu d'événements bucco-dentaires ont été répertoriés au cours de missions spatiales : quelques rares descellements de couronnes ou pertes d'obturation dus aux vibrations générées par la poussée des moteurs lors de la phase de décollage. Des lésions carieuses dentaires ont même été traitées dans la station Mir (éviction des tissus pathologiques et obturation avec un matériau temporaire disponible dans le kit dentaire de vol).
En 1978, durant la mission Saliout 6, le cosmonaute Yuri Romanenko a été victime de douleurs dentaires telles qu'il était dans l'incapacité de réaliser les tâches qui lui incombaient [24-29]. La NASA a alors mis en place l'Integrated Medical Model (IMM) qui permet de prévoir la survenue de problèmes médicaux, dont dentaires, chez les astronautes. Les chiffres certainement sous-estimés sont de 0,3 % pour les lésions carieuses, 0,02 % pour les pulpites et 0,005 % pour les descellements de prothèses. Au-delà des retours d'expérience des missions spatiales et des simulations, tous les experts s'accordent sur le fait que la prévalence de ces événements augmentera de facto avec l'allongement de la durée des missions spatiales.
L'augmentation de la durée des missions ainsi que le risque de diminution de la rigueur dans les soins d'hygiènes bucco-dentaire augmentent les possibilités de pathologies parodontales (augmentation des profondeurs des poches et des pertes d'attache) [31]. Le principal facteur de risque pour les astronautes est la présence de biofilm bactérien, associé à différentes évolutions du taux de micro-organismes aérobies et anaérobies au sein de la salive et de la plaque dentaire.
On note également une diminution du flux salivaire [31, 32] et une augmentation des IgA sécrétoires et des lysozymes salivaires [30]. La baisse du flux salivaire est probablement liée au stress ou à tout autre facteur influençant la physiologie de l'organisme.
Les marqueurs de stress tels que les taux d'α-amylase, de cortisol salivaire et le score CST (Current Stress Test) augmentent. Le taux d'immunoglobulines (IgA, IgM et IgG) salivaires et le flux salivaire diminuent.
Des modifications quantitatives et qualitatives de la composition de la flore buccale, notamment une augmentation des Streptococcus mutans, sont notifiées [29, 33]. Si leur augmentation est due en partie au régime alimentaire des astronautes [30], il a été mis en évidence une résistance accrue des Streptococcus mutans sous microgravité [26].
Le risque carieux va, de fait, augmenter. Les lésions carieuses ont été classées en 3 catégories par le Dr Hodapp, dentiste et formateur à la NASA, selon le volume et les structures dentaires touchées [29], pour simplifier les procédures et faciliter la formation des astronautes (caries légères, caries modérées, caries avancées). Le type de traitement en vol dépendra de l'étendue de ces lésions.
Une classification simplifiée des pathologies pulpaires qui peuvent en découler a été aussi arrêtée par les chirurgiens-dentistes de la NASA [34] :
• dent saine ;
• hyperhémie pulpaire ou inflammation pulpaire réversible ;
• pulpite ou inflammation pulpaire irréversible ;
• nécrose pulpaire.
L'impesanteur et le manque de place sont des contraintes importantes des vols spatiaux. Les nombreux instruments présents à bord, les matériaux de rechanges et les outils sont également très encombrants.
Les astronautes sont d'ailleurs limités dans la quantité d'affaires personnelles qu'ils peuvent embarquer. Elle est de 1,5 kg maximum par passager à bord de l'ISS.
Ces conditions très particulières ont de multiples conséquences sur l'alimentation et l'hygiène des astronautes.
La nourriture est conditionnée afin d'être stockée de longues semaines sans détérioration des qualités nutritives et de ne pas prendre de place. L'eau est rationnée et sa consommation est limitée au strict minimum.
Les propriétés physiques des aliments, collants et humides, imposées par l'impesanteur en font une nourriture qui restera plus longtemps en bouche et au contact des dents. Cela a pour conséquence d'augmenter encore le risque carieux [24]. Les rythmes de vie et de travail sont propices aux grignotages plutôt qu'à des repas à proprement parler. Ce régime alimentaire déstructuré, ainsi que la diminution du flux salivaire observée durant les vols spatiaux peuvent donc avoir des conséquences délétères sur la santé bucco-dentaire des membres d'équipage.
Même si de nombreux progrès ont été réalisés en matière d'alimentation – plats plus variés, saveurs renforcées, fruits et légumes frais livrés à chaque ravitaillement, repas améliorés pour les fêtes – et que certains légumes commencent à être cultivés à bord de la station spatiale (fig. 6 à 8) (choux, carottes, cardes... [35]), les efforts doivent se poursuivre pour que l'alimentation soit la plus proche possible de celle consommée sur Terre. Et ceci d'autant plus que, au cours d'une mission habitée d'exploration de Mars, aucun ravitaillement de produit frais ne sera possible. Plus la durée des missions spatiales sera longue, plus il sera important d'endiguer ce phénomène afin de pallier une augmentation de l'incidence carieuse [24].
Bien que les membres d'équipage vivent en impesanteur, la combinaison de la masse des objets déplacés et de la vélocité associée peut engendrer des chocs et des dommages importants au niveau de la face ou des maxillaires. De plus, lors des phases de décollage et d'atterrissage, les chocs et vibrations peuvent provoquer des fêlures ou fractures des dents [34].
Les fractures seront prises en charge par l'équipage en cas de fracture amélo-dentinaire avec ou sans exposition pulpaire.
Les subluxations, extrusions ou luxations latérales, peuvent s'accompagner d'une fracture de l'os alvéolaire ou de la dent et nécessite donc une attention toute particulière lors de l'examen par l'astronaute. Une petite mobilité ne demande pas de geste particulier mais un déplacement plus important peut demander un repositionnement de la dent dans une position favorable à l'occlusion [34]. L'expulsion est une réelle urgence dont le premier geste sera de localiser la dent expulsée. En impesanteur, elle peut facilement aller se loger dans l'oropharynx. Il n'y aura pas de réimplantation possible à bord du vaisseau spatial à cause du risque d'infection pulpaire [34].
D'autres pathologies peuvent nuire au bon déroulement de la mission et sont donc à prendre en considération.
Les barodontalgies, fréquentes chez le personnel navigant (aviation civile ou militaire), se caractérisent par des douleurs au niveau des sinus pouvant se projeter sur les dents. Elles peuvent survenir lors d'un changement important de la pression, notamment durant les phases de décollage et d'atterrissage.
Le phénomène d'ostéoporose généralisée due de la vie en impesanteur, entraînant une diminution de la densité osseuse, augmente le risque de fracture de la mandibule et des os de la face en cas de choc.
Il existe aussi un risque de formation de lithiases au niveau des canaux excréteurs des glandes salivaires, à l'instar de ce que l'on observe au niveau rénal. Le risque de complication infectieuse est alors à prendre en compte (sialodochite, abcès pelvibuccal, sialadénite).
Le stress et les perturbations immunologiques peuvent entraîner un retard dans la cicatrisation des plaies de la bouche.
Pour une mission interplanétaire, la sélection sera probablement différente de la dernière sélection organisée par l'ESA. Il faudra que les astronautes sélectionnés soient autonomes à la fois sur le plan technique et sur le plan médical.
La prévention est la mesure la plus efficace pour anticiper la plupart des pathologies dentaires et elle s'est intensifiée depuis le cas du cosmonaute russe Yuri Romanenko en 1978.
Cependant, ces mesures de préventions présentent des limites. Malgré les examens cliniques et radiologiques de qualité réalisés sur les astronautes, certaines lésions carieuses précoces peuvent passer inaperçues et se développer en cours de mission, notamment à cause des modifications au niveau immunologique et salivaire dans le contexte du voyage spatial.
De plus, une fois à bord de leur vaisseau spatial, les membres d'équipage sont livrés à eux-mêmes et ne respectent pas forcément les recommandations, surtout en ce qui concerne le planning des journées et le temps consacré à la prise des repas. Pris par le temps et la réalisation des expériences scientifiques, les astronautes ont tendance à fractionner la prise des repas et à augmenter le grignotage. La texture et les propriétés nutritives des aliments élaborés pour les vols spatiaux ne prennent pas en compte le risque carieux. La probabilité de voir se développer une lésion carieuse est, de fait, augmentée.
Enfin, le stress, l'isolement, le confinement et la monotonie que représentent les missions spatiales de longue durée augmentent le risque de négligence de l'hygiène buccale.
L'allongement de la durée des missions spatiales augmente donc significativement le risque de survenue d'un incident dentaire. La simple prévention est donc nécessaire mais non suffisante pour lutter contre les pathologies dentaires à bord des vaisseaux spatiaux. La possibilité pour les membres d'équipage de réaliser eux-mêmes les soins d'urgence en cours de mission est primordiale. Cela passe par une formation adéquate et du matériel approprié en quantité suffisante pour pallier tous les problèmes possibles.
Le manque de place à bord fait que le matériel et l'instrumentation disponibles à bord sont limités. Ils ont été sélectionnés pour la réalisation des soins décrits dans le Medical Checklist et uniquement pour cela. L'objectif lors de la conception du kit médical est d'embarquer le minimum indispensable afin d'éviter un encombrement. Plus la quantité et le nombre de références d'instruments seront importants, plus les actes de soins seront complexes et donc difficilement réalisables par des astronautes insuffisamment formés. Le matériel dentaire embarqué est donc restreint. L'ensemble de l'instrumentation et du consommable tient dans une petite trousse de 15 × 20 cm [36]. On y trouve : un miroir, un excavateur, une seringue d'anesthésie avec des aiguilles longues et courtes, des cartouches d'anesthésie contenant de la lidocaïne associée à de l'épinéphrine, du papier à articuler, des daviers, des élévateurs, une sonde droite, du ciment provisoire (base et catalyseur), un kit pour douleurs dentaires (eugénol), un matériau d'obturation provisoire et du fil dentaire. Les instruments étant réutilisables, un ozonateur est présent à bord de la station spatiale pour permettre leur stérilisation [22, 36, 37].
Cette faible diversité d'instruments limite la variété de soins possibles. Aucune instrumentation rotative n'est présente à bord. En cas de lésion carieuse, la seule possibilité offerte aux astronautes est une éviction manuelle de la lésion avec l'excavateur et l'obturation provisoire de la cavité. On comprend que cela peut être suffisant pour des missions allant jusqu'à 6 mois comme c'est le cas aujourd'hui, mais cela peut devenir très problématique dans l'optique d'une mission habitée vers Mars pouvant durer de 18 mois à 2 ans. Le risque de pulpite ou de nécrose serait alors trop important et on ne peut pas envisager l'extraction comme unique solution. Le matériel devra aussi permettre la réalisation d'un détartrage tous les 6 mois à chaque membre d'équipage en plus d'un examen bucco-dentaire.
Deux cas (fig. 9 et 10) se présentent souvent parmi les astronautes comme dans la population générale d'ailleurs :
• sujet de classe I comme actuellement défini par les critères des agences spatiales sur une période de 6 mois-1 an avec une excellente hygiène bucco-dentaire et sans antécédent particulier ;
• sujet de classe I apte comme défini précédemment mais avec de nombreux traitements antérieurs et avec une hygiène bucco-dentaire plus négligée et minimale. Dans ce cas, quel est le risque de développement d'une douleur, voire d'un risque infectieux ou mécanique en cours d'une mission de 2 ans ?
Que proposer ? Modifier la sélection et ne prendre que les sujets indemnes ? Probablement pas car cela serait trop discriminatoire. Il sera donc indispensable de renforcer les méthodes préventives et la formation de l'astronaute en dentisterie.
La dentisterie spatiale s'est essentiellement concentrée sur la prévention. Le résultat a été à la hauteur des espérances des agences spatiales puisque les problèmes dentaires en cours de mission ont été très rares et n'ont pas entravé le bon déroulement des missions.
Mais les missions spatiales ne dépassent actuellement pas 6 mois, ce qui est heureusement insuffisant pour qu'un astronaute en parfait état de santé bucco-dentaire ne développe une pathologie s'il respecte les consignes de prévention en termes d'alimentation et d'hygiène bucco-dentaire.
Cependant, dans le cas probable de futures missions vers Mars, la durée des vols spatiaux pourra avoisiner les 2 ans (fig. 11 et 12). La probabilité de voir survenir un incident devient alors beaucoup plus élevée. La formation des CMO devra être plus approfondie et le matériel à bord complété par l'ajout d'instruments à ultrasons pour réaliser des détartrages, une instrumentation rotative afin de traiter plus efficacement une lésion carieuse et un appareil de radiographie.
Pour aller plus loin, il serait même indispensable qu'un médecin formé aux soins dentaires plus complexes fasse partie de l'équipage pour une telle expédition. Il pourrait alors réaliser des contrôles réguliers et au moins un détartrage avec ajout de vernis fluoré en cours de mission [38].